À propos d'une idéologie politique ambitieuse ou jugée utopique, on dira pour la discréditer qu'elle commet une erreur, une erreur grave et dangereuse : vouloir "amener le paradis sur Terre". Il s'agit parfois d'un prétexte vague, et parfois d'une accusation précise. Dans les deux cas, l'attaque consiste à distinguer le temporel et l'éternel, à vouloir maintenir un mur sacré entre les coordonnées fixes, naturelles ou normatives de la forme, l'espérance et l'action humaines, d'une part, et d'autre part, les prérogatives métaphysiques, morales ou de l'au-delà (les portes du nouvel Eden, l'initiative du miracle, de l'avènement, du Millénaire — réalité littérale, pouvoir sacré, horizon, ).
Et si ce reproche était absurde ? Et s'il commettait précisément l'erreur de catégorie qu'il entend dénoncer ? Et s'il ne visait pas réellement ce qu'il dit, mais se réduisait à une tentative d'intimidation ? Si ce reproche évitait à sa manière la charge de la preuve, en faisant mine d'avoir le monopole de la sagesse, de la précaution, de la modestie, de la subtilité et de la critique, pour mieux protéger des habitudes, des dogmes, des identités mal fondées, des privilèges de caste — suggérant leur fragilité et l'inachèvement radical de la nature ? Ce serait bien dommage.
S'ensuit pour l'illustrer, une sorte d'anti-dialogue entre "vous" et "moi" (antagoniste et polémique, mais tout aussi bien inefficace et contre-productif).Moi : < Vous confondez la Terre avec un Paradis qui n'est pas de ce monde, qui ne peut pas être de ce monde. Cette confusion transformera votre quête d'idéal en enfer sur Terre. >
Vous : < Cette accusation ne semble pas nécessaire, ou alors, elle semble incomplète — et si elle était incomplète, il y manquerait l'essentiel.
Moi : < Les utopistes sont dangereuses. Elles sont dangereuses car elles se prennent pour Dieu, et elles veulent vivre sans Dieu. C'est la rébellion et la folie, l'orgueil et la puissance, l'anesthésie et l'hubris — la mégalomanie, le délire, et la rage de s'obstiner : leur obstination prouve qu'elles ont tort, et elles ne s'obstineraient pas si l'entreprise révolutionnaire n'était pas méchante et ratée. >
Si vous nous accusez de vouloir fabriquer l'Au-delà ou dérailler le Plan Divin, l'accusation est vaine. Par définition, rien de ce qui peut être déployé dans l'Histoire ne pourrait affecter le miracle, ou le déroulement d'un tel plan. Il ne sert donc à rien de nous accuser d'avoir commis une erreur de catégorie : comme nous décrivons des actions intelligibles avec leurs conséquences mesurables, celles-ci ne peuvent appartenir à un Au-delà, qui se trouve par définition au-delà de toute amélioration quantifiable. De même, tout ce qui peut ressortir d'actions ou tentatives concrètes doit nécessairement rester incapable de forcer les conditions de possibilité du sens, que vous jugez nécessaires — ni d'altérer cette finitude vénérée en tant que telle, pas même de la réduire véritablement.
S'il s'avère finalement les limites du monde pouvaient s'accommoder d'une telle puissance ou utopie, d'une telle transformation ou floraison, rien n'aura été retranché à l'Au-delà ou à Sa Gloire. L'immonde déchirure n'était qu'un tout petit dégoût.
Ni l'ineffable, ni les coordonnées conditionnantes ne doivent donc être protégées — on ne peut d'ailleurs pas plus les protéger que les affecter. À moins qu'il ne s'agisse de défendre un archétype empirique particulier sous les atours du général, et que vous admettiez commettre l'erreur catégorielle que vous semblez nous reprocher. >
Moi : < ... Il est vrai. Vous ne pouvez pas conjurer de miracle ni hâter l'Apocalypse. Ni le jour ni l'heure, etc. Mais vous radicalisez ! Vous dites : l'ineffable, l'inaltérable, le nécessaire... Après réflexion, restons-en là. Je vous accorde ce point, car je vous soupçonne de vouloir me pousser au blasphème en les déclarant réalisables ou altérables.
En revanche, c'est la tentative vouée à l'échec qui est mauvaise. Ce que vous allez faire, c'est pervertir le regard, le désir, l'adoration des hommes, et le cœur des plus jeunes. Il ne s'agissait pas d'un reproche théorique, mais d'une accusation pratique et d'une mise en garde sur la tentative. >
Vous : < Eh bien précisément. Puisqu'il est entendu que la tâche est possible d'un point de vue métaphysique, elle ne peut plus être rejetée en bloc. L'erreur catégorielle écartée, les soupçons se doivent d'être justifiés, et ils appellent un droit de réponse, de correction. Pourquoi, précisément, devrait-elle échouer ? Pourquoi la tâche ne pourrait-elle pas être perfectionnée ? Toute contrainte naturelle est stable, c'est-à-dire maintenue et déstabilisable, ou encore, malléable, née de contraintes et d'inerties — certes — mais altérables.
Nous n'avons encore rien trouvé de mieux dans le cours de l'éducation et du dialogue social que le jeu des raisons intelligibles, c'est-à-dire des aménagements et des négociations concrètes. Pourquoi ne pas tenter de nous dissuader plus sérieusement ? Vous vous refusez à donner des raisons propres à être évaluées à l'aune de nos plans et de notre ingéniosité. Si vous le faites, c'est de manière péremptoire, par accumulation, ou de manière glissante. À chaque réponse, une nouvelle objection ! Aucune réponse ne saurait vous satisfaire, ni diluer la charge, ni être prise en compte. Vous ajoutez des raisons incompatibles aux problèmes, sans souci de cohérence, comme si la conclusion était déjà acquise : le projet doit échouer, ¡no pasarán!, contre-révolution. Vous avez quelque chose à protéger...
Si vous nous accusez uniquement de créer des monstres et de préparer des camps de concentration, cette accusation ne peut être gratuite. Prenez la peine de préciser en quoi consiste cet "enfer sur Terre", pourquoi ces projets et tentatives seraient concrètement vouées à l'échec, comment elles seraient illusoires, comment destructrices, et encore combien. Le concept le plus simple de progrès n'est pas contradictoire en soi, vous le reconnaissez vous-même en essayant de vivre des vies prospères, fermes et responsables, en attente de la fin des temps. Il est vain de reprocher sans preuves : la situation est délicate, l'affaire complexe.
Car le prix de l'échec n'est assuré que si l'échec est assuré. Et le prix de la réussite n'est inacceptable que s'il est plus élevé que celui de l'échec ou du statu quo actuel. >
Vous : < C'est bien ce que je disais : vous en venez à dire que la preuve de l'échec et du mal se trouverait dans la tentative-même, sans autre forme de raison. Si cette manière de raisonner devait être acceptée, elle réfuterait tout ce qu'elle touche, à commencer par la morale, le credo et les traditions qui vous sont si chères. >
Moi : < Alors soit, s'il faut se contenter du langage des intérêts et des risques, et que vous n'entendez que le fini et le temporel, alors oui, je l'affirme haut et fort : ces utopies de femmes sont aussi dangereuses, moins par les effets visés que par le chaos qu'engendre le changement. Non parce qu'elles tenteraient de rendre le monde meilleur — mais bien trop meilleur, c'est-à-dire trop beau pour être vrai. Il s'agit d'évidence, et même de sens commun, plus que de discernement. Tout le monde peut voir cela : d'instinct, la révolte nous répugne et le changement nous effraie.
Vouloir créer une société sublime dans laquelle règne le bonheur et la créativité, capable de s'adapter à tout ce qui pourra sortir de la solitude corrosive et de l'étrangeté délirante de la Nature, c'est se draper d'illusion et foncer dans un certain nombre de murs, dont celui de la nature humaine, déchue et bien connue. C'est refuser la sagesse de traditions ayant survécu aux siècles. C'est faire une erreur de catégorie, et prendre la promesse du Paradis à venir pour une production humaine à la mesure de nos esprits finis et nos cœurs malades, c'est vouloir "immanentiser l'eschaton", nier les temps de la fin, chercher à contourner la fin des temps, et tout cela, sans Dieu qui en est attristé. L'orgueil est le péché originel et la racine du mal, plus encore que l'hubris, et vous attristez Dieu. >
Vous : < Quitte à connaître les sentiments divins, voici mon humble certitude inébranlable : Dieu n'est pas triste, il inspire et soutient mon combat, glorifié par le passage à l'âge adulte et la mue des illusions, et l'amour que je vous porte.
Qui peut présupposer que les difficultés sont si rares et la complexité universelle si menacée qu'il faille les préserver pour préserver la possibilité des leçons de l'échec ou de l'humilité ? Qui peut assurer que la sagesse de l'expérience, l'effort de volonté ou la joie doivent nécessairement être accompagnés de neurodégénérescence, de génocide, de frontières ? Qui peut assurer que telle guérison est impossible ou immorale ? Qui peut forcer une souffrance à s'éterniser au nom du fait qu'elle symbolise ou conditionnerait l'essence de la libération elle-même ?
Qui décide des décrets divins, sinon Dieu ? Qui décide de la date et du lieu dont la vallée d'Armageddon aura été le symbole, pourtant inassignable... par décret divin — nous dit-on ? Qui confond le plus la lettre et l'Esprit, la cartographie et le message vivant de la prophétie ? Qui dira ce dont la Création est capable et par quelles révolutions cosmologiques devront passer les Temps de la Fin avant le rétablissement du Plérôme ? Après tout, le progrès politique, moral et panmorphosynthétique n'est-il pas l'archétype du Plan divin, de la théodicée rédemptive ?
Lorsque les tenants de la théodicée dépassent le déni théorique de la souffrance, lorsqu'ils appellent au respect de négations spécifiques, ils font de cette théodicée autre chose qu'un pansement métaphysique. En plus de préférer cette solution parmi toutes les autres, pour se rassurer (la théodicée est inepte sans la foi), ils deviennent complices du mal en question — une complicité bien souvent hypocrite. Ils s'exposent alors à la tentation et au bâton métaphysique, au lieu d'embrasser la voie royale de la perfectibilité cosmique.
Qui décide des formes de vie qui sont possibles et désirables ? Qui décide de placer des bornes à la paix, à la coopération, aux formes d'articulation du multiple, à la démultiplication des énergies, des synthèses — des types de types de capacités de synthèse ? >
Moi : < Le cœur de l'homme ne change pas. Vos élucubrations n'évoquent rien, et ne persuaderont personne. >
Vous : < Le cœur de l'homme... Bien au contraire. Des gènes mutants aux puissances de l'éducation, la Nature est trop vaste et trop peu immuable. Nous prenons aussi au sérieux l'histoire de votre propre religion. Du médullaire au multivers, il nous est apparu que votre notion de l'homme était simpliste et indûment figée, bien qu'utile sous certains aspects et héroïque sous d'autres, tout comme votre théologie, résolument anthropomorphe, et bien peu systématique.
Prenons, par exemple, la question du "propre de l'Homme" : ses derniers refuges, assignés par vous dans le but de préserver une exception et de clouer une identité — comme l'absence d'instinct, la raison, le langage compositionnel, la conscience, la technique, l'imagination, l'art, la liberté... — sont pris dans les mailles d'un dilemme inévitable. Quand ces propres paradoxaux ne sont pas vidés de toute substance, ils peuvent être étudiés. Lorqu'ils peuvent être étudiés, la question de leur reproductibilité analogique reste définitivement ouverte. Quant à leur nature, ces propriétés sont rien moins qu'anthropophages, essentiophobes, xénophiles, et voraces par-dessus tout, en plus d'être distribuées dans le vivant effectif et potentiel. Car nous ne sommes pas les seuls à goûter aux puissances de l'auto-affection, dont les effets rationnels et les raffinements rationnels prosthétiques n'ont de cesse de révéler l'hybridité originelle, puis de se démultiplier, selon les voies étranges de l'exodistribution, et la xénologie aux frontières incertaines.
Plutôt que de continuer dans cette démonstration, pour vous ésotérique pour vous — bien loin d'avoir pénétré le Zeitgeist ou la Kultur, même les plus progressistes — je répondrai autrement. Selon votre attitude, la tradition ne serait pas seulement véridique (combien de traditions récentes et simulées ?), elle serait univoque (combien de traditions rejetées, pour une seule consacrée ?), et ne serait associée à aucun risque propre (combien de prétextes à l'asservissement et la facilité ?). L'inverse n'est pas plus vrai. Est-il grave de confondre le connu et le possible, le corrélé avec le nécessaire ? Dans une certaine mesure, et parfois, oui : s'il était possible de préserver tout ce qu'il y a de bon, mais de renoncer à la maladie, à la bêtise, à l'indifférence mortifère et à l'extrême brutalité. S'il était possible d'associer et d'intégrer ce qu'on nous présente comme étant contraire ou incompatible, parce que ces choses l'ont plus ou moins été jusqu'ici. Les réconciliations théoriques de l'imago dei et de la modernité sont légions : choisissons la plus large et la plus ambitieuse en termes de valeurs évangéliques.
En d'autres termes, vos mises en garde nous affectent peu, car nous ne sommes plus contraints par votre imaginaire fixiste et la menace de l'inconnu. À notre corps défendant, les invectives des hiérarques sonnent creux à nos oreilles. L'inconséquence de votre intérêt pour la moralité nous rappelle trop le nôtre, si transparent, et trop humain. Le négatif fécond, nous le trouvons ailleurs depuis bien trop longtemps. Mas votre fatigue rencontre la nôtre, mais le désespoir n'est pas de mise : nous souhaitons encore avancer ensemble, c'est-à-dire dériver ensemble. >
Moi : < Ici-bas, c'est le péché, la corruption, et la mort qui règnent. Il ne s'agissait pas d'une mise en garde, mais d'un constat, d'une condamnation morale. >
Vous : < L'une ou l'autre, à vrai dire, on ne sait plus très bien, tantôt vous disiez le contraire. S'agit-il d'une inconscience des risques, ou d'un crime contre l'au-delà ? Nous en avions pourtant convenu : nous ne visons pas l'Au-delà, et si notre échec matériel est inévitable, alors sans coup férir, nous échouerons.
S'il s'agissait de nous dissuader par charité, ou d'éviter le mal, il nous faudra des précisions. La mort règne partout, dites-vous ? Laissez-vous mourir votre enfant, s'il a quelque chance d'être sauvé — ne faites-vous rien ? La corruption est intraitable, dites-vous ? À ce prix, contentez-vous d'annoncer notre échec, et regardez-nous échouer à la première étape. Nous n'entraînerons personne, comme l'évidence est toute entièrede votre côté. Mais je vous entends déjà proclamer à quel point le siècle est corrompu, et nos contemporains assoiffés d'être trompés, ou incapables du moins de voir ce qui cause leur malheur. Dans ce cas, pourquoi parliez-vous de sens commun ? Celui d'un idéal, de l'homme régénéré, que venait-il faire dans cette discussion ?
Si vous refusez de calculer les risques et conséquences d'une tentative infructueuse en comparaison des biens, si vous retirez votre mise en garde et vous contentez d'un constat, le mieux sera effectivement de nous laisser échouer : vive leçon pour toutes celles et ceux qui nous ressembleraient, pour toutes celles qui reconnaissent votre autorité. Le salaire de notre échec fera votre démonstration, justice et correction.
Nous vous demandons simplement de signer ce contrat stipulant que vous ne ferez jamais appel à ce qui pourrait découler de désirable de notre entreprise maudite. Pas d'inquiétude, vos descendantes ne sont pas concernées par ce contrat. >
Moi : < Les sciences et la technologie prétendent connaître et maîtriser, mais partout le mystère nous entoure. C'est le désert dans les coeurs, chaque remède produit une nouvelle maladie, et chaque découverte engendre mille questions impossibles à régler. L'utopie, c'est le progrès lui-même. >
Vous : < Le progrès dans les sciences, dans les arts et dans la critique des systèmes de production iniques et insoutenables n'a cessé de produire de la complexité, des nuances et des limitations internes. La rhétorique théologique qui s'oppose à l'utopie trouve un intérêt soudain pour la complexité et pour la prudence, lorsqu'il s'agit de préserver l'un de ses dogmes et décourager ce qui le met en danger.
Dans le cas présent, je ne peux pas vous reprocher de surréagir. Je comprends votre inquiétude : l'édifice entier serait en danger mortel, s'il ne s'écroulait pas sur la pente qui constitue sa force et sa plus vivante vérité. La pente qui mène l'Esprit à déchire le voile, à aimer au-delà du Temple, à éventrer le Temple, décupler le Visage, fertiliser la moisissure sur le cadavre de la Dyade... Aux choses qui pourraient empêcher cet écroulement et ces révélations, vous ne semblez pas accorder beaucoup de réalité ni d'intérêt, pas plus qu'aux molécules d'ATP qui infusent votre esprit : l'effondrement écologique, l'extinction lente, ou soudaine, le retour de l'état de nature après un long et horrifique déni — la forteresse Europe, les drones et les barbelés, le suicide intra muros...
Il est vrai, nous sommes dans le noir. Des prévisions échouent, peu tombent proches, certaines sont effectivement de véritables pertes de temps, un temps précieux : le temps des hydrocarbures qui restent, ou autre chose. Mais il est tout aussi vrai que vos mises en garde sont encore moins fondées que nos prévisions. L'échec des premières ne garantit pas la vérité des secondes, et si nous détruisons plus vite le tissu du vivant et du viable à mesure que nous comprenons mieux, alors admettez que le processus itératif et critique fonctionne, et faites de cette condamnation le coeur de votre appel. Nous sommes déjà sur la brèche, en réalité, pour notre survie et la vôtre, à vous attendre en vain.
Il est vrai que des courants majeurs de désirs, non-humains, humains et plus qu'humains agissent hors concert pour le malheur et le chaos ambiant. De la réduction de la souffrance évitable à l'exploration créatrice du champ des possibles, en passant par l'harmonisation des forces et contre-forces de toute biosphère allogène, zilune ou carcansédarique, nous comprenons à peine mieux comment la Nature résiste aux modèles imaginés par une partie d'elle-même, mais elle ne résiste pas nécessairement plus qu'avant.
Nous ne prétendons pas que la radicalité expérimentale produise toujours de l'idéal, loin de là, pas plus que les systèmes apeurés, pervers et enclavés du pouvoir religieux : attendre leur bénédiction pour expérimenter semble tout aussi aléatoire, dans le meilleur des cas. Il est vrai que des courants majeurs de désirs, non-humains, humains et plus qu'humains agissent hors concert pour le malheur et le chaos ambiant. De la réduction de la souffrance évitable à l'exploration créatrice du champ des possibles, en passant par l'harmonisation des forces et contre-forces de toute biosphère allogène, zilune ou carcansédarique, nous comprenons à peine mieux comment la Nature résiste aux modèles imaginés par une partie d'elle-même, mais nous sommes cette partie qui choisit l'augmentation du spectre et de la plasticité plutôt que l'illusion de l'identité.
La meilleure manière de nous préserver des philosophes chrétiens, c'est de leur montrer que nous ne faisons pas de la philosophie. Je ne dirai jamais : "En vérité je vous le dis, le paradis appartient aux violents qui embrassent la source, digèrent la flamme, et traversent la nuée — en vérité je vous le dis, la meilleure manière d'éviter que n'importe qui immanentise son eschaton favori, c'est de travailler inlassablement à immanentiser le vôtre ex post de facto velocissimus." Ensemble, disons plutôt : "On verra jusqu'où ça peut aider, à la grâce de Dieu". >
Moi : < Nous étions là avant vous, et nous serons là après vous. Rien ne change réellement : ni le cœur de l'homme, ni la corruption du monde, ni l'incorruptibilité de la promesse. Vous êtes une ombre projetée par la Vérité, énième itération de l'idole grandiloquente — Lucifer — et de l'idole dégradante — Belzébuth. Nous triompherons par la simplicité du message. Vous surestimez la force de la raison : même si vous l'aviez de ce côté, vous perdriez le combat. >
Vous : < Si cela est vrai, nous ne pouvons rien contre vous, et vous n'avez rien à tenter contre nous. Étonnamment, vous tenterez tout de même : après tout, le doute hante le néocortex des croyants, aussi vrai que la foi hante le striatum ventral et le nucleus accumbens des incroyantes.
Car vous sous-estimez, à votre tour, l'influence des milieux et des machines, de l'amnésie et des expériences devenues familières. De facto, ex post, nous immanentisons. Et c'est pourquoi je vous l'accorde : ce n'est pas la raison qui infléchit les croyances ou assure l'adoption du progrès révolutionnaire... >
etc.