2 août 2014

[Kogi] Cendres du grand festin


Sur le caillou qui refroidit, certains nourrissent leur faim, certains en meurent, certains la désavouent. Tout cherche ou broute et mâche, érode, crache et recycle, et les restes, tonnes sur tonnes, emplissent l'océan. Les restes du grand repas, laissés pour plus tard, à réchauffer...

Usines automatiques, des changements de saisons, des bidonvilles et des chantiers à l'abandon. Des salles de bain marbrées, zen et high-tech. Ai-je rêvé ? Était-ce une bulle, l'engourdissement d'une réussite ? Étions-nous condamnés par la lenteur de nos gestes, par la rareté de nos ressources, ou par notre accélération elle-même, expansion si soudaine ?

Notre survie, pour quelques siècles à venir, travaille notre plasticité de l'intérieur. "Nous" ne serons plus ce que nous sommes, car nous ne sommes plus ce que "nous" étions. Descendants, déviants, mutants. Sélection, adaptations, préférences. Le grand festin ? C'est aussi celui des signatures génétiques, des facteurs et des valeurs de sélection. Je prie qu'une fois encore notre mémoire nous sauve, notre travail nous tire, notre imagination nous guide...

Si l'extinction des feux humains est aussi sûre que l'implosion future de leur étoile, le comment du pourquoi – l'image ultime, brutale, ou le dernier murmure avant le grand coma – reste incertain. Comment chercheront-ils à repousser l'inévitable ? Seront-ils pris de court ? Lent suicide collectif ? Cataclysme climatique, ou tellurique, ou orbital ? Exode raté ? Indifférence fatale ?

Ils rêvent d'aménager l'univers, mais le temps matériel joue contre eux. Ils survivront encore un temps, mais pour combien de pertes ? Et s'ils survivent au brasier de Sphère 1, devront-ils forcément exporter le festin ? Quelle alternative à manger, jouir et s'épuiser ? Produire, se reproduire et polluer ? Devenir autre, infiniment dérivés, embrasser la dérive, ou tenter son contrôle ?

Embrasser la dérive pour s'adapter, ou comme exploration, louange de la diversité ? En seraient-ils seulement capables ? Que donneront-ils ? Quels corps, et avec quelles valeurs ? Leurs cendres ensemenceront-elles d'autres mondes ?

À quoi bon, au final ?...
... c'est-à-dire pourquoi pas, après tout ?

Perdu d'avance, le combat contre l'entropie. Tout tend vers un désert stérile, tiède et uniforme. Et nous participons, irrémédiablement, à cette grande défaite cosmique en dévorant le monde, sachet par sachet, continent par continent, recyclage par recyclage. Combat perdu d'avance, et pourtant nous rêvons d'un sursis, le plus long possible.

Sauront-ils optimiser leur développement pour maximiser le temps du sursis ?


Certain-e-s d'entre nous rêvent d'étendre au maximum le foyer, l'incendie de nos faims, les conforts de  notre art. Et certain-e-s d'entre nous, déjà, cessent d'y croire et contemplent l'univers dans son étrangeté, renoncent à y participer selon l'expansion du festin et du foyer, de la maîtrise ou de la ressemblance humaine.
Est-ce là une perfection ? Ou un abandon prématuré ?

"Notre" foyer, "notre" aménagement, "notre" maîtrise, autant d'illusions historiques et illusions d'identité ? Que savons-nous de la continuité du soi, de celle d'une conscience d'espèce, de notre descendance ? Ce qui en sortira sera si différent... Et sa propre disparition si certaine.


Quelle attitude privilégier ? Quelle forme de projet, ou de non-projet ? Qui faut-il suivre ? Mais faut-il vraiment quelque chose ?
N'est-ce pas plutôt indifférent et neutre ? Il ne faut rien... il faut bien.

Qu'est-ce qui nous pousse alors, sinon la curiosité de l'ailleurs et de l'avenir, même lorsqu'on les sait impossible à assouvir ? Même assurés que ce n'est pas nous qui verrons la fin, que ce n'est plus "nous" qui verrons la fin ? Qu'est-ce qui nous pousse alors, sinon le savoir que nous aurons été un maillon d'une chaîne insensée, inhumaine, mais réelle ?

Oui, moi, être d'ailleurs, observateur du passé, je me demande : que donneront-ils ?

Leurs cendres ensemenceront-elles d'autres mondes ? 
 
 
 
 
cendres du grand festin août 2014

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