26 déc. 2013

[Message] Etat des stocks fin 2013


Voici un long moment que rien n'a filtré ici - depuis Juin, à part des miettes ? - et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Plusieurs raisons :

1 - Pour être insatisfait de tout ce que j'écris, comme d'hab

2 - Pour avoir commencé à lire d'autres auteurs que Faulkner, Novalis ou Borges, de nouveaux nids, de nouvelles guerres, et même de nouveaux genres :
2a - Dans les classiques Anglais (Melville, Hardy, Conrad)
2b - Dans la science-fiction, des premiers pas très immersifs, et rapidement spéculatifs (Van Vogt, pour commencer, puis Philip K. Dick, J. G. Ballard, Greg Egan)
2c - Des voix post-exotiques : shaggås, listes, entrevoûtes (Volodine & co.)
2d - Autour de la revue Inculte, d'autres dérivateurs postmodernes (Arno Bertina, Olivier Rohe, Bruce Bégout...)
3 - Pour m'être occupé de sciences et de théologie, de religion et de philo (le réel de la foi, le réel selon elle, puis ses transformations, ses formes nouvelles) :
3a - D'avoir fini mon mémoire de théologie, Prayer to the Limits, enquête sur l'intentionnalité de la prière chez Denys et Derrida
3b -
D'avoir fini Ten Gods (Emily Lyle), Cosmos, Chaos, et le monde à venir (Norman Cohn), Il y a des dieux (Frédérique Ildefonse), et avoir pris le temps de les digérer
3c -
De m'être enfoncé dans l'histoire scientifique de l'évolution, les faits, raisonnements et zones d'ombre à ce jour (surtout en génétique, éthologie) + implications philosophiques de l'évolution
3d -
D'avoir considéré les arguments chrétiens pour le créationnisme, la controverse sur l'intelligent design, les objections en masse, et être resté perplexe
3e -
D'explorer divers panenthéismes, pandéismes et nihilismes, d'Altizer à Ray Brassier, en passant par les lecteurs de Ligotti sur leurs forums pessimistes, par la matière complexe chez Morin et Dagognet, la contingence chez Meillassoux, etc.
3f -
D'envisager l'avenir de ce monde-ci et du suivant, en décroissance, survivalismes, en pluralisme radical, en art déflationniste ; tout en freeware et hacker manifestos ; ou tout en accélération, en eschaton transhumaniste, corporations techno-religieuses, etc.
3g -
D'avoir lu et relu les Principia Discordia. D'être devenu discordien (ou bien pas ?). D'avoir écrit des exégèses et palimpsestes, et les avoir lues à un ami. D'attendre la lumière d’Éris pour savourer un chien-chaud. Fnord.
4 - Pour avoir enfin comblé des lacunes inexcusables en matière d’œuvres vidéoludiques :
4a - Fahrenheit (wtf déception), The Longest Journey (oui / non), Beneath a Steel Sky (yeah!)
4b -
Portal 1 & 2, Deus Ex 3, S.T.A.L.K.E.R., Mirror's Edge. Esthésies remarquables, kinesthésies d'enfer. Consistances propres. Les Portal ont un humour unique, décalqué (axé sur la curiosité, la recherche)
4c - Planescape:Torment. Décisif. Le jeu et l'esthétique (narration, dialogues et ouverture). Indélébile. Thank you, Mr. Avellone & co.!
5 - Pour construire très lentement, en tir croisé, des textes plus ambitieux que mes poèmes. De travailler sur plusieurs chantiers à la fois :
5a - Sur la pièce intitulée Mordred cocu, joyeux remix hétérogène des légendes arthuriennes
5b - Sur un univers imaginaire, tout en formes de vie, cosmogonies, tout en guerres et en spéculations théophysiques - comme une matrice pour des fictions à venir (Kolùn Jalla)
5c - Sur un texte-flèche bien composite, Pour tracer dans les dunes, entre le manuel de combat et l'autofiction, au-delà de tout délai
6 - Pour commencer à travailler sur un petit projet de court-métrage avec mon meilleur pote.
   
7 - Pour avoir repris les crayons, l'encre et les feuilles A1, avec un bon paquet de cartes à jouer et cartes géographiques pour l'inspiration. De constater que le temps de la nuit n'est pas élastique à l'infini.


Nous y voilà, un genre d'état des stocks, petit mais tassé. Arbitraire aussi, et lacunaire. De temps à autre, dans le sillage de vos silences-radio (passé ou à venir), faites un état des stocks. Ça rassure les lecteurs-investisseurs, et ça vous donne un précieux aperçu des avancées, des retards, ou même des trucs sous-exploités dans votre cours, qu'il soit sous-marin ou torrentiel.

Dans les nouveaux imports de nature littéraire ou artistique, beaucoup de vois font écho aux intuitions qui m'habitent. Ou plutôt, mes intuitions leur font écho. Accentuées, intensifiées, tout ça concorde avec des conquêtes personnelles : bonne et mauvaise nouvelle. Bonne : je ne divague pas trop, d'autres dansent là. Il y a vraiment une vibe du non-humain ("je ne suis pas fou, si Pierre Huyghe l'a explorée si longtemps"). Mauvaise : je ne découvre ni n'invente rien, du moins toujours pas. Il faut encore se nourrir, et encore s'entraîner.

Or ces mois n'ont pas été sans écriture, car ils n'ont pas été sans livres, sans films, sans relations, sans distorsions imaginaires. Sans même parler d'exploration urbaine, des randonnées, des nages nocturnes, de la Chine ou des substances à inhaler - seulement des mots et des schémas, illustrations, néologismes et raisonnement : des frelats de réel, des receleurs de vérité.

Pendant ce temps, "n'avons-nous pas vécu ?" (dixit Montaigne). Maybe personne n'aura été conquis, blindé, abreuvé, noyé comme moi ces mois derniers ; ces mois derniers je l'ai été, toutes persiennes déchirées. Alors si rien ne se perd, que rien ne se crée, je vous le dis, tout ça (ce fracas monstre) ne perd rien pour attendre...

Au taff, le scriboulo : criblez, levain, repos !
C'est pour bientôt

31 oct. 2013

[Kwot] Code poems (Ongoing Open Project)


Two authors, two compiling code poems
__________________________________________________
DANCING WITHIN
using System;

public class PoemCode
{
   private bool dancing_within()
   {
      Boolean me = true;
      while (dancing_within())
      {
         var iables_of_light = "";
         try { int elligently_to;
         object ify_the_world_apart; }
         catch (Exception s)
         {
            int o_the_broken_parts;
            throw; int o_the_seed_of_life;
         }

         Random ashes_of = new Random();
         float ing_devices;
         short age_of;
         char acter_will_never_let_you = 'b';
      }
      return me;
   }
}


Álvaro Matías Wong Díaz
// C#
__________________________________________________

UNHANDLED LOVE

class love {};

void main()
{
    throw love();
}


Daniel Bezerra
// C++
__________________________________________________

code {poems} - Ongoing Project, possible submissions on their site

Tiré d'un projet en cours, propositions poétiques ouvertes sur leur site
 .

8 oct. 2013

[Loud!] L'art de la chasse (Xénophon)



L'autre jour avec Marie, je suis retourné dans la petit boutique de livres anciens et d'occasion juste en bas de la rue de la Sorbonne, presque en face du jardin médiéval de Cluny. J'avais trouvé ici un certain nombre de livre de philo et d'art assez superbes, et notamment les gros volume sur la vie et le travail de M. C. Escher, ouvrage fascinant sur un artiste d'une discrète omniprésence, mais rarement étudié à fond. Le patron trône à droite, amical et complice.

A part le Sagesses et religions en Chine, essai semi-épais que j'ai vu en vitrine, je ne cherche rien en particulier. Jette un œil sur ce que lis Marie, prends un essai sur l'art sacré, le repose, puis La Fabulation Platonicienne, un vieux Vrin, la Physique d'Aristote, volumes I à IV, quand le patron me lance : "j'ai bien d'autres Budé, dans le sac, si vous voulez fouiller". Je fouille - une pile, deux piles, rapidement - et tombe sur

 XÉNOPHON 
L'ART DE LA CHASSE

 
L'impression d'avoir trouvé ce que je traquais sans le savoir me fait sourire : le livre sent le vieux papier calme, très bon état si ce n'est deux, trois auréoles sur la tranche. J'entr'ouvre : texte grec et traduction. Sur la couverture, l'emblème de la collection de textes grecs me fixe curieusement - chouette de Minerve figée en vase puis en logo - curieusement penchée, plus proche de la folie que de l'envol


Ce sera donc l'art de la chasse, un peu d'histoire, des phrases grecques dans lesquelles je commence à peine à me repérer niveau grammaire, un traité des techniques, mais aussi des vertus guerrières et morales de la chasse, son contexte, ses héros, ses dieux protecteurs...

Un autre âge, pas si lointain. Mais pas n'importe quelle chasse, comme l'explique bien Delebecque dans sa Notice : non pas la chasse équestre au grand cerf, à la panthère ou aux rapaces, comme pratiquée par les rois de Perse - pas de veneur ici, ni de jardin privé, pas d'animal semi-mythique qu'on attaque au javelot, à la lance ou à l'arc composite dans le risque et l'exploit.

Xénophon évoque tout cela (et signale au passage comment pister le sanglier, l'ordre dans lequel on tue les membres d'une harde, comment éviter d'être piétiné ou mordu, quels chiens valent mieux pour prendre un faon, etc). Mais c'est surtout l'humble chasse au lièvre qui l'intéresse : la chasse en campagne, presque entre père et fils (avec un esclave cependant, pour garder les filets), au début de l'adolescence, pour sa valeur pédagogique et pour l'exploration des muscles, des collines boisées, des chiens, et le goût de l'effort.

C'est un bonheur de lire comment la recherche du gibier s'élève en art, véritablement, à mesure que l’œil, les pieds, la voix, les pattes et les museaux tissent l'occasion d'une prise, contre l'intelligence des lièvres qui croisent leurs routes (impossible de courir deux lièvres à la fois), qui se terrent et bondissent lors du terrier (couper le fil pisté de leur odeur), ou reviennent sur leurs pas avant de bifurquer (le fameux "hourvari"). Le lièvre a plus d'une chance d'en réchapper.

Chasse toute en ruse, technique, toute en patience et entraînement, avec des chiens, colliers, laisses, sous-ventrières, des pièges, bâtons, filets, pieux, nœuds coulants et pierres. Et en courant, courant. Traquer, poursuivre la meute des chiens, l'encourager, courir, lever le lièvre, contourner, diriger, courir encore, viser, sauter, piéger, planter. Souvenirs de la guerre, aussi. A pied, dès le petit matin, temps idéal dans les bois clairsemés du Péloponnèse, aux alentours de Sparte. Et moi qui lis, debout, immobile, dans le métro bondé.

*

"... Le Laconien [de Xénophon] est un chien courant qui chasse le nez au sol, et seulement le poil ; apte à retrouver la voie, même une demi-journée après le passage du lièvre [...] ; lien secret, immatériel, unissant le lièvre qui a touché le sol, et le chien qui, non sans erreurs préalables, réussit tout de même à mener, à son tour, le chasseur jusqu'à lui..."
Notice

"... Le givre et la gelée blanche, les chiens à la truffe engourdie par le froid, la rosée qui efface les voies du gibier ou les pluies d'orage qui emportent les odeurs de la terre... témoins des spectacles offerts par la nuit, les ébats des lièvres qui folâtrent de concert sous la clarté de la lune [...], les biches mettant chacune son faon à la reposée, l'allaitant, puis allant à l'écart pour monter la garde"
Notice

*

"... Lorsqu'il neige au point de faire disparaître la terre, on pourra suivre la piste ; s'il y a des plaques sans neige le lièvre saura se faire difficile à chercher. S'il neige par vent du nord, la piste est longtemps visible à la surface, tandis que si l'on est au vent du sud ou que le soleil brille elle l'est peu de temps, se dissout vite [...]"

"Alors le plus expérimenté des chasseurs présents et le plus maître de soi ira de l'avant et frappera [le sanglier mâle] de l'épieu [...], le flanc gauche tourné vers la main gauche, fixant son regard sur l’œil du fauve et les mouvements de sa hure... Il y a un choc en retour du heurt..."


Xénophon, L'art de la chasse
Traduit, présenté, introduit par Edouard Delebecque
Édité par "Les belles lettres", collection G. Budé.

4 sept. 2013

[Poé] Ivrelierre / Sharp Ivy


Je ne crée rien, je pille des tombes en forme de livres
Je ne crée rien, mais attention : je ne pille pas n'importe quoi

Suivant le lierre qui pousse dessus : tronc speed, feuilles d'un
Rouge sombre, aigu, voici un beau vestige fertile, j'y plonge les doigts

Et le compteur Geiger crépite, la pelle opère une césarienne
Sur le cordon qui lie tâche et peinture, bruit et parole, matière et vie

Je tombe en vrille sur avant-hier et tente une greffe sur l'ivre-
Lierre : moi-même déraciné, j'exhume les berceaux d'un avenir

Je ne crée rien, je pille des tombes en forme de livres
IVRELIERRE / SHARP IVY

No creators, only tomb raiders. In the Limbo where lives my kin
Plundering museums, ancient mausoleums, book-like

Out of ten thousand. See the mounds? Choose'un, careful
Following signs: dark red ivy, fertile ruins produce sharp leaves

Take my spade and proceed: caesarean section, inbetween syllables
Right where matter comes to life, where noise turns into cry

Scavengers of old skulls, we know the ways of salvation
Up/root ourselves, ivy grafting itself, cradling some future

No creator, only tomb raiders. In the Limbo where lives my kin
  
'Grisly Salvage' | MTG © Maciej Kuciara


30 juin 2013

[Poé] À coups d'crayon


D’un seul geste, lis et compose

L’œil nourrit le livre, le recueille
A son tour un recueil
Enivre la vision

Écouter, raconter, même chose

Lorsque les noms sonnent l'oreille
Le poignet crie, réveille
Le tracé du son

Alliage des mots, alliance de prose

Entends ! La langue se mouvoir
Forcer son dédale de mémoire
À coups de crayon
Apollo and the Artist 1975



à coup d'crayon 2013

 art Cy Twombly
Venus 1975

19 juin 2013

[Poé] Seulement lu ou versé




Parfois c’est un duo, parfois une collision

Je ne crée rien, je retranscris seulement
Ce qui traverse – et ceux et celles
                           Que j’entends
                 Traverser vivante

Parfois sauveteurs, parfois écrin
    Parfois fléau, nous sommes essaim

De Rhodopis Vesper

Je n’ai jamais créé, non
Seulement lu ou versé
                Telle eau brûlante sur tel corps nu
           Et bu le cri
seulement lu ou versé, 2013
img
Björk

rewritten in English

[Poé] Rewrite (English version for 'Seulement lu ou versé')



Sometimes it’s a duet, sometimes a crash


I don’t create nothing, only rewrite
What flows throughout – and those
     I hear crossing, those I wish
            To cross alive

     Sometimes we’re lifeguards, not out of harm
           Sometimes we’re but hazard, a swarm
Of hummingbirds

   I never created, no
Only read, then poured
    Such burning water on such naked truth

    To gather its cry

Rewrite, 2013
English version for Seulement lu ou versé

14 juin 2013

[Kwot] Zenarchy (Kerry W. Thornley)


And here I am, typing down the last words of Kerry Wendell Thornley's short none-treatise on the politics of non-political counter-culture, Zenarchy.

 After writing The Idle Soldiers on his then-friend and comrade Lee Harvey Oswald (long before this latter's defection and the murder of JFK), but before founding Discordianism with his childhood friend Greg Hill (Malaclypse the Younger), Thornley (alias the Purple Sage, Omar Khayyâm Ravenhurst - not to be confused with the 11th century Iranian sufi polymath of the same name) wrote some of his ideas on life, compiling stories and examples about counter-culture and Zen (some funny, some laughable, some profound and some very relevantly useless).

Here are two extracts, from the first and the last Chapter of Zenarchy. Let us think, or not.
The whole booklet can be downloaded here free of rights (literally "All rites reversed").


The Unborn Face
[...]

Although we sometimes called ourselves hip or hipsters or hippies or flower children, at that time those were just names among many that seemed occasionally fitting. As a social entity we were not yet stereotyped. Between a hard-bopping hipster and a gentle flower child there was a distinction, and neither label stretched to include us all.


[...]

Becoming hung up on avoiding names, of course, can be as misleading as being named, classified and forgotten. We were not making an effort in either direction. We intended, however, to avoid abstractions that short-circuit thought. An unborn face entailed a naked mind.
Zen is called Zen, but when the monk asks the master, “What is Zen?” he does not receive a definition but a whack on the head, or a mundane remark, or a seemingly unrelated story. Although such responses might baffle the student, they did not encourage him to glibly pigeon-hole the Doctrine.
[...]

The Forgotten Sage


In Flight of the White Crows, John Berry reminds us that Chaung Tzu says the true sage is absent-minded: “The absent-minded man cannot remember his bad deeds; he cannot remember his good deeds.”


 read and typed in june 2013

3 juin 2013

[Poékwot] Iomallachd / Remoteness (Meg Bateman)



A poem from Meg Bateman, original in Gaelic and English transcription, in These Islands We Sing (anthology of contemporary Scottish poems, edited by Kevin MacNeil, 2011). The poem is a lucid, crystal-clear chiasmus between two places, two ages, two exiled communities.

I love the style of Meg Bateman (so different from mine). She wrote a poem / song about the burial of Sorley McLean, the great poet from Raasay Island (between Skye and the Highlands), and the poem is delicate yet real, so real that one could use it as a blanket or a frying pan. And now for Iomallachd.


Iomallachd

Chan eil iomallachd sa Ghàdhealtachd ann -
le càr cumhachdach
ruigear an t-àite taobh a-staigh latha;
's e luimead na hoirthir
a shàraich na daoine
is a chuir thar lear iad
a tha gar tàladh an-diugh,
na làraichean suarach a dh'fhàgh iad
cho miannaichte ri gin san rìoghachd.

Och, an iomallachd, càit a bheil thu?
Càit ach air oir lom nam bailtean,
sna towerblocks eadar motorways
far am fuadaichear na daoine
gu iomall a' chumhachd,
an aon fhiaradh goirt nan sùlean
's a chithear an aodann sepia nan eilthireach
(a bha mise riamh an dùil
gum biodh an Nàdar air dèanamh àlainn). 
 Remoteness

The Higlands are not remote any more -
with a powerful car
you can reach the place in a day;
it is the bleakness of the coast
that wore the people down
and sent them overseas
that draws us today,
the miserable sites they left
as desired as any in the land.

Alas, remoteness, where are you?
Where but at the bleak edge of the cities,
in the towerblocks between motorways
where people are removed
edged out from power,
the same hurt squint in their eyes
as is seen in the emigrants' sepia faces
(that I had fully expected
Nature to have made beautiful).

Meg Bateman by Robyn Grant
 Iomallachd / Remoteness, Meg Bateman


 











30 mai 2013

[Kogi] Causes sans raison / Causes without reason


FR


Tragédie du sens : nous pourrions avoir toutes les causes sous les yeux, elles ne nous satisferaient pas, car elles ne donnent pas une raison, et encore moins une intention. Comme nous croyons à l'intention subjective et à sa supériorité, que nous cherchons partout à y voir notre image, nous secouons les causes qui n'ont plus rien à dire : "POURQUOI ? POURQUOI ?" et finissons par entendre des voix.

EN

Tragedy of meaning: even if we can see the whole chain of causes arrayed in front of us, their display never would never account for a
reason, let alone for an intention... But we're convinced that something is lacking with causes, something like us, a decision, a will, so we sway facts, shake them up, screaming 'WHY? WHY?', yet facts have nothing else to say... Then, we start hearing voices.

 

27 mai 2013

[Poékogi] Corps d'étoiles, spectres réels


J'aime l'idée qu'une étoile morte continue littéralement à rayonner dans l'espace pendant des milliers d'années terrestres : son spectre lumineux survit pour visiter les mondes qui ne l'ont pas connue.

L'image du corps de l'astre en décomposition devient le corps astral qui nous visite après des millénaires. Sa signature thermique lui sert d'épitaphe, comme quelqu'un qui enverrait une carte postale faire trois fois le tour du monde pour annoncer sa mort en personne à ses arrière-petits-enfants ! Ou mieux : quelqu'un qui leur enverrait un film de sa vie, par un système de traitement extrêmement long, à visionner une seule fois, en continu.

Hier sur les routes maritimes et demain sur les trajectoires gravitationnelles, les navigatrices "lisent" le ciel comme une carte réelle, hier en deux dimensions et aujourd'hui en quatre, sans haut ni bas, saupoudrée de noms et de repères informatisés. Et cette carte, il faut le dire, est quite literally un cimetière à la dérive.

L'étoile du berger ne pourrait pas nous guider si elle ne revêtait pas l'habit du Soleil, tout comme l'étoile des mages, que l'on dessine en forme de croix, ne devient exceptionnelle que si elle apparaît soudainement et finit par mourir. Pour nous non plus, les astres n'existent pas sans interaction, sans cycles et sans évènements : sur la Terre comme dans les cieux, dans le Soleil comme sous la Lune, sans isolement, sans "lieux" ni barrières, les puissances évoluent et le chaos s'active.

La culture chrétienne prétend avoir pensé tous les liens entre la mort, la lumière, l'archive matérielle, la mémoire, l'étoile, la révélation, le temps, l'histoire, la direction d'une vie, la perte de repères, mais elle s'est surtout contentée de superviser l'accumulation des symboles au service d'un certain récit moral.

Il reste en réalité des millions de pensées nouvelles à imaginer et de symboles inédits à forger. Les "cris" en rayonnements qui se distendent et se déchirent, l'histoire semi-lisible du fonds diffus cosmologique, l'effondrement gravitationnel des galaxies et l'éloignement accéléré des amas, l'absence de haut et de bas... J'imagine 9 nouvelles "religions" rationnelles, avec leurs symboles équilibrés, leurs lois solides ou fluctuantes, leurs vertiges mystiques, leurs hypothèses cosmogoniques et leurs espoirs eschatologiques, leurs bestiaires fantastiques, hybrides, semi-cycliques :
? S u p e r n o v a ? †



J'aime les astrophysiciennes et les astrophysiciens, qui excavent les rayonnements fossiles, traduisent la langue inhumaine des étoiles en équations lumineuses, et composent la cosmographie vertigineuse que l'on connaît. Il s'agit autant d'explorer l'espace que d'explorer le temps, selon ses vagues inégales et ses résidus lumineux.

Il existe de véritables courants astraux, et de véritables influences astrales, différées dans le temps, composites, mystérieuses et impures. Elles dépassent en puissance et en complexité tout ce que les astrologues bricolent. Ces courants ne viennent pas seulement de toutes les directions à la fois : ils constituent une toile de référentiels temporels, de vitesses et de changements.

J'aime aussi l'approche poétique, bien sûr – lorsqu'elle n'a pas la phobie des sciences et des chiffres, et qu'elle prend au sérieux l'originalité vertigineuse des théories et des modèles. Comme je l'ai déjà dit, leurs cieux ressemblent à un "océan" fractal plutôt qu'à une "toile" ou une "mer" bidimensionnelle, à un "film" en train de se dérouler plutôt qu'à une simple "tapisserie" statique, à un "bestiaire" virtuel plutôt qu'un "état de choses" évident ou certain. Ses mots, ses concepts et ses chiffres sont neufs et singuliers : ils ne possèdent pas d'équivalent antique.

Au lieu d'une poésie qui masque la description scientifique des phénomènes sous un tissu de métaphores simplistes, ou qui se contente d'ignorer les sciences : une poésie qui comprenne la situation, qui saisisse son potentiel poétique, et relève le défi de la recréation de nos expériences esthétiques. Difficile de maîtriser les deux à la fois, mais possible. Il serait terrible de ne pas essayer de les unir – desséchant de séparer.

Tout ça est bien connu – l'idéal de la poésie romantique n'était pas autre chose · mais est-ce que cela nous intéresse vraiment encore ?
corps d'étoiles, spectres réels
img eve online


mai 2013 (révisé mars 2022)



25 mai 2013

[Kwot] We adore chaos (M. C. Escher)


"We adore chaos because we love to produce order"

- M. C. Escher

17 mai 2013

[Poé] Dans des piscines d'encre


À l'envers des grandes bibliothèques l'architecture inverse
Des bâtiments publics aux archives se trouve une fête
Aux herses de l'écriture le feu se paye en pages / en heures
Tout comme le mot "bibliothèques" joue les videurs

À l'entrée du poème

Ici s'ouvrent des ères dont les princes et les reines
Livrent les gemmes à qui les avalera ‡ diadèmes usés
Couronnes suraiguës insignes sans pareil du règne
De la forge et la forge du signe talismans qui déteignent

Sur les champs de papier

Après la cérémonie des honneurs vient l'assoiffé sourire
Tout denté de dragon ‡ l'écarlate main balayant les idoles
Dague omnivore dont le manche m'est donné à gravir
Et sa lame donnée à jouir ‡ toute violente, folle et

Indifférente à la jeunesse


Dorénavant ‡ je fais partie de la coterie des receleurs d'idée
Ceux qui pêchent les glyphes à la ligne ‡ gavant de mémoire
Les signes du futur dans la fureur des jours sans gloire
Partie de chasse pour ceux qui savent que le secret

N'a pas la forme imaginée

N'a pas de fond, peut-être ‡ l'envers des grandes biblio'
Dont les reines et les princes m'offrent la clef mon sacre !
Et tous leurs coffres vides leurs têtes sur des plateaux
Leurs corps saturés de lettres ‡ visions qui flottent

Exsangues

Dans des piscines d'encre






mai 2013
du bonheur d'être poète



20 avr. 2013

[Kogi] Ce qui est oublié existe-t-il ?


J'aimerais pouvoir dire : "Ce qui est oublié n'existe pas"

Mais si je dois - en toute conscience - dire que "Cela n'existe plus", alors le "plus" indique un plus+ relativement au "pas"

Il y a donc un reste, une trace, un quelque chose (mais pas une chose pleine ni même partielle), un presque-rien évasif (mais non quelconque, non pas n'importe quoi, car ça m'importe !), une trace de chose : laquelle ? un arrière-goût : lequel ?

"Ce qui est oublié n'existe plus", je ne sais plus ce que c'est, je ne sais pas, mais pourtant... AH, c'était là pourtant, 'ce' était là, et ce était... quoi ? c'était quoi donc ? Comment puis-je donc savoir que "c'était" là si je ne sais plus du tout "quoi" ?

Je suis la piste, la trace... parfois je me souviens quel genre de quoi, quel type de quoi (un nom ? un titre ? un rêve, son contenu ? une mélodie ? un souvenir qui ne revient plus à l'écran ?) - ou alors, c'est qu'il reste un reste affectif, l'émotion d'une perte

La trace de l'oublié, la place vide, par sa forme et son manque - par son empreinte et son silence - indique presque un contour, parce que le vide ce n'est pas rien - encore moins lorsqu'il y a des points autour pour le trianguler, des vieux chemins d'accès

J'aimerais penser que je suis au contrôle, que "je saisis", je possède, je connais ce qui me compose. La vérité, c'est que je suis tissé d'absence, dans le sommeil et le réveil, dans la dérive des sons et dans les mots qui zappent : dans ma propre mémoire je dois apprendre à m'orienter, et comme elle change toujours, me réorienter, encore et toujours me réorienter, voilà tout

L'oubli est donc au temps vécu ce que la perte est à l'espace sillonné. Ce qui est oublié est comme perdu ou recouvert d'un voile. Ce qui est oublié se cache : parfois l'absence est flagrante, parfois c'est un oubli caméléon qui se cache et se fond dans d'autres formes, parfois c'est l'oubli d'évidence : ce qui est partout, tout visible, qui se dérobe au rai du moi, trop absorbé, inattentif ou émoussé pour garder l'oubli de sombrer dans un oubli plus profond encore, voire sa disparition radicale

Ce qui est oublié se cache, et appelle donc à être recouvré, re-découvert. Un jour qui n'existe plus appelle un jour qui n'existe pas encore. Entre-deux, le présent, c'est la présence de l'absent, dans les quêtes énergiques du désir, des biographies, des histoires, des trajets ou des clés (où les ai-je oubliées ? qui suis-je ? viendra-t-elle ? etc.)

Mais alors... ce qui est complètement oublié - ce dont je ne me souviendrais concrètement jamais (par paresse, par manque de transmission, ou même par maladie), cela existe-t-il ? Les disparus, tout oubliés, existent-ils, ou plus, ou pas ?

Hors de toute archive, hors de la mémoire actuelle ou même hors de la mémoire possible, au-delà du champ d'action d'aucune conscience, quel espoir de re-découvrir ? Quel espoir d'existence ?

Aucun, ces oubliés-finis n'existent pas, et ils ne peuvent pas exister, pas plus que le souvenir de quelque chose qu'on n'aurait pas vécu ! Pire encore qu'une perte absolument irréversible, les "secrets" jamais partagés, emportés dans la tombe

Non, positivement, je l'affirme : ils n'existent pas, bien que tout ce qui me vienne porte leur marque d'inconnu, et que tout ce que j'oublie soit leur chance

A moins que l'on espère en l'archive absolue - mémoire divine ou universelle - qui devrait retenir tout les faits, garder toute particule, et même revivre tout instant, toute durée, toute peur, tout frémissement, selon tous les points de vue possibles ! Vertige

Et c'est pourquoi en m'attaquant à l'oubli radical, au crime parfait d'une défection sans aucune empreinte, sans aucun vide, un abandon au-delà de tout résidu, l'anonymat ultime, cet oublié de tous les hommes, oublié même de Dieu (!), je ne sais (pas même) plus de quoi je parle : je ne sais pas de quoi je parle, j'ai au-delà-d'oublié

A tel point que
finalement, je ne questionnais rien...

pas même "rien"

avril 2013



[Kwot] "Jabberwocky", Through the Looking-Glass (2) (Lewis Carroll)


There was a book lying near Alice on the table, and while she sat watching the White King (for she was a little anxious about him and had the ink all ready to throw over him, in case he fainted again), she turned over the leaves, to find some part that she could read, "for it's all in some language I don't know", she said to herself.

It was like this.
 

YKƆOWЯ∃ᗺᗺAJ

ƨɘvot yhtilƨ ɘht bna ,gillird ƨawT` 
;ɘbaw ɘht ni ɘlbmig dna ɘryg biⱭ
,ƨɘvogorod ɘht ɘrɘw yƨmim llA  
.ɘdargtuo shtar ɘmom ɘht dnA


She puzzled about this for some time, but at last,
a bright thought struck her. "Why, it's a Looking-Glass book of course! And if I hold it up to a glass, the words will all go the right way again."
This was the poem that Alice read.
JABBERWOCKY

 `Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe:
  All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

  "Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
  Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch!"

  He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he sought --
  So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.

  And, as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
  Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!

  One, two! One, two! And through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
  He left it dead, and with its head
He went galumphing back.

  "And, hast thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
  O frabjous day! Callooh! Callay!"
He chortled in his joy.

  `Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
  All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
 


Lewis Carroll, "Jabberwocky"
Original illustration by John Tenniel
Through the Looking-Glass and What Alice Found There, 1872

18 avr. 2013

[Kwot] Through the Looking-Glass (1) (Lewis Carroll)


  First, there's the room you can see through the glass - that's just the same as our drawing-room, only things go the other way. I can see all of it when I get upon a chair - all but the bit just behind the fireplace. Oh! I do wish I could see that bit! I want so much to know whether they've a fire in the winter: you never can tell, you know, unless our fire smokes, and then smoke comes up in that room too - but that may be only pretence, just to make it look as if they had a fire.

Well then, the books are something like our books, only the words go the wrong way; I know that, because I've held up one of our books to the glass, and then they hold up one in the other room [...]

You can just see a little peep of the passage in Looking-Glass House if you leave the door of our drawing-room wide open: and it's very like our passage as far as you can see, only you know it may be quite different on beyond [...]

In another moment Alice was through the glass, and had jumped lightly down into the Looking-Glass room...



From Lewis Carroll, Through the Looking-Glass
and What Alice Found There
, 1872

Original illustration by John Tenniel

12 avr. 2013

[Poékogi] Composé de passé


Parfois, j'aimerais pouvoir dire des choses comme ça

Je me sens composé de tissus, de cellules, d'animaux, d'amis et de parents - de fluides et de textiles, de style et de textes, lus, relus, via l'héritage des vies qui me donnent vie : un au-delà concret, rugueux, lisse ou brûlant

Si je me sens absolument composé par mon passé, ce n'est pas comme une somme d'expériences individuelles - ce n'est pas comme une réserve d'émotions privées, ni comme une chambre d'enfant au verrou subjectif

Si je correspond exactement à mon passé (que mon avenir, donc, ne peut aller qu'en des chemins que mon passé traçait depuis 'toujours'), c'est comme une série d'arbres et de fruits qui mûrissent, saisons après saisons, se composent de lumière et de terre pour tomber, naître encore et se nourrir du sol, de l'humus, d'eau calcaire, d'autres passés en décomposition, ou encore : je n'est qu'une éponge

Né des fruits d'une culture qui me précède, j'assimile pour exister. Cette culture pleut des générations, coule sur mon corps et l'imbibe, coule dans mes veines, et je commence, bien avant d'y penser, par le simple fait d'être, à montrer aux enfants légèrement singuliers, comment boire, où boire : une culture réelle se transmet, ou meurt (il n'y a pas de livres s'il n'y a pas de lecteurs - les pierres parleront si vous ne parlez pas, mais elles parleront comme des pierres !)... Raising children is all we have

Si je me sens éternel, c'est moins sous la forme d'une âme individuelle que comme l'embranchement d'une lignée, du moment que je comprends : fait des brins d'autres lignées, de l'extérieur, jardin ouvert aux herbes folles, à la tempête, au ratage, embranchement interminable, inachevable, résilient et pourtant "mortel" (un jour je changerai au-delà de toute reconnaissance : ma mémoire, c'est-à-dire mon identité subjective et intersubjective, ne sera plus)

Concrètement, c'est comprendre que toute identité a un début et une fin hors de soi, hors de l'idée qu'un dieu ou Dieu se fait de soi. Au lieu de croire que tout découle de moi, que tout commence avec mes droits, mon avis ou mes choix : se sentir né de flots (écume III), non d'une idée, se sentir composé de courants, absolument, se sentir confluence, toute entière, tout entier confluence

Contre le "je" du passé-composé qui dit "j'ai" avant tous les verbes qu'il conjugue, je m'avoue composé de passé. En arrêtant "j'ai fait", "j'ai dit", ou "j'avais déjà", voilà qu'on palpe du rayon, des courants, des pollen. Je suis alors un composé du passé, une liasse, un faisceau ou une gerbe cueillie trop tôt, trop tard, ou pas du tout - et je ne suis ni la fin ni l'origine de ce qui me lie ensemble - ce qui lie me ensemble !

Est-ce là un basculement vers l'auxiliaire être, le verbe d'état, la voix passive pour une voie de passivité ? Est-ce me déposséder de toute initiative, nier que je dirige mon devenir ?

Oui, en un sens, carrément. Je ne suis pas l'alpha ni l'oméga : plein d'autres choses me forment avant que je réponde un mot ; avant de posséder quoi que ce soit, je reçois tout. C'est humiliant pour toi et moi, pour tout égo sur-gonflé : le verbe "humilier" vient du latin 'humus-ligare', littéralement "lié à la terre", lié au compost feuillu, ce symbole de la soupe fertile du monde. Nés de poussière... et quelle poussière

Pourtant, se savoir composé d'ailleurs, c'est prendre au sérieux la mémoire, la prendre à bras le corps, c'est-à-dire sans passivité : l'action ne disparaît donc pas. Si le passé me compose pleinement, il compose en trop-plein, en surabondance, donnant lieu à des configurations uniques, de l'imaginaire, un potentiel nouveau. Maîtriser mon passif, l'embrasser, c'est grandir, et grandir en pouvoir. Au contraire, l'illusion d'une liberté immédiate - auto-créatrice - obscurcit le rôle de la mémoire et du passé, et obscurcit donc les sources du possible. Libre en tant que composé, ou sur-dé-composé, dans l'occasion unique (kairos) - non pas libre dans le vide car le vide asphyxie.

Même lorsque l'égo présent se penche sur son passé et l'organise, plein d'oubli et de désagrément, il compose des histoires, composées d'autres histoires, les arrangements rétroactifs de l'idéal, les retouches affectives du temps perdu, l'enfance unique mais pleine de monde (pleine à craquer du monde qui me surdétermine !). Toute histoire particulière puise ailleurs et compose, recompose, plante, arrose, mais ne crée ni les graines, ni les fleurs, ne commande pas au vent ni aux saisons. Drogués aux envies égoïstes, aux rêves d'autonomie, on oublie vite l'importance des forces élémentaires, la teneur composite de toute identité, la matière fragmentée du récit, du souvenir, l'énergie propulsive, l'inertie de l'enfance

Car "je" n'existe pas hors des collages, des histoires après-coup, de continuités relatives, et si j'ai cru à "mes rêves", c'était un sédatif dont l'excès empoisonne : je croyais tailler mon œuvre, c'est elle qui me taillait ! Et me taillait au nom de l'Univers

Je suis une somme poétique, à la limite, une singularité dont le miracle tient à la totalité de l'être, pas à l'individu - non pas un miracle du "comment moi-ici-maintenant", non pas le mystère technique d'un tissage individuel, mais la beauté de ce tissage, le mystère "qu'il soit", ce tissage, et qu'il ne soit pas muet

qu'il continue au-delà de lui-même

fragile

infini ?

Ça me traverse un instant, et puis je me dis que l'image est trop floue, trop kitsch et qu'elle n'avance à rien. Elle est même un peu risquée pour un chrétien (évince l'âme éternelle, rend l'Esprit invisible, des accents spinozistes ?)... Et puis l'heure est au glitch, au hasard, si l'on tient vraiment au végétal c'est dans la mutation qu'il faut donner, mais pas dans la culture - alors je cache vite tout ça quelque part sur Internet

avril 2013    
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24 mars 2013

[Lovée] Un tout petit vortex


Je me réveille avec un câble autour des reins, des plis de couette sur le thorax et avant-bras... Un drôle d'éther m'imbibe le crâne, un résidu de rêve jaloux

A la limite, prenant ma douche, me dis-je, en regardant le petit tourbillon avaler l'eau - la mousse épaisse - trouver de qui je tiens ce rêve, de quelle boîte noire ? Suis sur le point de me rappeler... de la rappeler

Je m'efforce de revoir son visage pour l'identifier, mais ses traits se dérobent, comme il arrive parfois au souvenir d'un être aimé : il s'échappe, le visage, se distend, c'est à peine avouable

Une seule issue, les réseaux clandestins, illégaux raccourcis pour pêcher le souvenir : sauvegardes et photos, particules de parfum emprisonnées dans un tissu... Chaque parfum agit comme un shoot pur de substance-mémoire, un portail de souvenir sans parvis, sous-marin. Bingo, j'te tiens : vapeur d'alcool de blé, labdanum, tabac profond, précis... J'ai sa taille, c'est ça, cheveux bruns, yeux gris, ses mains, tâches de rousseur furtives, mine rusée, fringues usées... J'ai tous ces éléments dans l'effet white-spirit qu'ils me font encore, in-tact - ses mains ! mais de qui ? - j'ai l'effet, les données, mais pas tout, manque la vie, le mouvement, je n'ai rien : il manque elle, son expression singulière, le charme de sa présence, l'énergie de sa voix

Mon rayon de mémoire a beau fixer l'image, elle se barre dans le flou, l'essentiel se dissout ; ses cheveux ultra-courts, violents, arrachent mon regard à la quête du sien, ça n'aide pas

Tu es celle qui habite la surface de mes rêves - concentre-toi, retrouve-la, où ? quand ? Rappelle, exhume, déballe, Rome-Termini, sortant du train ? Ou Flughafen Berlin-Tegel mille ans plus tard ?... Buenos Aires 2015 ? Dans son studio, danses et danses, aquarium crade et poisson-chat, je vois du matos d'impression, des matelas renversés

Mais ton visage rayonne d'absence - cette fille, ses voies d'éclair, ses rayons vrais, mon multiplicateur d'écriture - tes petites tornades - ses potes, rarement, pacte à deux immédiat... donc faux - je revis ton corps de rire, dans notre ville (où ??) ! - et l'amitié lisible à tous, dans toute la rue... France ?...

Un tout petit vortex me fond tes traits, un tout petit vortex se fout de moi, à moins que toi, toi, tes rayons d'ombre m'éblouissent la mémoire ?
Qui es-tu ?? Qui es-tu, **tain QUI. ES. TU.

A ces mots une voix d'outre-monde me perçai le tympan : "Toi ici ?! Que me veux-tu ...?"

quoi ?

"Tu es venu ici pour m'insulter ?
Pour saler ma misère de ton pardon ?..."


je me retourne

"Tu oses en rire au-delà d'une vie entière, et de la tienne aussi ?! Tu ramènerais jusqu'ici tes sales désirs - soit
l'ennui à nouveau croise les barres de ton lit ?!"

choqué, je ne peux rien articuler

"Tu ne dis rien... mon amour ? Peut-être est-ce encore pire que prévu, peut-être
Qu'un oubli tranquille couvre vraiment la carcasse de mon être... et mon nom ? Mon pauvre, décide-toi une fois pour toutes."


sans que je sache comment, pourquoi, mon cœur se tord sous les coups d'une vérité insupportable

je me sens vieille éponge sale ou tacticien stérile... j'élabore vite fait : "D'accord, tu te souviens... Moi pas. Tu m'es encore supérieure, c'est-à-dire vulnérable... en bien"

"Non. Tais-toi, s'il te plaît."

Un tout petit vortex te protégeait de moi




Un tout petit vortex   2013      

[Poékogi] Is quite exceptional


That I fear those I don’t understand is a general rule of caution
– good for those who wish to conquer the world


That I fear you much more, now that I get what you say, what you are, and who you could become
is quite exceptional

No open threat, no danger, no anger on your part
– just raw power, easy, generous, shaking the board on which I play


Tearing up the very fabric of my pride

 


 

.

28 févr. 2013

[Jet] Retour aux sources (1)


Et le prophète, haut, debout, prit la parole en ces termes :

« Que ma langue me soit étrangère ! Elle retourne au désert, où sont enterrés les trésors. Que ma langue me soit étrangère ! Les dunes séculaires sont fertiles, et entre elles, une forêt de phrases doit pousser

Parle mais tais-toi, tais-toi, et parle d'ailleurs : alors ils retiendront sans détenir, ils raviveront au lieu de s'endormir. Alors ils comprendront que l'on reçoit sa Langue comme on reçoit sa mort : à la naissance, d'ailleurs »


En entendant ces mots
je n'en revenais pas je pensai : « Voici donc l’avant-dernière étape de la traversée !... L’étrange printemps – la fonte des roches, la surprise des flocons ! »



Soudain, de la foule silencieuse, quelqu’un hurla : « Qu’est-ce que cela signifie ?! Nous sommes fatigués des images ! »

Je me levai et l’insolent eut sa réponse : « Désormais, le prophète ne s’exprimera plus qu’en récitant les paroles d’autres prophètes ! Lisez à nouveau ce que vous avez déjà reçu, relisez avec intelligence et foi ! » – mais déjà, une rumeur d’orage s’élevait du sol, et il n’y avait aucun nuage – et aucun vent ne soufflait. Toujours debout, le prophète se rassit. Je crus l’entendre soupirer, très faiblement.

Puis il se tut, donnant tous les signes de celui qui a dit ce qu'il avait à dire.

Mais la foule s’agitait de plus en plus, et la sueur de mon front dût changer de goût. Soudain, le grondement se tût et il y eut un silence aveuglant. On n’entendait que cette femme allaiter son enfant. Un garçon me fixait bêtement. Puis, voyant qu’il n’y aurait rien de plus concret pour aujourd’hui, on commença à se disperser dans le fond, penser à rentrer chez soi.





Alors lentement, très lentement, sans élever la voix, le prophète récita ce vers : « Nun weiß ich, wenn der letzte Morgen seyn wird – wenn das Licht nicht mehr die Nacht und die Liebe scheucht » – tandis que moi, son disciple et son scribe, je rédigeai la citation…

et dans ma vanité, je le confesse, je ne pus m’empêcher d’en murmurer la signature « Novalis »

Disciple du Silence, de la Parole et du Chant.

7e Anti-Parabole, Livre 3.



Post-Scriptum ~ Un seul bouquin pâle suffirait à remplir l'éternité de nos retours aux sources... Dire que les Anciens déposèrent des livres dans les livres, et des recueils de fête et de deuil, de folie et de recueillement, déluge de citations, notre peau craquelée devrait se ramollir, pourquoi ? Lire autour, avant. L’ossature musicale, du silence ? L’écouter 
  
Addendum ~ J'ai lu et relu. Je ne comprenais pas, car après la sécheresse, la pluie produit l'inondation. Manger des racines. Peupler. Réfléchir. Les pousses rares se multiplient. Au livre absolument plein, le retour n’est pas vain ou stérile, mais bloqué.

Seul un livre plein serait absolument silencieux, ou plutôt : muet

Retour aux sources (1), février 2013


Premier extrait d'un recueil en préparation, Les scènes mysthiques. D'autres suivront. Ce recueil de fragments fictifs explore comment réagit le récit quand on le mêle aux chants (ou cris) de la mystique. La poésie, bien sûr, n'est rien d'autre que cette expérience (...ou du moins le temps de cette expérience).


26 févr. 2013

[Kwot] "The Time is out of Joint" (Shakespeare)


"The time is out of joint: O cursed spite
That ever I was born, to set it right!"

    Hamlet, Acte 1, scène 5

« Notre époque est détraquée. Maudite fatalité !
Que je sois jamais né pour la remettre en ordre ! »

    traduction F.-V. Hugo

« Le temps est hors de ses gonds » ...

    traduction Y. Bonnefoy

 

24 févr. 2013

[Kogi] Tourism / Road trip / Immersion


After many conversations with people who move, who leave and come back - after my own journeys and readings, I feel like it is possible to specify different types of trips or journeys. According to my character, my experience and this season of my youth, I think I isolated my ideal type of trip.

To present it more vividly, I put it in comparison with two other ways to conceive and live a trip - two "classics": 'tourism' and 'road trip'. Even if the third one, 'Immersion', is the more intense for me (I have only experienced it fully a few times), the first two have their own charms and focuses.

Of course, these types are not realities, only tools to share different ways to experience otherness, or "ailleurs-ness". In reality, they are combined together and with thousands of other ways to travel


Tourism
* * * MANY TRIPS, MANY LOCATIONS
PROTECTED TRIP, then STOP, then TRIP, then STOP

TICK THE BOXES (in the Guide)
LOOK, LOOK, only LOOK
FIND WHAT YOU INTENDED (or complain for payback)

CONSUME, READY-MADE PRODUCTS
"FILL YOUR TANK WITH IMAGES", TAKE PICTURES, SHARE THEM

FOLLOW THE GROUP - ENJOY COMFORT - REST

Bonus: ACTUAL FUN

> ESCAPE WORK FATIGUE, ROUTINE or BOREDOM
< COME BACK THE SAME, HAPPIER, with PHOTOS

Road adventure
// ONE LONG ROAD, the LIGN of your LIFE
NO PREPARATION!

PUSH the LIMITS, FURTHER, FURTHER
FEEL THE EFFORT, HEAT and COLD, MUSIC

THE ROAD IS THE DESTINATION
MAKE THE EXPLOIT!
if possible, RECORD THE RECORD

FLASH ENCOUNTERS and SELF-UNDERSTANDING

Bonus: LOVE STORY (or LIVE MUSIC)

> ESCAPE YOURSELF, TOXIC VALUES or FRUSTRATION
< COME BACK CHANGED, feels HOME like never before

Immersive Journey
  ҈     UNCHARTED, LABYRINTH of the WORLD
FEW LOCATIONS, but REPEATED

EXPLORE, with good/basic PREPARATION
READ and WRITE ABOUT
DISCOVER SECRETS (and keep them)

DIVE DEEP in CITIES and PENETRATE THE LANDSCAPES
IMMERSE with FIVE SENSES
TALK WITH LOCALS, LEARN THEIR TONGUE
HEAR THEIR STORIES, then share YOURS

ENTER A WORLD, LIVED HISTORY/GEOGRAPHY
FACE COMPLEXITY, READ AGAIN, MEET AGAIN

Bonus: LOST and FOUND (urban jungle, mountain path, woods...)

> ESCAPE TEMPORALITIES and IGNORANCE
~ GET HOME-feeling THERE (a place to come back to), NEVER REALLY LEAVE