2 mai 2014

[Kogi] Ce qui m'intéresse, dans le dessin...


« Ce qui m’intéresse dans le dessin, ce n’est pas le résultat final, mais l’éventail de dessins que chaque trait supplémentaire élimine.

Autrement dit, ce que j’aime, c’est le dessin qui naît et s’abolit à mesure qu’il avance, les possibilités infimes et infinies qui jaillissent et les choix qui s'opèrent,
irrémédiables et tragiques, vous comprenez ?
[...]
« Je commence par tracer des lignes au hasard, violentes et fines, sous diverses formes de contrainte instrumentale et corporelle. Des lignes que j'organise ensuite en zones de force et zones de vide, en courants, rives ou reliefs.

Puis vient la suspension jouissive du feutre ou du crayon, qui se pose et le trait qui déchire, trait mortel, énergique et parfait, qui met immédiatement fin aux 76 autres traits possibles, tous aussi parfaits les uns que les autres, mais différents.
Les multiples de la perfection, voilà le coeur de ma jouissance quand je dessine.
En tirant ce trait, je tire un trait sur tous les autres ; je tire ce trait précis, ce long lent carreau fou, contre toutes les beautés possibles qui appartiennent au néant. J'en tire beaucoup de plaisir, j'arrache au moins ça au néant.

Les traits alternatifs, supplémentaires, sur le vélin ; bandes noires, gribouillis, plage laissée vierge, encre bleue sur fond désaturé, aplats ou lignes, lignes noires, formes parfaites et contours vifs... ça me rend folle, je vide 7 stylos bic en une nuit, 2 encres de Chine sur un format raisin.

Vous devriez essayer !
(
Rires)
[...]
« En fait, c’est une expérience unique qui se déroule moins sur la feuille que dans celle qui dessine, une chirurgie à rebours : au début rien, au milieu tout, et puis fini. Un crescendo de chances, la tempête ou la jungle des formes et son œil de puissance, qui s'épuise finalement, dans un decrescendo.
Comme vous disiez, il y a ce choix inconnu. Mais attention, comprenez-moi, il ne s'agit pas de choix inconscient. Pas question d'auto psychanalyse dans ma pratique, à peine des limites naturelles de la maîtrise de l'artiste.

Non, c'est un simple jeu d'énergie, de rythmes et de douleur. Très physique !
Je me répète, mais ce qui m’intéresse dans le dessin, ce n’est vraiment pas le résultat final mais l’éventail de dessins que chaque trait propose et abolit. Le dessin grandit et ne connaît pas entièrement ce qu'il aurait pu être, on l'entrevoit à peine par l'imagination, mais bientôt il n'est plus. Parce qu’une fois le dessin fini, il est fini, comme un condamné à mort dans la vraie vie, comme quand on dit "lui, il est fini".
C’est la raison pour laquelle je détruis toujours mes dessins ou mes peintures, une fois terminés...

Seule leur vie m’intéresse. Et je la vis. »

- Iris Vardamantine (de la Rosa del Blut)
interview, 9 juin 1994.



interview d'une artiste imaginaire
mai 2014, dessin ackbh

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