20 nov. 2021

[Arkogi] Rien n'est plus moderne que le cerveau pris comme œuvre d'art


< Le cerveau naturalisé ne constitue pas l’œuvre d'art comme objet mais les cendres de l’œuvre – tout au plus un mauvais readymade, lorsque son architecture est archivée de manière abstraite. 
Le cerveau vivant, plastique et stimulé, en train de se faire et se défaire, voici l’œuvre d'art. Cette œuvre, c'est bien évidemment une performance, unique, banale, à la fois participative et privée. L'artiste est l’œuvre, et l’œuvre est artiste. Contrairement à l'opposition factice entre intention spirituelle et réalisation matérielle, la face vécue et la face nerveuse de cette œuvre sont précisément indissociables. Une œuvre qui aspire et se dissipe, qui s'auto-affecte en partie, une "viande vive" [tr. : 'raw meat'], un "trou de guerre" [tr : 'a  Warhol(e)'], une session d'impro / de brouillage du signal [tr. : 'jammer session']. 
Et le modèle du cerveau dans le cerveau, l'image de soi associée à l'idée d’œuvre d'art, au moment où elle s'active, c'est bien entendu la signature, lisible et anonyme. [...]
Rien n'est plus moderne que le cerveau pris comme œuvre d'art. [...] Prise en mauvaise part, la parenthèse "postmoderne" pourrait se résumer à ces tentatives de sauver "l'homme" en faisant tout un mystère de sa disparition. Pendant un moment, on fait semblant que les objets et machines de la modernité peuvent se satisfaire d'un paradoxe linguistique, et pourraient se mettre à tourner en rond à jamais. 
Mais ce qu'un cerveau pourrait être à un cerveau, ceci attend toujours sagement. > 
— Eirin Wassem-Tórild, Potential Endgames for Western Theory of Art: From Silence to Vomit to Surgery and (Not Really) Back, 'Hommage à Sophÿe Kalash', Miðborg Press, 1994 (trad. personnelle), p. 113