24 juil. 2012

[Poé] Corrige ce sale corps propre


Corrige ce corps : gratte la surface
Rase les herbes folles, peinturlure la façade
Éponge le fluide pubien et couvre les odeurs
Avec l’essence ou bien la pâte à crasse

Forge les pectoraux - en ordre de parade
Le torse est un vêtement gonflé à l’hélium
Le sein gonflé restera ferme à l’opéra
La silicone coule à flots, et bientôt le valium

Tu cherches à vaincre les mannequins
Sur leur propre terrain ? Riche destin
Mais soit : efface et plie ! Épile et rince !
Contraint ! Contracte ! Ajoute ! Retient !

Lèche des yeux, pourchasse le prince
Soma divin qui ne sera jamais tien
Divin ? Jamais le tien ! Alors, t'as peur ?
Le sien ? Jamais tien ! Alors, t'avales ?


(Avec des lames aux mains, la cosmétique tue l'érotisme
Et la plastique devient vite l'obsession qui s'astique
Quelques effets à la limite, détails concédés à la norme d'hygiène
Des petits riens, maîtrisée harpie de l'aveugle esthétique
L'assurance et le charme, pourtant loins de toute manip
Échapperont-ils au carnage ?)

Corrige ce sale corps propre 
2012
Ma barbe a encore repoussé - gratte - et encore, je n'ai qu'elle à raser


 











19 juil. 2012

[Kwot] Superliquide (Cécile Mainardi)


Dans la première partie de Rose activité mortelle, Cécile Mainardi esquisse les propriétés physiques et affectives d'une molécule imaginaire, ou d'un état imaginaire de l'eau : l'eau superliquide.

Une métaphore aqueuse, évasive, coupante, sans épaisseur, pour les capacités hors normes du langage écrit, la production de signification faussement normale, sous la couche des habitudes. L'eau superliquide n'est pas une fiction à proprement parler, plutôt une image vérace et opératoire de la poésie elle-même : cette image pointe le décalage bien réel entre l'identité objective visée, supposée ou projetée, et le champ plus large (potentiel ?) des effets, réactions, interactions  stylistiques et sémantiques.

Extraits choisis :
*

«  La première phrase qui parle d'eau superliquide s'en remplit, c'est comme ça. Puis perdant son équilibre, elle s'incline vers une deuxième où elle se déverse, que cette deuxième phrase parle d'eau ou pas, qu'elle existe ou non, pourtant elle chavire à son tour, pour aller reverser son trop-plein vers une troisième encore s'il s'en présente une...

En somme, elles se la communiquent comme une non-pensée, à la vitesse à laquelle on oublie à quelle phrase on en est au bout de trois qu'on lit [...], vous devinez alors / vous inventez le début d'une phrase (tout en veillant à ce que l'ensemble formé soit entièrement correct du point de vue de la grammaire) qui se terminerait par "et le monde monde", ou bien : "et l'eau superliquide eau superliquide", vous voyez, vous ne voyez pas, pendant quelques minutes vous lisez une solution possible que je ne propose pas  »
**

«  C'est parce qu'il y a de l'impossibilité immobile qu'il y a des flaques, des morceaux de puzzle épars de ciel pour rafraîchir la surface du monde. J'y jette un bref regard du haut de ma silhouette enjambée. Je sais comme jamais qui je suis au seul galbe de ma jambe dépassant du cuir noir de mes bottines. C'est mon absolue identité fichée à l'envers dans le ciel [...]  »
 ***

«  Il n'y a pas de perception qui ne soit imprégnée de souvenirs : dans la vue de l'eau superliquide qui s'écoule, il y a les anciennes images de l'eau superliquide qui s'écoulent. Il n'y a pas d'écoulement ni de phrase sans cela, sinon le verre éclaterait, sinon le texte serait déjà en morceaux. À la base même de notre connaissance du rythme, il y a cela »
 ****

«  On a parlé de la mémoire de l'eau, selon laquelle l'eau qui a été en contact avec une substance conserve les propriétés de cette substance, alors que celle-ci ne s'y trouve statistiquement plus. Avec l'eau superliquide, c'est cent fois plus, et en même temps cent fois moins, qu'on se rappelle tout ce qu'on a voulu écrire à son contact sans le faire. Ça ne suffit pas à faire de ces écrits virtuels une substance / de cette substance des écrits virtuels.

Aussi, je me penche au-dessus d'un bac qui en aurait été rempli, et j'enregistre directement dans l'eau le mystère dévalisé de ma voix, nous sommes à la vitesse d'un sucre qui fond  »


Cécile Mainardi, Rose activité mortelle 
Flammarion, 2012, pp. 31, 33, 55, 57
 
 

17 juil. 2012

[Kogi] Intelligeance


L'intelligence n'est pas une aptitude innée, ce n'est pas une compétence ni une donnée quantifiable. Non. Et le QI n'est rien. Rien qu'un indicateur de plus, un test plus muet que biaisé, il ne signifie rien de l'intelligeance, tout juste un degré d'attention et de conformité (l'indicateur est une simplification dirigiste des faits, quand l'intelligeance n'est pas même un fait). Utile à la limite pour diagnostiquer de graves difficultés mentales, j'imagine ?

Au contraire, l'intelligence est l'effet émergeant d'une conscience travaillée. L'intelligence signe sa présence (d'esprit) par l'à-propos, l'humilité d'apprendre de tout, de quiconque et de partout, une lucidité ambitieuse qui mène à regarder à la fois ses acquis et ses limites avec suspicion, le désir de comprendre, et même de tout comprendre (l'échec certain ne l'empêche pas). Un genre de furtivité intellectuelle, un composite de générosité et d'exigence, une pratique de l'extrême, une intuition retravaillée, un art de l'aiguisement. Rien que ça (?), mais tout ça.


De sur quoi ça s'agite

L'objet d'intelligeance est une masse de réalité, de production et d'interprétations, mais on peut pas les dissocier. Cette masse-là, j'avoue qu'elle est profondément protéiforme et dense, mais là je parle selon mon expérience particulière et perce-oneille : architectures pensées, dictionnaires et lyrics, magazines anciens et Donjon, runes et cynorhodons, kanjis et solanacées, dinosaures et Sukhoï SU-27, Fedayi et mennonites, fibre optique et rhéologie, Arg-é-Bam et Thelema, Bach et Twombly, discours, conférences et romans, psychologie sociale et livre blanc, Clausewitz et Bernays, codex et correspondances...


Piégée aussi, la masse, peu d'indices (faut regarder la date, le médium, l'origine, la réponse, invoquer encore les corrélations de l'histoire, lire encore), labyrinthique, elle produit des intelligences variées malgré les traits communs que j'essaye de dégager. Ah, dégage, dégage, dégage, démon de la répétition, dégage, dégage – va-t-en – je dois terminer –miner... miner. Miner. Miner ?

Pétition, pétition. Il faut parler, discuter beaucoup, souvent pour émerger intelligent : partager, discutailler, ça récapitule, ça traverse de non-envisagé-par-moi, de j'y-avais-pas-pensé, ça reformule... Chaque matin, émerger de la couette infantile et haineuse des inerties faciles (notes scolaires, cuillère d'argent, réussite, reconnaissance). Saisir, à la place, maîtriser. Lire jusqu'au bout. Je ne sais pas encore de quoi je parle, pas entièrement : c'est excitant.

Ses formes sont multiples, hybrides, assoiffées, affamantes, composites et millénaires. Personne jamais ne peut avoir un monopole d'intelligeance, pas même par "la" science contemporaine, évidemment, ni même par "le" naturalisme ou l'humanisme libéral, sur lesquels je parais à moi-même me stabiliser pour des raisons difficiles à détailler en quelques semaines. Il y a évidemment plusieurs sciences, plusieurs sciences de la science, plusieurs définitions, positions, courants, plusieurs regroupements, plusieurs options, plusieurs cartographies des tensions et des débats, plusieurs angles et plusieurs explications plausibles, plusieurs modèles, plusieurs synthèses et incompatibilités, plusieurs diagrammes et plusieurs niveaux, plusieurs oublis et corrections, plusieurs échecs d'unifier la pensée du 21 siècle. Alors donner dans les lectures groupées pour un meilleur effet vectoriel !

Attention à la masse des ressources textuelles, idéelles, sensorielles : rien qu'Internet et trois médiathèques sont à l'origine d'un flux létal, et j'ai déjà compté plus d'un Internet et plus de trois médiathèques. Il faut soigneusement choisir ses nourritures textuelles, selon l'engagement et le désir. Certaines changent tout. Sigmund Freud aurait confié à quelqu'un qu'il s'interdisait de lire du Friedrich Nietzsche parce qu'il pensait que ça aurait été trop invasif, trop explosif – je ne sais pas, juste trop. Il y a certainement quelque chose d'ironique et d'entendu à dire ici, mais je me contente de l'idée principale : l'intelligeance apprend qu'il peut y avoir trop.

Tout discours à décortiquer emprunte une dizaine de vecteurs et de discours antérieurs. Les ingénieries sumériennes ou hittites, les catégories de la ratio du Moyen-Âge sur la route de la soie, les géopolitiques insulaires ou l'analyse dialectique marxiste, le conte fabulé comme paradigme total ou la déconstruction post-moderne, la tectologie et les sciences cognitives, tout ça tout ça, etc.


Comment ça vient

L'autre jour, je me disais que j'ai su que l'intelligence naît de la curiosité entretenue, de l'interrogation courageuse, d'une sensibilité instable, mais s'enracine seulement dans la concentration, dans la maîtrise des langages et dans les connaissances à portée (travail de mobilisation).

Comme personne n'apprend à lire sans persévérer, sans souffrir, et personne n'apprend sans maîtres, sans volonté ni inspiration. Alors oui, l'intelligence et l'inventivité se forment en affrontant la masse d'écrits, de discours, d'expériences et de productions du passé lointain et récent. Peu à peu, la nébuleuse des expériences vécues, des savoirs irréfléchis et des croyances devient galaxie de sens – structurée de systèmes et traversées de vents solaires, quand les chemins et les catégories de la liaison (causalité, disparition, auto-affection...), de la démonstration, de l'accréditation (autorité, confiance, raisons, critères, jurys...) eux-mêmes se renouvellent.

Présupposez le sens et il viendra boire dans vos mains, postulez votre capacité à comprendre et vous l'aurez aussi sec, l'essai illimité de contourner, se demander, de s'attaquer au monde – sérieusement ! La vie, les mondes, les discours, les faits explorés, les possibilités inexplorées, quand on dit que c'est une multitude de multitudes, un labyrinthe ou une aventure sans fin, ce n'est pas une blague.

Ah oui, les discussions aussi. Les discussions, tout le temps et par tout temps, pas forcément avec les meilleur·e·x ou les expert·e·x, mais avec d'autres apprenti·e·x d'intelligeance comme soi. Quel que soit l'âge – même si certains parcours ont tendance à produire des gens qui ont le feu, en moyenne, l'absence de peur, le goût des discussions risquées et non uniquement conventionnelles. Tout ça doit fuser, tout dépend de l'occasion. C'est rare. Les discussions alchimisantes, les échanges osmotiques, les dissensions nourrissantes. Des petits puits dans les nappes communes, des harponnages en règle et consentis des opinions de l'autre, des voltes et ciselures du général et du particulier.


Les discussions sont la levure dans la pâte du savoir, avec le vertige d'exposer à l'écoute la moelle de ses propres héritements ou hésitations : les feux critiques sont les engrais de votre intelligeance, leur sceau d'humilité – dopants légaux de la pensée, stimulants de la vie.


Ce que ça donne

Peu à peu les discours et les tons s'articulent au lieu de s'opposer – les accents et les pauses m'en disent long. On cesse de prendre une critique pour un coup mortel, et de jeter le film avec l'appareil jetable. On reconnaît les niveaux de vérité et les convergences générales. La lecture devient plus précise et plus générale, sans contradiction, adaptée aux relations et aux situations (atmosphères, nature humaine et culture, histoire et anticipation, au-delà et styles, tout ça tout ça, etc.).

Peu à peu, du jeu de l'assimilation (même, encore, connu) et de l'isolation (autre, unique, nouveau) s'élève une idée claire de la différence relative, de la juste relation entre général et particulier, entre semblable et autrement (différence, relativité, sens). J'essaye d'autres tactiques : alternatives, à voir, mettre quelque chose en pause – et avoir confiance : si c'est important, le cerveau y reviendra – prendre des notes mais laisser les choses se réorganiser, entre concentration et rêves.

L'imagination inventive, celle des nouvelles voies, et l'imagination représentative, celle des images, des illustrations et des exemples, ça vient après, c'est important : on apprend à sentir, d'abord, on apprend à stimuler l'intérêt, la passion du mouvement d'éclatement – dans les atmosphère exigeantes et parlées (ou lues/écrites) : après seulement ça donne l'image plus+ qu'une image.

L'imagination et l'imaginaire dépassent alors l'image, tu sais, lorsque n'importe quelle image ou presque permet d'aiguiser, de stimuler, de remplir ou d'habiller le reste, ce qui reste froid et nouveau. Je vous dis ce que je sais : tout le deal du plaisir est question d'aiguisement, aussi pareil dans le saisir d'intelligeance – c'est-à-dire que le sens n'est rien qu'analogies et reflets modifiés, correspondances nécessairement trop courtes, cartes ridiculement schématiques, par définition, mais extensives, qui ajoutent ses dimensions de profondeur au vécu brut. Il faut savoir faire du puzzle en cinq dimensions, sauf qu'ici, il faut aussi "trouver" les dimensions.

Ça donne quelqu'un comme ma grand-mère hyperactive, capable d'activer simultanément la défense des oiseaux, la résistance au nucléaire, l'hébergement des Kosovars et le déménagement d'un foyer, tapissé de cartes écossaises, d'articles de journaux, de livres sur le Kitsch, l'agriculture ou Robert Burns – la vieillesse n'existe pas pour elle.

Pour l'intelligeance, le vieux n'existe pas non plus. Ce qui est "vieux" est intéressant, évidemment, puisque le temps est malléable, relatif, et ses effets sur le savoir, les valeurs ou la musique est passionnante en soi, autant que dans l'espace, autant que dans les différentes formes de vie et du vivant. Il n'y a pas de "trop vieux" ou d'assez "démodé" pour la désintéresser, pour se soustraire au défi de s'y intéresser, mais inversement, la mode hyper-présente et le populaire l'intéresse aussi beaucoup. Elle n'est pas intempestive pour prouver quelque chose, ni pour se défendre, ou par schadenfreude. Le mépris réactionnaire ne l'intéresse pas – ça ferme trop d'horizons.


L'intérêt croisé – comme dans "tir croisé" même s'il s'agit d'enfumer les chasseurs –, l'embrassade et la générosité : avec la bonne approche, la bonne mission et le bon entraînement, n'importe quel livre compile des années d'éclectisme et de parcours d'intelligeance, n'importe quel phénomène est susceptible d'aiguiser un truc, n'importe lequel [ahahaha] !


Après tout c'est vous qui voyez... moi, je fonce

Bon, j'en ai marre de blablater, pour faire vite, l'intelligeance est l'écoute ambitieuse des voix proches et lointaines – j'ai trouvé ça l'autre jour : c'est rare, mais pour une fois, ça sonne bien et c'est plutôt vrai que moins. L'herméneutique, la zététique, l'heuristique, tout ça c'est bien, mais il faut surtout cultiver l'amour décomplexé du complexe, se battre soi-même en brèche sur les questions d'autorité, de motivations, de motifs et de conclusions favorites.

C'est l'attitude qui débouche sur l'art des généralisations échelonnées de la matière, de la vie et de la culture (lois et formes qui décrivent ou président), de la logique formelle jusqu'aux bruissements des astres ou des insectes. Tu vois, je n'ai pas besoin d'insister.

Si je suis heureux de comprendre, et que je me laisse de la marge et du temps, ça s'entretient : les petits pas s'accumulent, je réessaye une énième fois, et je me rends heureux. C'est dingue à quel point la relecture modifiante et aggravée d'un flux délivre mieux qu'une dépense des unités du sexe. Même si le but n'est pas le bonheur – je crois sincèrement que comprendre est plus important qu'être heureux, selon ma "complexion" – je peux aussi vraiment témoigner qu'un des effets d'intelligeance est de produire un bonheur foisonnant, une inquiétude électrisante : cataracte de couleurs étranges, bouquet de portails. Faire partie d'une chaîne : un héritage de ruines, parsemées de seringues aléatoires, sous la nuit d'autres constellations.

Il faut passer à autre chose, se lancer dans le contenu. Ce qui est dit, au moins, ça ne prétend plus être le noyau. Je me focalise sur ce qui est écrit, au lieu de me demander si je l'ai écrit, ou si j'aurais pu l'écrire, ou si j'aurais fait autrement. Ce que j'ai écrit, je le laisse, et si j'y reviens, j'essaye de voir si c'est encore intéressant. Depuis que je ne vise plus le bonheur mais l'activité dans le monde, sur le monde, le bonheur me suit à la trace.

Relire et un bijou d'opale dans un cyprin, pourquoi je perds encore mon temps à écrire cet article moi je ferais mieux d'aiguiser encore encore encore mes encyclopédies en Allemand, j'me casse d'ici – si c'était pas assez, il y a toujours pouvoir relire.


29e version du post

9 juil. 2012

[Poé] J'ai entrevu


La poésie commence avec l'évocation rythmée – je marchais
Dans un val de hauteurs, des syllabes décrochaient des parois comme des roches

Le ciel de nulle part délivrait des pluies sans pareille – nébuleuse mâtinée
Et d'en bas, un pulsar imaginaire projetait la vie au nuage sidéral

Les yeux grand ouverts, je n'ai pu qu'entrevoir – j'ai lu "des ailes sauront
Pousser des ailes comme aux sauriens, et sur les ailes, des yeux"

Saisissement et fiction – les deux axes de mon regard – tous mes yeux
Ils n'ont pu qu'entrevoir "il y a tout ceci, tout ceci pourrait être"
Le secret tout étalé devant mes yeux, tout son pan continu, "le souci
N'est pas l'indicible, ni le manque de mots, ni la fin du désir

Mais le trop, sous la plante et pressant les muqueuses
Alors, ce que j'ai entrevu ...!
Le secret tout étalé sur la face du monde
Nos yeux minuscules et grossiers, nos mains égratignées

Notre temps escompté

Et l
e secret qui se délivre trop, jour après nuit, juste là,
et loin au-delà encore, il se prolonge




6 juil. 2012

[Kwot] Sur la terre, sous le ciel (Pentti Holappa)


    «    Dans l'anneau d'air il y a des trous que les rayons traversent
           Le soleil grille dangereusement et sans pitié jette dans le néant
           chaque enfant d'Icare, prisonnier de la pesanteur

           Seuls quelques vaisseaux spatiaux se sont évadés de la prison
           et s'il en parvenait un regard, comme on n'en reçoit pas de là-bas,
           le Soleil ne serait plus qu'une maigre étoile dans la grande nuit

           Le vaisseau fragile fut soudé par des ouvriers métallurgistes
           Les lourdes mains l'ont mis au monde lentement, prudemment
           en même temps que dans quelques cerveaux les idées réfutaient
           toutes les distances

           Le métallurgiste ne fait pas seulement. Il entend quasi-
           ment ce qu'il fait
           même si les ingénieurs pensent qu'il n'est qu'un outil borné,
           comme l'ingénieur est un métallo lourdaud pour le mathématicien

           Nous comprenons tout, nous ne comprenons rien à vrai dire
           le vertige nous gagne quand nous regardons le sol ou le ciel, car
           en tous sens le monde est profond - plus encore,
                                                                                   il est sans fond   »

    Extrait de Sur la Terre, sous le ciel, Pentti Holappa
    Traduit du finnois par Gabriel Rebourcet
in Il pleut des étoiles dans notre lit,
        recueil de poésie du Nord - Poésie / Gallimard