15 avr. 2012

[Poé] Les chiens que j'abrite


Mes yeux une paire de CHIENS DE CHASSE
Bien dressés à débusquer le MONDE-PROIE

Surtout, mes beaux, soutenez – regard DE FACE
Le visage n'est pas fixe, il se file, se TRAVERSE

La réalité n'a cessé de me soutirer DES VERS
Mes chiens à peine en laisse – la corde est là TENDUE

De l'immense trou qui nous sépare – PELLETÉES
Comblant les minutes seules, non l'abîme (dépèce ! dépèce !)

DE LA RÉALITÉ : « C'est pas comme j'avais imaginé ! »

Mais la corde jamais ne – mordu – se PRÉLASSE
Contrairement au parfum – têtue, elle – sur mes PAUMES

Reniflez les menottes, mâtins, précédez-moi, SI MÊME –
Dans un moment de grâce –

LES CHIENS SE LÂCHENT

les chiens que j'abrite

2012

9 avr. 2012

[Poé] Amérique I


Vous, les arbres de la forêt
Les mâts de foudre et d’automne
Paraissez l’innocence

Mais vos cris sont équivoques et jaunes
Tout en vous transpire la contingence
La voie dévalée par personne

La montagne vous a-t-elle déjà poussé à bout ?
ELLE ME FAIT SURSAUTER QUAND JE DORS
Et je me venge et la rends folle

L’observe comme un hibou, et soudain
La viole – au nom de la médecine
Au nom des singes vivant debout

Les feuilles fondues dans une soupe
Se partagent le repas des racines
Elles crient : HUMUS ! Et le fait terre

J'abolirai le fort de troncs et le décor
Et laisserai les intentions pour mortes
Pour accueillir enfin le sommeil agité

Que l'on appelle nature

Les passereaux de métal vont droit au but
Jaillis de tubes, déchirer d’autres tubes
Dans ce val – Colorado ou Virginie

La montagne excitée comme un chien fou
Cicatrices de glaciations – je vois enfin
Buvant les carcasses à même le sol

SPECTATRICE DU CARNAGE, DU FESTIN
Le géant Géant des massifs ! La
Géante morsure des Rocheuses
2012


1 avr. 2012

[Poé] Naissance du voyage


Des paroles ! – soudain – sont des flammes

Un champ ouvert comme la musique
Brise les rotules du destin

Devenir postal – des boues et pluies
Le doute par l’habitude et l’antichambre
Déshabillée de mythe

Un visage flamboie
L’inconnu familier guide – boucle et pic –
Nous tire des draps lourds

Depuis quand la dernière secousse ?
Le couteau tiré ?
Le saut douloureux et la nuit saoulée de vertige

Les cartes sont rares, pour mon salut, tu n’oublies pas
Ce sont des figures et des voix

Des cordages  qui s’usent

Les cartes sont rares, mon ami
Des figures et des voix
2012

Où est Robin Decourcy ?



23 févr. 2012

[Poékwot] Les cinq relations (Victor Segalen)


Du Père à son fils, l'affection. Du Prince au sujet, la justice. Du frère cadet à l'aîné, la subordination. D'un ami à son ami, toute la confiance, l'abandon, la similitude.
* *
Mais pour elle, - de moi vers elle, - oserai-je dire et observer ! Elle, qui retentit plus que tout ami en moi ; que j'appelle sœur aînée délicieuse ; que je sers comme Princesse, - ô mère de tous les élans de mon âme,
Je lui dois par nature et destinée la stricte relation de distance, d'extrême et de diversité.

Les cinq relations, Victor Segalen

 in Stèles, stèles orientées, 1912

7 févr. 2012

[Kogikwot] Article rigolo + idées, autour du néologisme


Un article découvert au hasard du Net, autour du néologisme. Le thème fait écho à certaines intuitions que l'on retrouve ici ou , mais que je n'ai jamais pris le temps de développer.

Arnaud Sabatier introduit les néophytes de la question à la partie œuvrante de la langue, et plus particulièrement du lexique, avec le travail du néologisme.

" De Toumaï à Kévin : 70 000 siècles de néologie

Ontophanie, politogenèse, novlangue et SMS

« Il en est d’une langue comme d’un fleuve que rien n’arrête, qui s’accroît dans son cours, et qui devient plus large et plus majestueux, à mesure qu’il s’éloigne de sa source. Mais plus un despotisme est ridicule, plus il affecte de la gravité et de la sagesse. Et qui ne rirait d’un tribunal qui vous dit : je vais fixer la langue. Arrête, imprudent ! tu vas la clouer, la crucifier ! »

Néologie, ou vocabulaire de mots nouveaux, Louis Sébastien Mercier, Paris, Moussard, 1801, p. VII.


Néo vs ortho
Nés au logis, les mots ? Sans doute. Mais faits pour fuguer. Certes, on parle plus aisément assis autour du feu et l’estomac plein qu’au pas de course, un chopper à la main. Les mots toutefois, une fois nés, sont faits pour quitter le foyer et changer de lèvres, perdre une lettre et gagner un sens, passer la frontière et doubler une consonne, essayer d’autres territoires, d’autres genres, d’autres accents. Vagabonds cosmopolites et migrants infidèles, certains s’en vont, fécondent ici ou là, reviennent parfois, meurent ou renaissent. N’en déplaise aux lexicorigides, les langues se nourrissent de ce bougé incontrôlable et s’épuisent des séjours respectueux ; elles vivent de ces métamorphoses et meurent d’acharnement orthographique et monosémique. L’orthisme ! Oui, voilà bien l’ennemi de la vie et de la culture, le culte létal de la rectitude univoque et de l’intégrité identitaire.
En outre − on l’aura compris, l’enjeu n’est pas linguistique mais politique − au grand dam des prêtres de l’Un-pur, les hommes, comme leurs mots, profitent de ces décalages inassignables, de cette inventivité incalculable, de ces premières fois imprévisibles et grisantes qui rompent l’enchaînement causal des existences programmées ; ils vivent de ces chants in-ouïs que des homo-logues clonés s’évertuent à étouffer.
Enjeu politique, enjeu existentiel aussi, car mourir ce n’est pas – la chose serait trop simple − cesser de vivre, mais cesser de renaître, cesser de changer et d’échanger. Exister, c’est bien plus que vivre, c’est néonaître, c’est inédire une histoire.
Tentons alors une petite philosophie de la néologie en commençant par un rapide retour ... "

La suite se lit sur cette page du Dictionnaire des Verbes qui manquent. Arnaud Sabatier, « De Toumaï à Kévin, 70 000 siècles de néologie », www.ddvqm.com, décembre 2009.

L'article s'en tient au lexique et ce qu'il appelle justement ses "fugues". Mais comme il termine sur la poésie, une idée lancée de poétique du néologisme, je profite de l'occasion.


"Néo vs ortho", l'ancien frigide ou le fringant nouveau, c'est ici la première question. Pourtant, je crois qu'il est réducteur et risqué de présenter les deux dans une alternative. A l'opposition banale entre tenants de l'orthographe immobile et tenants du changement, entre vie et mort, froid et chaud, antique et moderne, vieux et jeunes, j'aimerais proposer l'idée d'une maîtrise émancipatrice de la langue.

Une synthèse élégante et simple comme tout : la maîtrise nécessaire à un renouveau dirigé, sans laquelle il y a perte ou modification sans contrôle aucun. Quelques idées :
1. La langue maîtrise qui ne la maîtrise pas, et l'invention se fait donc à la stricte mesure de la maîtrise
2. Maîtriser l'orthographe, la ponctuation et la typographie fait partie intégrante d'une maîtrise de la langue, non seulement celle de la syntaxe et du vocabulaire
3. Il n'y a pas "création" lexicale, mais élaboration ou invention - de la dérivation à la production
4. Les règles du jeu poétique et de la production poïétique sont elles-mêmes ouvertes
5. L'orientation dans les mondes référents (évocations, histoires, systèmes de valeurs que l'on appelle cultures) est nécessairement parallèle à la maîtrise de la langue.
Impossible d'achever la maîtrise : on l'a dit, l'objet fugue et une langue est un objet d'étude infini. Peut-être qu'il s'agit alors d'atteindre un degré acceptable relativement à un projet ? Mais quel projet poétique se constitue au préalable, avant l'apprentissage et la maîtrise ? C'est bien plutôt elle qui détermine le projet poétique, s'il existe.

Un degré acceptable, et relatif à des intérêts qui nous guident. Par exemple, connaître le langage héraldique, la terminologie de la physique quantique ou l'étymologie complète des mots, ce n'est pas nécessaire à toute invention poétique ou néologique. Mais cela l'enrichirait et lui ouvrirait des possibles.


Encore une fois, l'invention de mots nouveaux, signifiants et significatifs ne se fait qu'à la mesure de la maîtrise de la langue - et autant le dire - du degré de lecture et de compréhension culturelle. Question de structure !

Exemple avec Alfred Jarry : essayez d'abord de lire ça sans même l'idée de ce que vous allez y trouver. Les mots ont beau être nouveau, équivalents à des néologismes pour vous, le sens n'y est pas (car les ligatures - liens de lectures - n'y sont pas). Lisez un article sur l'auteur, sur la 'Pataphysique, bossez votre christianisme - reprenez Jarry : c'est déjà mieux. Deuxième lecture, on s'habitue à la syntaxe, et c'est cela aussi, la maîtrise d'une langue : respecter les règles pour savoir, ensuite, comme les tordre et dans quelle direction. Ajoutez à Jarry le jeu des couleurs héraldiques... tout s'éclaire, ou presque. Lisez l'Apocalypse en parallèle, et Dante, et Virgile, des codex médiévaux, une biographie - les choses commenceront à devenir intéressantes, mais ce n'est encore que le début. Avec lui, la réhabilitation des mots anciens deviendra alors possible, à tel degré de maniement d'une lecture, et pourquoi pas, après maintes relectures, la production de néologismes à la Jarry.

Ce qu'il faut enrayer, c'est l'idée de "créateur" créatif doué de créativité, idée qui contamine tout discours de l'activité, ces derniers temps. Essayez de parler d'art ou d'expression sans utiliser le verbe "créer" ou le champ du "créateur", vous aurez du mal, en Français ou en Anglais.

Le problème avec l'idée du créateur, c'est qu'il croit détenir en lui déjà toute sa créativité achevée, pouvoir d'art ex-nihilo, et qu'ainsi il se passe de maîtrise, de passé, de patrimoine, de complexité, de jugement, de travail. Il n'a de comptes à rendre à personne et il n'a pas de maîtres : il "crée", cela veut bien dire ce que ça veut dire. Même l'intuition et l'instinct se nourrissent, simplement ils n'en sont pas conscients, ils ne retournent pas sur leurs pas. Mais la théorie innéiste du "créateur" créatif le bloque, sans qu'il le sache, dans la banalité, l'imitation médiocre, l'arrogance et le court-terme de ce qui "impressionne".

Pour ma part, je crois que la puissance d'un mot et d'une notion produite dépend du travail de lecture du monde de sens (dépendance dont le "créateur" "indépendant" croit pouvoir se passer, par définition, origine et seul maître de son "processus de création").


Mais je devrais revenir aux questions du projet de néologisme et de la maîtrise qu'il nécessite ; ce point sur la créativité fera l'objet d'un commentaire séparé une autre fois.

Les mots nouveaux accompagnent la construction d'un projet, ils viennent à son service et dans son développement, sa constitution, par nécessité, non au terme d'un projet ni avant celui-ci. L'usage, le "hasard" de la réussite fera le reste pour la pérennité du mot. Qu'est-ce qui fait que la mayonnaise "prend" ou pas ? que tel mot nouveau produit, imaginé, suive sa logique et s'insère dans la vie ?

Les autorités de la langue ont peut-être pour rôle de juger, mais en réalité elles se contentent généralement de rendre compte a posteriori des changements solidifiés dans l'usage (des usages). Les instances académiques sont sûres et discernent mieux qu'on ne le croit, mais elle font aussi communauté, c'est-à-dire dialecte, lui-même éclaté en dialectes d'écoles.

D'où juger les mots, et selon quelle règle ? Ou serait-ce là le crime, d'essayer de maîtriser une langue au-devant de sa vie propre ? Cela signifie-t-elle qu'elle est condamnée au hasard, aux tendances, sans qu'une intervention consciente et réfléchie soit légitime sur elle ? Or la langue ne sert pas seulement à décrire, mais aussi à prescrire :

Si c'est cela le crime, l'idéologie, prétendre servir un projet par le néologisme, alors le néologisme comme projet poétique doit être compris dans une alternative : soit criminel, soit légèreté, soit idéologie, soit amusement. Voilà peut-être pourquoi le Dictionnaire des verbes qui manquent adopte un ton résolument léger et anecdotique, ne pouvant se résoudre à orienter la langue et par elle, la vie.

Laisser la langue se développer, la diriger. Tuer des mots, en sauver d'autres - greffer, remplacer, doper, lancer ou déplacer. Doit-on s'en remettre à la reconnaissance de telle ou telle communauté relativement à son langage ? Quels groupes d'investigation (lecture, dialogues, tout exercice de socialisation linguistique), et quelle autorité légitime en matière de lexique expérimental ? Projet de langage = projet de communauté, ou de non-communauté.


La portée et le sens d'un tel projet se pose : après "comment produire des mots nouveaux", "comment produire des mots signifiants" et "comment juger des nouveautés de mots", pourquoi et vers quoi produire des mots ? acte esthétique, amusement, réappropriation du langage, voire acte démocratique ? Projet politique et idéologique assumé ?

Oui, pourquoi pas un projet poétique et idéologique assumé, porté par la production de mots et concepts nouveaux ?
Car nous n'avons pas le choix : il n'y a pas de langage neutre d'idéologie - un langage sans discours d'idées, sans ontologie, sans valeurs et sans charges internes, cela ne peut exister - heureusement

Quel critère et quelle norme d'invention ?
Le critère du rasoir, de l'économie (élégance et analyticité) ? Celui des possibles, sans distinction, ouverts par la grammaire ? De l'harmonie ? Celui de la fréquence du vécu décrit, ou de l'efficace paradigmatique du terme ...? Quelle norme de richesse des langues historiques, des langages à venir, à forger ? A-t-on le droit de juger telle langue supérieure à telle autre, parce qu'elle décrirait mieux et prescrirait le meilleur ?

Questionnement individuel et interne à ma langue occidentale (l'ethnologie est occidentale, comme la xénophilie contemporaine), bien entendu, car il est interdit aujourd'hui de juger des langages et de leurs vies à d'autres échelles, sous peine d'être "impérialiste" (ou pire). La priorité semble être d'encourager la culture et l'intelligence contre le réductionnisme ou l'esprit de gestion, et non de délimiter ou de sélectionner les ouvertures néologiques possibles.

Mon projet littéraire inclut le néologisme, en projet qui s'informe, se modifie et s'articule à mesure des lectures d'hommes et de femmes, à côté de la production de concepts et des emprunts pragmatiques à d'autres langues. La traduction et le néologisme de traduction valent mieux que la transposition, car je crois qu'un ensemble des langages bien constitués et délimités, avec leurs axiomes propres  et leurs spécificités radicales (voir les thèses de W. O. Quine) donne plus de richesse, au final, qu'une langue unifiée, même par agrégation.

Réinvestir les mondes se fait dans l'effort de relecture et dans l'interprétation mesurée, ainsi que le conseil des maîtres. Qui a peur d'avoir des maîtres ? Les mots que je connais déterminent qui sont mes maîtres, et non seulement l'inverse.

On peut bâtir une maison nouvelle en peu de temps, mais un chez-soi ne peut pas se faire en un jour - ainsi des mots forgés et de leur possibilités de survie. Les effets d'expérimentations sur la langue ne sont jamais neutres, sachons-le.

Vive le néologisme, ou l'invention de mots utiles et explosifs, verbes, noms ou qualifiants - et ce sera peut-être bientôt le seul recours contre ceux qui veulent nous marchander, nous réduire au calcul ou à la machine : nous inventons notre langage et nous ne faisons pas que combiner et réagir à des signes.
 


5 févr. 2012

[Poé] Capitale II


Première neige
Colorée de métal, de granit
Dans la sombre lumière

Gravir l’amitié comme un pôle

Archipel de l’hiver
Là ! Le dôme de pierre qui luit
D’or, comme un phare

Potron-minet sur la butte
Blancheur, sainteté
Disséminée dans l’atmosphère

Capitale de l’empire sous le siège

Du matin engourdi
Son messager noir desselle
Entre au chaud et s’endort

Promesse de sang foncé
Le chœur sacré, avec les planètes
Et le soleil en retard

Entonnent
Avec la discrète cithare
Un hymne au prince du ciel

Et l’épée empoignée par sa lame !

Première neige – il est tôt –
Et prière
L’horizon est lanière écarlate


Capitale II, 2012

d'après une ascension hivernale vers le Sacré-cœur 
à 5 heures du matin, avec TL alias Saint Sulpice

1 févr. 2012

[Poé] Capitale I


J'entrecroise les flots boueux de la Seine
Dans le wagon sorti des cieux
Tu mérites bien ton titre, Paris, de
CAPITALE DE LA RAGE !

Sous les silences et les bâillements
Des milliers, sous la paix, (ou bâtiments)
Quelle journée tu déchaînes chaque nuit !

La longue traînée de poudre humaine
Personnes et faces de l'infini,
Légions de l'éclat, dividus

Et tu caches tes enfants au détour
D'autres rues – tu joues au repos
Quand j'ai ton argent, quand je paie
Quand je paie de sommeil

Tes veilles


Capitale I, 2012

(un chez-soi magnifique
tant qu'on a de l'argent)

30 janv. 2012

[Apz] Quatrième échappée

.
Encore des propositions hors contexte, qui dévient de plus en plus le projet de départ et se rangent de moins en moins sous le nom d'aphorismes - des vanités ? Pourquoi pas !

* *

 L'académie frappe d'anathème ce qui la dépasse, comme dans "ça me dépasse"

* * 

Le contemporain a toujours effrayé les vieilles chouettes du savoir

* * 

S'il y a du confort, je ne travaille pas bien - mais s'il n'y en a pas, je ne travaille pas bien non plus
Soit il s'agit encore d'un équilibre impossible, soit je suis simplement paresseux

* *

La sagesse populaire est papoue en Nouvelle-Guinée et papale au Vatican

* * 

La révolution, c’est comme une fête mondaine, plus elle s’éternise, plus ça-génère

* * 

Être seul à être seul, c’est un comble

* *

Goût, verre, nez ? Mmm, je note : travailler l’œnologie entre politique et analogie

* *

Quand le "même" de moi-même se perd, alors "moi", sans repère(s), est perdu d'avance

* *

Les appâts rances ne sont pas trompeurs

* *

Nous connaissons par ce que nous avons connu, et en cela nos abîmes nous meuvent au quotidien, et le quotidien meut nos abîmes, les modifie !

* *

Du nouveau, du déjà-vu, en art, ça n'est pas la question - et "d'authenticité" non plus : il s'agit de couteaux : anciens, nouveaux, il s'agit surtout de les tirer

* *

L'original tire son épingle du jeu, car il cesse d'y jouer la compétition, la maîtrise, pour lui fixer des règles nouvelles. Qui le suivra ?

* *

Des pianos dans les coins, des sofas, des enfants et la fête naît où chacun sert car il se sait servi

* *

Des bras m’en poussent

28 janv. 2012

[Poélovée] Tout prêt

.
Je suis l’amour non bouclier
Tout moribond
Tout prêt à se battre

À conquérir
Sur la masse inhumaine qui
Jamais ne quitte mon destin

Conquérir la promesse
A croire, si la main est serrée
Tout prêt à lever la herse

L'espoir laissera tomber
Sa vieille tunique de souvenir
Le signe de vie suffira

Moi l’amour garde-fou
Que l’on enjambe facilement
Et l’on ne fait que ça

Tout prêt à la parole
Et
Tout prêt à se taire

Sûr du filin lancé
Harpon tenu à deux mains
Pour se hisser là-haut

Je ne suis pas l'amant
Vermoulu
Plus seulement !

De sang-mêlé, d'initiative
Adouber le bâtard amoureux
À genoux

Je suis l’amour non bouclier
L’aveu connaît les aspics
Dans le panier

L’amour non-bouclier
Survit à la morsure
Prêt à bondir

Tout prêt au pire, prêt
Au sacrifice choisi
Tout prêt à tout
                                                                     réécrire ?
Moi l’épée immobile



26 janv. 2012

[Kogijet] Peri-ocypodidae

 .
Réfléchissons à notre vie, à nos savoirs, et à la forme du changement 
Par l'image folle et un peu inquiétante
L'image réelle et vue et magnifique

D'un crabe qui mue
* *

Mais avant
Retiens tes feux, retiens ton fer

Tu n'es pas si sûr que l'illusion nécessaire, fragile et composée qui soutient ton discours de valeurs soit plus belle que celle qui soutient le mien ; et je parle ici de toutes les dimensions de ton réel sensé, quotidien, scientifique ou relationnel et "humain"
Tu n'es pas sûr non plus que la différence ne l'ébranle pas, ne l'étouffe et ne drague ta mesure avec lui dans l'abîme
Tu peux l'ignorer, feindre même qu'il s'agisse d'ignorance, mais non prétendre ou préjuger correctement
(Il me paraît que le vrai lui-même n'a pas eu l'audace de l'univocité, en soumettant les signes et les indices de multiples correspondances, ayant l'autorité et les preuves, mais "rien à prouver")

Lire n'est pas anodin, et l'on ne peut précisément pas prendre la mesure d'une lecture
Quand cette lecture risque à changer le cadre de mesure, et le sens de tout ce qui a été lu
Et le sera
C'est là que se trouve la différence

Nous avons l'intuition de l'étrange à son approche, et parfois le désir de l'étrange ou du danger
Mais pas une mesure, précisément, je le répète, et nous désirons là ce que nous ne connaissons pas
Et ne connaissant pas ce que nous désirons, nous pouvons à peine dire que nous désirons

Envers ces a-bjets qui excèdent le tableau, le cadre solidifié ou la carapace
L'ouverture n'est pas un plaisir facile, et envers les objets qui ne l'excèdent pas
Ce n'est pas ouverture mais application ou bien aménagement

La mue dont il sera question ne peut dégénérer en une injonction, mais reste un fait nouveau, sa marque, un événement, non sans similitudes avec la mue soudaine (ça prend aux tripes)
Moment étrange et vertigineux, rarement un acte

Si c'est un acte, il est risqué, par définition aveugle sur lui-même, tout rétroviseur inutile
Risque d'alien nation, d'en être rejeté : la mue recrache un monstre

« Je suis ouvert », « j’aime l’autre » : ne se dit vraiment
Qu'au travers d'une mue
Donc rarement

Vrai juste avant ou juste après, être ouvert n'est jamais gagné d'avance

Tu me diras que le doute, le "pas sûr" n'exclut pas le jugement, qu'il commande, au contraire - qu'il commande sans condamnation, sans fermer l'affaire

Et nous sommes pris dans l'affaire des plages, des pentes et des traces
Langages en creux - comme c'est banal ! mais refaisons le plein d'évocations - en restes

* *
Pris

Dans l'affaire des marées, du reflux, des saisons
De multiples manières

Pris dans l'affaire des mues, non intentionnellement, ou peu, par désir liminal
(Le rire de mouettes se dérobe à ceux qui l'imitent
Comme Nietzsche à ceux qui le suivent ; ce tout-sauf-père qu'ils prennent beaucoup comme père)

Dans les courants ou les sentiers dunaires
Nous avons des récits et des projections, des cachettes
Mais revenons aux bestioles

Hors de la zoologie, qui ne s'occupe que de fonctions et de critères, jamais de seuils
Et de contuinuité, différence inframince
L'obscurité ou la dérive, les spasmes du changement, les invisibles gonds de l'avenir

Pris de panique à l'idée que le crabe puisse muer
Machinalement, quand la carapace est devenue trop étroite
Non pas trop exiguë (ce n'est pas un vêtement serré, c'est soi-même et l'objet de son oppression à la fois, malgré l'image de la chitine, de χιτών)

Comprimé par lui-même !

La limite ou la frontière de la structure se modifie par l'arrivée d'objets à sa périphérie
Toujours, mais généralement, les objets prennent place dans des nœuds bien constitués, bien connus
Et les modes et dimensions du sens (dont les sens) changent doucement
Petites perceptions, vaguelettes nouvelles mais reconnues, impliquées sans résistance
Le squelette permet la vie, le déplacement du crabe

Bientôt nous abandonnerons l'analogie, mais avant

* *

Il arrive que surgissent de nouveaux rapports de valeur et d'intensité
Ou que ceux-ci se déchirent et s'éclipsent

Le squelette se contracte et se plie, sa souplesse est grande
Structurelle
Mais pas infinie

Les oursins de renvois (ou variétés temporelles, selon le schème de Husserl), les coraux de significations
Les réseaux d'algues et d'évocations, de courants chauds, de fonctions
Dérangés, déplacés ; lorsqu'un pôle nouveau et relativement isolé ne peut plus être ignoré, quand des liens sont arrachés, d'autres font basculer le noyau

Quand la carapace qui est le crabe
Au temps venu (non voulu), l'arthropode n'en peux plus et se sépare de son squelette
Le perd, se recule

Exhibe au vide alentour le mol cartilage qui d'après l'exuviation
Dans la mue, la carapace n'est pas remplacée par une "peau"
L'exossature fait son retour

Nouvelle constellation et nouveaux dessins, on ne saurait plus dire ce qui a changé
(Car tout a changé, même le langage - les mots pour dire n'existent plus !)

Et l'eau de la mer sature l'intra de sels
Les sables et l'irritation et de mer vont durcir l'armure, à nouveau, déposée en son temps en un lieu

Symbole axiomatique de la vie

Chitine du sens et du passage

Squelette blanc
Qui


N'a rien à voir avec ce que je viens d'expliquer
Et ça m'inquiète

Je ne comprends pas


. 2012

20 janv. 2012

[Poékogi] L'autre ville

 
L'autre ville promise est cachée quelque part – dans la nuit, les chantiers, à vélo et à pied, j'explore, je soupçonne qu'une ville se cache dans la ville – où ça ? où ça ?

Me promener en vélo dans une rue déserte, ou comment invoquer la matière des clichés, matière première, matière fertile aussi nommée atmosphère. Rage créatrice, tu n’es pas. Nous puisons plus ou moins bien dans des nappes de pétroles et d'essences.

Alors qu’aucun regard vu ne me voit, personne me change en pierre, je suis descendu de mon vélo que j’ai laissé en arrière, au milieu de la route, au milieu de la rue. Je m'agenouille, je me mets maintenant le ventre à terre, face contre terre, craquelée d'asphalte, et je lèche le béton de la ville. Bras contre le corps, paumes vers le bas. La ville, sous elle, non, à l'envers, je sens déjà une autre ville...

En récompense du baiser inattendu, le béton me transfuse ses sentiments quotidiens : la chaleur des frottements, chaussures et rollers ou pneus ou chenilles ou pattes chatouilleuses des pigeons, les marteaux hydrauliques, la désinvolte acupuncture de la pluie, les embouchures de vent à l'oignon qui grésille, les égoûts me travaillent, le poids des murs – indécent –, tous les murs et piliers porteurs qui forment un dessin beau et bizarre, un tatouage tactile pressant (les points de compression sur la surface de symétrie planaire !).

Et l'absence constatée de caresses, le bruit qu’elle emmagasine sans jamais crier, heureusement – et pourtant, pieuvre docile et joyeuse ! Le béton me transmet ses piliers dans la roche et l'assise qu'elle est à elle-même. Je ressens comme la ville et cela fait comme une autre ville – et j'y plonge... Flux et constellation de stimuli, je me fonds à l'envers de la ville. Un vélo seul renversé, le cycliste a pris la fuite ? Une ville en-dessous de l’autre ville, qui n'est pas au-dessus ? Un ville qui vient toujours avant les bœufs ? Une autre ville retroussée, ou plutôt la même ville retroussée, qui montre sa pulpe assouvie plutôt que l'enveloppe quotidienne qui crache des ombres ?

La ville éclatante, lumineuse – je crois que je la saisis enfin – non pas comme aérienne et paradisiaque, mais comme décentrée, autre part – paradisiaque est de la fratrie d’aphrodisiaque, c’est de la simulation ou encore de l’or – l’or isolé empeste, sa couleur pure tourne à la tête, toujours de l’or des fous, toujours une image, une récompense, un mirage. À quoi bon l'or, si l'or n'est pas le reste du reste qui n'est pas l'or ?

L'odeur de la fumée du temps dissoute en l’air. La fête, la fête car ils sont de retour, les noms, danse et liesse pour l’arrivée de galions qui ont coulé, qui ont échoué ici (étrange ?). Les galions qui ont déjà coulé une fois ne sont-ils pas ceux (les mêmes) qui retrouvent un nom ? N’y a-t-il pas identité dans la vision, plutôt que dans les atomes, quand un homme et un galion sont déjà faits du même système immatériel ?

La ville n’est pas une ville au sens où vous entendez ce mot (alors qu’il est écrit), alors que s'élèvent les voix d'une ville disparue sans avoir jamais été là, mais vous savez de quoi je parle, c'est la ville que vous aimez sans le savoir, ce sont les voix du pays où vous demeurez. La ville telle que vous ne l'avez jamais sentie : sans les vies éparses et au fond inconnues de mille paires d'yeux vivants et/ou aveugles, dehors les rires, à la frontière des pas de course et à l'envers de la contre-plongée de la misère qui gratte – je vous parle en somme de la ville brute, la concrétion totale des trajets et moments lucides, l'enveloppe non-vécue qui soutient le vécu de la ville, le négatif, le moule des corps humains, donc imprégnée d'humaine condition, condensée dans des ères – un fruit maturant qui mute aussi – en-deçà des urbanismes, sous l'abstraction de l'écosphère...

Vous y êtes : l'élémental de ville, cette autre ville sans songe mais songée, purement objective, quand la "vraie" ville vécue – frappée du brouillard quotidien – est aussi songe, et songe plus vague encore !

La ville hors du temps, les rues en sentiers, les processions à la torche dans la nuit claire, sous les patios de silence et braseros blancs, sans un chemin alcoolique ni jeté aux dés, aucun chemin non plus guidé par des poignées de raisons. La ville que je reçois ici et maintenant est un seul chemin, et elle dit deux sens qui ne sont pas des directions : 1 l'unité relative des pôles, la continuité des transferts de mouvements, ou l'attirance et la répulsion comme principes du devenir ; 2 la dérive ou l'errance du côté du temps vide, l'unité utopique ou absolue, c'est là que se trouve l'autre ville, la non-Babylone, où créatures et galions sont leur signe à la fois.

Là où émane un atoll de sensations, mes bras et mes mains et genoux et le front, il n'y a plus de trajets, plus de lieux ; mais je vis des airs changeants que sont les saisons absorbées, qui induisent des transformations cycliques et cycloniques dans l’esprit, je nage, en somme, dans les algues et les fils barbelés, tentures, drapeaux, murailles, véhicules volants reliés entre eux par des sons et des regards, câbles de métal ou langues et lanières de dureté variable... Et reprendre le chemin du monde et des sons tonals – à égale distance des syllabes, des cris et du bruit.

La ville que l’on rêve toujours de bâtir sans le savoir, est bâtie dans les reflets de celle-ci, comme un gant dont l’envers passe inaperçu (car il adhère à la main à l’intérieur), devient la ville où je bois en secret, volée, transparente et concrète – aucune barrière, je trace, des traces, j'arpente, je fonce, galion de Thésée entre les quais de gare désaffectés, les tours de sable rouge aux digicodes et jardins suspendus...


Tel-Aviv

15 janv. 2012

[Poé] Le cou du temps (les mains autour)


Le souvenir a la peau abrasive
Pourtant solitaire, squale dont l’œil ne cligne pas
Se déplace en meute allusive
Comme cet œil glauque, le souvenir boit
Se délecte
Se délecte
Au ruisseau des abysses

Le temps perdu a la peau lisse
Comme les serpents du bois carré
La peau lisse comme une huile
Comme les boas ocellés d’or, le temps glisse
T’enserre
T’enserre
Pour ma part je m’exile (dans un sursis)

La parole bout, la parole se déverse à l’intérieur
En tourbillons et en tempêtes, sur elle-même
Dans la chambre des heures
Son rythme chaotique sur la croûte qui se fêle
Craquelle
Craquelle
Des mots inconnus s'entre-tuent ! Dedans !

Ouvrez-moi ça et enrôlez les survivants !

Le cou du temps (les mains autour), 2012
 

Le cours du temps, tel un Boa arc-en-ciel,
ou un Python fouisseur





8 janv. 2012

[Poé] Laisse ça, et prie


Dis-moi les murs de nos cités
Terminant le jeu de miroirs
Dans lequel je suis pris à m’y perdre
Et de mon plein gré

Séduction générale et désirs
Excavant l’amour en secret
D’être un Tybalt, d'être une Deirdre
À en perdre l’esprit

D’un temps indécis et d’inerties
Polymorphes, saines, partagées
Laisse, prie et bientôt sentira sourdre
Et l’amie, et l’espoir

 

26 déc. 2011

[Poé] Kåseberga


Dieu saisit à pleines dents le bateau immortel
Son archange capitaine, son équipage de séraphins
De la nef brisant net l’élan céleste et démentiel

Dieu mord dans son échine qui gémit vaguement
Avec lenteur élève la coque dans le vide apolaire
Au-dessus (au-dessous ?) d’une petite planète bleue

Soudain le phare solaire s’éteint dans une éclipse
À bord la frénésie fait place aux sueurs froides
Le naufrage se prépare, mais ! Aucun marin ne prie

Bien qu’ils croient tous en Dieu – aucun ne prie
Car ils croient ! Ils croient mais ne l’ont pas connu
La coupe est pleine pour les faucons déchus

Sans plus d’espoir, le drakkar  entame son ellipse
Son voyage sans retour – pris au piège d’une mâchoire
Immobile et motrice : Recel de corps de demi-dieux

Un millénaire pour ce verdict gercé de gloire,
Le drap noir se déchire, le mât éclate, le tout s’écrase
Les corps volés se disloquent, le son sur le tympan

Avant de tout lâcher : ça plane quelques instants
Et disparaît sans un bruit, la nef broyée se noie
Dans un squelette en pointillés : Dieu la transvase

Des roches touchées jadis par des marins crétois
Oui sans un bruit se change en stèles, sa silhouette
Et je l’ai vue, telle un récit qui attend d’être lu

Sur les collines de Kåseberga

Décembre 2011
 

Ales Stennar
,
Kåseberga, Sweden
Drakkar standing stones?

 

25 déc. 2011

[Poé] Étoile de David



Roi
Javelot
Troncs, cèdres
L'esquive musicale
Traverse intérieure qui bloquait le passage
Quelqu’un l’a retirée, un jeu d’enfant
Ma poutre torve, familière, adorée
Thésauriser l’amertume, la brûler
Mon œil voit à présent : je suis nu
Le charpentier qui se fit bûcheron
 La revie donnée sans le paquet cadeau
 C’est un coffre secret, un sceau à échelons
 Tout sanglant, parfait
 Le sacrifice
 Chemin
 Roi




 Étoile de David, 2011

6 déc. 2011

[Poé] Les bulles imaginaires


D’autres créatures échoient à leurs bulles imaginaires
Dans le port de Singapour, les faubourgs de Bangkok
Qui gonflent, embrassent les dynasties séculaires
Jusqu’aux nuages violets se colorisent, les sphères
Dans lesquelles gravitent les serviteurs de Marduk

Chacun déphase un corps dont on a peine à croire
Qu’il soit mien – tien – voyage en trirème volant
Et s’arrache au bastion des tourelles des canons
Du gouverneur de la ville où j’appris à faire voile
À manier le gouvernail et à manger des poires

Car même les statues, elles changeront d’époque
Alors la lueur des néons les effleure doucement
Une vapeur qui crépite ici et là, qui fait muter le lierre
Des véhicules blindés se traînent dans les rues du levant
Conscients d’être de sublimes limaces militaires

Nous dirigeons l’empire des toits, certaine sécurité
Sur ces toitures qui flottent sur les crues des rivières
Le glas s’est tu pour dire la mort qui vient, de nos jours
S’annonce la mort sans fracas, dans un flamboiement
Invisible – et le crépitement du compteur Geiger

Je me tourne vers toi et vois que tu trembles fort
Tu souris et tu te frottes les bras pour me faire croire
Que tu trembles de froid – l’intonation de ton sourire
M’inquiète – veux-tu encore mon épaule illusoire ?
Ou ma main qui s’ébroue, n’en peux plus de faiblir ?

Je te la prête, si ce n’est que ça – la souffrance perd
Tout ce que tu saisis à deux mains – et toi de sourire
Toutes les paroles dans des containers, des baignoires
La voix de la peau calypso a éventré la bonbonne d'air
Je te la prête, l'appui d'une bulle à ta douleur pointue

D’autres créatures échoient à leurs bulles et tue tue tue



© Michael J Love

2011

5 déc. 2011

[Poékwot] Car toujours revient la question (Kenneth White)


« Car toujours revient la question
                                        comment
                    dans la mouvance des choses
      choisir les éléments
                     fondamentaux vraiment
           qui feront du confus
                                       un monde qui dure

Et comment ordonner
                               signes et symboles
      pour qu’à tout instant surgissent
                                      des structures nouvelles
               ouvrant
        sur de nouvelles harmonies
                            et garder ainsi la vie
                                                                    vivante
                             complexe
         et complice de ce qui est –
                                                seulement :
la poésie » 
 


Kenneth White
 in le Grand Rivage, Le nouveau commerce, 1980

1 déc. 2011

[Poé] Losanges


Un contentieux cyclique me force à faire escale ici
Gradins d’amphi ou travées aux arcades et vitraux
Musées de bois sur les plans inclinés de l’espace boréal

Stations de ski à l'abandon – sapins noirs et pistes sales
Dômes touffus comme le temps et remplis d’arbrisseaux

Congères d'asphalte au grand ciel ou marées de mélasse
Caves inondées d’eau et d'animalcules où rien ne passe

Depuis des millénaires – que l’œil qui ne dort pas

Les forces de l'usure sont discrètes et sauvages elles
Ne sont rien que le monde entier livré à lui-même, elles

Manient les frictions, les seuils thermiques, les vents acides
Les rayons rose et orange – doux et violents – à la perfection

Les barres immenses ont l’esprit imbibé de matière
Tout polyèdre en est absent : contingence des losanges

[Les formes élémentaires se dissipent où manque le sceau
Du regard anthropique apposé au réel inhumain, abyssal – ndlr]

Du regard entropique opposé à l’humain irréel, fumerolle

Spatioports éclairés de bougies qui enfument les vaisseaux
Territoires galactiques isolés en tempête, herbes folles

Tour massive toute sertie dans le sol de la nuit sidérale
Noires pistes à décollage, terrains de Golf ou de chasse

Tout bombardés de Soleils rétractiles – leur sel multicolore
Qui éclaire l'entre-vie des vestiges, des ports à la dérive

Pluies d'étoiles aux couleurs sans nom – émues, naïves

Ni réel dégradé en souvenir – ni réel tombé dans l'oubli
On ne peut plus détruire ce qui est tombé ailleurs sans cri

En deçà de tout site même si proche, potentiel, si parent
Du mouvement de la mue – de la forme de l'atoll – une

Caldeira toute en stèles sous l'ellipse marine, un courant
De statues – chrysalide colossale d'on ne sait quoi

Une cité vierge hors de toute exploration, corail vide


Plasticine pyramide, érodée comme un tableau sans titre
Babylone sans auteur, sable et glace, bunker blanc, UR-usine

Une porte – ici – ne peut subsister, un parvis ne mène plus
A l'intérieur – survivons-nous ? – survolons tout au plus

Un cliché colonial comme souvenir au futur antérieur
Effondré sur lui-même, reflet du corps qui délite la vie

Et non l’inverse – nos corps encore vivants qui rappellent

L'éternité fragile et factice des dix mille immortels
De l'empereur des Mèdes et des Perses




Losanges

inspiré des Analogies Géographiques
de Cyprien Gaillard

♪ ♫ Rhinestone Eyes





 


台灣新北市三芝區的飛碟屋

 
Sanjhih, Taiwan
Habitations abandonnées devant la mer

29 nov. 2011

[Loud!] Le Naufrage de Bontekoe

  
Une petite heure à tuer avant de me diriger vers la gare de l'est et attraper mon  train.

Je suis encore dans le cinquième et je me promène dans la rue Mouffetard, j'erre, rue Lhomond, rue de l'Arbalète... Je fait mine de me perdre et tombe finalement sur une rue inconnue jusqu'alors.

Assez vide, sauf la devanture d'une librairie minuscule, encastrée dans la roche des bâtiments. Littérature espagnole, portugaise et sud-américaine.

Devant, un carton de livres qui ont pris l'eau. A l'intérieur, un livre sur les dérivés du jazz au Pérou, plusieurs livres en portugais qui refusent de me parler, et puis ça :


Le Naufrage de Bontekoe 
 &
autres aventures en mer de Chine


Je feuillette : c'est un journal de marin, avec des vieilles cartes de Bornéo, des gravures étranges, des dessins de l'époque, datant du jeune dix-septième siècle. Yeah. Titre bizarre, cartes, ça me suffit, et pour un euro symbolique, ça ira.

Dans le train, j'apprends que l'homme a réellement existé. Il raconte un voyage si incroyable, si risqué que j'en suis jaloux et tout faiblard.  Avec peu de détails, tous nécessaires et incongrus - la marque des bons récits de faits réels, contrairement à la profusion maniérée de ceux qui se veulent réalistes - je n'en sort plus avant la fin.

Le départ, les longs jours sans rien, les rencontres, les tempêtes, les mâts, la folie calme de ces hommes qui sont en métal comparés à nous, les prières, la guerre, les fruits et les îles, le repos et l'attente, d'autres peuples dont on ne sait rien, la mort et les maladies - sans les effets spéciaux, c'est beaucoup plus vrai - Singkep, Mapor, Côn Son, l'embouchure du Zhangzhou, seize ans après...


Le Naufrage de Bontekoe, traduit du hollandais et annoté par Xavier de Castro, éditions Chandeigne, collection Magellane.

20 nov. 2011

[Poé] L'épine dorsale du Monde


Enfin, derniers pas  – je n’y crois pas, la voilà sous mes yeux

La chaîne, hauteurs spinales de l’étrange Atlas qui soutient l’univers
Où les neiges éternelles convertissent les rares mortels à l’adoration du vide
Converti mon poitrail aux caresses du vertige : l’épine dorsale du monde !

Ici, les aiguilles sont des trônes, les glaciers des absides
Les platiers des autels d’où les pins noirs s’élancent vers le bas – lentement
Et le vent fou les déchiquette à coups d’anticyclones

Là-haut, la montagne et le ciel s’embrassent ardemment
Quand les préliminaires sont finis, ils transpirent, se lient dans un chaos
Rocheux – de leurs buées (c’est chaud) naissent nuages et cristaux

Les moraines s’écoulent et les crêtes hérissent leurs vertèbres fragiles
Comme des griffes érodées, côtes géantes d’un thorax qui s’étire
Gémit profondément – craquements d’os – rires : un glacier, une âme

Tous ces débris anthracite et cobalt – quand soudain le paysage devient dément
Tout écarlate ! La beauté sort des crocs d'obsidienne, effilés comme des lames
Ça me mord au visage ! Ah ! Ça n’est pas amical ! Ça me bouffe ça m’

Arrache l’œil à sa cavité, le croque, le mâchonne sous des dents de granit
Le recrache en bouillie dans la poudreuse, rugit au nadir devenu zénith
Retombe en léthargie – mes mains ! qu’une aura bleutée cryogénise

Combien d’heures passées là-haut, là où le temps n’a aucune prise
Sans lui tout s’éclaire, tout est leste et rétractile – il n’avait qu’à mieux s’assurer
(Les étoiles seraient-elles les lumières d’une mégapole céleste ?)

Dorsale de douleur, les courants chauds ont fui tes veines
Pour entrer dans les miennes, alors que je me noie dans l’étendue
De tes montagnes et tes trouées – épine dorsale du monde !

Toute rongée dans ta chair moelleuse, dans ton flanc médullaire
Toi cordée de la Terre, toute infestée de Kobolds et de Trolls
Que l’on ne voit jamais – sauf dans la tempête qui naît, et dans le doute

La nuit tombée, je passe le col du fémur à tâtons, dans le froid, et au-delà
C’est la lordose lombaire. Vallée de l’ombre de la mort, déesse en pleine dépression
Glaciaire - et je prie - je récite en moi-même des tirades inconnues des Moghols
 
Les gangues léchant les parois de roc se font mes cris d'Abel et de Caïn
Le harpon des sommets empale d’un coup violent l'écrin du ciel 
Traverse la voûte et s’abîme, mâchoire fendue, qui pend, question-piège

Dorsale de douleur, les courants chauds ont fui tes veines pour entrer dans les miennes
Quand soudain je conçois clairement les relations entières et il neige
Difficiles d’une fratrie imbibée d’absolu (de l’éther) sur tes plaines escarpées

Es-tu l’antichambre obligée de mes louanges ? Son autoroute ? Son épée ?
Toi qui agrafe et coud la masse informe des deux nuages de Magellan !
L’épine fébrile et pointue c’est mon observatoire d’où je ne te lâcherai plus

Ô Toi, au-delà, Qui es-Tu ?? Qui es-Tu !?
Le jour paraît et il m'entraîne dans son élan








 













Description poétique / Narration vécue


novembre 2011