16 nov. 2017

[Apz] Renaissance réservoir

 
« Je suis un monstre, je suis l'Hydre de Lerne, alors ce n'est pas très malin de réussir à me couper la tête »
 — Xval, ce matin

10 nov. 2017

[Psykogi] Devant soi-même (2)


Ce moment où il ne combat plus rien d'extérieur. Il aura mis le temps, et encore, rien n'est gagné. Ce moment où il sent et sait, sans le vouloir, qu'au-delà d'un certain point – un seuil atteint – ses raisons deviendront définitivement des excuses, et ses revendications légitimes se changent en imprécations ridicules.

Mais il est perplexe, il résiste : "NON ! Je ne me suis pas apitoyé : j'ai pris soin de me battre... Et je ne l'ai pas caricaturée ! J'ai pris soin de corriger mes réactions, dans un sens comme dans l'autre, j'ai retenu ma rage et limité ma parano... Je l'ai prise en compte, j'ai... Tous ces efforts, mais je devais apprendre à dire non ! à poser des limites !, peux pas renier ça, ni accepter qu'elle ait..."

Il commence à sentir que tout ça ne change rien. Ce n'est pas qu'il ait eu entièrement tort, ou qu'il n'avait aucune raison d'avoir la rage, ou qu'il n'ait pas fourni d'efforts réels, que son investissement ait été frauduleux, insuffisant, ou mauvais. Il a certainement manqué de prendre au sérieux certaines choses, il a discrédité, blessé à tort, lui aussi – mais ce n'est pas cela non plus. Ce n'est pas qu'il ait eu tort d'apprendre à dire stop, ou qu'il n'ait eu aucun mérite, ce faisant. Mais ces choses ont été établies, reconnues en partie, et passé le point où il se trouve, doivent être dépassées car elles le peuvent.

Sinon, s'il s'obstine, ce sera à lui d'être faible, lâche, et un poids pour lui-même. Ce moment où il doit se vaincre lui-même, et que personne ne l'y force plus, que rien d'extérieur ne le contraint à la souffrance et que personne ne lui impose ce combat ni ne l'attend dessus. Tout le monde a bougé, ou peut-être pas : cette question ne le regarde plus.

Ce n'est pas qu'il soit devenu une loque et qu'il comprenne qu'il doit se ressaisir : c'est très bien d'avoir réussi à ne pas devenir une loque et de s'être imposé de faire son lit et de se lever pour aller au travail, de ne pas s'être permis de faire du mal autour de lui parce que lui avait mal : c'était très bien tout ça, bravo mais on s'en fout. Regardez-le, c'est rare : à cet instant, il voit et sent qu'il est véritablement seul, et il débat (se débat) encore un peu avec lui-même, cherche à détourner son regard de cette pensée. Il sent avec terreur qu'il pourrait vraiment choisir d'abandonner la justice (contre elle, contre lui) et la perfection (contre soi, contre elle), et le combat tout court. Et ce serait juste et parfait, si ce n'était pas si difficile.

Ce moment où il se passerait bien d'être lucide, où il doit se défaire des légitimités et des mérites qui le plombent, en plus de se débarrasser de l'adversaire de fait (à tort ou à raison, encore une fois, on s'en bat), et non seulement parce que "elle" n'est plus elle : devenue spectrale et fantoche.

Ce n'est plus de son ressort. Lâche tout ça. Laisse tout en plan, car tu n'as plus aucune excuse. Ça y est, il pige enfin : ce n'est pas un pardon, ni un oubli du mal (d'elle, et de lui-même), ni un déni du bien (dont elle a bénéficié de lui, et dont il a bénéficié d'elle, tellement profondément – il oublie bien vite et trop souvent ce qu'elle a fait pour lui, ce qu'elle aussi a pu faire d'impossible pour lui).

Ce n'est ni un move tactique, ni une contre-attaque, ni une défaite : c'est une sortie. Une sortie de l'évènement de la séparation, une séparation de l'évènement. Une put*** de Aufhebung grandeur vécue, un vrai moment de liberté et de bonne foi sartrienne, un dragée de générosité cartésienne sorti de nulle part.

Shit happens. Acceptation, et si personne ne lui impose ça de l'extérieur, il ne peut plus se plaindre ni montrer du doigt : ce n'est plus le même jeu, et pour le moment, l'autre jeu, celui des rétributions, est hors-circuit (FIOU). Nécessité d'agir, de se bouger le gras, mais nécessité devant soi, hors de tout regard, de toute justification, qu'elle soit mauvaise, biaisée et nuancée, ou légitime, dehors de toute injonction, de tout reproche réel ou imaginaire, de toute compensation, de toute vengeance ou manigance externe, et sans aucune attente envers un-e autre ou l'avenir. Dehors soi-même, et face à soi, très seul. Ce n'est pas du tout amusant, et ça lui provoque sourire amusé. Ça y est, il y est.

À la limite, s'il y a quelqu'un en face, c'est une fiction impitoyable de soi-même. C'est le Major – Motoko Kusanagi, celle dont le cœur n'appartient pas, et ne t'appartiendra jamais – qui, impassible et sans être excessivement impliquée dans ton cas, te fout une gifle en pleine gueule et te dis froidement qu'elle n'en a rien à foutre de cette fille et de sa faiblesse réelle ou fantasmée, et de ce qu'elle t'a fait, ou pas fait, ou refait, il y a dix ans ou ce matin : là c'est toi qui l'agace et toi seul-e, et tu l'ennuies. Elle se fait chier, et la ville attend – avec son cortège d'indifférences : terroristes d'État, corporatifs, religieux. Offre-toi une faveur : fais-toi violence.

Mais regardez. Il patine, ou plutôt non : il a perdu le fil. Il a décentré son regard, il s'en est félicité un instant, et puis en un sursaut, retombé dedans. C'est le combat glissant et impitoyable :
1 - vous savez qu'ici l'ennemi, c'est vous,
2 - vous sentez qu'ici aucune victoire immédiate n'est possible,
3 - et vous sentez qu'une fois le dos tourné, le combat lui-même vous échappera des mains, l'arène se dissipera et s'effacera devant toute pensée de victoire, tout plan d'action, aussi bien tordu que légitime
Je ne plaisante pas : ce ne sont plus seulement vos vieilles gerçures, vos vieux plis et tricks cycliques, vos recours réflexes et vos psychiques signature moves qui sont en jeu, ce ne sont pas seulement vos réactions de défense ou d'ego qui vous aveuglent, mais aussi les combats légitimes, les leçons apprises dans la douleur, les espoirs et la recherche honnête de l'équilibre des torts, même ce que vous aviez admis et reconnu, ce que vous avez gagné de haute lutte, et le statut de victime que tout le monde s'accorde à vous reconnaître...

Tout ce qui vous occupe vous replonge dans le calcul et menace de recouvrir le seul défi, le seul effort qui compte : celui qui n'a aucun public, qui ne sera jamais reconnu, pris en compte ou récompensé. La base. Impitoyable. Et glissant.

Il sent que tout est plus simple quand il n'en a plus rien à foutre de lui-même, et passé un certain point, un certain temps, passé un quota de pages écrites en souffrant et de séance de psy et de kiné, il est arrivé là. Il se lâche la grappe, prend la décision (libre, seul) de ne plus avoir d'excuse et d'être absolument intransigeant envers lui-même.

Le moment où le rictus invincible et meurtrier, né avec la détermination de s'en sortir et de ne rien lâcher, né avec la rage de s'en sortir vivant et d'obtenir ce à quoi il a droit, fait finalement face à soi-même, à la tâche insupportable, contraire à son essence, de réinventer la vie, d'accepter de mourir, de passer à autre chose, mais ça ne vous concerne pas du tout, ça ne vous regarde plus.


— épilogue

S'il réussit à confirmer cette lancée par quelques victoires sur lui-même, il devrait sentir qu'il peut aussi abandonner la culpabilité née de l'abandon. Il commencera lentement à pouvoir arracher la seconde peau du mépris pour lui-même et disperser le nuage de voix accusatrices qui alimente cette peau exogène, cessera de se sentir coupable d'avoir eu des besoins, d'avoir demandé des assurances, d'avoir cru aux paroles dites et de s'être attendu aux promesses faites. Il n'a pas l'air d'avoir cette force pour l'instant, mais surtout, il a une autre tâche, une condition préalable.

Je ne fuis plus dans le non-humain (anesthésie), le fusionnel (fantasme), le souvenir souffrant (mélancolie), ni l'oreiller (régression) ; je suis impitoyable et seul juge, mais ne juge que moi-même. Fierté : être normal. Perfection : utterly unimpressed by moi-même. Défi et secret profond : je suis passé à autre chose (quelque chose m'a passé à autre chose). Bataille inattendue et interminable. Mais je suis patient. Mes têtes repoussent, et elles retournent à leur business. Je laisse les autres s'occuper des torts et des mérites, je suis à côté de ça : j'ai un univers absurde à explorer et une existence quelconque à parfaire.

< Face it, move on for your own sake
And since you're there
Be f*****g awesome >


début nov 2017

7 nov. 2017

[Psykogi] Devant soi-même (1)



Devant soi-même. Si tu avoues être obsédéx par le fait d'avoir raison, cet aveu ne changera pas la donne. Au contraire : tu l'avoues moins pour changer que pour avoir raison en l'avouant. Cracher le morceau, c'est encore se justifier, chercher une issue honorable. Qui sait ? Surtout pas soi, surtout pas moi. Ta gueule, un peu, quand même – je me dis.

Évidemment, il arrive que ce soit la souffrance qui parle : hors les gonds, ça hurle et ça part en sanglots. Mais la plupart du temps, et même aux moments des aveux – devant soi-même – c'est le conciliabule, ça discute et ça prépare, ça complote, ça exige réparation, ça juge et ça compte les points, surtout les miens, les miens, les miens, mes précieux points.

Les vrais aveux existent – lâchés, admis, sans aucune autre visée que l'aveu, dans l'instant, mais c'est rare et précaire. Une simple défaite, sans excuses ni promesses, c'est doublement indécent. Le plus souvent, l'aveu est une demande de pardon qui s'impose comme suffisante, qui oblige une réponse, qui serait choquée de ne pas être accordée.

Et parfois même la personne s'inflige des aveux si sanglants, si lourds et si gros, qu'ils sont flatteurs. Devant moi-même ou devant les autres, je me reproche tout et trop à la fois : "elle va trop loin", et en s'accable ou s'effondre, de telle sorte qu'on ne puisse que l'apaiser, corriger les aveux, la relever, la consoler. L'auto-dénigrement pollue la reconnaissance des torts, et l'aveu se mue en facilité. Autre indulgence envers soi-même : faire mine de tout prendre pour ne rien devoir porter.

Par ailleurs, comme les rares aveux sincères et spontanés sont si précieux et immédiatement reconnaissables, si particulièrement productifs et si helpful relationnellement parlant, on tend à vouloir les reproduire, les mémoriser pour les réchauffer et les rejouer plus tard, en faire des instruments, même de manière inconsciente.

L'autre jour, je m'entendais me parler à moi-même dans ma tête, comme souvent, me justifier, rejouer les dialogues, me donner les raisons, faire la liste, calibrer les évènements, les mots donnés et reçus, chercher un nouvel angle... Et soudain je me souviens avoir pensé : "quel bullshit...", à moi-même. J'étais en train de me justifier devant moi-même et devant les autres, à l'intérieur, tous ceux et celles qui m'accusent, réels et imaginaires, toute la culpabilité et tout le ressentiment, et légitime ou non, j'étais en train de (me) griffer, de me battre et d'ériger des palissades avec des échardes et des pitbulls en bas, et soudain j'en ai eu ma claque.

Je n'étais pas particulièrement malhonnête ou biaisé, mais j'étais tellement biaisé. Full of crap, en général. Absurde et négligeable : vain, tout bêtement. Le jeu entier m'a pari impossible, épuisant, inutile, dégradant. Le jeu décisif de la justice et des intérêts. Le jeu de l'honneur, de l'égo, de la réussite, des justifications et des valeurs. Ce n'est pas n'importe quoi. Mais le seul jeu qui soit ? Pas sûr –

La question n'était plus de savoir si j'étais partiellement ou totalement justifié dans ma souffrance, mon injustice et mes griefs – je l'étais toujours, au fond, et même à cet instant. Et je me trouvais cool et supérieur, indépendant, dans cette prise de distance, et je n'avais aucun mérite, et je me comparais en souterrain. Je ne cesse pas d'être ce pervers de l'auto-justification. Simplement, je fais un break, ou mieux, un exercice : je ris de moi.

Twist the spine
. J'essaye de m'en battre : l'attribution des fautes, des responsabilités, des prix ou des victimes. Ou encore : je les attribue globalement, rapidement, de manière ouverte et malléable, moins obsessive, et vite rangée. Une fois que c'est fait, je ne cède pas au désir de me mépriser : je tente de résister – de manière symétrique – à la flagellation, à la litanie du pauvre pécheur victime d’orgueil. Je remets la rétribution à plus tard, à jamais, une autre fois, quand et surtout – si j'en ai envie un jour – si d'autres me le demandent. Les personnes qui ne tiennent pas parole, plus ou moins faibles que moi, ou plus fortes que moi, peuvent bien exister et interagir avec moi, elles ne méritent rien, et je ne leur dois rien, et elles ne me doivent rien.

Pour l'instant et peut-être pour toujours : "on s'en bat". On verra, et concernant les torts dont je serais victime : j'aurai droit à l'erreur, j'aurai droit de ne pas respecter ce qui serait juste, j'aurais le droit de me tenir à mes intuitions ou non. Pour les torts qui me sont reprochés : je foncerai droit à la correction, à la réparation, sans passer par les aveux. The inconsistency principle.

D'ici là (virtuel), ce qui est certain, c'est que je sature d'entendre ma propre voix intérieure, qui cherche toujours à corriger, maximiser, prendre et donner, rendre et ré-attitrer, qui cherche à s'en sortir et à voir les choses correctement.

C'est là, et c'est comme ça, si jamais, mais je n'attend plus la raison ni la justice. C'est mal, mais cela donne des meilleurs résultats. J'ai le droit de m'en foutre ad vitam, d'en être libre tout en le gardant écrit quelque part : je cesse de ma promouvoir mentalement et d'être le gardien de mes propres intérêts. Mes bullies peuvent bien gagner et en jouir. Et alors ? Le futur est différent, ma vengeance est déprimante. Cut the crap. Bah blah whiny crap. Mute. Stop. Disconnect –

C'est à cause de moi ? Ok, c'est moi. C'est à cause de toi ? Ok, c'est toi. C'est personne ? Ok, c'est comme ça. C'est nous deux, mais un peu plus+ de sa part ? Ok, ok, certes, et surtout done. Et maintenant je fais quoi ? Je répare, ou je publie mon état. Je propose, je tord les attentes, je déjoue le pathos. Zéro vénère, c'est inutile – ou alors j'écoute celui des autres. Zéro ajout, zéro drame inutile, et si tristesse il y a, on laisse venir, on la respecte, et puis elle passe. C'est tout : reste les autres comme ellils sont, l'utile, l'instant, l'étrange, les possibilités nouvelles, l'indépendance, les plans d'avenir, les risques entendus, les nouveaux horizons. Mais les pleurs et les poing sur les murs « j'ai dépassé la dôse », comme dirait l'autre.

En théorie, et de manière générale, la maxime de l'indépendance réciproque fonctionne très bien : < ne fais pas de tort aux autres, respecte leurs limites ; ne supporte aucun abus, n'accepte aucune connerie >. Free of charge by default, mais fidélité à la parole donnée. La version opérationnelle, tirée de la stratégie optimale pour favoriser la coopération et minimiser les abus en théorie des jeux : < punition immédiate ; pardon inconditionnel >. Mais elle n'est pas si minimale, bien au contraire. Devant moi-même, combien de fois est-ce que je la suis vraiment ? Quitte à ne pas connaître la justice, autant être aléatoire devant soi-même, et envers les autres.

Mérite zéro, rien mérité. Action et bien-être. Tactique et nouveauté. Acceptation et pragmatisme. Tout le monde est inclus dans le calcul, sans exception pour moi. Les conditions de la générosité, ou non. Tout le monde au même niveau que moi et moi au même niveau que tout le monde. Générosité de principe, dépassionnée, si possible, et sinon tant pis. Devant moi-même : les autres, autrement. L'échec de la justice idéale et des aveux parfaits libère l'énergie pour construire autre chose, ici ou ailleurs, au besoin – sans nier ni justifier l'abus, si possible. Moins ambitieux, plus réel. Et salement reposant.
début nov 2017