7 nov. 2017

[Psykogi] Devant soi-même (1)



Devant soi-même. Si tu avoues être obsédéx par le fait d'avoir raison, cet aveu ne changera pas la donne. Au contraire : tu l'avoues moins pour changer que pour avoir raison en l'avouant. Cracher le morceau, c'est encore se justifier, chercher une issue honorable. Qui sait ? Surtout pas soi, surtout pas moi. Ta gueule, un peu, quand même – je me dis.

Évidemment, il arrive que ce soit la souffrance qui parle : hors les gonds, ça hurle et ça part en sanglots. Mais la plupart du temps, et même aux moments des aveux – devant soi-même – c'est le conciliabule, ça discute et ça prépare, ça complote, ça exige réparation, ça juge et ça compte les points, surtout les miens, les miens, les miens, mes précieux points.

Les vrais aveux existent – lâchés, admis, sans aucune autre visée que l'aveu, dans l'instant, mais c'est rare et précaire. Une simple défaite, sans excuses ni promesses, c'est doublement indécent. Le plus souvent, l'aveu est une demande de pardon qui s'impose comme suffisante, qui oblige une réponse, qui serait choquée de ne pas être accordée.

Et parfois même la personne s'inflige des aveux si sanglants, si lourds et si gros, qu'ils sont flatteurs. Devant moi-même ou devant les autres, je me reproche tout et trop à la fois : "elle va trop loin", et en s'accable ou s'effondre, de telle sorte qu'on ne puisse que l'apaiser, corriger les aveux, la relever, la consoler. L'auto-dénigrement pollue la reconnaissance des torts, et l'aveu se mue en facilité. Autre indulgence envers soi-même : faire mine de tout prendre pour ne rien devoir porter.

Par ailleurs, comme les rares aveux sincères et spontanés sont si précieux et immédiatement reconnaissables, si particulièrement productifs et si helpful relationnellement parlant, on tend à vouloir les reproduire, les mémoriser pour les réchauffer et les rejouer plus tard, en faire des instruments, même de manière inconsciente.

L'autre jour, je m'entendais me parler à moi-même dans ma tête, comme souvent, me justifier, rejouer les dialogues, me donner les raisons, faire la liste, calibrer les évènements, les mots donnés et reçus, chercher un nouvel angle... Et soudain je me souviens avoir pensé : "quel bullshit...", à moi-même. J'étais en train de me justifier devant moi-même et devant les autres, à l'intérieur, tous ceux et celles qui m'accusent, réels et imaginaires, toute la culpabilité et tout le ressentiment, et légitime ou non, j'étais en train de (me) griffer, de me battre et d'ériger des palissades avec des échardes et des pitbulls en bas, et soudain j'en ai eu ma claque.

Je n'étais pas particulièrement malhonnête ou biaisé, mais j'étais tellement biaisé. Full of crap, en général. Absurde et négligeable : vain, tout bêtement. Le jeu entier m'a pari impossible, épuisant, inutile, dégradant. Le jeu décisif de la justice et des intérêts. Le jeu de l'honneur, de l'égo, de la réussite, des justifications et des valeurs. Ce n'est pas n'importe quoi. Mais le seul jeu qui soit ? Pas sûr –

La question n'était plus de savoir si j'étais partiellement ou totalement justifié dans ma souffrance, mon injustice et mes griefs – je l'étais toujours, au fond, et même à cet instant. Et je me trouvais cool et supérieur, indépendant, dans cette prise de distance, et je n'avais aucun mérite, et je me comparais en souterrain. Je ne cesse pas d'être ce pervers de l'auto-justification. Simplement, je fais un break, ou mieux, un exercice : je ris de moi.

Twist the spine
. J'essaye de m'en battre : l'attribution des fautes, des responsabilités, des prix ou des victimes. Ou encore : je les attribue globalement, rapidement, de manière ouverte et malléable, moins obsessive, et vite rangée. Une fois que c'est fait, je ne cède pas au désir de me mépriser : je tente de résister – de manière symétrique – à la flagellation, à la litanie du pauvre pécheur victime d’orgueil. Je remets la rétribution à plus tard, à jamais, une autre fois, quand et surtout – si j'en ai envie un jour – si d'autres me le demandent. Les personnes qui ne tiennent pas parole, plus ou moins faibles que moi, ou plus fortes que moi, peuvent bien exister et interagir avec moi, elles ne méritent rien, et je ne leur dois rien, et elles ne me doivent rien.

Pour l'instant et peut-être pour toujours : "on s'en bat". On verra, et concernant les torts dont je serais victime : j'aurai droit à l'erreur, j'aurai droit de ne pas respecter ce qui serait juste, j'aurais le droit de me tenir à mes intuitions ou non. Pour les torts qui me sont reprochés : je foncerai droit à la correction, à la réparation, sans passer par les aveux. The inconsistency principle.

D'ici là (virtuel), ce qui est certain, c'est que je sature d'entendre ma propre voix intérieure, qui cherche toujours à corriger, maximiser, prendre et donner, rendre et ré-attitrer, qui cherche à s'en sortir et à voir les choses correctement.

C'est là, et c'est comme ça, si jamais, mais je n'attend plus la raison ni la justice. C'est mal, mais cela donne des meilleurs résultats. J'ai le droit de m'en foutre ad vitam, d'en être libre tout en le gardant écrit quelque part : je cesse de ma promouvoir mentalement et d'être le gardien de mes propres intérêts. Mes bullies peuvent bien gagner et en jouir. Et alors ? Le futur est différent, ma vengeance est déprimante. Cut the crap. Bah blah whiny crap. Mute. Stop. Disconnect –

C'est à cause de moi ? Ok, c'est moi. C'est à cause de toi ? Ok, c'est toi. C'est personne ? Ok, c'est comme ça. C'est nous deux, mais un peu plus+ de sa part ? Ok, ok, certes, et surtout done. Et maintenant je fais quoi ? Je répare, ou je publie mon état. Je propose, je tord les attentes, je déjoue le pathos. Zéro vénère, c'est inutile – ou alors j'écoute celui des autres. Zéro ajout, zéro drame inutile, et si tristesse il y a, on laisse venir, on la respecte, et puis elle passe. C'est tout : reste les autres comme ellils sont, l'utile, l'instant, l'étrange, les possibilités nouvelles, l'indépendance, les plans d'avenir, les risques entendus, les nouveaux horizons. Mais les pleurs et les poing sur les murs « j'ai dépassé la dôse », comme dirait l'autre.

En théorie, et de manière générale, la maxime de l'indépendance réciproque fonctionne très bien : < ne fais pas de tort aux autres, respecte leurs limites ; ne supporte aucun abus, n'accepte aucune connerie >. Free of charge by default, mais fidélité à la parole donnée. La version opérationnelle, tirée de la stratégie optimale pour favoriser la coopération et minimiser les abus en théorie des jeux : < punition immédiate ; pardon inconditionnel >. Mais elle n'est pas si minimale, bien au contraire. Devant moi-même, combien de fois est-ce que je la suis vraiment ? Quitte à ne pas connaître la justice, autant être aléatoire devant soi-même, et envers les autres.

Mérite zéro, rien mérité. Action et bien-être. Tactique et nouveauté. Acceptation et pragmatisme. Tout le monde est inclus dans le calcul, sans exception pour moi. Les conditions de la générosité, ou non. Tout le monde au même niveau que moi et moi au même niveau que tout le monde. Générosité de principe, dépassionnée, si possible, et sinon tant pis. Devant moi-même : les autres, autrement. L'échec de la justice idéale et des aveux parfaits libère l'énergie pour construire autre chose, ici ou ailleurs, au besoin – sans nier ni justifier l'abus, si possible. Moins ambitieux, plus réel. Et salement reposant.
début nov 2017

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