20 avr. 2013

[Kogi] Ce qui est oublié existe-t-il ?


J'aimerais pouvoir dire : "Ce qui est oublié n'existe pas"

Mais si je dois - en toute conscience - dire que "Cela n'existe plus", alors le "plus" indique un plus+ relativement au "pas"

Il y a donc un reste, une trace, un quelque chose (mais pas une chose pleine ni même partielle), un presque-rien évasif (mais non quelconque, non pas n'importe quoi, car ça m'importe !), une trace de chose : laquelle ? un arrière-goût : lequel ?

"Ce qui est oublié n'existe plus", je ne sais plus ce que c'est, je ne sais pas, mais pourtant... AH, c'était là pourtant, 'ce' était là, et ce était... quoi ? c'était quoi donc ? Comment puis-je donc savoir que "c'était" là si je ne sais plus du tout "quoi" ?

Je suis la piste, la trace... parfois je me souviens quel genre de quoi, quel type de quoi (un nom ? un titre ? un rêve, son contenu ? une mélodie ? un souvenir qui ne revient plus à l'écran ?) - ou alors, c'est qu'il reste un reste affectif, l'émotion d'une perte

La trace de l'oublié, la place vide, par sa forme et son manque - par son empreinte et son silence - indique presque un contour, parce que le vide ce n'est pas rien - encore moins lorsqu'il y a des points autour pour le trianguler, des vieux chemins d'accès

J'aimerais penser que je suis au contrôle, que "je saisis", je possède, je connais ce qui me compose. La vérité, c'est que je suis tissé d'absence, dans le sommeil et le réveil, dans la dérive des sons et dans les mots qui zappent : dans ma propre mémoire je dois apprendre à m'orienter, et comme elle change toujours, me réorienter, encore et toujours me réorienter, voilà tout

L'oubli est donc au temps vécu ce que la perte est à l'espace sillonné. Ce qui est oublié est comme perdu ou recouvert d'un voile. Ce qui est oublié se cache : parfois l'absence est flagrante, parfois c'est un oubli caméléon qui se cache et se fond dans d'autres formes, parfois c'est l'oubli d'évidence : ce qui est partout, tout visible, qui se dérobe au rai du moi, trop absorbé, inattentif ou émoussé pour garder l'oubli de sombrer dans un oubli plus profond encore, voire sa disparition radicale

Ce qui est oublié se cache, et appelle donc à être recouvré, re-découvert. Un jour qui n'existe plus appelle un jour qui n'existe pas encore. Entre-deux, le présent, c'est la présence de l'absent, dans les quêtes énergiques du désir, des biographies, des histoires, des trajets ou des clés (où les ai-je oubliées ? qui suis-je ? viendra-t-elle ? etc.)

Mais alors... ce qui est complètement oublié - ce dont je ne me souviendrais concrètement jamais (par paresse, par manque de transmission, ou même par maladie), cela existe-t-il ? Les disparus, tout oubliés, existent-ils, ou plus, ou pas ?

Hors de toute archive, hors de la mémoire actuelle ou même hors de la mémoire possible, au-delà du champ d'action d'aucune conscience, quel espoir de re-découvrir ? Quel espoir d'existence ?

Aucun, ces oubliés-finis n'existent pas, et ils ne peuvent pas exister, pas plus que le souvenir de quelque chose qu'on n'aurait pas vécu ! Pire encore qu'une perte absolument irréversible, les "secrets" jamais partagés, emportés dans la tombe

Non, positivement, je l'affirme : ils n'existent pas, bien que tout ce qui me vienne porte leur marque d'inconnu, et que tout ce que j'oublie soit leur chance

A moins que l'on espère en l'archive absolue - mémoire divine ou universelle - qui devrait retenir tout les faits, garder toute particule, et même revivre tout instant, toute durée, toute peur, tout frémissement, selon tous les points de vue possibles ! Vertige

Et c'est pourquoi en m'attaquant à l'oubli radical, au crime parfait d'une défection sans aucune empreinte, sans aucun vide, un abandon au-delà de tout résidu, l'anonymat ultime, cet oublié de tous les hommes, oublié même de Dieu (!), je ne sais (pas même) plus de quoi je parle : je ne sais pas de quoi je parle, j'ai au-delà-d'oublié

A tel point que
finalement, je ne questionnais rien...

pas même "rien"

avril 2013



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