9 déc. 2008

[Lovée] Lava et Christal


C - Lava, tu es belle. Dès le premier regard, tu as traversé une de mes parois sans la briser
L - Oui… Je sais…
C - Tu n’es jamais sortie de ce labyrinthe, et depuis cet instant tu me brilles du dedans. J’en suis le prisonnier, en moi, dans ces reflets. Tu aimes ça ou quoi ? Tu comptes me libérer un jour ?
L - Mais oui, avec plaisir, mon ami – je te serai dévouée mais… comment ta peau est-elle si dure… Comment…
C - Lava ?
L - Oui, pardon – où suis-je ? que veux-tu que je dise ? …
C - J’essayais juste de rendre le moment solennel, toi-même tu me disais...
L - Oh ! C’est parfait !
 
(Un temps. Gêne de quelque chose qui passe entre deux êtres qui se connaissent)

C - ... Lava, tu m’embrases à distance et tu nous le refuses en entier !
L - ... Tu sais bien que j’ai peur de l’hétéro-épitaxie, celle de ma sœur ne s'est pas bien passée, et…
C - Oui, j'en suis conscient. Laisse-moi te dire que ma concrétion est pure. En plus, nous nous protégerons, nous le ferons sous atmosphère neutre, argon ou azote, je te le promets.
L - Bon. Christal. Je te crois. Je l’accepte… Mais...
C - C'était un simple prétexte. Je l'ai senti, Lava, je ne t'en veux pas. Dis-moi simplement... 
L - Bon... C'est à propos de l'élément divin, que tu saches tes promesses et tes faiblesses devant elles. Que tu ne sois pas seul. Christal, tu resplendis et j'ai peur de ne pas être la seule, de ne plus être la seule avant même de commencer. Je sais que c'est absurde, et j'aimerais te dire que j'ai confiance en toi... mais pas en toi seulement.
C - ... Je... Je le sais. C'est difficile pour moi. Je m'appuie aussi sur une roche plus solide, plus entière et plus brûlante qu'aucune de mes faces, mais elle est tellurique. Comme tu le sais, je n'ai pas ta passion pour l'énergie thermique absolue, abstraite, ni ton espoir final de fusion... solaire ? Je ne sais pas. Mais je prends toute blessure au sérieux. Et depuis toi, depuis nous, je parle de ces blessures, je les reflète. Je les accepte. Mes efforts, à ma façon, se sont construits sur la conscience de mon insuffisance.
L - Tu es vrai. Tant que tu vis, parle-moi.
C - C'est promis, par l'élément qui m'excède et m'informe. ... Me libères-tu ?
L - Tu me demandes toujours des actes, des signes, des preuves – j’exauce ton vœu : je t’aime !.. Je t'aime si fort...
C -  J'aimerais pouvoir...
L - JE T'AIME !
C - J'apprends à le savoir ! De plus en plus ! Lava, je n'en peux plus, ne soyons retenus par rien.
L - Alors approche, délie-nous un peu plus, vers l'union éternelle. Approche sans regret !
C - Je ne peux !
L - ...?
C - Je suis immobile par nature...
L - Ah, oui, excuse-moi. Bon, j'arrive dans un petit moment, je quitte ma chambre inférieure.
C - ...

L - Désolée. Je suis plutôt visqueuse depuis que je ne vis plus chez Magma. Encore un peu...
le temps de recouvrir cette paroi.
C - Plus vite ! Par pitié.
L - ... Christal... Je ne peux te mentir : tu souffriras dans l’union de nos corps.
C - … Je… Je te serai solide comme du verre qui se brise. Alors fais-moi fondre à ta chaleur, ne te contente plus de me faire chauffer comme ça – vitrifie-moi, rend-moi souple comme toi et docile à ta voix pour changer. VITE.
L - Attache-toi solidement car je ne peux te retenir, tu le sais, je te promets de ralentir ta chute comme l’eau d’un lac ardent, te sertir dans ma brèche, ma veine, mais tu devras plonger. Noyé, mon amour. Sois lémure, Christal. Hante-moi !
C - Scelle-nous. Enfin. Temps de la gangue nue, temps du diamant. Ma Lava !

Épilogue

C - AAAH, ça brûle ! Aah...
L - Oui, c’est moi..."ça". … Mm... Ça ira ?... Pour toi ?
C - Ugh, oui, je crois… Mmm... Héhé
L - Huhu. Hm. Umm.
C - Mm... Attends, moins vite, moins...
L - Oh.
C - ... vite... Aah. Trop... mm... tard.

8 oct. 2008

[Poé] Trempe, ô mon destin, tes ailes dans la Seine


Ne crois pas à ton immortalité
Elle est un vœu de ta défaite
Ni aucune gloire ni renommée
A ton crédit seront portées

De toute écriture, tu souhaites
Passer à une postérité
Ingrate inculte sourde et muette
Oui tu l’as toujours désiré

Mais l’aube viens demain où tu
Choisis d’être un anachorète
Qui voue le monde aux gypaètes
A de vrais déserts vides et nus

Outretombe en toi l’orgueil
Plie-le qu’il ploie sous ton mépris
Jeté au feu et sans abri
Témoin d’un anonyme deuil

Oui l’aube enfin t’atteint et elle
T’accueille et marche à tes côtés
Tu prends sa main achevant tes
Espoirs de gloire perpétuelle

[...]

Cries Noël de joie tu le sais
Un jour tu décriras à l’imparfait
Ce que tout à l’heure encore
Tu espérais au futur antérieur
2008, hypokhâgne

7 sept. 2008

[Poékwot] Qu'il se tienne... (Philippe Jaccottet)


Qu'il se tienne dans l'angle de la chambre. Qu'il mesure, comme il a fait jadis le plomb, les lignes que j'assemble en questionnant, me rappelant sa fin. Que sa droiture garde ma main d'errer ou dévier, si elle tremble.

            Autrefois,
            moi l'effrayé, l'ignorant, vivant à peine
            me couvrant d'images les yeux
            j'ai prétendu guider mourants et morts.

            Moi, poète abrité,
            épargné, souffrant à peine,
            aller tracer des routes jusque-là !

            À présent, lampe soufflée,
            main plus errante, qui tremble,
            Je recommence lentement dans l'air

     in LEÇONS

(Je t'arracherais bien la langue, quelquefois, sentencieux phraseur. Mais regarde-toi donc dans le miroir brandi par les sorcières : bouche d'or, source longtemps si fière de tes sonores prodiges, tu n'es déjà plus qu'égout baveux)

            Cette lumière qui bâtit des temples,
            Ces colonnes bleues sur leur socle de pierre
            Au pied desquels nous avons marché plein de joie

            (sur la table rugueuse ayant déposé quelques simples
            en figure d'étoiles poussiéreuses,
            ayant trempé nos mains dans l'auge des bêtes
            comme en un sarcophage d'eaux étincelantes)

            cette lumière souveraine sur les rocs,
            portant au centre du fronton le disque en flammes
            qui aveugle nos yeux,

            si elle est sans pouvoir, comme il semble, sur les larmes,
            comment l'aimer encore ?

    in LE MOT JOIE


    PHILIPPE JACCOTTET

extrait de À LA LUMIÈRE D'HIVER
    et PENSÉES SOUS LES NUAGES
                          1977  1974

3 juin 2008

[Poé] À dix-sept ans


Mes dix-sept ans passés
Depuis quelques jours

A ton doigt ton Agate
Bijou beau immédiate

Tu es mon point commun
Tu me nommes ta main

C’est ton teint me défie
Ta frange tes babouches

Ton nez d’abeille (ma fille)
M’achève et me fait mouche

Mes dix-sept ans depuis
Quelques jours encore

Sens passer
2008