17 oct. 2011

[Loud!] Laconismes (Conrad Winter)


Quand sept ou huit mots suffisent à l'infusion violente, à l'intraveineuse poétique, au fix de significations, à l'introverdose possible, on sent venir à la première lecture que ce ne sera pas la dernière. J'y reviens souvent.

On enchaîne alors ce qui s'enchaîne si vite, et l'on n'y prend pas garde – ou alors, pour essayer de préserver la surprise. On se limite et on se rationne volontairement : micro-dosage littéraire et philosophique. C'est bon, c'est rare, il y en a peu mondialement.
Laconismes, je crois, se range facilement dans cette catégorie :

« paranoïa serait un prénom étincelant »

« chaque mot taille une marche »

Ces phrases volantes sont des charges, à tous les sens du terme. Des charges furtives, en apparence inoffensives, dont l'ironie et l'agressivité vitales se révèleront ensuite indéniables.
Laconie portative. Des charges sans majuscule ni suites, sans système, sans relations faciles à suivre. Comme souvent, c'est la quantité de la dose qui fait le poison (Paracelse). Des charges à s'administrer en cas d'urgence, à dose homéopathique, infinitésimale : ce recueil se fait chargeur, capable d'éliminer toute la niaiserie qui nage dans le cerveau d'un homme, d'une femme, etc.

 « les poings serrés autour d'une vocation »

« il y a des croyants qui achètent leur Bible chez l'armurier »

« le plus pervers de cette histoire est bien que "la vie continue" »

Parfois, on vide le chargeur sans regarder, avec rage et en colère, sans résultat, mais avec Winter, on ne tire jamais à blanc. Le danger est de croire que c'est inoffensif, que c'est seulement un jeu, qu'il n'y a rien de "profond" ou de "complexe" à construire derrière ces formules inégales. Bien chercher, relire, isoler celui-là, broder sur celui-ci, décentrer un troisième : tel vestige prétendument spartiate prendra soudain l'allure d'un coquillage qui vomit toute la mer, d'une clenche invisible ou d'un marteau vengeur.

La décharge poétique et philosophique me ramène à la même question : comment savait-il ? Non, vraiment, dans les cris et les larmes et les livres et la rue je n'obtiendrai moi-même de ma vie de telles poignées simples et claires de mots.

 « une question ne se pose pas, elle se soulève comme un couvercle »

« quand les pensées deviennent liquides il faut apprendre à nager »

Winter nous a livré un réservoir inépuisable de balles d'argent – plus ou moins réfléchissantes, plus ou moins teintées, quelquefois translucides, ciselées, bosselées, explosives – à faire feu sur nous-même. Parce qu'ici, c'est vrai, l'espoir n'est pas servi sur un plateau.

Laconismes, Conrad Winter, poète alsacien, lu chez BF (1996), avec, malheureusement, des illustrations de Tomi Ungerer qui ratent et raturent souvent le texte (je trouve). Citations mauves extraites du livre.

« la farine des éloges sera chassée avec de petites tapes »


Gunfight by Dannny
 

 2011

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