15 févr. 2021

[Kogi] Le trick


« Le seul trick, c'est d'apprendre à reconnaître les meilleures productions, même dans les bas-fonds j'ai envie de dire, dans le mainstream, dans les classiques, partout tu vois. Aller dans l'éclectique, dans le passé, dans le futur, même quand tu cherches que à te divertir. Tu as vu quoi cette semaine ?
[Réponse inaudible, rires] Voilàà, parfait, tu suis tes chemins, mais tu autorises seulement le meilleur.

Et après tu fais des mauvais choix, tu ingères un truc nul, tu fais une soirée qui te ralentit, c'est normal, tu réactives de suite le truc, la prochaine fois... L'objectif c'est une sensibilité, à développer à force. À la fois tu cherches à te remettre en cause sur les préjugés et ce que tu aimes, et en même temps tu sélectionnes, mais sans pitié. Tu n'as pas de pitié pour toi-même, tu te compares seulement à toi-même, c'est dans Kingsman 1 je crois [réaction].

[Échange inaudible] Oui c'est un peu ça. Tu n'as de mépris pour rien avant d'avoir regardé. Et en fait ce n'est pas du subjectif tu vois, puisque tu intègres du collectif, tu t'appuies sur un jugement des gens qui a solidifié donc c'est pas que du subjectif. Donc ça répond à ce que tu dis. [Réponse inaudible]. C'est ça, tu passes les trucs au feu, sans rancune, tu confrontes les choses entre elles.

Tu écoutes pas les autorités, les critiques, tout ça, un peu hein, mais tu les prends pas totalement au sérieux tu vois. Tu sais quand les rappeurs disent "stay real", c'est à peu près ça, il y a beaucoup de ça [rires]. Tu écoutes mais c'est toi qui corrige ta liste. C'est pas un miracle, ça devient de plus en plus normal. Et à force tu ne supportes plus que le meilleur.

Tout ce que tu entends et que tu vois se transforme en or, parce que ton regard est devenu un laser. Un truc généreux pour les autres et aussi pour toi, mais très – très coupant. J'ai cherché dans tout ce qui me tombait sous la main tu vois, pour apprendre, vraiment.

Ensuite niveau travail c'est pareil, tu cherches une machine exigeante, un rythme, pas un déclic mais on va dire une série de clics, avec un niveau de plus à chaque fois. C'est
Bloodborne, c'est One Punch Man, c'est pas le destin. Tu cherches un environnement qui te force à faire les choses que tu repousses au Demain.

Il faut un vrai rythme qui fait que tu commences et tu immerges ton cerveau et tu réalises un peu, un peu, un peu... puis là tu laisses l'habitude se faire sans regarder. Sortir de ta zone de confort ? Totalement. Mais juste un petit peu à la fois.

Et puis il y a un moment où quelque chose arrive et ça paraît un peu fou – quand le projet arrive où tu te dis "c'est pas pour moi, c'est pas moi" alors là il faut passer à l'action, là il faut te dire que c'est le premier combat. Là il faut savoir laisser tomber les poids morts autour de toi – [question / réaction inaudible] – ah c'est sûr c'est pas beau de dire ça comme ça, mais je suis honnête...

Donc là tu te lances dans le truc de fou, tu dis "Ok, c'est fou ce truc, mais j'ai avancé, je suis partie". Et tu vas basculer dans des nouveaux milieux et l'équipe va changer, mais je te dis basculer, faut être pris dans le mouvement, et c'est la force des gens que tu rencontres, c'est elle qui va te forcer à dépasser ton art, et ce sera dur. Garde ton équipe de base pour survivre, mais travaille à partir des rencontres nouvelles.

Quand ce niveau là est acquis, c'est là que tu pauses, genre après le show, pendant la folie, dans les interstices presque. Tu réfléchis. Tu analyses. Tu prévois et tu planifies. Là tu fais pas l'erreur de tout donner ou d'être naïf – naïve pardon, là tu écoutes, tu poses des questions discrètement : comment ça fonctionne ? C'est qui les acteurs ? Il vise quoi lui ? Elle veut quoi elle ? C'est qui qui me prête ses moyens là, en échange de quoi exactement ? Discret. Sans freiner le mouvement.

Ici tu gardes les pieds sur terre mais le travail va s'intensifier, ça traite pas [trois tapes du tranchant sur le poing]. Ici ça aide aussi si tu peux limiter l'influx de "vitamines" [montre sa tempe]. Les relations qui te remettent sur terre, les vraies vitamines ok, les dopamines ok, le sport, le sexe, la douche froide, yoga et tout [rires], tu fais, tu fais... Whatever tes trucs selon que t'as besoin, mais limite la drogue. Tu sélectionnes toujours, sinon là tu tombes.

Après tu alignes tes objectifs, tu fais confiance aux systèmes que t'as mis en place. C'est du hasard aussi en vrai à ce moment. [Question inaudible]. Ça dépend... Moi mon expérience c'est que tu as toujours des choix, mais là ils sont cachés, parce que tout va trop vite. Et ce sont les autres qui assurent que tu ne pars pas trop en vrille, tu vois, et tu en as besoin pour voir les choix, limite changer de business ou mettre en pause si besoin.

Ça c'est pour les tricks. Et le game final, quand tu entres dans leur monde, tu vois, dans les chambres cachées... Le game c'est de savoir qu'il n'y a aucun jury au grand complet, aucune audience derrière tout ça, tu vois. C'est des gens qui sont tout aussi perdus, en vrai, encore plus quand ils pensent tout diriger. Ils vont vouloir te faire croire parce que eux ils y croient, beaucoup.

[Pause. Longue question] En vrai, totalement, il y a vraiment le pouvoir qui est là. Mais c'est distribué tu vois. Donc tu dis que ça change la vie des gens et c'est vrai, c'est vrai. Mais tu vois ce pouvoir il représente quoi au final ? Si tu le veux c'est pourquoi ? Et c'est là que tu pars dans un délire si tu n'as pas travaillé ton mental comme il faut. De ne pas prendre en sérieux leur autorité, le succès, tout ça...

Tu peux changer comment tu les vois et comment tu te vois : c'est des enfants, c'est des adultes perdus, c'est tout plat en vérité, tout le monde au même niveau.

Non de vrai, tu vas réussir quoi qu'il arrive. Un côté c'est ça : tout s'égalise, au fond. Genre il n'y a pas de vie ultime, comment dire... tu vas te débattre avec ça parce que tu ne veux plus souffrir, et tu as la faim qui ronge comme les autres petits frères, je t'entends, normal, ça n'a pas de sens. Mais après tu vas retourner ça dans ton esprit et tu verras que le game est infini et il n'y a personne à séduire au fond.

Donc tu acceptes de te mentir aussi un peu, parce que c'est pas vraiment un mensonge, tu vois, tu atténues le regret parce que tu sais qu'il n'a pas de sens vraiment. [échange inaudible] Ce que tu dis c'est comme, je sais plus qui a dit : c'est une grand victoire d'avoir tes regrets très clairs. Genre de savoir compter tes regrets sur ta main et ils restent là...

Il y a des perles authentiques dans ce système et dans l'individu. Ce système a les moyens de... comment dire... [faire ?] venir des perles, même avec le grand mensonge. Parce que là, je te cache pas, on parle du Système avec un grand S. Et ça fonctionne sur le mensonge.

Le mensonge de l'inégal tu vois, le mensonge sur les conditions de départ, et c'est pas un truc absolu – c'est pas non plus top-down, c'est accepté aussi, c'est nuancé, ça change, c'est un peu mieux ou c'est pire à l'entrée, et parfois ça chute, ça se distribue plus ou moins. Le mensonge va être caricaturé, et simplifié par beaucoup de gens. Qui vont fantasmer tu comprends, mais là je m'emporte ! [Rires]

Voilà jt'ai dit mon truc, à mon avis. Ce qui fait le trick pour moi, c'est que j'ai toujours été très ouvert mais aussi très exigeant, j'ai compris que le succès c'est à la fois le truc le plus réel et c'est un fantôme des méninges. Après chacun sa course hein. Ouais vas-y dis-moi ce que t'en penses– [...] »

Le trick, 2021

Image : Damso (photo Romain Garcin), non relié



 

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