29 sept. 2007

[CGS - Épi 5] Vers le sel sans la mer


         Salivant sur une espèce de balançoire suspendue entre cieux et terre, j’attends. Au centre d'une étoile à cinq branches gravée dans le sol, petit bug en puissance qui fera tout dérailler, qui s'invite à la fête et détourne la victoire, la transforme en défaite, d'une folle ou d'un fou qui prit mes sœurs stellaires pour dieux.

         Ma proie, dit le roi granulaire, granuleux que je suis à son altière personne première, doit être noble et se doit d’être affable. Je le décrète : il sera Apollon, ou elle sera Aphrodite. Rien de plus.

Car un royal appétit ne s’absente pas en oies, ni soles, repas frivoles, mais sustente ses ardeurs par des cris et des pleurs. J’ai trouvé la clef pour entrer dans la dimension supérieure, celle des dimensions décuplées, de l'indépendance connue à la matière, de la connaissance dont dépend la liberté. J’infiltrerai son corps par l’extérieur, je prendrai le contrôle de ce qui fait sa singularité. Je suis sur le chemin de l’unité finie – prêt à devenir un dieu humain, en prenant part à leur chair. Un quelqu’un entre soudain. Je me tiens coi. Il récite, je vois mal, j'entends peu, des vers ou jappe des strophes en l'air. Un souffle est abattu et me soulève en l'air, en l'air qui chauffe, je le happe, et dans sa transe il ne remarque rien. Je me hisse, puis me glisse sous ses paupières et suce dans un baiser visqueux le fruit de mon intrusion : des larmes, et salées.
            Je sens des picotements dans mon sujet nodal - le temps est ralenti - jusqu'à sa croûte - je m'incarne lentement, quelle sensation bizarre - mais le goût de la larme salée se décuple et m'envoie tout à coup des décharges d'une autre nature

            C’est une déferlante de vibrations dans le noyau que je suis, une cascade soudaine qui me fissure : « Mare, Ô Mare meum ! Des deux éléments supérieurs, j'ai choisi la chair ! Toi que je quitte, non sans adieux, dis-moi dans ton silence : est-ce déjà un vœu de retour ? » 
Le sel et les caresses aqueuses de ma mer, celles qui bercèrent de semblables larmes mes infinis innocents pas d’avant. D’avant le grand départ, d’avant, bien avant, des chars, des blockhaus, du sceau des algues et des seaux de plastique, des râteaux des petits, oubliés dans mon sein blond. La mer ! Que n’es-tu maintenant dans ces ersatz piteux que sont les larmes de ceux que j’agresse ! Mais c’est le coût du voyage vers l’Homme. Ah ! Que je raconte ! Que sont ces réactions mornes et glauques face à ton immensité ridée et toute parcourue des spasmes de la vie ? Pourquoi ne dois-je que me contenter de boire ces flaques tiédasses coulant d’yeux irrités, arides, amers oasis du souvenir ? Pourquoi mon voyage m’entraîna-t-il loin de toi, ô ma mère ? Comment as-tu supporté de perdre un seul, un seul de tes aimés ?
Un seul, oui car c’est seul que chaque point d’airain peut ce voyage accomplir (doit ? non, je ne crois plus au devoir - ma démesure démoniaque ne se postule pas universelle, encore que), mais tous car c’est de toi qui meure dans l’heure où je m’absente : de la dune où jamais rien ni personne ne décèlera le manque, tu la regardes toi comme une tombe, un mausolée, dès l’instant où l'un de tes enfants n’y grésille plus.

Frémis et grille sous le soleil ardent ! Car je ne me contenterais plus de gratter mes souvenirs, je me prépare à l’art et à la chasse ! La vraie césure qui casse, qui brasse les craintes de ses fugitifs, les y malaxe bien et enfin rompt ce fil ! Loin de ce qui me faisait croire à mon immortalité, je perds toute ma noblesse... Je comprends quelle autorité factice et vile je me donne ! En un assaut désespéré, sur les conseils du Faucheur Temps qui désormais aura toujours le dernier mot, mon ancienne nature quasi-divine a tenté d’immerger sous un masque d’Artémis, un personnage de finitude. Mais cette chasse et cette volonté de déchirer peaux et plaies n’est, je le reconnais, qu’une défaite. Mais... une défaite... nécessaire. De l’éther, de l'alcool sur les plaies de l’absence. Un mal, une défaite nécessaire... Peut-on dire fatale et ajouter vitale ? Ces deux mots riment-ils vraiment, ou êtes-vous trompés par votre langue ? A condition d’en rire vite sans pâle ou froid reflet : un vrai rire solaire et frétillant.
D’une vie qui rappelle encore une fois les courants et les océans qui te composent pêle-mêle ! Mer, ô je suis à toi ! Miel, ô oui tu l’es pour moi ! Et toujours se marieront dans nos familles apatrides et universelles des plages et des lagons tes couleurs sombres et argentées, avec mon teint hâlé et mordoré. Que tu sais si bien me cacher de tes reflets lorsque le spleen m’envahit, et que je suis de marbres quand tu glisses sur mon rivage blessé qui tantôt cède et tantôt t’aide ! Tout est atout en toi tant tu traces tes routes droites, tes sillages portant trésors, secrets. Secrètes, tes abysses aussi et qui sécrètent, ô mystère, de la lumière tout en traits d’or : et que je les suive ! Ton point d’or jusqu’en tes fonds césium, cobalt, comme les métaux que tu forges dans tes entrailles marins, suis les lumières que tu places pour lui jusqu’au point d’orgue (à l’infini, tant qu'à faire). Point de plus belles balises que ta chevelure, point de fuite vertical qui s'abolit lorsque nous sommes main dans la main, et courants : toi mon bleu inondé d'insondable, moi ton vieux grain jauni qui abrège son voyage ! Plus aucune brise traîtresse m’enlevant à ta tendresse, ni projets insensés de voyages au loin...
Je te promets que si je reviens un jour dans des contrées moins boréales, après avoir vécu et transmis à tous quelles peuvent être les acrobaties d’un ça (ou)blié, je m’en irai en toi et mourrai d’à jamais reposer dans ton verger le plus viergé !

            En avant donc, en route – je suis troué – je vais de l’avant pour aller en arrière – avant la prison, bien avant la chute, un état oublié, peut-être le ventre de la mer ou mes plages se délectent – peut-être est-ce un mythe ? Cessez d’attendre, ô vous souvenirs, et combattez-moi cet infect état de prédateur ! Je m’en vais pour vivre et je meurs, mais d’une mort nécessaire, alors... écoutez bien... Pour avancer la date et l’heure de mon retour, en avant toute et dans l'instant ! - pour mon amour, contre tout doute possible - tous parés, aux ergs, aux ergots, contre vents et marées !

            Au même instant, je sens une terrible excroissance sortie du néant fondre sur moi, et sens le roc solaire qui s'effondre par le bas - poussière légère que j'étais - en garderais-je des attributs ? - je souffre - c'est lourd -  tomber au sol dans une chute immonde

En l'air   je v ois    d es m illio n s d 'â m es qu i n'ont pa   s idée de la di stance

Choir tambouriner à l'ext érieur d'un corps dans l'insta n t où soi n'est nu lle part j'en crèverais

Dieu existe donc - je n'ai jamais entendu ce nom - j'oublie sa nouveauté depuis toujours
 Les idées formes pures je reçois ! Quelle allure prend le monde AH !
Mon reflet dans une flaque, je suis à terre
et j'ai mal
Je me vois pour toujours - premier contact av ec lui m oi  m êm e
Il est beau !? - je suis beau ! Bien choisi


            Pour la première fois de ma vie, je m'é vanouis - d'émot ion - et sous le poids nouveau - terrible - de la pression atmosphérique ! AAoh...

Nota [de l'auteur, ndlr] : Revenant sur ce discours après mon incarnation, je vois en quel côté il est biaisé, comme un méchant dé, un vœu bleu en surface, mais rouge vif du sang qui m'amenait à diriger son ardeur sur fond du voyage, de la conquête - en perspective du trajet du divers qui s'annonçait. Cette promesse n'était donc pas entière. Pourtant, je l'ai bien faite de tout mon cœur. Où cela cloche-t-il ? Ici : mon cœur n'était pas entier.
Je vis dans le voyage, puis dans la femme et l'homme (voyages incarnés, transitions), le sel sans la mer, plus que l'eau douce hors d'elle - qui, je le sens, est l'union verbale d'une union plus parfaite encore que celle de la chair, en peu de choses inférieure - mais l'incarnation venait de débuter


Extrait des Chroniques d’un gr*** ** s***e, Manuscrit 5 décrypté, Vers le sel sans la mer.

 écrit en 2007

Aucun commentaire: