3 oct. 2025

[Kogi] Contre-attaque du "paradis sur Terre" (fragment postmillénariste #1)



À propos d'une idéologie politique ambitieuse et jugée utopique, on dira pour la discréditer qu'elle commet une erreur, une erreur grave et dangereuse : vouloir "amener le paradis sur Terre". Il s'agit parfois d'une pointe un peu vague, parfois d'une accusation précise, mais jamais d'une remarque anodine. Dans les deux cas, l'attaque consiste à dresser un mur invisible, barrant l'accès au Jardin défendu. Il s'agit de sacraliser, d'invoquer la vraie nature, les places, les temps et les prérogatives.

Et si ce reproche était absurde ? En commettant l'erreur de catégorie qu'il entendait dénoncer, inversant la charge de la preuve ? 
En semant le soupçon et la peur ? En faisant mine de s'inquiéter des risques, pour mieux disqualifier en bloc ? Et si ce reproche visait à protéger des dogmes, des traditions, des privilèges, quitte à justifier le mal, la douleur et la destruction ? Si cela était vrai, le paradis sur terre aurait mérité sa défense, ou même sa contre-attaque. Si cela était vrai, le reproche ne prouverait rien que la fragilité du dogme exigeant une défense, et l'inachèvement de la nature. Dieu sait combien souvent la foi dans la nature des choses a fait plier l'amour et l'imagination, combien souvent les certitudes sur l'ordonnance ultime ont été démenties.

S'ensuit pour l'illustrer une manière de dialogue — c'est 
entre "lui" et "vous" — dialogue facile, tendu et contre-productif, à tout le moins sincère.


Lui : < Vous dites travailler pour apaiser les maux et les douleurs du monde. Mais en visant le Paradis sur Terre, vous confondez la mission humaine avec l'au-delà. La perfection n'est plus de ce monde, et le suivant n'existe pas encore. Son avènement ne vous appartient pas. Cette confusion est idolâtre, et votre quête d'idéal deviendra l'enfer sur Terre. >

Vous : < Cette accusation ne me semble pas nécessaire, ou alors, elle nous semble insuffisante. Non seulement incomplète : il y manque même l'essentiel.

Si vous nous accusez de vouloir fabriquer l'au-delà ou de faire dérailler le plan divin, l'accusation est vaine. Rien de ce
qui peut être tenté dans l'histoire ne peut affecter l'ordre suprême ou influencer le miracle, comme vous le soutenez vous-même. Il ne sert donc à rien de nous accuser d'avoir commis une erreur de catégorie. Ce qui ne peut être matérialisé n'a rien à craindre, et ce qui l'aura été n'était ni transcendant, ni transcendantal. Nous décrivons des actes et des situations avec leurs conséquences mesurables : celles-ci ne peuvent appartenir à ce qui se trouve par définition au-delà de toute amélioration quantifiable ou intelligible. De même, tout ce qui peut ressortir d'actions ou tentatives concrètes doit nécessairement rester incapable de forcer les conditions de possibilité du sens, que vous jugez nécessaires — ni d'altérer cette finitude vénérée en tant que telle, pas même la réduire véritablement.

S'il s'avère finalement que les limites du monde pouvaient s'accommoder d'une telle utopie ou puissance, d'une telle transformation ou floraison, rien n'aura été retranché à l'Au-delà ni à Sa Gloire. L'immonde déchirure n'était qu'un tout petit dégoût, un défaut d'imagination. Votre erreur de catégorie, en somme.

Ni l'ineffable, ni les coordonnées conditionnantes ne doivent donc être protégées — on ne peut d'ailleurs pas plus les protéger que les affecter
. À moins qu'il ne s'agisse de défendre un archétype empirique particulier sous les atours du général, et que vous admettiez commettre  l'erreur catégorielle que vous semblez nous reprocher. >

Lui : < C'est vrai : vous ne pouvez pas invoquer le miracle ni le conjurer. Vous ne pouvez ni ralentir ni hâter l'Apocalypse. Ni le jour ni l'heure, etc. Lorsque vous dites : l'ineffable, l'inaltérable, le nécessaire... Je vous soupçonne de radicaliser pour forcer votre point, et sans y croire. Nous ne vous accordons pas ce point, et vous soupçonnons de vouloir nous pousser au blasphème. Nous ne déclarons pas que la Grâce est altérable, mais que la liberté inclut la possibilité du mal, la corruption active de la nature. L'abomination et le mal, à trop vouloir.

C'est donc la tentative qui est mauvaise, 
car elle est vouée à l'échec. Ce que vous allez faire, c'est pervertir le regard, le désir, l'adoration des hommes, et le cœur des plus jeunes. Il ne s'agissait pas d'un reproche théorique, mais d'une accusation pratique et d'une mise en garde sur la tentative. >

Vous : < Eh bien précisément. Puisqu'il est entendu que la tâche est possible d'un point de vue métaphysique, elle ne peut plus être rejetée en bloc. L'erreur catégorielle écartée, les soupçons se doivent d'être justifiés, et ils appellent un droit de réponse, de correction. Pourquoi, précisément, devrait-elle échouer ? Pourquoi la tâche ne pourrait-elle pas être perfectionnée ? Toute contrainte naturelle est stable, c'est-à-dire maintenue et déstabilisable, ou encore, malléable, née de contraintes et d'inerties — certes — mais altérables.

Vous ne pouvez plus vous contenter de déclarer que la liberté est corrompue, tout en reconnaissant des actes moins mauvais, et même bons, et même chez les païens. Quelles sont les limites à cette bonté, ses moyens interdits ? Comment fixer ses bornes, si la malédiction générale n'empêche pas l'amélioration particulière, et que les limites du possible ne sont ni en jeu, ni connues a priori ?

Nous n'avons encore rien trouvé de mieux que le dialogue et la négociation. Pourquoi ne pas tenter de nous dissuader plus sérieusement ? Vous vous refusez à donner des raisons propres à être évaluées à l'aune de nos plans et de notre ingéniosité. Vous prétendez nous accuser de vouloir créer des monstres, ou de préparer des camps de concentration. Mais cette accusation ne peut être gratuite. Nous ne prétendons pas réfuter vos doctrines par ce qui arrive dans le secret de vos églises et vos orphelinats. Prenez la peine de préciser en quoi consiste cet "enfer sur Terre", pourquoi ces projets et tentatives seraient concrètement vouées à l'échec, comment elles seraient illusoires, comment destructrices, et encore combien. Le concept le plus simple de progrès n'est pas contradictoire en soi, vous le reconnaissez vous-même en essayant de vivre des vies prospères, fermes et responsables, en attente de la fin des temps. Il est vain de reprocher sans preuves : la situation est délicate, l'affaire complexe.

Lorsque vous tentez de donner des raisons, c'est de manière péremptoire, par accumulation, sans souci de cohérence, et sans droit de réponse. À chaque correction, une nouvelle objection ! Aucune réponse ne saurait vous satisfaire, ni diluer la charge, ni être prise en compte. Vous démontrez encore une fois que la conclusion était déjà acquise : le projet doit échouer, ¡no pasarán!, contre-révolution. Vous avez quelque chose à protéger, et le cortex dorso-frontal fait son office.

Car le prix de l'échec n'est assuré que si l'échec est assuré. Et le prix de la réussite n'est inacceptable que s'il est plus élevé que celui de l'échec ou du statu quo actuel. >

Lui : < Les utopistes sont dangereuses. Elles sont dangereuses car elles se prennent pour Dieu, et elles veulent vivre sans Dieu. C'est la rébellion et la folie, l'orgueil et la puissance, l'anesthésie et l'hubris — la mégalomanie, le délire, et la rage de s'obstiner : leur obstination prouve qu'elles ont tort, et elles ne s'obstineraient pas si l'entreprise révolutionnaire n'était pas méchante et ratée. >

Vous : < C'est bien ce que je disais : vous en venez à dire que la preuve de l'échec et du mal se trouverait dans la tentative-même, sans autre forme de raison. Si cette manière de raisonner devait être acceptée, elle réfuterait tout ce qu'elle touche, à commencer par la morale, le credo et les traditions qui vous sont si chères. >


Lui : < Alors soit, s'il faut se contenter du langage des intérêts et des risques, et que vous n'entendez que le fini et le temporel, alors oui, je l'affirme haut et fort : ces utopies de femmes sont aussi dangereuses, moins par les effets visés que par le chaos qu'engendre le changement. Non parce qu'elles tenteraient de rendre le monde meilleur — mais 
bien trop meilleur, c'est-à-dire trop beau pour être vrai. Il s'agit d'évidence, et même de sens commun, plus que de discernement. Tout le monde peut voir cela : d'instinct, la révolte nous répugne et le changement nous effraie.

V
ouloir créer une société sublime dans laquelle règne le bonheur et la créativité, capable de s'adapter à tout ce qui pourra sortir de la solitude corrosive et de l'étrangeté délirante de la Nature, c'est se draper d'illusion et foncer dans un certain nombre de murs, dont celui de la nature humaine, déchue et bien connue. C'est refuser la sagesse de traditions ayant survécu aux siècles. C'est faire une erreur de catégorie, et prendre la promesse du Paradis à venir pour une production humaine à la mesure de nos esprits finis et nos cœurs malades, c'est vouloir "immanentiser l'eschaton", nier les temps de la fin, chercher à contourner la fin des temps, et tout cela, sans Dieu qui en est attristé. L'orgueil est le péché originel et la racine du mal, plus encore que l'hubris, et vous attristez Dieu. >

Vous : < Quitte à connaître les sentiments divins, voici mon humble certitude inébranlable : Dieu n'est pas triste, il inspire et soutient mon combat, glorifié par le passage à l'âge adulte et la mue des illusions, et l'amour que je vous porte.

Qui peut présupposer que les difficultés sont si rares et la complexité universelle si menacée qu'il faille les préserver pour préserver la possibilité des leçons de l'échec ou de l'humilité ? Qui peut assurer que la sagesse de l'expérience, l'effort de volonté ou la joie doivent nécessairement être accompagnés de neurodégénérescence, de génocide, de frontières ?
 Qui peut assurer que telle guérison est impossible ou immorale ? Qui peut forcer une souffrance à s'éterniser au nom du fait qu'elle symbolise ou conditionnerait l'essence de la libération elle-même ?

Qui décide des décrets divins, sinon Dieu ? Qui décide de la date et du lieu dont la vallée d'Armageddon aura été le symbole, pourtant inassignable... par décret divin — nous dit-on ? Qui confond le plus la lettre et l'Esprit, la cartographie et le message vivant de la prophétie ? Qui dira ce dont la Création est capable et par quelles révolutions cosmologiques devront passer les Temps de la Fin avant le rétablissement du Plérôme ?
 Après tout, le progrès politique, moral et panmorphosynthétique n'est-il pas l'archétype du Plan divin, de la théodicée rédemptive ?

Lorsque les tenants de la théodicée dépassent le déni théorique de la souffrance, lorsqu'ils appellent au respect de négations spécifiques, ils font de cette théodicée autre chose qu'un pansement métaphysique. En plus de préférer cette solution parmi toutes les autres, pour se rassurer (la théodicée est inepte sans la foi), ils deviennent complices du mal en question — une complicité bien souvent hypocrite. Ils s'exposent alors à la tentation et au bâton métaphysique, au lieu d'embrasser la voie royale de la perfectibilité cosmique.

Qui décide des formes de vie qui sont possibles et désirables ? Qui décide de placer des bornes à la paix, à la coopération, aux formes d'articulation du multiple, à la démultiplication des énergies, des synthèses — des types de types de capacités de synthèse ? >

Lui : < Le cœur de l'homme ne change pas. Vos élucubrations n'évoquent rien, et ne persuaderont personne. >

Vous : < Le cœur de l'homme... Bien au contraire. Des gènes mutants aux puissances de l'éducation, la Nature est trop vaste et trop peu immuable. Nous prenons aussi au sérieux l'histoire de votre propre religion. Du médullaire au multivers, il nous est apparu que votre notion de l'homme était simpliste et indûment figée, bien qu'utile sous certains aspects et héroïque sous d'autres, tout comme votre théologie, résolument anthropomorphe, et bien peu systématique.

Prenons, par exemple, la question du "propre de l'Homme" : ses derniers refuges, assignés par vous dans le but de préserver une exception et de clouer une identité
— comme l'absence d'instinct, la raison, le langage compositionnel, la conscience, la technique, l'imagination, l'art, la liberté... — sont pris dans les mailles d'un dilemme inévitable. Quand ces propres paradoxaux ne sont pas vidés de toute substance, ils peuvent être étudiés. Lorqu'ils peuvent être étudiés, la question de leur reproductibilité analogique reste définitivement ouverte. Quant à leur nature, ces propriétés sont rien moins qu'anthropophages, essentiophobes, xénophiles, et voraces par-dessus tout, en plus d'être distribuées dans le vivant effectif et potentiel.

Car nous ne sommes pas les seuls à goûter aux puissances de l'auto-affection, dont les effets rationnels et les raffinements rationnels prosthétiques n'ont de cesse de révéler l'hybridité originelle, puis de se démultiplier, selon les voies étranges de l'exodistribution, et la xénologie aux frontières incertaines.
Plutôt que de continuer dans cette démonstration, pour vous ésotérique pour vous — bien loin d'avoir pénétré le Zeitgeist ou la Kultur, même les plus progressistes — je répondrai autrement. Selon votre attitude, la tradition ne serait pas seulement véridique (combien de traditions récentes et simulées ?), elle serait univoque (combien de traditions rejetées, pour une seule consacrée ?), et ne serait associée à aucun risque propre (combien de prétextes à l'asservissement et la facilité ?). L'inverse n'est pas plus vrai. Est-il grave de confondre le connu et le possible, le corrélé avec le nécessaire ? Dans une certaine mesure, et parfois, oui : s'il était possible de préserver tout ce qu'il y a de bon, mais de renoncer à la maladie, à la bêtise, à l'indifférence mortifère et à l'extrême brutalité. S'il était possible d'associer et d'intégrer ce qu'on nous présente comme étant contraire ou incompatible, parce que ces choses l'ont plus ou moins été jusqu'ici. Les réconciliations théoriques de l'imago dei et de la modernité sont légions : choisissons la plus large et la plus ambitieuse en termes de valeurs évangéliques.

En d'autres termes, vos mises en garde nous affectent peu, car nous ne sommes plus contraints par votre imaginaire fixiste et la menace de l'inconnu. À notre corps défendant, les invectives des hiérarques sonnent creux à nos oreilles. L'inconséquence de votre intérêt pour la moralité nous rappelle trop le nôtre, si transparent, et trop humain. Le négatif fécond, nous le trouvons ailleurs depuis bien trop longtemps. Mas votre fatigue rencontre la nôtre, mais le désespoir n'est pas de mise : nous souhaitons encore avancer ensemble, c'est-à-dire dériver ensemble. >

Lui : <
 Ici-bas, c'est le péché, la corruption, et la mort qui règnent. Il ne s'agissait pas d'une mise en garde, mais d'un constat, d'une condamnation morale. >

Vous : < L'une ou l'autre, à vrai dire, on ne sait plus très bien, tantôt vous disiez le contraire. S'agit-il d'une inconscience des risques, ou d'un crime contre l'au-delà ? Nous en avions pourtant convenu : nous ne visons pas l'Au-delà, et si notre échec matériel est inévitable, alors sans coup férir, nous échouerons.

S'il s'agissait de nous dissuader par charité, ou d'éviter le mal, il nous faudra des précisions. La mort règne partout, dites-vous ? Laissez-vous mourir votre enfant, s'il a quelque chance d'être sauvé — ne faites-vous rien ? La corruption est intraitable, dites-vous ? À ce prix, contentez-vous d'annoncer notre échec, et regardez-nous échouer à la première étape. Nous n'entraînerons personne, comme l'évidence est toute entièrede votre côté. Mais je vous entends déjà proclamer à quel point le siècle est corrompu, et nos contemporains assoiffés d'être trompés, ou incapables du moins de voir ce qui cause leur malheur. Dans ce cas, pourquoi parliez-vous de sens commun ? Celui d'un idéal, de l'homme régénéré, que venait-il faire dans cette discussion ?

Si vous refusez de calculer les risques et conséquences d'une tentative infructueuse en comparaison des biens, si vous retirez votre mise en garde et vous contentez d'un constat, le mieux sera effectivement de nous laisser échouer : vive leçon pour toutes celles et ceux qui nous ressembleraient, pour toutes celles qui reconnaissent votre autorité. Le salaire de notre échec fera votre démonstration, justice et correction.

Nous vous demandons simplement de signer ce contrat stipulant que vous ne ferez jamais appel à ce qui pourrait découler de désirable de notre entreprise maudite. Pas d'inquiétude, vos descendantes ne sont pas concernées par ce contrat. >


Lui : < Les sciences et la technologie prétendent connaître et maîtriser, mais partout le mystère nous entoure. C'est le désert dans les coeurs, chaque remède produit une nouvelle maladie, et chaque découverte engendre mille questions impossibles à régler. L'utopie, c'est le progrès lui-même. >

Vous : < Le progrès dans les sciences, dans les arts et dans la critique des systèmes de production iniques et insoutenables n'a cessé de produire de la complexité, des nuances et des limitations internes. La rhétorique théologique qui s'oppose à l'utopie trouve un intérêt soudain pour la complexité et pour la prudence, lorsqu'il s'agit de préserver l'un de ses dogmes et décourager ce qui le met en danger.

Dans le cas présent, je ne peux pas vous reprocher de surréagir. Je comprends votre inquiétude : l'édifice entier serait en danger mortel, s'il ne s'écroulait pas sur la pente qui constitue sa force et sa plus vivante vérité. La pente qui mène l'Esprit à déchire le voile, à aimer au-delà du Temple, à éventrer le Temple, décupler le Visage, fertiliser la moisissure sur le cadavre de la Dyade... Aux choses qui pourraient empêcher cet écroulement et ces révélations, vous ne semblez pas accorder beaucoup de réalité ni d'intérêt, pas plus qu'aux molécules d'ATP qui infusent votre esprit : l'effondrement écologique, l'extinction lente, ou soudaine, le retour de l'état de nature après un long et horrifique déni — la forteresse Europe, les drones et les barbelés, le suicide intra muros...

Il est vrai, nous sommes dans le noir. Des prévisions échouent, peu tombent proches, certaines sont effectivement de véritables pertes de temps, un temps précieux : le temps des hydrocarbures qui restent, ou autre chose. Mais il est tout aussi vrai que vos mises en garde sont encore moins fondées que nos prévisions. L'échec des premières ne garantit pas la vérité des secondes, et si nous détruisons plus vite le tissu du vivant et du viable à mesure que nous comprenons mieux, alors admettez que le processus itératif et critique fonctionne, et faites de cette condamnation le coeur de votre appel.  En réalité, nous sommes déjà sur la brèche et nous vous avons devancé, pour votre survie et la nôtre. Nous vous aurions attendu en vain.

Bien peu, finalement, prétendent que la radicalité ou l'expérimentation ne produise que de l'idéal. Mais que produisent les systèmes apeurés, pervers et enclavés du pouvoir religieux ? Attendre leur bénédiction semble tout aussi dangereux, aléatoire, dans le meilleur des cas. C'est vrai, la Nature résiste aux tentatives de maîtrise. Pour un progrès, sept complications. C'est vrai, chaque confort et facilitation nous fragilise, en un sens, et augmente notre dépendance, le coût de la maintenance. C'est vrai, encore, que l'on puisse retrouver la baisse marginale du gain dans toutes les entreprises. Et qu'est-ce que le progrès, sinon la révélation des courants majeurs de désirs non-humains, humains et plus qu'humains, agissant hors concert, dans un chaos ambiant et dans l'amnésie collective ? Mais rien de tout cela ne nous a été donné par le respect pour l'ordre des choses. Tout cela aussi, les religieux se l'approprient, même s'ils l'ignorent. Réduire la souffrance évitable, multiplier les problèmes, inépuiser le spectre du possible — ce n'est pas rien. De la nature se synthétise, se dérive et protège, fertilise et fleurit. Nous harmoniserons les contraires, vous compris, dans le temps et sur l'espace. >

Lui : < Et si vous aviez tort ? Et si votre pari vous amenait à tout perdre, perdre l'essentiel, la couronne et la joie éternelle ? >

Vous : < La logique du pari a beau tenir, elle n'a aucun contenu doctrinal et n'indique aucune direction claire. Il faut faire le pari, mais la maxime à suivre est encore incertaine, à moins d'être arbitraire.

La meilleure manière de nous préserver des philosophes chrétiens, c'est de leur montrer que nous ne faisons pas de la philosophie. Je ne dirai jamais : "En vérité je vous le dis, le paradis appartient aux violents qui embrassent la source, digèrent la flamme, et traversent la nuée — e
n vérité je vous le dis, la meilleure manière d'éviter que n'importe qui immanentise son eschaton favori, c'est de travailler inlassablement à immanentiser le vôtre ex post de facto velocissimus." Ensemble, disons plutôt : "On verra jusqu'où ça peut aider, à la grâce de Dieu". Thérapeutique d'abord, et jeu ensuite, ou plutôt les deux simultanément, mais en proportion inégale. Question de rendement énergétique. >

Lui : < Nous étions là avant vous, et nous serons là après vous. Rien ne change réellement : ni le cœur de l'homme, ni la corruption du monde, ni l'incorruptibilité de la promesse. Vous êtes une ombre projetée par la Vérité, énième itération de l'idole grandiloquente — Lucifer — et de l'idole dégradante — Belzébuth.
 Nous triompherons par la simplicité du message. Vous surestimez la force de la raison : même si vous l'aviez de votre côté, vous perdriez le combat. >

Vous : < Si cela est vrai, nous ne pouvons rien contre vous, et vous n'avez rien à tenter contre nous. Étonnamment, vous
 tenterez tout de même : après tout, le doute hante le néocortex des croyants, aussi vrai que la foi hante le striatum ventral et le nucleus accumbens des incroyantes.

Car vous sous-estimez, à votre tour, l'influence des milieux et des machines, de l'amnésie et des expériences devenues familières. De facto, ex post, nous immanentisons. Et c'est pourquoi 
je vous l'accorde : ce n'est pas la raison qui infléchit les croyances, ni elle qui nourrirait l'engagement révolutionnaire... >

etc.


9 nov. 2024

[Poé] Bloombound


Tonight we ride the dark sea mares
Sail on the blazing manes of stars
For there is no one axis or kernel
No one single virtuous realm
Only the Myriad only the Million
The witching Ur pandemonium
Æden and Vorágine Zion and Carcosa
Rainbow fields of blasphemous light
Neverending vibrant meiosis of spirit
Tonight we diffract the ego cage
Sail on the blazing manes of stars
For the garden is we and infinite
Free of guards and full of rage [...]

Bloombound, Lamia Radiata, 1891

 





13 mars 2024

[Kwot] The Garden / No Island

 
"We are each others’ destiny."
« Nous sommes la destinée les unx des autres ».

  — Zero7, "Destiny", The Garden


"No man is an island."
« Personne n’est une île ».

  — John Donne, Meditations XVII
 

21 févr. 2024

[Kogikwot] It’s 10pm. Do you know where your data is?

 

[ENG]

< Repeatedly copied errors predate LLM’s, obviously, but I would hardly expect garbage-in garbage-out machines to improve things. [...]

"I've seen attack ships on" ¹ people lose access to online accounts and tons of irrecoverable data because they only realised their phone was everything 30 seconds after losing it. It’s 10pm. Do you know where your data is? [...]

I can see the appeal in a flawless pair of machine eyes, a brain augmentation to store data and so on. I would not do this because I know how long an SSD lasts and how much companies care about human beings. ² [...]

Shorn of its orientalism and tech fetish, Cyberpunk is a "vibe": I don’t mean its setting, which is generally a world choking on pollution (like Blade Runner), or incredible wealth disparity and the laws not applying to the rich (like the world beyond your screen).

I mean the sensorial feel — alienation and atomisation, individuals feeling powerless in the face of corporate behemoths and unable to form connection (ever been banned from Twitter for telling a nazi to fuck off or lost access to an email address? Good luck finding a human being to fix that).

That dissociative feeling knowing how bad everything is but having to put on a smile to work 8+ hours doing something you do not care about, trying not to notice the watchful eye of [...]

Soon, Netflix will not need to ask if you are still watching. >

— Molly Noise, (Cyber)Punk is dead [extracts, slightly reformatted], Blood Knife, 2023

[¹ Editor's note: reference to the famous speech of Roy the Replicant (Rutger Hauer) in Blade Runner (1982), "like tears in the rain", where "attack ships on the shoulder of Orion" denotes a horrible yet fantastical memory that will become "lost to time" once Roy kills himself and all rogue / free Replicants are exterminated. Here, Noise may be conflating the future-lost memories of Roy with the harrowing experience of losing scores of personal data and attached subjective memories, and the burning warships with the panic attack that follows the experience or the paranoia that precedes.

² Editor's note: cue de facto mandatory biotech analogous to compulsory smartphones from 2015 on, cue no more software updates for restorative bionics, subpremium tiers for neural implants saturated with ads, budget cuts & memory corruption, ideological tracking, etc.]
 

[FRE]

« La retranscription d'informations fausses est évidemment plus ancienne que les programmes de génération de langage du big data (LLMs), mais je ne m'attends pas à ce que des machines qui remâchent des idioties améliorent la situation. [...]

"J'ai vu des vaisseaux de guerre en feu" ¹ sur des personnes venant de perdre l'accès à des comptes privés et des quantités incalculables de données irrécupérables, parce qu'elles ont seulement réalisé que leur téléphone contenait leur vie entière 30 secondes après l'avoir perdu. Il est 22 heures. Est-ce que vous savez où se trouvent vos données ? [...]

Je peux comprendre l'attrait d'une paire d'yeux bioniques ultimes, d'une augmentation cérébrale pour stocker mes données, etc. Mais je ne le ferai jamais, parce que je sais combien de temps le hardware d'un disque dur reste opérationnel avant de se corrompre, et que je sais comment les méga-corporations traitent les êtres humains ². [...]

Dépouillé de son orientalisme et de son fétichisme technologique, le cyberpunk ressemble à une vibe, une atmosphère affective : et par là je ne veux pas parler de ses imaginaires et univers fictifs, qui sont pourtant ceux d'un monde étouffant dans la pollution (comme dans Blade Runner), et d'inégalités économiques extrêmes où les riches font la loi et n'y sont pas soumis (comme dans le monde qui d'étend au-delà de votre écran).

Avec ce terme, je veux parler d'un vécu sensible : l'aliénation et l'atomisation, des individus qui se sentent fondamentalement impuissants face aux léviathans comme les multinationales, incapables de formes des liens et de se connecter autrement (est-ce que vous avez déjà été dégagé-e de Twitter ou d'un autre réseau social pour avoir insulté un nazi ? Bon courage pour mettre la main sur une personne humaine qui soit capable de régler le problème).

Ce sentiment de dissociation quand on sait à quel point tout va mal, mais que l'on doit afficher un sourire en allant travailler pendant plus de 8 heures dans une activité qui n'a aucun sens, en essayant de ne pas remarquer ni attirer l'œil vigilant de la [...]

Bientôt, Netflix n'aura plus besoin de vous demander si vous êtes toujours en train de regarder. »

— Molly Noise, (Cyber)Punk is dead [extraits, traduit, légèrement remis en page], sur Blood Knife, 2023

[¹ Ndt : ici, l'autrice fait référence au discours bien connu de Roy le Réplicant (Rutger Hauer) à la fin de Blade Runner (1982), "comme des larmes dans la pluie", dans lequel Roy évoque "des vaisseaux de guerre en feu sur l'épaule d'Orion" parmi les souvenirs terribles et fantastiques qui le hantent. Les souvenirs bien réels de l'androïde fugitif seront perdus à tout jamais une fois que celui-ci se sera donné la mort, et que les autres Réplicants libres et rebelles auront été exterminé-e-s. Ici, l'autrice compare l'explosion des vaisseaux de guerre à la crise de panique, paranoïde ou traumatique, lorsque l'on réalise que nos souvenirs intimes sont condamnés à l'oubli par la perte de données ou d'archives personnelles.

² Ndt : il serait possible d'ajouter ici de nombreux exemples sous-entendus par les références de Molly Noise dans tout l'article, comme le fait que certaines biotechnologies ou modifications deviendraient de facto obligatoires pour posséder un emploi ou utiliser les services publics, comme avec les téléphones portables connectés après 2015, les discontinuités de service et de mises à jour pour des implants vitaux ou restaurateurs, des versions non-premium de la perception saturées de publicités, le traçage et le flicage d'opinions politiques, etc.]

30 janv. 2024

[Poé] Lamia déchire

 

< Lamia déchire — mon visage en quatre, déchire jusqu'à l'artère, l'hippocampe, jusqu'à la matière grise et à l'arrière, dedans, au fond, autour, alors, pendant et à travers ces choses-moment, visage en lanières de crâne, en faux-aléa, Lamia tu couds à coups de serres douloureusement,

dans le

Million, million là où la nasse à la naissance de mes pensées ne cesse de s'épouser, palpant l'anxieux et l'enviure, de reconduire les hypostases et désirs révolutionnaires, de transmission autotrophe en apoptose génétique, neurocidaire — Lamia, Lamia déchire, puise et révèle : et cætera. >


5 oct. 2023

[Kogi] Morsures par procuration


< Parmi les critères mineurs de la modernité, on compte l'extension révélative des phénomènes inédits et des entités invisibles, qui se mettent à incarner le principe de réalité de manière plus assertive et mortelle que les phénomènes séculaires et les entités proches ; ce qui n'empêche en rien le travail permanent des force de l'habituation et de l'amnésie, ni ne remet en cause les nombreux paradoxes et perversités du décentrement (imposé, survenu, érotisé, opérationnalisé, tordu, perdu, délaissé ou intégré...). >
— Wendy Thorzein, L'Empire, la superposition & l'exuvie : Essai sur la dernière modernité, 1999 (inédit)

 

 

20 sept. 2023

[Kogi] Drunken prompt idea for future music & music video generative AI


Partagé avec Vos ami(e)s

First prompt idea for future music and music video generation AI:

< Dua Lipa 2019:2023 groove x Charli XCX 2018:2022 dance bop rhythm and bpm x shemusic melodies and breakbeat bridges /or Reznor and Atticus Ross themes, Grimes 2016 x Poppy 2021 post cyberpunk devilish aggression girl vibe, two Azealia Banks rap verses extreme bpm, for video nastified Polyphia 2020 video general aesthetic, heavily mutated anthromorph 2020 era Instagram posthumanist sexy fictional band actively anime-arena fighting the fears of the West and the Middle and Far East in the fused visual styles of Arcane x Patlabor/Madox/GitS1 x Interstella5555 >
or just, you know,
< Björk x Monaé, kether emanations, surprising pop beat >


19 sept. 2023

[Kogi] Impérialisme passéiste : la version moins débile


Impérialisme passéiste et ultra-conservateur, la version "cool" : sortez vos résultats génétiques sur 12 000 ans, diagonalisez vos quotients de transmission culturelle multilatérale, factorisez les dérives, migrations, métissages et glaciations, et calculez vos taux d'appartenance stochastiques jusqu'au Paléolithique.

Les résultats sont moralement contraignants, la loyauté tribale quotidienne doit leur être strictement proportionnelle (jusque dans les catégories méta-éthiques et les modes de détermination réflexive — i.e. "penser Hittite à hauteur de 0.4777 points"), et doit pouvoir s'accommoder de toute révision scientifique et culturelle ultérieure. Toute autre méthode est illégitime et provoque l'ire des ± neuf-cent divinités impliquées, parèdres et cognats et théodescendantes inclues, hiérarchisée de manière contradictoire (très logiquement).

Tout échec de référence impose le mépris : vous n'êtes pas une vraie "vraie", votre identité mythique est factuellement débile, ni convaincante, ni même créative, et votre supériorité arbitraire est absurde (non, ce n'est pas pareil). 

Comme toujours, pas de polydoxie sans chimérisation, pas de chimères abominables sans hypérodoxie.


 
Figure : (visée illustrative, simplifié), détail populations indo-européennes et voisinage circa -4k/-1,5k antes hodiē.

Voir aussi : "L'Ève mitochondriale", Greg Egan (nouvelle), in 'Radieux' (recueil), le Bélial', 2007, p. 47‑80.

 

21 avr. 2023

[Kogi] Pensées Discordiennes #2

 

< Au vu de la mésentente théologique ambiante, il nous paraît hautement rationnel de conclure que la déesse du chaos et de la dissension est la seule véritable, et qu'elle ne demande pas l'adoration — ou plutôt, que tout être qui participe à la cacophonie loue Éris. Bien entendu, rien de tout cela n'importe : le préjugé pro-Éris est aussi faux que l'autre, et inversement. >

— Diane Errata

 

16 avr. 2023

[Poé] Semi-sacred


Of the cosmic and the weird
Semi-sacred geometries
The dream that lives and grows
We need more than deconstruct
For we need new geometries
New rules for new organs


24 mars 2023

[Kogi] Χάρυϐδις / Πρωτεύς / Yδρα


Par Charybde, j'entends le décentrement ultime et vertigineux. Par Hydre, j'entends l'intensité déchirante de chaque complexe de valeur vécue.

Et par Protée, j'entends l'enfant des contraintes plastiques qui raisonne et joue entre les deux.


Χάρυϐδις / Πρωτεύς / Yδρα

 

[Kogi] Méta-perspectives : une poignée de


J'avais la tête qui tournait à force d'alterner si violemment et si vite entre des perspectives ontographiques si différentes... Il y avait...

Moi et nous et le reste : quelque chose de commun et quelque chose de variable, du ressemblant, du divergent, superposés, en parallèle, entre ces squelettes et le mien, ces chimies et la mienne, etc. (Astronomie comparative)

Moi et l'ombre du reste : ma spécificité située bloque toute extrapolation, et la mémoire elle-même n'intègre aucune altérité, rien ne peut me sortir du "moi-même" présent (Soleil aveuglé)

Le Tout est Moi est Tout : rien ne transcende le Tout, que je vise en tant que tel ou que Je suis, que j'épuise ou dont je participe, et les différences se dissipent à travers cette visée abstraite (Sol Invictus sive Natura)

De l'autre en-deçà et après moi : quelque chose échappe radicalement à cette ratio, qui peut modifier les structures et conditions du vécu mais non éviter ses ruptures (Éclipse Phase, Alchimie astrale)

Envoyé depuis mon Iphone.

 

7 mars 2023

[Kogi] Du luxe d'être centriste aux conditions de subsistance


Partagé avec Vos amis

< Il y avait une époque où j'avais le luxe de me revendiquer "social-démocrate" par esprit de contradiction, par honnêteté de classe, pour explorer chaque mauvaise manière d'être centriste, m'assurer qu'elle est bien pire que la précédente.

Maintenant il me faut de l'énergie pour ne pas saper mes moyens de subsistance en parlant d'action directe et de perversité théorique dans la mauvaise réunion... >
 

Val, en plein épisode de perversité théorique, hier soir, Webex by Cisco, 2023

 

4 mars 2023

[Kogi] Comment être sûr-e que "Hegel a raison" sans l'avoir lu (!?)


Partagé avec Vos amis 

< Une intersection (ou une phase) de mon cerveau est totalement convaincue que Hegel a raison sur la bonne manière (antiphilosophique) de saisir l'agencement évolutif du réel, du monde et des coordonnées transcendantales, tandis qu'une autre "me" rappelle (au séphirah "moi" périphérique) que "on l'a pas lu" [...] >

Val H., Webex by Cisco, hier soir, 2023

  

24 févr. 2023

[Poé] À monde perdu : mal du désir


 {Murmuré en français avec accent anglais, style pub de parfum :}
 
M Y R I A D I C

U N D E S I R E


 {Lu sur un ton familier, sérieux, ni grave ni affecté, sans lenteur :}

« Dallée de métaux rouge pâle et luisante comme du métal terni, désir bleu pâle dans l'œil luisant comme du métal terni, déserte et quasiment rose l'allée de sable devant elle s'y avance, telle une coulée de métal terni, tiède et luisante (etc.). [...]

Dans la foulée du sable tiède Chloé se sentait toute partielle, profondément vaguelette, comme vaguement dépressive dans les embruns opale tièdes et tout le tintouin. "Allez ma belle." se dit-on, coulante et ternie, écrasée quasi-suante face à son désir-myriade : "C'est bien, c'est que dalle mais c'est bien." se dit-on à sable rose, à déter, à métaux verts, à monde perdu. »

— V. W., Extrait de L'autre mal dont Chloé fut atteinte (2004, Cassiopeia, à ne jamais paraître).

 

 
Images : Min Yum ; LANDSAT.

21 oct. 2022

[Kogi] < A desire to live in this world [...], as generously as possible... >


< Do not deprive yourself of this yearning, if you can: a desire to live in this world, the world that constitutes us, the world we — partially – make up, to participate as long as possible, as generously as possible, as curiously as possible, to explore some part of the MYRIADIC HYDRA,
to translate, to share and be shared; one anomaly among millions, equally unequal, colourful mindlacking drones, chordate or not, cabled or not, carbon-based or beyond [...].

This most alchemical desire towards the tangled and the labyrinthine – barring agony, suffering or despair... and also barring itself, for it is corrosive & antithetic – do not deprive yourself of the quotidian search for more. >

— Winnie Bull-Smithson, No Rebirth: Letters, Collected Writings, 1983



[Kogi] Pensées Discordiennes #1


< La croyance selon laquelle l'ordre habituel est le seul possible, le seul vrai, liée à la croyance que l'ordre est bon et le désordre mauvais : voici le premier aveuglement. Nous l'appelons illusion anéristique – le préjugé anti-Éris. La croyance selon laquelle l'ordre est nécessairement mauvais ou oppressif, liée à la croyance qu'il serait mieux ou même possible de se débarrasser des structures, des notions d'ordre et de désordre : voici le deuxième aveuglement. Nous l'appelons illusion éristique – le préjugé pro-Éris.

Confondre tel ordre avec le Réel, confondre tel désordre avec le Chaos, revient en réalité au même : le désordre est l'envers d'un ordre, un résidu et un corrélat, une variante dérangeante du résidu de tout ordre. Chaque ordre est un découpage, un ensemble de filtres et de traductions qui laisse nécessairement de côté certains aspects du Réel, qui creuse des points aveugles. Chaque ordre exprime le dynamisme inépuisable du "Chao" originel, sans pouvoir le circonscrire ou l'épuiser. Il n'y a pas de symétrie entre l'ordre et le désordre, mais c'est en quelque sorte l'ordre qui donne son "informité" au désordre.

En vérité je vous le dis, l'ordre comme le désordre dépendent de la grille et de la forme de "vie", et nous ne pouvons pas faire sans grille, pour la bonne et simple raison que "nous" appartient à la plus banale des grilles. Et selon les structures, voici un ordre et un désordre, et selon d'autres xtructures, voici un ardre et un désardre, et ᠪᠤᠰᠤᠳ ᠪᠦᠲᠦᠴᠡ ᠲᠡᠢ ᠬᠠᠷᠢᠴᠠᠭᠤᠯᠬᠤ ᠳᠤ ᠥᠭᠡᠷ᠎ᠡ ᠨᠢᠭᠡ ᠳᠢᠭ ᠵᠢᠷᠤᠮ ᠪᠠᠶᠢᠳᠠᠭ...

Et nous n'avons ni une vision claire de l'espace de phases des structures, ni celui des critères, analogies et traductions. Pour le moment, nous pouvons simplement éviter les formes les plus basses de l'illusion anéristique (premier aveuglement), les formes les plus basses de l'illusion éristique (deuxième aveuglement), pour mieux respecter Éris, la folie et l'impureté de son culte.

Nous avons tout au plus une dialectique sans direction, sans principe, sans kénose ni hénosis, une mystique du monde, un mouvement immanent, analogue au mouvement quasi-aléatoire des molécules, à travers la multitude kaléidoscopique des corps et des psychismes, des voiles qui sont aussi des voilures, etc.

Et sans obligation, bien sûr : cette logique du paradoxe est une structure parmi d'autres, aux côtés de mille dogmes & des mille trajectoires. De même la dissolution de l'égo, à laquelle l'Érisianisme ne prête aucune force normative particulière, aux côtés de l'identification affective. Tout au plus peut-on dire que l'Érisianisme prône que ces structures ne reviennent pas au même, et que "jusqu'ici, une logique a l'air de subsister".

L'indifférence d'Éris au regard de ses adeptes, qu'elles soient maîtresses Zen ou non, qu'elles soient des Mames ou qu'elles s'ignorent, n'est rien d'autre que le mystère du nouménal (Réel, Chao), en tant que concept vide. Le chaos pur n'est pas un désordre, ni un concept dénotatif, mais une simple opération de négation grammaticale. En échouant à désigner ce qu'il vise, ce concept ressemble aux machines mystiques traditionnelles. Mais ce moteur (engine) fonctionne pour rire, et préfère la légèreté : "Éris" peut nous faire rire, et d'Éris "nous" pouvons rire. La forme du kōan est bien pratique, avec le tétralemme, la traversée des noms, et autres ritualisations d'origine védiques, bouddhiques, soufies, ou autre. Rien de moins Érisien que d'idolâtrer Wilson, Crowley ou Goldman, les préjugés ou la forme de leurs pratiques.

L'Érisianisme ne prend pas trop au sérieux ses propres instructions ni commandements parce qu'il les prend très au sérieux. Cette ironie n'est pas une logique supérieure, mais une attitude libératrice et une pratique, en vue d'une maîtrise agnostique et performatrice des ordres. Dans sa forme spirituelle et son contexte d'inception, la blague sied mieux à la quête et la formulation des "méta-vérités" que la version (méta-)rationaliste.

Nous arrivons à la fin de ce deuxième chapitre. Bien entendu, à mesure que je l'ai formulé, j'ai douté de manière systématique de chacun des points qui le constitue, et renié 44% de ce que j'avais déposé sur le papier. Je suis, après tout, unx Xaxe discordiennx relativement orthodoxe, ou au moins encore pour un temps. La Déesse prévaut. All Hail Eris. Fnord. Peace oût, see you on the next one. >

— Diane Errata, Discordian Thoughts, tr. personnelle, 20??



1 oct. 2022

[Kogikwot] Chère Hana / Il me semble parfois que l'avenir...

 
< [Chère Hana],

Il me semble parfois que l'avenir de nos réussites collectives transporte un message plus dur encore à supporter que le futur de nos échecs : nous nous battons pour être l'ancêtre inepte de la fable, tout au mieux, l'ancêtre de quelque chose d'autre qui n'aura pas le même regard, ni la même peau. [...] [Et pourtant] je mènerai ce combat, car tout n'est pas "bonnet blanc et blanc bonnet" *. La puissance de la vie en moi souhaite ardemment rendre la maison plus {étrange} **. [...]

Prompt rétablissement,

Ton Eugénie.
>

— Evženie Navrátilová, La loi des autres : Correspondances 1887-1915, tr. fr. 2007 ; * en français dans le texte, ** peu lisible, peut-être {zvláštní}.



 

30 août 2022

[PWR] < On peut bien noter trois genres de conflit idéologique... >


< Bien sûr, in abstracto, on peut noter trois genres de conflit idéologique
: 

Certaines idéologies sont en compétition mortelle entre elles parce qu'elles se réfèrent à des tribus, des groupes ou des classes spécifiques, et sont portées l'une contre l'autre par l'élan ou les circonstances, alors même qu'elles seraient entièrement similaires quant à leurs contenus, leurs valeurs ou leurs traditions ;

D'autres sont en compétition mortelle précisément parce qu'elles ont des visées universelles, mais qu'elles divergent de manière fondamentale dans leurs contenus, leurs principes ou leurs idéaux, ou encore, sur leur diagnostic du réel et leurs priorités ;

Enfin, toute idéologie sera le théâtre de compétitions mortelles concernant ses propres frontières, les développements logiques et les réformes de ses modèles, ses moyens valables et stratégies efficaces, ses priorisations idéales et conditionnelles, ses choix d'alliance ou ses voix légitimes.

Enfin, le fait que tout conflit idéologique concret ne peut être qu'une combinaison particulière de ces trois genres, sur des instances toujours-déjà décalées ou mensongères de leur allégeance déclarée, avec les paradoxes apparents qui s'ensuivent.

Mais de manière évidente, cette tripartition n'a aucune importance ni aucune portée pratique pour moi
c'est par les rapprochements, les alliances et les négociations vivantes et impropres qu'il faut commencer l'observation des cas, l'apprentissage, la vectorisation des trajectoires et leur intelligence.

C'est dans le jeu des identifications affectives, des croisements d'intérêt, des retournements, des conséquences historiques véritablement illogiques – compréhensibles et rationalisables, mais non dictées par la cohérence, et c'est sur elles qu'il faudra se baser jusque dans l'action... >

—Wendy Thorzein, conversation privée (mise en page), 2012


   


31 mai 2022

[Apz] Lost futures / Les portes closes



< The gates have closed: we won't get back the forbidden futures; but not because they're forbidden... >
 
« Pour nous, la porte des futurs pervertis se ferme pour de bon ; mais ça n'est pas la faute à la moralité ! »

——
Eirin-Tórild Wassem, 1997
 


16 mai 2022

[Kogi] Langue de base, arsenal courant, différents genres de différence


< La différence entre différents genres de différence n'est pas le fort de notre langue. Nous n'avons même pas de terme pour parler de ce qui est discret sous un aspect et continu sous un autre, ou inversement. Pour rappeler le simple fait que la dissemblance et la ressemblance peuvent s'enchâsser, se rejouer, dévier ou s'invertir dès que l'on change un tout petit peu de niveau, de grain, d'échelle, de contexte comparatif et/ou d'intention, il faut pondre un paragraphe entier, paraître "philosophique" et marcher sur des œufs.
[...]

Attribuer un signe propre à une réalité revient à la reconnaître ; en l'absence de nom, nous doutons de la chose. Le fait d'avoir un seul signe pour parler de réalités multiples les écrase et les confond. Qui de nous oserait encore dire qu'il s'agit de "bêtes effets psychologiques" ? Qui prétendra leur échapper ? Nous devons réapprendre les contraintes de la production conceptuelle, une production vraiment néologique, réinventer ses outils, ses chances et ses dangers [...]

"Poreux" : oui, mais quelle porosité ? Les notions de force, de vitesse de variation, de seuils de rupture, de progression non-linéaire, de pourcentage de dis/similitude, de moment, d'attracteur, d'espace de phases, d'influence réciproque ou de boucle de rétroaction sont encore réservées à des spécialistes cloisonné·e·x dans leurs champs. [...] Si nous commencions à user de ces notions au quotidien, il deviendrait de plus+ en plus+ facile d'en identifier les formes dans les perceptions et les flux de la vie. Des enfants se révéleraient "soudain" capables de les maîtriser. [...]

Que se passerait-il si nous pouvions simplement intégrer des échantillons, des intensités et des gradients au vocabulaire conceptuel de base ? Si des formes d'appartenance plus subtiles que l'inclusion et l'exclusion logiques formaient la base de la grammaire basique apprise dès l'enfance ? >

— Wendy Thorzein, "Whereto simplexity?", intervention fictive @ 'Tools of Posthuman Rhetorics Symposium (Fourth)', 2020, tr. pers.


Photography: 'Sporal', Mimosa Echard (thumb.)

 



30 avr. 2022

[Kogijet] Le rêve éveillé (variation)


« Lorsque vous rencontrez votre double en rêve et qu'ellil n'est pas surprise, lorsque vous saisissez que ce n'est pas ellui qui endosse votre peau mais bien vous qui aviez — depuis longtemps — usurpé la sienne, la terreur et le soulagement deviennent indissociables, comme la honte et la fierté d'être ce qui vous dissout : cet égo acceptant sa propre mort — la plus commune de toutes, celle du changement intime, des mythes comme le souvenir, la survie ou l'intérêt d'autrui, et qui accepte aussi les inerties les plus violentes, lorsque l'identité aura été ce qui enferme —, affect indescriptible d'être à la fois cellui qui naît et disparaît, de cette survie qui n'en est pas une, de cette mort qui échoue à s'identifier à la suite, mais embrassant sa fin reçoit tout de même un fragment du rayon de ce qui continue sans soi, tout ça est super, mais lorsque vous rencontrez votre double en rêve et qu'il s'agit de votre corps, de votre corps inconscient et qui pourtant vous parle et qui fait sens, comme une zombie, alors là c'est moins facile à sublimer : les vers, les asticots, les vers c'est chaud. »
— Val, réécriture ou plagiat du « Rêve éveillé », in À cette époque je ne voyais plus mon psy, inédit, 2022


[Kogijet] Le rêve éveillé (résumé)


«
Il serait sans doute possible de décortiquer la situation d'énonciation du rêve éveillé de GS de la façon suivante :

<
"J'ai fait un rêve dans lequel un double de moi-même s'adressait à moi avec humour, violence et provocation, et c'était terrifiant"

pose la question de savoir ce que ça peut bien faire de recevoir un message sensé 'de la part de' la part du soi censée être insensée ? >

est un rêve éveillé, totalement narcissique, rêvé par le rêve éveillé du corps dont "je" est la partie très partiellement sensée [...] »

W. I., Encore que l'on parle dans son sommeil..., commentaire du « Rêve éveillé », 2021 (inédit)

29 avr. 2022

[Kogijet] Le rêve éveillé


< À ce moment du rêve, tétanisé par le fait de me trouver face à une autre version de moi-même, je "me" vois porter la main au ventre, et je sens cette main dans mon propre ventre pendant qu'il farfouille dans le sien, pour en sortir une poignée de vermisseaux blancs qui brillent, qui s'agitent et sentent la colère.

Je sens la main sortir de mon abdomen, mais c'est l'autre qui me l'impose, et avec une ironie certaine, je m'entends alors dire – me dire – avec "ma" voix intime, non distordue, exhibant les vermisseaux : « Et voici la fiction à laquelle je crois, moi... en quoi est-elle moins belle que la tienne ? » – je me réveille avec une émotion violente, terreur et fierté mêlées.

Terrifié par le fait que "lui", ce "Gérald" dont je sentais chacun des actes en miroir dans "mon" corps dédoublé, n'avait pas du tout l'air étonné par notre rencontre, par la distance, avant de me promettre la mort, la mort du soi et de ses illusions, comme si ce n'était pas lui qui portait ma peau incognito, mais bien moi qui n'aie jamais compris que je vis sous la sienne depuis toujours – qu'il ne vit pas en moi, mais que je vis en ça, qu'"il" représente même ce qui vit en moi, autour du moi et "sous" le moi vécu et au travers de lui, et qu'"il" a forcément le même visage et la même voix, puisque c'est son corps, et qu'il est le même corps – ce qui dans ce corps aveuglément connaît, ce qui connaît, sous une autre forme de savoir que celle qu'il revêtit dans ce rêve fabuleux... encore que l'on parle parfois dans son sommeil, et que l'on dise des choses.

Il est mon corps tout autant, il est mon corps, ou peut-être son reste entier à l'exclusion des structures et processus neurochimiques actifs qui font le moi "lucide" – encore que ces phases que l'on appelle un peu vite "conscience" ou "volonté" soient elles aussi feuilletées, qu'on puisse les prendre sous plusieurs angles. Dans le rêve, je me heurte à cela : les phases du "moi" "habitent" ou "possèdent", au figuré, et toujours temporairement.

Qu'est-on censé·e faire, lorsque la statue du Commandeur délivre une vérité vénéneuse, sans qu'aucun miracle ne soit requis ? Lorsque le costume de Casimir, creux et accroché au mur, sans personne dedans – surtout ni esprit ni fantôme – se lève et vous fait face, et qu'il semble sourire ? Qu'est-ce que ça peut bien signifier de recevoir un message sensé de la part de la part censée être insensée ?

Encore que l'on parle parfois dans son sommeil... Et voilà qu'une autre partie de moi parle pendant mon sommeil : un rêve quoi – oui mais saturé de sens. L'apparence d'un autre moi légèrement ironique, pour me parler de son rêve éveillé endormi (moi) et me donner des vers (mon destin). Ce n'est pas "mon" inconscient : c'est "moi" qui suis son conscient. Comment interpréter que cette chose fasse de l'humour ? Qu'elle me présente une fable dense, un miroir hautement complexe, une question incisive à laquelle je ne me souviens ni avoir pensé, ni avoir formulée pendant l'activité de veille.

Contrairement à ce que suggérais mon éducation (ou encore, dans une idéation plus narcissique : "contrairement à beaucoup encore"), je conçois désormais cette possibilité : cette autre part n'est pas dénuée d'intelligence, de logique et de raisons. Il ne s'agissait donc pas d'un accident, d'une illusion, d'une apparence de raison – du "singe" millénaire "sur la machine à écrire". Les premiers (?) degrés de la signification ne nécessitent pas le vécu conscient, et encore moins l'éveil. Ce n'était pas une imposture, ce n'était pas un imposteur – d'ailleurs, de nous deux je serais plutôt le sien.

L'intelligence sans qualia, le "dieu aveugle" a parlé, et je ne sais pas si je peux dire "de manière automatique" – puisque les paroles conscientes ne sont pas plus gratuites, moins réglées, plus volontaires ou rationnelles que celles qui émanent d'autres fonctions du stuff. "Il" ne sait pas ce qu'il dit (ou "elle", l'autre partie), mais c'est ton dieu (ta déesse), car tu n'es rien que la fenêtre de son temple et son esprit, c'est-à-dire le bruit qu'illel et ellil fait pendant le jour, aux moments de certains sacrifices. Tu es (je ne suis que) le moment performatif d'un office de sa prêtresse, et un office parmi d'autres.

Je suis Gérald, le rêve éveillé : la partie idéale d'une partie du corps spécialisée dans l'image de soi, la mémoire, la perception et un peu de calcul – le résidu de ces activités, cousues aux rêves non-éveillés par les tissus les moins solides de la mémoire (tout dépend à quel moment du sommeil ça se réveille, entre autres !). Et dans un de ceux-ci, dans un de ces derniers, je viens de voir formulée devant moi l'énigme de ma propre non-identité. J'ai été le théâtre endormi et rêvant et conscient, la pièce et le public d'une partie de corps qui me traverse et rejoue nouvellement – réinterprète – ce que la partie consciente a cru comprendre un jour réflexivement. Je savais que l'identité ne me sauverait pas ; ce dont je suis l'ombre me rappelle que la compréhension ne me sauvera pas non plus.

Pour une part, les emprunts au comportement éveillé – bien qu'ils soient relatifs, comme l'indique le somnambulisme – ne firent qu'augmenter le malaise. Quant à la fierté mêlée, c'est l'autre part de cette même réaction, la part narcissique que je me reconnais : "évidemment, ton inconscient n'est pas comme les autres – il s'adresse directement à toi dans ton sommeil si ça lui chante". La fierté, la honte, la peur, le soulagement d'être une phase de ce corps surpuissant et terrifiant – le rêve émergeant de certaines activités de tel corps – et de le vivre en rêve.

Je ne me suis pas senti comme un Seigneur qui ne règne sur rien mais servirait, sans trop savoir pourquoi ni comment, une sorte de dieu incertain qui en saurait bien plus que moi sans se rendre compte de rien – un maître éclaté, stable, puissant et influençable, faillible et parfois efficace, qui peut, et qui ne cesse de faire.

Je ne me suis pas senti comme une excroissance, greffée sur une chose plus grande et capable de cohérence bien qu'elle soit sans conscience, ni d'elle-même, ni de moi – comme si les phases temporaires du sentiment d'identité n'étaient que des fonctions parasites, peu importantes et dégoûtantes.

Ni humiliation ni dépendance, mais un genre de rencontre intime et de reconnaissance unique, inégale : une prise de contact pour laquelle nous n'avons pas encore de mots dédiés, de catégories assez fines, ou de fonctions référentielles assez subtiles.

Bien sûr, s'jl avait tiré de mes entrailles des vers poétiques capables de m'immortaliser, symboles personnels de l'illusion ridicule et de l'impuissance, j'aurais eu honte de moi – comme ces jours de relecture ou de miasmes mentaux. S'jl en a tiré des vers vivants – pas même des "solitaires", typiquement parasitiques et segmentés, mais bien des nématodes, ces vers lisses et luisants, détritivores, que l'on retrouve partout, symboles universels de fertilité inhumaine, d'aveugle fission cellulaire et vitale... c'était à me faire jouir.

Et c'est pourtant la terreur qui a primé : « Et voici la fiction à laquelle je crois, moi... en quoi est-elle moins belle que la tienne ? ». > 


— « Le rêve éveillé », inspiré de faits réels (si peu) oniriques, 2018

15 avr. 2022

[Poé] Avec des gants


Je ne connais pas ta vie, hein, mais prends-la avec les doigts, de manière générale. Tout est bizarre, tout est oublieux, et tout finit par fondre. J'oscille entre la demi-vie et le franchement comateux. Je nage dans l'amnésie et je baigne dans l'inquiétude.

Et encore, j'ai de la chance : tout est stable alentours, rien n'a jamais été aussi stable pour moi. L'obsession narcissique ne m'empêche pas d'être impressionné par les autres, et même assez souvent.

J'ai toujours l'ambition de tout comprendre, mais la motivation tiédit à mesure que la douleur augmente. La passion s'anesthésie elle-même en me traversant. Ou bien c'est juste le prix des regrets, la haine de moi refoulée, mal transmutée en élan, combustion incomplète. Rictus d'acceptation et arbalète à Ritaline.

Oui, l'identité est un leurre : désir ductile de la solidité. Avec les doigts, ça n'empêche pas de mettre des gants, si j'en ai l'énergie, et même si je doute de moi. Le gant de la mort, le gant de la famille, le gant de la relation idéale, le gant de la relation la plus forte et de la chose la plus réelle, qui ne dure pas toujours.

Retourner le gant, le gant en plastique dans l'océan, le plastique biodégradable, l'eau de vaisselle qui entre dans le gant, la transpiration acide, les colorants dans la sève de l'hévéa, et surtout, l'incertitude corrosive, tout le temps et partout.

L'amnésie écologique. L'esthétique de l'hybride. Lichénification. Les doigts palmés, les maths "définitivement" non homogènes, l'asymétrie chirale et cosmique, et cætera. Qui sait ce que peut une boue ? Je ne connais pas ta vie, hein. Je ne le prétends pas.


 

23 mars 2022

[Apz] Two fictitious quotes about being part of the World


< Remember the world, with its two halves: Sleeping and Half-asleep. Not a sphere but a splatter, without center. Remember the world? > 
 
— Wotan the Enlightened, somewhere (presumably), now
 
 
< Nous nous étions trompé·e·x : dans « la conquête de l'Univers », ce n'est pas le cerveau qui conquiert le reste des trucs, c'est l'invasion perpétuelle des cerveaux par le reste des trucs – à savoir, pour une part, les trucs qui ont fait du cerveau le truc qu'il est, et pour une autre, les réactions des parties du cerveau sur les autres, et sur le reste – avec les conséquences que l'on sait. >
 
— Machine Belltower, Le miroir à double-tranchant [The Two-edged Mirror], "Être un canevas" (p. 133), Plonck Press, 2022, trad. inédite