28 févr. 2013

[Jet] Retour aux sources (1)


Et le prophète, haut, debout, prit la parole en ces termes :

« Que ma langue me soit étrangère ! Elle retourne au désert, où sont enterrés les trésors. Que ma langue me soit étrangère ! Les dunes séculaires sont fertiles, et entre elles, une forêt de phrases doit pousser

Parle mais tais-toi, tais-toi, et parle d'ailleurs : alors ils retiendront sans détenir, ils raviveront au lieu de s'endormir. Alors ils comprendront que l'on reçoit sa Langue comme on reçoit sa mort : à la naissance, d'ailleurs »


En entendant ces mots
je n'en revenais pas je pensai : « Voici donc l’avant-dernière étape de la traversée !... L’étrange printemps – la fonte des roches, la surprise des flocons ! »



Soudain, de la foule silencieuse, quelqu’un hurla : « Qu’est-ce que cela signifie ?! Nous sommes fatigués des images ! »

Je me levai et l’insolent eut sa réponse : « Désormais, le prophète ne s’exprimera plus qu’en récitant les paroles d’autres prophètes ! Lisez à nouveau ce que vous avez déjà reçu, relisez avec intelligence et foi ! » – mais déjà, une rumeur d’orage s’élevait du sol, et il n’y avait aucun nuage – et aucun vent ne soufflait. Toujours debout, le prophète se rassit. Je crus l’entendre soupirer, très faiblement.

Puis il se tut, donnant tous les signes de celui qui a dit ce qu'il avait à dire.

Mais la foule s’agitait de plus en plus, et la sueur de mon front dût changer de goût. Soudain, le grondement se tût et il y eut un silence aveuglant. On n’entendait que cette femme allaiter son enfant. Un garçon me fixait bêtement. Puis, voyant qu’il n’y aurait rien de plus concret pour aujourd’hui, on commença à se disperser dans le fond, penser à rentrer chez soi.





Alors lentement, très lentement, sans élever la voix, le prophète récita ce vers : « Nun weiß ich, wenn der letzte Morgen seyn wird – wenn das Licht nicht mehr die Nacht und die Liebe scheucht » – tandis que moi, son disciple et son scribe, je rédigeai la citation…

et dans ma vanité, je le confesse, je ne pus m’empêcher d’en murmurer la signature « Novalis »

Disciple du Silence, de la Parole et du Chant.

7e Anti-Parabole, Livre 3.



Post-Scriptum ~ Un seul bouquin pâle suffirait à remplir l'éternité de nos retours aux sources... Dire que les Anciens déposèrent des livres dans les livres, et des recueils de fête et de deuil, de folie et de recueillement, déluge de citations, notre peau craquelée devrait se ramollir, pourquoi ? Lire autour, avant. L’ossature musicale, du silence ? L’écouter 
  
Addendum ~ J'ai lu et relu. Je ne comprenais pas, car après la sécheresse, la pluie produit l'inondation. Manger des racines. Peupler. Réfléchir. Les pousses rares se multiplient. Au livre absolument plein, le retour n’est pas vain ou stérile, mais bloqué.

Seul un livre plein serait absolument silencieux, ou plutôt : muet

Retour aux sources (1), février 2013


Premier extrait d'un recueil en préparation, Les scènes mysthiques. D'autres suivront. Ce recueil de fragments fictifs explore comment réagit le récit quand on le mêle aux chants (ou cris) de la mystique. La poésie, bien sûr, n'est rien d'autre que cette expérience (...ou du moins le temps de cette expérience).


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