2 juil. 2019

[Poékogi] Textament posthumaniste à l'arrache


< La seule prétention que j'ai, c'est de faire un bon terreau fertile une fois que l'écheveau fragile de ma conscience aura perdu son unité – que mon coffre thoracique, retournant à la soupe originaire, ne soit pas toxique mais qu'il offre un abri, une nourriture pour les générations de mousses, de champignons et de lichens. Je suis de la chair à saprobionte – avec une mission risible.

Les écrivains qui parlent d'eux-mêmes ou des humains me font chier. Pourquoi ? Beaucoup ne comprennent pas que les seuls aspects intéressants de leur personnalité sont ceux qui les dépassent, ou ceux qui n'ont pas été rebattus, rabâchés, remâchés puis remâchés, puis remâchés, puis... remâchés, etc.

Il n'y a pas d'intérieur qui ne soit le reflet de l'extérieur, et l'écriture a été associée à l'existence autonome d'une intériorité, d'un réservoir expressif ou créatif supposé intemporel et apparemment inépuisable. Ce n'est pas tout à fait vrai. C'est modulaire, incrémental et récursif. Les singularités les plus banales font éclater le cercle herméneutique et ramper ses membres mutilés, comme autant de kystes calcifiés dans le cerveau des hiérarques qui prônent son sophisme.

Le langage donne un rythme, des contours et une saveur à notre sensation, mais rien qui ne puisse nous extraire des continuums et des combinaisons ouvertes des organes de la perception et de la pensée, fût-elle collective : un espace des phases du vivant naturel – formes, facultés, découpages, états de conscience modifiés, conditions, pouvoirs, valeurs, traits et complexions – dont les instances évolutives actuelles ne sont rien face aux possibles à explorer, sans borne ni direction évidente, sans assurance ni critère ultime de réussite.

Il n'existe donc qu'un seul impératif culturel novateur : celui du décentrement progressif, et de la réalisation de tous les possibles – statistiquement non-humains. La forme globale, abstraite, éclatée que l'on appelle "humain" est infinitésimale, comparée aux autres. La littérature, la poétique et la fiction doivent abandonner le symbolique et le visage et l'expression des sentiments – c'est acceptable en théorie, les fameux animaux humains, mais là, ça bouffe absolument toute la place.

On gardera les fictions les plus lucides, les plus prosaïques, les plus référentielles, les plus spéculatives, les moins dramatisées, car elles médiatisent les reflets, les agencent et les étirent dans la fiction et par l'imaginaire. Ce qu'il nous faut, c'est l'écriture des entités qui ne croit plus à "l'homme", remplacé par des ensembles formels bien plus fins et solides. Des entités qui démontent la fiction de l'auteur-individu, afin que l'unité puisse survivre à la décomposition par la recomposition.

Mon seul vœu en écrivant, c'est d'arracher le visage et les bras, de cloner pour mieux biohacker, de me droguer pour mieux muter, de tester les mots pour mieux tenter leurs limites, non pour les accepter, mais pour étendre indéfiniment leur pouvoir de modelage du réel – mais assez parlé de philosophie.

Je n'aurai pas de tombe : je serai du compost, un diamant ou cannibalisé, ou disséqué et gaspillé, ou violé, ou les organes donnés et transplantés ; je vous fais totalement confiance et aussi très partiellement – je n'ai pas vraiment le choix et même si je l'avais, ça n'aurait pas beaucoup de sens.

La conscience n'est jamais sans le corps : que les corrélats de la mienne fasse un peu d'effet, qu'elle aident quelques phénomènes à secouer un peu de la torpeur humaniste. Que l'une et l'autre fassent un bon terreau fertile. C'est mon seul vœu "d'humain" qui a appris à parler, lire et écrire. >