27 mai 2013

[Poékogi] Corps d'étoiles, spectres réels


J'aime l'idée qu'une étoile morte continue littéralement à rayonner dans l'espace pendant des milliers d'années terrestres : son spectre lumineux survit pour visiter les mondes qui ne l'ont pas connue.

L'image du corps de l'astre en décomposition devient le corps astral qui nous visite après des millénaires. Sa signature thermique lui sert d'épitaphe, comme quelqu'un qui enverrait une carte postale faire trois fois le tour du monde pour annoncer sa mort en personne à ses arrière-petits-enfants ! Ou mieux : quelqu'un qui leur enverrait un film de sa vie, par un système de traitement extrêmement long, à visionner une seule fois, en continu.

Hier sur les routes maritimes et demain sur les trajectoires gravitationnelles, les navigatrices "lisent" le ciel comme une carte réelle, hier en deux dimensions et aujourd'hui en quatre, sans haut ni bas, saupoudrée de noms et de repères informatisés. Et cette carte, il faut le dire, est quite literally un cimetière à la dérive.

L'étoile du berger ne pourrait pas nous guider si elle ne revêtait pas l'habit du Soleil, tout comme l'étoile des mages, que l'on dessine en forme de croix, ne devient exceptionnelle que si elle apparaît soudainement et finit par mourir. Pour nous non plus, les astres n'existent pas sans interaction, sans cycles et sans évènements : sur la Terre comme dans les cieux, dans le Soleil comme sous la Lune, sans isolement, sans "lieux" ni barrières, les puissances évoluent et le chaos s'active.

La culture chrétienne prétend avoir pensé tous les liens entre la mort, la lumière, l'archive matérielle, la mémoire, l'étoile, la révélation, le temps, l'histoire, la direction d'une vie, la perte de repères, mais elle s'est surtout contentée de superviser l'accumulation des symboles au service d'un certain récit moral.

Il reste en réalité des millions de pensées nouvelles à imaginer et de symboles inédits à forger. Les "cris" en rayonnements qui se distendent et se déchirent, l'histoire semi-lisible du fonds diffus cosmologique, l'effondrement gravitationnel des galaxies et l'éloignement accéléré des amas, l'absence de haut et de bas... J'imagine 9 nouvelles "religions" rationnelles, avec leurs symboles équilibrés, leurs lois solides ou fluctuantes, leurs vertiges mystiques, leurs hypothèses cosmogoniques et leurs espoirs eschatologiques, leurs bestiaires fantastiques, hybrides, semi-cycliques :
? S u p e r n o v a ? †



J'aime les astrophysiciennes et les astrophysiciens, qui excavent les rayonnements fossiles, traduisent la langue inhumaine des étoiles en équations lumineuses, et composent la cosmographie vertigineuse que l'on connaît. Il s'agit autant d'explorer l'espace que d'explorer le temps, selon ses vagues inégales et ses résidus lumineux.

Il existe de véritables courants astraux, et de véritables influences astrales, différées dans le temps, composites, mystérieuses et impures. Elles dépassent en puissance et en complexité tout ce que les astrologues bricolent. Ces courants ne viennent pas seulement de toutes les directions à la fois : ils constituent une toile de référentiels temporels, de vitesses et de changements.

J'aime aussi l'approche poétique, bien sûr – lorsqu'elle n'a pas la phobie des sciences et des chiffres, et qu'elle prend au sérieux l'originalité vertigineuse des théories et des modèles. Comme je l'ai déjà dit, leurs cieux ressemblent à un "océan" fractal plutôt qu'à une "toile" ou une "mer" bidimensionnelle, à un "film" en train de se dérouler plutôt qu'à une simple "tapisserie" statique, à un "bestiaire" virtuel plutôt qu'un "état de choses" évident ou certain. Ses mots, ses concepts et ses chiffres sont neufs et singuliers : ils ne possèdent pas d'équivalent antique.

Au lieu d'une poésie qui masque la description scientifique des phénomènes sous un tissu de métaphores simplistes, ou qui se contente d'ignorer les sciences : une poésie qui comprenne la situation, qui saisisse son potentiel poétique, et relève le défi de la recréation de nos expériences esthétiques. Difficile de maîtriser les deux à la fois, mais possible. Il serait terrible de ne pas essayer de les unir – desséchant de séparer.

Tout ça est bien connu – l'idéal de la poésie romantique n'était pas autre chose · mais est-ce que cela nous intéresse vraiment encore ?
corps d'étoiles, spectres réels
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mai 2013 (révisé mars 2022)



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