23 déc. 2010

[Poé] Galiléen


Christ a été le son qui crée
Il a laissé Baal au placard
Depuis cela les dieux créés
Sont restés peu bavards

Christ a aussi choisi la croix
Christ a mis Satan au tapis
Telle orchidée renaît, tel croît
Et l'Ange garde sa misanthropie

Babel, Paris, Orion, les galaxies
La steppe, les marais, la Terre
Les pauvres séraphins parcourent
A pieds, sur les nuées, dans les taxis

Une lande si loin de tout
Christ est déjà passé par là
Pourtant quelque chose me dit
Que ce n’est pas la dernière fois



2010

16 déc. 2010

[Poé] Interstellar

 

    Dieu parle dans le réseau des particules
    Dieu dit : "Les étoiles porteront dans leur cœur
    La fusion nucléaire" – ainsi elles l’adorent
    "Chacune aura son coloris"

    Alors la vie crépite et elle s’enflamme
    La croix libère son arche dans l’immobilité
    Le déluge de rayons et les vents solaires
    Ça fait danser les électrons

    Il fait dehors moins cent degrés je vois
    Les prêtres suer du sang, et là
    L’astre s’effondre sous son poids
    Soudain – Dieu a perdu le goût du sang

    La pierre de feu l’a rassasié – le météore
    Profondément fiché dans la chair de sa chair
    L’ogive – ou perle du matin – la bille
    Au milieu – elle brille – du front divin

    Souffle ! Unifie ichti-squales et cétacés
    En-deçà des histoires, stigmates respiratoires
    Signe des diagonales d’un losange noir
    Elle – parmi les galaxies païennes –
     
    Brille à toujours

 


Galaxie M-51

 


11 déc. 2010

[Poé] Reste à graver


< L'aède se lève pour interpréter un personnage méconnu : l'Humaniste-chrétien-qui-s'ignore. Voici les paroles de l'hymne, accompagnées au bouzouki primitif :

"L’homme qui marche et son clan
Dont la peau constellée de métal
N’a rien de naturel

La nature l’imite par erreur
Les lames de l'herbe et ses feuilles d'or
Ses sacrifices et ses efforts

S’élève alors le chant tribal
Qui n’a rien d’une douleur
Aussi spontané qu’une peinture

Ses cheveux pressés livrent une huile
Le même laser aiguise les armes
Cuit le gibier le parjure avale les morts

L’homme qui broute et son village
Poussent les cornes dans les mains
Farines et coquillages et parfums

Gravée au glaive la rebelle
Les arbres fuient de la lande
Leurs cicatrices sont fertiles

Rires travail et rages de guerre
L’air sature les os le vacarme
Les cordes vibrent dans l’esprit

Un vase brisé sur le rétif
Sur son corps le clan rature
Sur les rotules pose l’écriture

La femme qui chasse et tresse
Ses reliures sont solides comme
Ses entrailles élastiques

L’homme imagine partout
Dès toujours plein de légende, relie
Cela n’a rien de naturel"

La dernière note vibre dans la grotte. L'aède reprend lentement place dans le cercle des dissemblables avec un sourire amusé : son instrument est vermoulu, couvert de moisissures. >





Reste à graver, poème de 2010
notice narrative de 2022
 

23 nov. 2010

[Poé] Plaine de puissance


v. 1

Comme les ailes trouées
Une comète se perd aux extrémités

 Le blanc des cerisiers en fleur
Dont la couleur est indécise


Des grillages vibrent dans l’azur
 D’une revanche

 En ce matin de feu
N’adoube aucun oiseau

De la Terre


v. 2

Des grillages vibrent dans le ciel
Comme les ailes trouées
D’une revanche

Le blanc des cerisiers en fleur
En ce matin de feu
N’adoube aucun oiseau

Une comète se perd aux extrémités
Dont la couleur est indécise
De la Terre



Glow by Superbia
 

6 nov. 2010

[Kogi] Un poème inconnu


Le poème laisse des traces apparentes là où il y avait déjà des traces non-vues, non apparentes – il est toujours déjà tellement retour ou redite qu'à force on souhaite vraiment un poème inconnu (qui va de l’avant, qui renouvelle, ou mieux : qui raye tout le reste et nie ce que l'on est !(?)
 
Un poème qui jaillit, ex nihilo, qui s'extirpe 
 
҉
 
Un poème non lu, tellement déjà oubli

4 nov. 2010

[Poélovéekwot] Amorosa anticipación (Borges)

 .
« Ni la intimidad de tu frente clara como una fiesta

ni la costumbre de tu cuerpo, aún misterioso y tácito y de niña,
ni la sucesión de tu vida asumiendo palabras o silencios
serán favor tan misterioso
como mirar tu sueño implicado
en la vigilia de mis brazos.
Virgen milagrosamente otra vez por la virtud absolutoria del sueño,
quieta y resplandeciente como una dicha que la memoria elige,
me darás esa orilla de tu vida que tú misma no tienes.
Arrojado a quietud,
divisaré esa playa última de tu ser
y te veré por vez primera, quizá
como Dios ha de verte,
desbaratada la ficción del Tiempo,
sin el amor, sin mí »
« Ni l’intimité de ton front clair comme une fête
ni la privauté de ton corps, encore mystérieux et muet, encore d’enfant,
ni tes paroles ou tes silences, étapes au chemin de ta vie,
ne me seront aussi mystérieuse faveur
que de regarder ton sommeil impliqué
dans la veille de mes bras.
Miraculeusement vierge à nouveau par la vertu absolutoire du sommeil,
paisible et resplendissante comme un bonheur que choisit la mémoire,
tu me donneras cette frange de ta vie que tu n’atteins pas toi-même.
Précipité en quiétude
j’apercevrai cette dernière plage de ton être
et je te verrai peut-être pour la première fois
comme Dieu doit te voir,
une fois la fiction du temps mise en déroute,
sans l’amour, sans moi »
" Neither the intimacy of your brow fair as a feast day,
nor the favor of your body, still mysterious, reserved, and childlike,
nor what comes to me of your life, settling in words or silence,
will be so mysterious a gift
as the sight of your sleep, enfolded
in the vigil of my arms.
Virgin again, miraculously, by the absolving power of sleep,
quiet and luminous like some happy thing recovered by memory,
you will give me that shore of your life that you yourself do not own.
Cast up into silence
I shall discern that ultimate beach of your being
and see you for the first time, perhaps,
as God must see you —
the fiction of Time destroyed,
free from love, from me "
  Nestor Ibarra pour la traduction française
Robert Fitzgerald for the English translation
Jorge Luis Borges, Amorosa anticipación 
in Luna de Frente, 1925

[Kogi] Psychobio de l'orgueil


Quelques mots sur l’orgueil, non comme concept mais comme vécu. Malgré les images et la première partie, il y a de la psycho dans l’air. Bien sûr, il ne sera question que d’une forme de l’orgueil, selon quelques origines, parmi des milliers plus ou moins proches.

L’orgueil désigne une grappe immense, lumineuse et sordide, comme un cœur parallèle, qui est tout en réaction, en défense, en tensions, prétentions, en violence et faiblesses. Ni voir la victime seulement, ni voir seulement l’ignoble et dégoûtant aveuglement. De l’intérieur, c’est goûtu et avantageux, c'est mortel et aride. Allons plonger dedans, à partir d’une expérience particulière - la mienne.

Trois phases, par exemple.


Première phase

Dans un jeune territoire personnel ouvert aux assauts du talent, du contrôle ou de la compétition, mal protégé, mal assuré, un germe est tombé au sol. D’abord sous la forme de lichens inoffensifs, puis par des nuages de spores, l’orgueil assiège les lieux mal protégés. Au milieu de la plaine, en peu de temps, une muraille grossit et encadre le pays, durcit ses frontières.
L’orgueil surprotège la personne en élevant une muraille de graisse, de chair cireuse, aveuglante, too much. Une immense muraille, d’abord pour la défense de soi, munie bientôt de haut-parleurs tournés vers l’extérieur, qui gueulent ou murmurent à longueur de journée les deux faces opposées d'un même mensonge.

Et ce mensonge à deux versants, c’est d’un côté le trop, les prétentions, les exagérations ou la vantardise – et de l’autre, ce qui revient au même, c’est le déni, l'altération, l'atténuation, pour sauver la face, pour falsifier l’image de soi. Dans sa faiblesse et sous les assauts, le soi lui-même y croit, à ce que profère ce mensonge. Beaucoup le connaissent à peine, mais peu le connaissent à plein tube, à fond, dans la tête, à l’intérieur d'une forteresse mégalomaniaque.
L’orgueilleux tombe dans ses propres pièges, non par justice, mais par conséquence : il s’est tourné vers lui-même, et a chuté en lui-même, dans une réaction non innocente, mais compréhensible. Sans repères comparatifs any more, il croit qu’il s’envole alors qu’il chute. En bas, sur les ailes mauvaises d’un mythe de son identité (identité d'indépendance en lui-même), mythe mensonge de l’ébène ou de la glace (vœu insensé mais logique d'insensibilité).

L’orgueil serait donc une faiblesse de l’EGO, avant d’en être une surenchère ?

Regard de soi-même qui s’entretient contre une vieille peur des autres, du monde ou du père – ou alors, un manque de lest, de correction ? Origine inconnue, découverte improbable. Hypothèses de ressentis.

Regard blessé ou insatisfait qui se détourne vers soi et deviens mortellement ébloui ou aveuglé par ce qu’il voit. Sans vis-à-vis, aucune condamnation - sauf celle qui vient, unilatérale, de tout regard. Une torsion du regard qui n’accepte pas d’entre-deux relationnel : EGO ou rien, alter ego à la limite, mais sans le mystère : dedans OU PAS. Fusion ou réjection. Tout cela flirt avec l’égoïsme pur et simple, mais il en moins ignorant ou moins stupide : il réfléchit, précisément. Non pas la jalousie, mais la réflexion du divin dans la personne ; sans la sagesse bosselée comme une vieille marmite. Pour son bonheur et le malheur de la personne, l’orgueil ne fait que se réfléchir et se subsumer, n’écoute pas. Une forme particulière de manichéisme identitaire. Ou pas.

Il chute, il choit. De tout son poids. De pédant. Ridicule d’ignorance et d’incapacité à avouer – à rendre les armes, et à aimer. Comment il tient ? Fondé en lui-même. D’égocentrisme devenu naturel. Il ne fait même plus exprès, à force. Mais il est tout de même coupable. Il choit. C’est lourd. Et vas-y que j’écrase les autres au passage en essayant de gagner leur approbation, ou par vengeance paranoïaque – par insatisfaction chronique et double mesure (balance faussée de jugement).



Si leurs mythes sont identiques, se concurrencent, regards qui ne croise pas l’autre, qui le toise. La posture est définie d’avance. Pas besoin de vantardise, ici, c'est de la morgue de compétition. Obsédés par eux-mêmes, ils manquent toute relation – mais la rivalité est pourtant nécessaire. Le tout est de gagner devant tous, et de rejeter tout ça immédiatement - besoin de rien, pas même l'approbation.
 
On comprend alors l’obsédante solitude des orgueilleux, toute peuplée de regards, de peur et de violence. 
 
Au fond, ils se ressemblent mot pour mot, le cœur dur comme les muscles de la bouche et du torse. Ils se condamnent eux-mêmes et s'obstinent vers le handicap affectif.


Deuxième phase

Bientôt, au deuxième âge de Babel, on n’est plus autant fermé sur soi, mais on compare – quand soi-même est devenu la norme habituelle (un soi-même décuplé). Petit à petit, je me prends dans ses rets, sans rien remarquer d’anormal que mon agacement et l’absence de joie. À force de contentement de soi et de mécontentement des autres, tout devient clair.
Je suis tombé dans cette soupe de morgue et de violence lorsque j’étais petit. Au départ, une légère différence et une légère facilité apparaissaient. Ce n’est pas une addition qui fit l'orgueil, mais une danse étrange des deux : la peur d’être rejeté comprime la différence, avec ce désir du désir, désir d'être désiré, un temps de conformisme, mais la différence prend le dessus, bouffe la peur et s’impose, quand soudain cette dernière revient, encore plus dure en raison de la différence plus forte et de l’éloignement que la lutté de la différence a créée tout autour.
Mais des victoires sont gagnées par l’orgueil. C’est là une clef de toute l’histoire. Intouchable de la glace et du métal (musique, esthétique), cette crainte et cette admiration, le pouvoir de juger, d’être son propre étalon, tout ça me plaît. Rien de simple, nulle part. Je deviens insensible. N’est-ce pas un don du ciel ? Une perfection ? Tout ce qui ne tue pas me rend… Ma peau se craquelle par endroits, mais je ne sens plus rien – je suis réaction et tension. Sauf mes pensées, qui tourbillonnent et exhalent une odeur de paranoïa.

Cet orgueil, je le sers car il me sert, et cette hauteur, cette supériorité à laquelle j’ai droit, je la veux de tout mon cœur !

by Banksy
Soudain, je me rends compte que je n’arrive plus même à accueillir ceux que je désire. N’était-ce pas eux et ce désir, autant que la peur, à l’origine de tout ? Mais je suis parti trop loin trop seul, et il n’y a plus personne dans ces contrées. La muraille m’entoure, devenue glacée comme la chaîne qui enserre Morgûl. Impossible de grimper pour revenir en arrière. Les réactions m’enchaînent, elles me plient à être méprisant, et en un sens, profitant de tout ça, regrettant, je commence à mépriser mon mépris, à haïr ma haine, qui reviennent donc par derrière, et me rabattent sur moi-même et mon corps pour accéder à l’amour : je combats l'orgueil avec l'humiliation, au lieu d’humilité (tout est si simple, avec des mots).
Calme et violence, un balancement dans le quotidien d’un bâtard orgueilleux (qui ne se sait pas encore bâtard, qui ne l'accepte pas encore ni ne l'embrasse).

Le déséquilibre de l'orgueil est un balancement entre sous-estimation de soi et surestimation qui se double à force d'insensibilité et de bonheur instable.

Tandis que je réalise le pétrin dans lequel je suis, le cercle infernal et centré sur moi-même, je décide de briser l’apparence de l’orgueil, son côté trop flagrant, monochrome et glacial – en quelque sorte j’y ajoute des couleurs, je décore. J’y crois dur comme fer. Je construis Babylone, j'attire des marchands, des fous, je dresse des tentes et des jardins à l'intérieur de la forteresse (pour qu'on entende des rires, et qu'on ne soupçonne pas la solitude intérieure). Consciemment, pour apaiser ou émousser un peu le tranchant de l’affaire, mais reste un déséquilibre fondamental. Un tout petit peu de beau temps, d'améliorations, en quelque sorte, car la muraille fond un peu – mais la fondation en autrui par amour, et surtout dans l’Amour, est encore loin.
Décorée, émoussée, la muraille s’abaisse, le soleil revient – mais le prix en est une tour level 2, une nouvelle tour à miroirs, sur laquelle on peut lire les lettres du mot fascination.



Troisième phase

Au centre de Babel s’élève une tour en forme de grappe, ces fameux jardins suspendus, cette gloire, cet orgueil – une grappe où se reflète l’EGO en mille facettes qui scintillent – qui s’entre-réfléchissent, toutes prêtes à déverser ce qu’elles contiennent, à liquéfier sa complexion, à refaire la peinture. Des petits êtres moribonds ou furieux s'agitent à l'intérieur des grains de la grappe.
J’embrasse l’Orgueil, je m’identifie à ses spasmes colériques, à son flot qui grossit et grossit et fait des bulles comme dans la bave des humains – mais c’est la fête adolescente. Vous trouvez toujours des adorateurs, en cherchant bien (c'est-à-dire sans avoir l'air de manquer de rien). L’heure est au flamboiement, et non plus à la peur du rejet. La compétition bat son plein, silencieuse et cachée, la classe et les honneurs, à vif dans les esprits au quotidien.

Avatars esthétiques de l'orgueil ? La rébellion (anarchisme), la cautérisation (suture et censure), l'augmentation corporelle (glyphes et lâchetés), l'avatar virtuel (survie et massacres de concurrents), l'artiste maudit (mépris et report de célébrité), d'autres encore

Quand l’ego gonfle trop (dixit Ben Vautier), c’est la déferlante acharnée, vague fracassante car je me sens enfin départi de toute autorité. Et pourtant, aux mêmes instants, par l’ouverture paradoxale, je découvre apeuré l’ouverture, la confession intime et l’amour. Apeuré, car j'y suis incapable d'aveu ou de foi. A ce point-là, je ne peux croire que je suis aimé.
Et l'intime me torture, j’y entrevois la solution mais je comprends très bien que son prix est la gloire et le mythe personnel, l’invulnérabilité, le génie. Je désire déposer les armes, sortir seul – parfois j’y pense – hors les murs. Mais c’est impossible, habitué que je suis aux victoires faciles et terrifié à l'idée d'être nu, sans défenses, à l'extérieur.


Épilogue : témoignage de lenfant à l’adolescent

« Je me suis trouvé plus fort que la force brute, par l’esquive, la manigance, la longueur d’avance. J’ai grandi et développé une défense hybride et ambivalente : mépriser les imbéciles tout en désirant leur force brute et leur gueule d'ange, secrètement. Simuler l’air glacial et le désintérêt pour mieux attirer à moi le désir et faire payer aux autres. J’ai peur de ceux qui ont un beau visage, concurrents   – tout se cristallisera autour des filles – ou presque…

Le mépris pour les bêtes est venu, bientôt aidé par une mythologie de la pureté, de la sainteté, que j’étais censé suivre  – sans égard pour le scandale du don parfait. Mais la prison de surestime, d’abord créée pour la survie, devient une machine de guerre : on lance des raids et on détruit les autres. Prouver subtilement à l’autre comme il est con, mais sans en avoir l’air… Faire naître l’idée en lui de sa bassesse et en même temps, le désir de me plaire. Les mettre à genoux, en brillant assez pour les détruire et leur donner envie d’être moi. Ma dernière arme : leur dire que je les pardonne, qu’au fond, je ne leur en veux pas. Leur donner une chance devant tout le monde, après les avoir vaincus : ultime humiliation, dans les situations choisies… L’orgueil se mue en haine, assez souvent, contre les autres ou moi.

Quelques amis parsèment la route - tout n'est pas si tragique - rien n'est tragique en quelque sorte : alors je ne m'inquiète pas ! Je ne peux pas aimer une fille, et je ne vis pourtant plus que pour ça. Je poursuis une chimère qui me poursuit, dans un couloir circulaire… Et encore, moi, je suis heureux, j’ai l’appui des parents, des amis, et l’Admiration me donne quelque vraies bouffées d’air… Je respire par les instants de spontanéité et le rire et une intelligence qui se greffe sur la facilité – d’efforts, elle devient fierté, pour laquelle je ne me poursuis plus moi-même… »



               Ils se satisfont des misères affectives, de la célébrité, de guerres dans l’âme et fratricides. Devant les manques et peurs, les fils et les filles de rébellion se débrouillent avec les moyens du bord. Ils s’appuient dedans, dehors, à la réussite, éraflent, sont éraflés, et s’endorment pour moins souffrir. Antalgiques de la célébrité, de l’ignorance active, de la fête vide des corps et des boissons. Morphine de l’EGO à sa propre source – ils s’obstinent, craquent ou se perdent. 
 
Au contraire : avoir perdu prise, avoir abandonné un instant. Comme au départ, avant la forteresse, les tourbillons, les chimères féminines ou masculines qui promettaient un appui qu’ils ne pouvaient donner – et que l’on découpait en voulant séduire – avant la tentation ou les lichens. Avant même la rébellion. Le renouveau, dans cette plaine presque vide, deux à deux, retrouvailles obligées mais impossibles dans le flot. Quand soudain, l’échec de l’amour nous rappelle à notre échec plus profond, celui que nous avions dissimulé sous Babylone. Combat contre l'Ange d'El et combat contre l'Ange de lumière. Fuite, rappel, combat. CRI !  Brisement, cassure, ou fonte des glaces, comme on le veut. Rencontre pénible, lavement des plaies et enfin plaisir et paix. Vulnérabilité avouée, intime, pour un regain des forces inconnu. Nouvelles sphères, nouveaux univers et traversées. Que d’ignorance, avant, que de faiblesse dans la force et à présent, que de force dans la faiblesse !
Et tout est là, à nouveau, sans le drame ni l’obsession. Sans le degré de drame et d’obsession que l’orgueil constituait. Il y aura des rechutes, mais jamais plus l’esclavage. Contrôle, résistance, abandon. Pardon aussi pour le rejet réel et le risque de l’amour, harpon lancé en bas du précipice, au hasard, qui ne peut présumer mais qui sera tout nouveau. L’amour vécu en relation ne retrouve rien, n’applique aucune recette. L’un apprend à voir venir, accepter, il compose, et apprend, quand l’autre guide, s’épanche, s’épluche ou s’émancipe. L’autre soudain prend le relais, séduit, active, relève, s’étonne lui-même, et retombe sur ses vieilles rengaines… C’est comme cela ou autrement – non pas aléatoire mais hautement singulier.
 
Des vies lancées dans la jungle d’une relation, elles ne sont pas seulement invisibles, mais tout autour, une famille s’est assemblée, en silence et sans tapage. Parfois, elle était toujours là, mais la relation seulement commence. Abandon, mais tout est là, reconquis, d’un coup. Si je lâche prise et que j’éprouve l’amour infaillible, c’est pour l’engagement, non pour la dépossession !
Celui qui veut garder sa vie-forteresse la perdra. L’orgueil comme je l’ai vécu et d-écrit n’est pas le seul – et l’on trouve d’autres formes : les ruines d’une vie tournée vers une déchirure avec complaisance, les châteaux où la paresse et l’indifférence


Trois phases, trois déphases
 
Trois étapes qui se suivent et contiennent chacune une porte de sortie et un risque d'orgueil :

Face au mal-être, soit la parole, soit l’orgueil aveugle et protecteur. Fondement de l'assurance en des conquêtes, un soi-même réifié (ex : musculature) aliéné, mythifié, qui fonctionne un petit moment.

Face au désespoir, c'est soit l'obstination, soit un lucide « je n’en peux plus »… L'endurcissement face à la stérilité à recevoir ou donner de l’amour, obsessions de soi des regards, réactions en chaîne, haine, mépris croisé de soi et des autres.

Face à la chute libre, c'est soit la fin du soi, soit sa reprise étrange et parfaite dans l’amour divin. Abandon du mythe et aveu de faiblesse, rupture / pour l’engagement, même en équilibre instable. La confiance fondée sur un amour indéfectible, et la confiance à conquérir au quotidien, avec lucidité et intelligence.

 

28 oct. 2010

[Loud!] Le Château (Franz Kafka)


Il n'y a aucune excuse vraiment valable pour ne pas devoir lire un jour Le Château. Si vous n'aimez pas lire, encore moins les pavés, bienvenue, moi non plus. Si vous ne pouvez pas vous payer de cours, écrivez-moi, je vous en donnerai gratuitement. Aucune excuse. Et maintenant, oubliez le nom de l'auteur, oubliez les résumés, les synopsis. Oubliez le titre assez court pour ne pas trop en dire. Oubliez Prague. Bienvenue sur les terres du comte de Westwest, sous la neige, sur le terres du Château...
 
Ennuyeux comme la vie peut l'être ? C'est bien là que le génie du roman se révèle : ce bouquin est ennuyeux à la mesure de ce qu'il révèle en nous, ou de nos vies qui passent. Bien sûr, il y a la bureaucratie et le cauchemar des systèmes humains et historiques, destinés à endormir la révolte, à l'épuiser, l'adoucir à petit feu. Derrière, il y a l'existence : en un sens profond, nous ne pouvons jamais qu'attendre de voir ce qui va se passer. Ce qui nous échappe possède déjà le dernier mot.

Coincé entre deux inconnues, un arpenteur et sa mission fantôme, pourtant claire, nous-jetés-là et une destination, le tiers lecteur qui se tape Le Château ne s'identifie pas - ni elle ni il ne peut, et pourtant. L'ennui viendra certainement gratter sur les pages, mais attention : soyez de ceux pour qui l'ennui lui-même n'est plus ennuyeux. Apprenons à aimer les labyrinthes pour autre chose que pour la sortie.

Apprenons à vivre dans le labyrinthe, à chercher, à sonder, furieux, à fouiller dans ce qui rend fou sans tout miser sur la sortie, ou sur la solution... Au cas où elle manquerait toujours à la fin du roman. Il n'y a pas de retour, c'est la vie. Du renouveau, de l'avenir ? Une seconde chance ? S'il reste assez de sable dans le sablier. Alors pourquoi, cette fois-ci, ne pas emprunter le chemin le plus long ?

Après la lecture du roman Le Château, de Franz Kafka (1926).

[Poé] Vol


Le corset fragile de l’âme sa terrible gargouille
L’ire manque ici son tatouage rétractile
Son pourpoint tout sali

Ça se poursuit sur les toits les tuiles en trombes
Sous les hallebardes chasse à courre
Dans les sables mouvants

L’averse et l’arbalète hors la dague du fourreau
Les fuseaux chantent leur proie

Un seul carreau traverse s’engouffre dans le corps
Dans le jeune corps cinglant

Il y a un trou dans l’âme ou l’auteur du larcin
Plus loin c’est le plongeon
Moment suspendu

La cathédrale grince on y distingue l’amour
Un corbeau rouge s'enfuit lacération
Mais l’évangile est lourd
 
Plus pesant que la herse perçant que le poignard
Céleste la gargouille s’envole
L’âme s’effondre seule



2010

27 oct. 2010

[Loud!] Le Sursaut

.
Une histoire simple, aussi compliquée et aussi invraisemblable que celles que l’on vit jour après jour, dans les lacets des rues, dans les chambres à coucher ou les rames de tramway.

C’est l’histoire d’un narrateur qui n’a pas envie de faire des longues phrases, qui se lâche et qui n’aime pas les inconnues sans-gêne dans les rue de Bruxelles – parce qu’il est en retard au travail (une galerie d’art). Ce n’est pas l’histoire de ce type et de cette fille qui tombent amoureux et s’aiment à la morsure, mais c’est l’histoire de la corde raide – celle qui les lient. Cette corde est pleine, tendue, puis rongée jusqu’à l’os – jamais vue, toujours là. Cette corde à lier surgit dans la tempête, elle se déroule trop vite sur la peau, retient, suture et sauve.

C’est une histoire lue en deux heures de temps qui me demande, avant même que mon visage ait pu changer d’air : combien de fois faut-il mourir avant d'exister de manière satisfaisante ?


Le sursaut, Eddy Devolder
récit avec ses dessins, esperluète éditions, mai 2007



26 oct. 2010

[Kogi] Inspiration and below

What is inspiration? A deflationist approach. Against the gift and against the touch of gods. We need a better representation of what triggers and constitutes inspiration if we ever hope to devise strategies that foster inspiration.

Inspiration: may be understood by the interactions of 3 poles + 1. Inspiration is like the central area of an upside-down tetrahedron (4 triangular faces and 4 vertices).

This little representation does not focus on interpretation and meaning, but on the levels and factors of invention. It does not represent a self, and correlates the collective and personal aspects of inspiration.


The upper triangular face is the playground of conscious sensations and rules, technical mastery and imaginary combinations: the realm of social invention and personal invention. It is where stories are told, movies are directed, paintings, sculptures, poems crafted, etc.

This surface is a public and complex fabric of rays, strings, ropes and cables: the realm of symbolical relations. It is composed of three vertexes and angles (representing 3 poles of art-production):

>

Education, rules and public languages, from the history of art to sciences, from abstract knowledge to assimilated gestures. This angle represents the traditional, but also institutional aspect of art (can also be represented as a frame by the three horizontal edges of the upper surface). Our personal will emerge from education (in form, motivational content and strength), in the already-formed and transmitted maze of languages.

<

Mediums and matter, techniques, work, the practical assimilation of skills and methods, from mechanism, tool-use, to intentional realization. Imitating, mastering and then inventing technical ways to produce art. It represents the evolution and the art of understanding, imitating and coming to grips with matter (measure of looseness, porosity and randomness).

^

Sensations, conscious aesthetical material, phenomena and memories. This vertex represents the pole of perceived colors and patterns, the personal pole of imagination and memory, remembrances, objects and situations.

×

The spatial center of the tetrahedron is the node of inspiration, half-obscure, already faded in the visible shadow of the nadir. The centre correlates what is known, recognized and rearranged with new elements, winds, molecules or heats. It is the place where materials receive a new name and form, at the limit of consciousness. Not-yet-conscious and subconscious associations arise in this node, which is also a state of immersion: in rest, contemplation, repetition or discovery.

v

"Below" education and work, below sensation and imagination, under institutional and individual art, even "below" the spatial centre of inspiration li(v)es a dynamic and concrete realm of raw sensations, strange drives, unconscious emotions, elemental resources, physical remembrances… forming indistinct and powerful currents which move, melting and forging new conundrums and new alloys, influencing the essential atmospheres, elemental affects and visceral assimilations.

Think of this low vertex as a nadir of unexpressed and muted "things": not because it lacks noise, rhythm, music or even voices – on the contrary: symbolical nets unravel, remaining glyphs derive and merge without the strings and rays of consciousness, awe, angst and vertigo without the boundaries of definitions, or the clear use of categories.

"Fear" is a category, as well as "blue" and the other colors, or the 5 senses ("taste" is always tactile, "touch" does not distinguish between shape, temperature and feeling, etc.). It is other than the structure of language; neither desiring Unconscious nor neural Web, it is other, below.

This underground realm is finite, and its extreme point is linked with the exterior of the tetrahedron. The vertex itself is the portal between raw sensations and the ineffable.


The exterior of the tetrahedron doesn’t exist. It could be the realm of things in themselves: completely silent and transparent by definition. Transparent, because pure transparency evokes invisibility, a deeper blindness than darkness (the objective disappearance of sight, when darkness is its failure, its death or corruption in blackness). It might be the realm of pure uniqueness, on which we cannot but stay silent, from which we mysteriously receive (?).

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Back to the tetrahedron of inspiration: its shape and colors are changing over time, as time is change; these changes are continuous but irregular (aesthetical shocks, unbalances, temporal stability, inertiæ, momentum...). Creativity derives from learning how to shift or modify – from sensitivity to the murmur and roars, to skillful taming of raw materials.

Because it is changing as a whole (the relative values and degrees of the angles, lengths of the edges…), there is never one identical encounter. Therefore, repetition is not useless, but is a strong strategy of Inspiration – for instance: looking at the same video material, listening to the same story… will have slightly (or greatly) varying effects. Inspiration is assimilation, nourishment and containment of the wild.

Both feeding others and eating otherness Inspiration comes from the multiple interactions of 3 + 1 poles:

area of art/science + mediums = art projected

work + imagination = heuristic, productive experimentation

technique + randomness (i.e: glitch…) = artificial raw material factory

proximity of a strange source (children, tribal art...) + rest = rapid change

sudden change in environment + rest = hidden rearrangements

history of art + sensation (repeated) = new resources, alloys

resource + immersion = possible aesthetic experience

This is not a satisfactory representation of inspiration, just a way to remember inspiration is complex and can be influenced, if only chaotically. The tetrahedron moves, since it is made of life, and the structures or meaning and trauma can be altered, even though they are hard and constraining.

This requires more work, but let's consider from now on that inspiration in general requires as much work as it is serendipitous, it requires as much effort as it is dispositional in nature. Some triggers will fade and some will remain longer, albeit changing their effects. Inspiration can be trained, and just like inspiration can become more intense, more subtle, it can morph into new experiences, and become something more.

7 oct. 2010

[Kogi] Pas même un résidu


It's all about practising, learning, training, making sacrifices, forging a will. Never separate inspiration and substance any more - never antagonize gift and work any more. For what is inspiration without materials? Not even dust! And what is a gift without any practise? Not even a wish!

Il s'agit de pratique, d'entraînement, de sacrifices, d'apprendre et de forger sa détermination. Ne jamais plus confondre l'inspiration et la matière, ne plus jamais opposer la vocation et le travail : qu'est-ce que l'inspiration sans la matière ? Pas même un résidu ! Qu'est-ce que le don sans sa pratique ? Pas même un vœu !

# #

May the innate become an elusive stepping stone, not a protective roof
May talents and limitations - silently constructed in body and culture - become in turn our tools of construction, sharpened not for themselves: for things to come
Let us stop to consider what it given as a living room, and start consider it as an arsenal, basic equipment and supply: for things to come

Et que l'inné soit pour nous un tremplin absentéiste, non un plafond familier
Que le donné - limitations, dons ou talents - construction muette et précise d'un passé de corps et d'actes - soit pour nous l'arsenal et non un salon de thé, que ces donnés produits
Deviennent à leur tour moyens de construction que l'on aiguise en vue de leur dépassement

# #

And this, I think, you could read at different levels: true for any activity, sport, subject; also in arts and Art; but you can also read it ontologically; even in Christian life, reading differently the words Inspiration and Gift: just discern and see what unbalanced tendency I'm trying to fight here
 
Et ce qui précède est vrai sur différents niveaux, selon différentes lectures : vrai pour toute activité, tout sport, aussi pour l'art et l'intellect; mais vous pouvez aussi le lire ontologiquement; ou encore pour la vie chrétienne, auquel cas les mots Inspiration, pratique, Don, etc. sonneront particulièrement - pour le reste, faites la part des choses : j'essaye ici de restaurer un équilibre


24 sept. 2010

[Poé] Caresse l'eau des landes


Les joyaux sables et les météores
Des merveilles dans certains lieux
Sont vues sans être vues

Des chemins creusés dans le grès
Leurs axes décentrés

Un cargo caresse l’eau des landes
Les algues vertes l’envahissent
Dedans sa cage thoracique

Qui recopie aveugle et sourd
L’histoire humide de leurs songes
L’anonymat des mondes parallèles

Usines mortes yeux vivants
Et les raisins de la colère

Les mers aussi sèchent en silence
Elles disparaissent

Qui dans ces criques retroussées
Dérangea l’eau qui dort ?









2010