29 sept. 2007

[CGS - Épi 4] Le choix de la chair


            Au loin, dans un désert, encore porté par des forces qui le dépassent (mais pas son ambition), on peut entendre le chroniqueur qui crie. Il est seul, individué dans l’inversion qui créa son départ. Voilà la première étape d’une métamorphose peu commune : qui vous savez, minéral, en un animal d’airain et son corps musculeux (relativement) – mais n’anticipons pas. La première étape est le choix de l'enveloppe et de la condition d'arrivée, du destin ; en quelque sorte le modèle par la race de ceux qui échappent aux vents et marées. Il crie :

            « AAH !! JE BRÛLE D'UN DÉSIR CONTRADICTOIRE ! JALOUSIE, ES-TU HAINE OU BIEN AMOUR ??! AMOUR TORDU, DÉÇU ?? AMOUR EXCLUSIF, RADICAL ??
AMOUR QUI SE DÉTRÔNE LUI-MÊME ! HAINE, PASSIVE DE SON AMOUR !
OH, QUE NE SUIS-JE QUI JE NE SUIS PAS !! »
[...]
« Au son de mes pérégrinations, deux cloches ont résonné à m’en faire perdre l’horizon. Sincèrement, sans appoint, j’avançais, dans le vent, anémochorie à mes heures. Lorsque s’éleva devant moi, l’un et l’une, doublement sauvages l’un et l’autre. Deux éléments, ces deux-là,  seulement, m’ont paru plus durs, plus forts, plus beaux que celui auquel j’appartiens. Chacun à sa manière m’a sonné d’anthologiques leçons, à m’en faire renier ma patrie !

            Je crois tout animer, je crois tout composer, quand enfin deux choses haussent les épaules. Quant à elles, elles ont l’une des yeux pour voir et l’autre des infinités pour subsister. Ces deux forces triomphent de la mienne et font naître en moi, c’est la première fois, le désir et le dégoût, car l’une est liberté et l’autre est dépendance. Je prie de concevoir, une vie avec l’autre, l’autre vit grâce à elle. Ou encore, des deux forces, l’une vit et l’autre non, l’une tout conquiert et l’autre est toute conquête. C’est presque vrai. Le paradoxe, c’est que le maître ait besoin du serviteur, qui le compose, et fait sa force, et que le maître détruise son serviteur. L’eau l’abreuve et l’homme dit « j'erre !». Lui déploie ses galères, canaux, barrages, galions, mais elle le compose à tellement de pour-cent que s’il ne l’absorbe pas au quotidien, elle l’asphyxie !
            Moi du minéral, des roches, des immobiles et des durs à cuire, de ceux qui reposent en paix là où même la vie doit se tapir, j’ai voyagé et j’ai trouvé qu’eux deux seuls reniaient l’hégémonie dont je m’étais un jour targué. L’homme est plus dur que mes atomes, et dans quelque mesure, plus robuste que mes étoiles : il me manie et m’articule, il exerce son savoir et ses devoirs à toute la création, c’est cette liberté-même.
            L’eau est pulsion, et spasme qui me transperce, elle me rappelle celle que j’aimais perdue et immense, qui gèle et brûle de sel et d’animalcules, elle coule et cycle frénétiquement, c’est cette dépendance-même. D’aucuns diront qu’elle a sa trinité, de formes ou de personnalités, qu’elle suit ses propres lois qu’elle est racine de vie, je leur répondrai que je croyais cela, mais que je l’ai quittée... et elle ne m’a jamais prouvé sa puissance. Son amour est peut-être là, présent autour de moi lorsque je sombre dans ses bordures monoxydo-dihidrogéniques. Mais son essence m’est étrangère et depuis que j’erre, c’est en l’homme et ses auspices que je me terre. La particule quittera sa terre et sa mer et s’attachera à son homme. Est-ce que cela peut être ? Et dans quelles circonstances ? Comment s’y attacher si aucun ne veut de moi ? Comment attirer l’attention du plus grand géant de tous les temps... Fausse question : il ou elle n’aura pas le choix.

             Mais surtout, à quel homme se fier ? Laquelle choisir ? Lequel séduire ? Qui donc pourra prétendre à marier la fille d’éternité, qui jamais ne se perds et jamais ne se crée, faire germer la graine du temps et l’enfermer dans un corps fini, délimité ? Fini d’enluminer, l’homme n’est parfait, et parfois laid, mais si aimable. Et si passionné... Tout sauf l’indifférence minérale. S’il l’avait, il serait un monstre plus terrible que tous. Je ne crois pas, du moins, je n’espère pas. L’homme, ce cristal qui façonne et cette poussière qui raisonne : tout s’harmonise dans son corps qui fonctionne comme un monde. Une planète rugueuse, perdue dans la brume, qui choisirait elle-même son orbite. Un univers chaotique qui s’harmonise mystérieusement, pour se dérégler quand il arrive enfin à être stable. Du plus jeune au plus vieux, je ne vois qu’identités, individus.
            Tous atomes de l’homme, ils sont tous différents. Dans lequel s’incarner, car c’est le choix de l’homme, d’être UN, d’être UNE ? Celle qui crache, celui qui danse ? Celui qui enduit son visage de miel ? Celle qui porte son enfant dans son dos, ou celle qui l’a près de son sein ? Le bel homme d’équipage qui prit la mer un mardi soir en rêvant d’or et de croissants ? Ou l’homme de la source, qui boit et pêche dans l’histoire insulaire ? Celui qui porte le casque des légions coloniales, ou celui qui a survécu, dont plus personne sauf lui ne parle la langue ? Comment trouver cet homme qui ne s’intéresse qu’à ce qui brille ? Dois-je briller aussi où y-a-t’ il un moyen d’attirer son attention plus longtemps que le temps des larmes qui me pressent, me pressent hors de son œil, dans lequel j’irritais, plus que ne séduisais. Alors que ces questions m’obnubilaient j’en oubliais ma trajectoire, j’errais photon pensif dans le monde sous-marin. Pourquoi là-bas ? Car vous n’êtes pas sans savoir que je m’use, lorsque le vent m’abuse et me frotte comme il veut aux aléas. Sous les cieux, le lot du minéral est d’être jeté au vent, lorsqu’il n’est pas en terre. Sous les cieux encore, il se forme pendant mille ans, et le feu ne l’atteint pas.

            Avant d’entrer dans le combat, point de luttes ou encore : tentations... Point d'ennemis avant d'avoir pris position ni leurs mains tendues comme des hameçons...  Quand l'occasion se présentera, je serai homme ou femme »


Extrait des Chroniques d’un gr*** ** s***e, Manuscrit 4 décrypté, Le choix de la chair.
 écrit en 2007

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