20 déc. 2021

[Arkogi] New art & old archetypes / Anciennes règles & nouveaux organes

 EN    

"The apparent full-on assault on the integrity of subjects in contemporary plastic/visual arts seems consummated, just like the merging of the boundaries that used to separate artistic agency, tools and products. 
Most works are now usually some inextricable combination of media and semi-autonomous loops: they are altogether made of photo, digital components, 3D models, ink markings & make-up, glitch events & controlled visualization, algorithmic procedures like automatic filters & discrete intervention, pre-imagining & serendipity. Most works are always process & files in addition to being objects, and interactive installations, updated iterations, colaborative or curated happenings more than "things".

Faces are distorted, molten, exploded, mutated and cut, bodies are seeded, grafted, parasited, porous, liquid or demultiplying along generous lines. Symbols, direct representations, pictures and signs merge within asymmetric planes and cacophonies of simultaneous layers. In a word: the effects of post-anthropocentrism, biotechnomodular splicing & eco-recoupling on Aesthetics are here to stay.

And yet, this context presents some anomalies: many otherwise highly corrosive artworks still appear along classical lines in image archetypes. Static images, with up and down, retain their strength. Take for instance: Landscape –or Spatial immersion, Portrait –or Scene, Motif –or Decoration. See the collection of visual productions under there, and take notice. Is it a fluke, a residue, simple inertia, or something grammatically profound? Or just me?
 
Can we approach compositive escape velocity, challenging deeply ingrained neurophenomenological identification habits, beyond the –hard-earned– desecration of 'Man', and blurring of old ontological boundaries? 
The revolutions in subject representation and artwork craft need a revolution in artwork treatment: not just multiplicity in place of duality, but new rules for new organs."

FR 

« On ne peut plus nier l'assaut frontal porté contre toute forme d'intégrité des visages et des figures subjectives dans les arts visuels post-2015. De manière similaire, les anciennes barrières entre arts et techniques, décision de l'artiste et outils, ainsi qu'une distinction simple entre médiums, n'est même plus possible.

L'écrasante majorité des œuvres graphiques s'apparente aujourd'hui à des composés inextricables de photo, de modèles digitaux, d'encrages, de maquillages, de code, de filtres, de lumières, de circuits, de flux solidifiés et de solides amollis. L'activité graphique mélange irrémédiablement le glitch et l'intentionnel, les procédures algorithmiques automatiques et les interventions discrètes, de l'interactif et du remix, du réplicable et du non-fongible. L’œuvre elle-même est toujours objet et fichier, installation et happening, archive et consommable, méta-data et making-of, exposition et boîte noire.

Désintégration des "sujets" dans les contenus graphiques : omniprésence des singularités extrêmes, ruines, bugs, moisissures – domination esthétique de l'hybride, des mutantes, des prothèses, de l'épissage, du poreux, des collages, du fondu et du pulvérisé. L'esthétique du fragment, de la faille et de l'inachevé baisse les yeux et bégaie devant la violence du nouveau paradigme : l'implosion de soi – corporelle ou mentale – et les recompositions impures. Pour bientôt : le règne érotique de l'asymétrie, l'auto-chirurgie, l'érosion, les déchets. Bref, les simples sujets de l'art sont irréversiblement désintégrés. La révolution post-anthropocentrique ne va pas s'en aller de sitôt : ses deux modèles inséparables – l'écologique et le cybernétique – transforment durablement l'art graphique mondial.

Et pourtant, ce contexte présente des anomalies, des formes persistantes. Les images statiques, avec un haut et un bas, retiennent leur emprise. De nombreuses "œuvres" visuelles continuent de se ranger dans les genres et archétypes traditionnels des beaux-arts, ou ceux de la peinture et la photo des siècles qui précèdent. Des productions corrosives et extrêmes dans ce qu'elles présentent et dans la manière dont elles sont produites peinent à sortir de la dualité figuratif / abstrait. Les super-genres visuels font de la résistance dans les têtes, les protocoles et les discours : on identifie encore clairement des Paysages (ou Perspectives, spatiales, immersives...), des Portraits (ou Scènes, de visages, actions, objets...), et des Motifs (ou Décorations, même fractales, mobiles...). Voir le carré d'images ci-dessous à titre d'exemple.

Est-ce un oubli, une erreur d'inattention, un truc résiduel ? Est-ce que je rêve, est-ce que c'est moi seulement qui projette encore ces formes dépassées ? Est-ce un bête problème d'échantillon ? Est-ce de l'inertie, ou un signe que certaines catégories de la grammaire visuelle sont plus profondes que d'autres ? Profondes comment, et incarnées dans quel support ? Faut-il les conserver, les démultiplier, les dissoudre, les remplacer par d'autres ?

Faut-il accélérer, tenter d'atteindre la vitesse de libération compositionnelle, et sous quel angle attaque-t-on des habitudes neurophénoménologiques séculaires ? Maintenant que la fusion des anciennes frontières ontologiques est entérinée, que "les arts" jouissent de la profanation durement gagnée de la figure de "l'Homme", peut-on imaginer une transformation dans les manières de percevoir ?

Les révolutions dans la manière de voir le monde et dans les modes de production nécessitent une révolution dans le vécu et le traitement des réalités artistiques. Plus encore que de dépasser les anciennes dualités, il nous faudra de nouvelles règles pour de nouveaux organes. »

 


@wer.wo.was @frenerdesign @landstract_
@home4breakfast @anthr0morph
@blackartsviper (c) Bo Le @fabrice_vermeulen

 

 

20 nov. 2021

[Arkogi] Rien n'est plus moderne que le cerveau pris comme œuvre d'art


< Le cerveau naturalisé ne constitue pas l’œuvre d'art comme objet mais les cendres de l’œuvre – tout au plus un mauvais readymade, lorsque son architecture est archivée de manière abstraite. 
Le cerveau vivant, plastique et stimulé, en train de se faire et se défaire, voici l’œuvre d'art. Cette œuvre, c'est bien évidemment une performance, unique, banale, à la fois participative et privée. L'artiste est l’œuvre, et l’œuvre est artiste. Contrairement à l'opposition factice entre intention spirituelle et réalisation matérielle, la face vécue et la face nerveuse de cette œuvre sont précisément indissociables. Une œuvre qui aspire et se dissipe, qui s'auto-affecte en partie, une "viande vive" [tr. : 'raw meat'], un "trou de guerre" [tr : 'a  Warhol(e)'], une session d'impro / de brouillage du signal [tr. : 'jammer session']. 
Et le modèle du cerveau dans le cerveau, l'image de soi associée à l'idée d’œuvre d'art, au moment où elle s'active, c'est bien entendu la signature, lisible et anonyme. [...]
Rien n'est plus moderne que le cerveau pris comme œuvre d'art. [...] Prise en mauvaise part, la parenthèse "postmoderne" pourrait se résumer à ces tentatives de sauver "l'homme" en faisant tout un mystère de sa disparition. Pendant un moment, on fait semblant que les objets et machines de la modernité peuvent se satisfaire d'un paradoxe linguistique, et pourraient se mettre à tourner en rond à jamais. 
Mais ce qu'un cerveau pourrait être à un cerveau, ceci attend toujours sagement. > 
— Eirin Wassem-Tórild, Potential Endgames for Western Theory of Art: From Silence to Vomit to Surgery and (Not Really) Back, 'Hommage à Sophÿe Kalash', Miðborg Press, 1994 (trad. personnelle), p. 113

 

9 sept. 2021

[Apz] L'injection de certains colorants précis...


« L'injection de certains colorants précis dans les tubes inférieurs aide à reconsidérer l'éventail de 'ce qui me dépasse'. Nous n'avons pas de temps à perdre, presque plus de temps à vivre »

 2021


#powertrip #explore #experiment #minuscule #mortal

#endocrines #panendeism #weird #rituals

15 août 2021

[Poé] "L’érosion toute solaire qui te ronge..."

 

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« Les satrapes allument ton phare à l'huile de roche et – tu le sais – leurs globes oculaires

Ont fait machine arrière dans les limbes cérébrales – maîtresse d'or – c’est pourquoi je ne te propose

Avant que tu n’assèches – maîtresse d'eau – le passage continu à l’au-delà – que d'inverser

Pour un éon* l’érosion toute solaire qui te ronge »

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— Anonyme, lithopalimpseste ; prière bactrienne dédiée à Omma-Pārvatī, contre le réchauffement global & pour la préservation des routes de la soie ; ~Ier siècle av. J.-C.**


* Si l'on considère que cette unité de temps non référencée mesure 2000 révolutions solaires, on peut dater le début du réchauffement climatique actuel et la disruption politico-économique et religieuse de l'Afghanistan du Nord à la fin de la période de grâce octroyée par la Shakti suite aux sacrifices accompagnant cette prière.

** Description correspondante pour un univers compossible à celui de la présente référence, sans équivalence, exclusivement.

#microfiction #académique #spéculative
#chimæral #polydoxy #dualgoddess

 


 

15 juin 2021

[Jet] Kael et Mega


« Kael réalisa soudain pourquoi Mega ne lui avait jamais reparlé.

À cet instant de la conversation, ce soupçon flash d'une gêne, ou quelque chose qui a déplu, quelque chose de soudain très déplaisant, lorsqu'elle avait parlé d'auto-hypnose et de son imaginaire débridé. Mega la tatoueuse qui écrit, la glorieuse Mega Ëkkli-Dassault, spécialiste de la déconstruction des mythes indo-européens, du zen occidental et des géométries sacrées, n'avait pas mordu à l'excitation de Kael pour "Lou Inishida-Wirtz, dite Kael, photographe-voyeuse de kinbaku-bi, graphiste hardcore lowkey, psychonaute praticienne si cool, et cætera" ?

Certainement très fière d'elle-même à ce moment, d'être au centre et par là ridicule – elle le ressentait après-coup – Kael désormais se flagelle. Honte, honte, son ton et sa manière de s'affirmer comme une personne qui montre qu'elle sait s'affirmer : "approuve – mon égale – combien je n'ai pas besoin de ton approbation, combien je comme toi me moque des modèles – oui ?... non ?". Faible Kael sur cet instant, sans bien savoir pourquoi, avait conclu à la Mega déplue. Mais maintenant elle savait : ce désintérêt instinctif pour qui sue mais prétend ne pas être en sueur. Ou bien ?

Car oui trop fière, mais bon, ça – et ça Kael tracassait depuis un certain temps – ça tout le monde qui est Mega, comme elle ou comme ça, et ça l'avait compris Kael depuis l'avoir elle-même vécu, ça, Mega-comme capable de passer par-dessus est. La sueur on s'en fout entre post-féministes, mais surtout : la gêne des autres envers elles-même, on la reçoit avec douceur. Et Kael du coup savait aussi qu'une personne qui s'aime depuis peu est attendrissante – et non risible – pour une personne qui s'aime profondément depuis longtemps. Attendrissante... et du coup, désirable moins ? Pas même une idole ce Kael qu'avait campé : une vitrine qui bave un peu – mais cute ? Seulement cute. Même pas si sûre.

Kael ne se souvenait plus si elle avait posé des questions, mais d'avoir beaucoup Kael-parlé, et d'autres choses. Par exemple d'un silence après l'une de – Kael – ces tirades à la première personne, un petit silence mais dangereux immédiatement – et là, sur un ton totalement habituel, avec un timing intuitif, vertigineux, Mega concise : "Tu disais que Vål prépare une expo là-dessus ?". Mega Gémeaux versée dans l'art du sauvetage, généreuse mais lapidaire, no bs, immunisée à tout cringe (par le haut ?), avait trouvé une ligne de fuite hors du portrait "Kael" que du Kael n'arrivait plus à se relever seule, sans l'attaquer, sans même la juger Kael – qui soudain se vit comme elle faut croire le fut : une bonne conversation sans même de déception (!), une personne classe (de plus ?), intéressante (sans plus ?) – une personne (?) vraiment intéressante. Kael : "ou bien elle se faisait juste un peu chier ce jour-là, fatiguée – genre, moralement".

Kael se sentit un peu con – mais pas trop. Elle ne pensa jamais qu'elle Mega aurait pu de Kael peur avoir, Kael lui fasse de l'ombre, ou lui semble trop crachée, etc. Elle se rappela qu'elle crut, au début et plutôt par dépit, sans trop y croire, qu'elle (Mega) avait pensé : "on se ressemble trop, ça ne marchera pas", ou même "je la ferais souffrir, mieux vaut ne rien tenter". Puis : "j'étais trop excitée sur le moment, trop expansive, c'est tout et ça arrive..." Puis encore : "C'est trop facile" – analysa Kael correctement.

Ce n'est pas mon discours qui a bogué, ni même mon désir évident, ni même l'énergie de mon excitation : "le je-ne-sais-quoi je sais c'est quoi", se dit-elle, "ce n'est pas un excès d'assurance extérieure, c'est un manque d'assurance intérieure, une manque de paix avec moi-même ? Non, c'est juste qu'elle voulait autre chose, ou même rien – il n'y a même pas eu d'échec, juste mon désir et elle qui était contente", hasarde à soi Kael, peut-être pour tâter ce que ça lui fait de pousser la dépossession prosaïque jusque là-bas. Tout le monde est normal : "Mega n'a rien de spécial, n'a rien dont j'aie besoin, donc fuck Mega, fuck moi, vive moi, et vive Mega ?"

Et ce que Kael – de Mega – réalisa soudain, fut la conscience claire et subite qu'elle n'en savait toujours rien. »


 

6 mai 2021

[MicroJet] Les chrono-sorcières


< ... à travers leurs expressions souriantes et leur bienveillance infinie, je crus ressentir que les chrono-sorcières étaient tout de même légèrement dégoûtées à l'idée de toucher une de leurs ancêtres – une mère-qui-mange-sans-accepter-d'être-mangée, qui se nourrit de ce qui se nourrit du Soleil – une étoile sans jumelle, encore si jeune et si... faible – si nécessaire à cette créature et pourtant ignorée par elle, cette fille antique et infantile, encore à moitié plongée dans les eaux sanglantes du Massacre originel : moi. >

☀ ☊ ♈︎ ☆

17 avr. 2021

[Kogi] At most like Sumerians: a truly powerful ideal


"We hope to help each other be good ancestors. We hope to preserve possibilities for the future."
— 'Long Now' Foundation Motto

With all our hearts, we hope we can become like Sumerians for some future.

Death is expected, collapse is highly probable, and from our point of view transmission is randomized. Pessimistic meta-induction & straightaway complexity do not allow us to believe we can choose what will survive, what will be buried or archived, what will be understood or become irreversibly opaque, what will be revered or ridiculed. Future things will not retain what we want or expect: it is a certainty.

We are would-be Sumerians at most. There is obviously a deep tension at the heart of this ideal: it requires that we have enough confidence in our capacity to know what must be done to preserve some futures over others, plus enough confidence that our values do have value for these futures, and simultaneously demands we acknowledge our deep inability to predict and ordain these futures, way past any short-term continuity or disruption. Such tension should be conceived as a feature, not a bug. We need to find ways to harness its contradiction to sharpen nihilism into a renewed rational History corrosive, decentered, prospective.

And then
– even for that small, unflattering, stochastic contribution we would needwe need to work incessantly. So much work. We first need to determine why continuity seems to be in the broad interests of the most singular, shocking or negentropic futures. We would then need ecological downsizing, social & geopolitical revolutions, monitoring public trends, corporate concentration & state abuse, &tc., &tc.

"Saving" this civilisation with deep reforms? In d
iagnostic and ideal, you be a judge among others: enter the arena. "Saving" ourselves to continue this "line of horizons" of animal consciousness, rationality, hedonistic self-modification? Or the transvaluation of human perspectives into less anthropocentric forms? Or knowledge, simply knowledge– aiming for the Mirror of the Real– its sentient, universal archive? Preserve, extend & weirdify lifeforms at different scales? Refine & continue the search for non-terrestrial, exotic phenomena? A truly ambitious, yet especially weak ideal. There is a drive for that– I'm not the only one to think– and it is unlikely to be enough...

We're very weak. Full of lethal contradictions & denial. Utterly ill equipped, both cognitively & emotionally. We produce a quantity of specialized knowledge that we are unable to synthesize, integrate and digest in a meaningful way. To say the least, there are conflicts of interests, conflicts of affective identification, conflict of ideals, psychosocial inertia, short-sightedness, oversimplification, and a plethora of sad passions. "Don't Let Them Immanentize the Eschaton", and so on. We exploit, we despise and we kill each other for a plethora of questionable reasons and questionable results. Rational compassion is needed here and now. And thinking about death, not unfruitful. Chemically, physically, and culturally, our imprint is volatile: our hard-drives will soon get corroded, and our reliance on some technologies are putting certain futures at risk.

At most, we will be nothing, but will have worked for the rest. We need to work so that things around us continue to drift away from what we are.

This is not spirituality. This is our madness, our sweet in/significant revenge in the only world we know of – and still know precious little about.

  #values #futures #UR #Chaldea

16 avr. 2021

[Apz] No black mark on a soul


< There is no "black mark on a soul", because there is no soul — or rather, "soul" is the name we give to certain black threadings >

2021


Survival of Avant-garde
, Tetsumi Kudo (1985)



15 févr. 2021

[Kogi] Le trick


« Le seul trick, c'est d'apprendre à reconnaître les meilleures productions, même dans les bas-fonds j'ai envie de dire, dans le mainstream, dans les classiques, partout tu vois. Aller dans l'éclectique, dans le passé, dans le futur, même quand tu cherches que à te divertir. Tu as vu quoi cette semaine ?
[Réponse inaudible, rires] Voilàà, parfait, tu suis tes chemins, mais tu autorises seulement le meilleur.

Et après tu fais des mauvais choix, tu ingères un truc nul, tu fais une soirée qui te ralentit, c'est normal, tu réactives de suite le truc, la prochaine fois... L'objectif c'est une sensibilité, à développer à force. À la fois tu cherches à te remettre en cause sur les préjugés et ce que tu aimes, et en même temps tu sélectionnes, mais sans pitié. Tu n'as pas de pitié pour toi-même, tu te compares seulement à toi-même, c'est dans Kingsman 1 je crois [réaction].

[Échange inaudible] Oui c'est un peu ça. Tu n'as de mépris pour rien avant d'avoir regardé. Et en fait ce n'est pas du subjectif tu vois, puisque tu intègres du collectif, tu t'appuies sur un jugement des gens qui a solidifié donc c'est pas que du subjectif. Donc ça répond à ce que tu dis. [Réponse inaudible]. C'est ça, tu passes les trucs au feu, sans rancune, tu confrontes les choses entre elles.

Tu écoutes pas les autorités, les critiques, tout ça, un peu hein, mais tu les prends pas totalement au sérieux tu vois. Tu sais quand les rappeurs disent "stay real", c'est à peu près ça, il y a beaucoup de ça [rires]. Tu écoutes mais c'est toi qui corrige ta liste. C'est pas un miracle, ça devient de plus en plus normal. Et à force tu ne supportes plus que le meilleur.

Tout ce que tu entends et que tu vois se transforme en or, parce que ton regard est devenu un laser. Un truc généreux pour les autres et aussi pour toi, mais très – très coupant. J'ai cherché dans tout ce qui me tombait sous la main tu vois, pour apprendre, vraiment.

Ensuite niveau travail c'est pareil, tu cherches une machine exigeante, un rythme, pas un déclic mais on va dire une série de clics, avec un niveau de plus à chaque fois. C'est
Bloodborne, c'est One Punch Man, c'est pas le destin. Tu cherches un environnement qui te force à faire les choses que tu repousses au Demain.

Il faut un vrai rythme qui fait que tu commences et tu immerges ton cerveau et tu réalises un peu, un peu, un peu... puis là tu laisses l'habitude se faire sans regarder. Sortir de ta zone de confort ? Totalement. Mais juste un petit peu à la fois.

Et puis il y a un moment où quelque chose arrive et ça paraît un peu fou – quand le projet arrive où tu te dis "c'est pas pour moi, c'est pas moi" alors là il faut passer à l'action, là il faut te dire que c'est le premier combat. Là il faut savoir laisser tomber les poids morts autour de toi – [question / réaction inaudible] – ah c'est sûr c'est pas beau de dire ça comme ça, mais je suis honnête...

Donc là tu te lances dans le truc de fou, tu dis "Ok, c'est fou ce truc, mais j'ai avancé, je suis partie". Et tu vas basculer dans des nouveaux milieux et l'équipe va changer, mais je te dis basculer, faut être pris dans le mouvement, et c'est la force des gens que tu rencontres, c'est elle qui va te forcer à dépasser ton art, et ce sera dur. Garde ton équipe de base pour survivre, mais travaille à partir des rencontres nouvelles.

Quand ce niveau là est acquis, c'est là que tu pauses, genre après le show, pendant la folie, dans les interstices presque. Tu réfléchis. Tu analyses. Tu prévois et tu planifies. Là tu fais pas l'erreur de tout donner ou d'être naïf – naïve pardon, là tu écoutes, tu poses des questions discrètement : comment ça fonctionne ? C'est qui les acteurs ? Il vise quoi lui ? Elle veut quoi elle ? C'est qui qui me prête ses moyens là, en échange de quoi exactement ? Discret. Sans freiner le mouvement.

Ici tu gardes les pieds sur terre mais le travail va s'intensifier, ça traite pas [trois tapes du tranchant sur le poing]. Ici ça aide aussi si tu peux limiter l'influx de "vitamines" [montre sa tempe]. Les relations qui te remettent sur terre, les vraies vitamines ok, les dopamines ok, le sport, le sexe, la douche froide, yoga et tout [rires], tu fais, tu fais... Whatever tes trucs selon que t'as besoin, mais limite la drogue. Tu sélectionnes toujours, sinon là tu tombes.

Après tu alignes tes objectifs, tu fais confiance aux systèmes que t'as mis en place. C'est du hasard aussi en vrai à ce moment. [Question inaudible]. Ça dépend... Moi mon expérience c'est que tu as toujours des choix, mais là ils sont cachés, parce que tout va trop vite. Et ce sont les autres qui assurent que tu ne pars pas trop en vrille, tu vois, et tu en as besoin pour voir les choix, limite changer de business ou mettre en pause si besoin.

Ça c'est pour les tricks. Et le game final, quand tu entres dans leur monde, tu vois, dans les chambres cachées... Le game c'est de savoir qu'il n'y a aucun jury au grand complet, aucune audience derrière tout ça, tu vois. C'est des gens qui sont tout aussi perdus, en vrai, encore plus quand ils pensent tout diriger. Ils vont vouloir te faire croire parce que eux ils y croient, beaucoup.

[Pause. Longue question] En vrai, totalement, il y a vraiment le pouvoir qui est là. Mais c'est distribué tu vois. Donc tu dis que ça change la vie des gens et c'est vrai, c'est vrai. Mais tu vois ce pouvoir il représente quoi au final ? Si tu le veux c'est pourquoi ? Et c'est là que tu pars dans un délire si tu n'as pas travaillé ton mental comme il faut. De ne pas prendre en sérieux leur autorité, le succès, tout ça...

Tu peux changer comment tu les vois et comment tu te vois : c'est des enfants, c'est des adultes perdus, c'est tout plat en vérité, tout le monde au même niveau.

Non de vrai, tu vas réussir quoi qu'il arrive. Un côté c'est ça : tout s'égalise, au fond. Genre il n'y a pas de vie ultime, comment dire... tu vas te débattre avec ça parce que tu ne veux plus souffrir, et tu as la faim qui ronge comme les autres petits frères, je t'entends, normal, ça n'a pas de sens. Mais après tu vas retourner ça dans ton esprit et tu verras que le game est infini et il n'y a personne à séduire au fond.

Donc tu acceptes de te mentir aussi un peu, parce que c'est pas vraiment un mensonge, tu vois, tu atténues le regret parce que tu sais qu'il n'a pas de sens vraiment. [échange inaudible] Ce que tu dis c'est comme, je sais plus qui a dit : c'est une grand victoire d'avoir tes regrets très clairs. Genre de savoir compter tes regrets sur ta main et ils restent là...

Il y a des perles authentiques dans ce système et dans l'individu. Ce système a les moyens de... comment dire... [faire ?] venir des perles, même avec le grand mensonge. Parce que là, je te cache pas, on parle du Système avec un grand S. Et ça fonctionne sur le mensonge.

Le mensonge de l'inégal tu vois, le mensonge sur les conditions de départ, et c'est pas un truc absolu – c'est pas non plus top-down, c'est accepté aussi, c'est nuancé, ça change, c'est un peu mieux ou c'est pire à l'entrée, et parfois ça chute, ça se distribue plus ou moins. Le mensonge va être caricaturé, et simplifié par beaucoup de gens. Qui vont fantasmer tu comprends, mais là je m'emporte ! [Rires]

Voilà jt'ai dit mon truc, à mon avis. Ce qui fait le trick pour moi, c'est que j'ai toujours été très ouvert mais aussi très exigeant, j'ai compris que le succès c'est à la fois le truc le plus réel et c'est un fantôme des méninges. Après chacun sa course hein. Ouais vas-y dis-moi ce que t'en penses– [...] »

Le trick, 2021

Image : Damso (photo Romain Garcin), non relié



 

14 févr. 2021

[Apz] "La seule chose que tu perçois (c'est ton propre dégoût)"


>> La seule chose q tu perçois avec dégoût en moi, c'est ton propre dégoût..(✓✓)
>> Celui que tu n'es pas encore capable d'interroger ou d'accepter 🙀 ne me mêle pas à ça stp... (✓✓)
>> Tu me dégoûtes un peu 😷 (✓✓)
– De Val, messages reçus sur une messagerie populaire, lus aux toilettes (01.02.21)

Image : Christian Rex Van Minnen, 'Born Bad', peinture à l'huile, 2013(détail, reproduction numérique via DOZE)


10 févr. 2021

[Kogi] Réactive, produite, vectrice d'erreur : modulations de mon "identité"

 
« Nous ignorons profondément ce que nous avons vécu, "nous-mêmes". Combien de situations dans lesquelles nous nous sommes trouvé.e.s par le passé peuvent être reconstruites et analysées ? Les dispositions nouvelles recouvrent les anciennes comme des draps opaques, sans les effacer, mais sans que les anciennes soient accessibles, du moins volontairement. Les choses apprises et intégrées teintent puis corrompent et transforment la perception du passé. Ce n'est pas seulement que la mémoire nous manque ou nous trahit, mais plutôt qu'elle sert des fonctions tout à fait différentes, qui ne sont ni le passé ni le rappel précis, encore moins la vérité : parmi ces fonctions, il y a celle de maintenir le sentiment de "l'identité".

L'idée de notre "identité", à défaut d'être simple, est généralement consciente – c'est-à-dire qu'elle surgit et traverse nos moments lucides. Elle est pourtant le produit de fonctions complexes qui elles ne sont pas conscientes, ou seulement partiellement, et seulement une fois étudiées, traduites et transposées dans un modèle conscient. Mon identité personnelle accumule des objets, humeurs et atmosphères qui reviennent, en lien avec des objets extérieurs qui sont identifiés ou non, avec ou sans efforts  elle surgit des comparaisons et des assemblages des souvenirs, tente de rendre les actions cohérentes en mêlant les désirs à des raisons sociales et les inductions causales à des valeurs qui me plaisent, largement capables d'y intégrer des rencontres, des changements et des aléas.

Le "moi" n'y est pas pour grand-chose dans la reconnaissance et la stabilité, bien qu'il soit parfois présenté comme la cause productive : au contraire, il s'agit d'un produit final et versatile dans un flux d'expériences aussi bien anonyme. On ne dira pas "premièrement anonyme" : c'est une question de perspective, mais cela seul suffit à mettre le savoir, l'identité ultime, et la possession totale en question. Notre cerveau et notre environnement soutiennent ces récurrences, et je défie quiconque de savoir qui elle est, qui je suis, qui "on" est, une fois ses amitiés volatilisées, ses objets disparus dans les bombes, ses journaux et ses messages partis en fumée, ses lobes frontaux ou son hypothalamus un peu trop secoués, et sa langue maternelle morte. [...]

À un niveau encore supérieur, nous constituons des histoires, des narrations, sur les modèles donnés par nos milieux, et cimentons celles-ci dans nos comportements, aidé-e-s dans les rencontres, des objets extérieurs, un environnement connu et familier. Nous comprenons naturellement que nous sommes produits de cette manière, et nous ressentons même parfois, dans les moments de crise, de douleur ou de changement, à quel point "nos" pensées lucides sont faites de réponses, de réactions, plutôt que de décisions et de créations, et à quel point "ma" personnalité est le produit de divers sous-traitements. Noms et prénoms, mythologies familiales et idéaux : rubans, élastiques et ficelles qui s'usent, changent de matière et se découpent. Des forces de tension que nous maîtrisons en partie. L'identité construite n'est pas malléable pour autant. [...]

Ce serait une erreur profonde de dire que 'l'identité n'existe pas'. Ce qu'il faut rétablir, c'est sa description, son mode de fonctionnement, sa relativité, et non sa réalité ou son importance. Même si elle nous amène à surestimer notre compréhension des choses, notre unité de destin ou de caractère, notre cohérence morale ou psychologique, et notre importance dans le monde, c'est une idée puissante qui possède une fonction réelle. En fait, le complexe de "mon identité" est puissant et réel parce qu'il est plastique, parce qu'il est capable de me faire surestimer mon auto-compréhension, ma cohérence, mon importance, etc.

Il n'y a aucun problème à parler de "qui je suis" ou de "mon" identité sous des formes dynamiques, complexes, aussi bien descriptives que productives. Ce qui est contestable, c'est la force ultime du "même", de son intensité : il faut insister sur la fragilité de toute identité au regard d'autres forces, et la dépendance absolue de cette identité face aux conditions psychologiques, écologiques et matérielles. Ce sont les impressions enflées de savoir et d'auto-suffisance qui accompagnent souvent l'idée de mon identité, et qui la rassurent, qui sont confuses et dangereuses. De même pour le sentiment d'appartenance : on ne conteste pas son importance (généralement) cruciale pour les forme de vie que nous sommes. C'est la domination de l'identité d'appartenance qu'il faut critiquer, en pointant du doigt les violences qui se produisent lorsque l'on croit trop fort à sa nécessité, surtout couplée à l'idée d'identité continue.

Parfois nous avons du mal à admettre la fragilité de l'identité. D'autres fois, c'est le caractère mélangé, subtil, partiel du "je" qui se perd dans l'image et le discours : après tout, ce compte-rendu en demi-teinte est suprêmement décevant. Nous pensons que c'est aussi pour tout cela que nous tombons dans une caricature ou dans une autre sur "qui nous sommes" : nous voulons une réponse plus frappante et plus tranchée à "qui je suis" : l'identité serait alors totalement irréelle et illusoire, ou entièrement plastique et malléable, ou directement reliée à l'identité héréditaire, culturelle ou familiale, ou au sentiment d'appartenance (tant qu'il est agréable), ou bien on cherche son identité profonde et cachée, ou bien on se rabat sur l'identité d'un type, suivant le signe astrologique, des symptômes, des tests de personnalité, etc. Les catégories sont utiles et nécessaire pour décrire, et même pour accepter que "tout le monde n'est pas comme moi". Mais elles ne se valent pas toutes, et surtout, ne sont pas suffisantes pour apprécier la multiplicité, l'incohérence interne, ou approcher la différence des autres de manière qualitative. [...]

Tout ce que nous avons, ce sont des continuités relatives, des élancements de l'image de soi-même, des collages et des raccords, eux-mêmes tissés ou déstabilisés par des échos, des impacts et des intuitions qui ne doivent leur existence qu'à un système de mémoires fonctionnelles, incarnées, involontaires, des mémoires nerveuses complexes qui doivent être nourries en continu pour rester fonctionnelles. Nous sommes extrêmement nuls et nulles, (encore) dépourvu-e-s de moyens fiables pour nous projeter dans des expériences qui ne sont pas proches ou profondes, en contact avec nos propres expériences mémorisées : nous sommes nul-le-s en différence. Notre ennemie est la surestimation chronique selon laquelle "mon" assemblage présent constitue l'ensemble ou la normalité, et la sous-estimation chronique des autres assemblages, que ces derniers "nous" aient été connus, ou se trouvent toujours-déjà loin au-delà de nos capacités d'imagination.

Cela ne signifie pas que nous sommes nécessairement seul.e.s : il faut vraiment se croire très spécial pour imaginer devoir être seul quoi qu'il arrive. Il existe des ressemblances physiques, des proximités de situation, des partages, des clonages, des systèmes d'uniformisation culturelle et de communication : après tout, c'est aussi à cela que sert l'identité sociale et à cela qu'aboutit le fait de la reproduction. Au-delà, nous arrangeons des moyens d'extrapoler, des langages nouveaux, des traductions, des implants, des opérations, et nous vivons des moments de crise, de mémoire vive et d'immersion imaginative. Mais ne vous y trompez pas : ce n'est pas la norme, ce n'est pas facile, et tout finit dans l'habitude, qui balaye ce que vous étiez (vous ne le croiriez pas !) et l'ombre des autres, au nom de votre identité.

Et si nous ne sommes pas souvent capables d'embrasser les multiplicités qui se succèdent au long d'une vie, comment serions-nous capables de dire ce qui est possible, qu'il s'agisse d'arrangements de temps, de corps vivants et d'espaces – qu'il s'agisse d'expérience sensorielle, affective, sociale, morale, esthétique, ou de l'expérience encore autrement ? »

Modulations sur "mon identité" (réflexions néo- et non-humiennes), 2021

img : Mutastaz, Invidation