Partagé avec Vos ami(e)sFirst prompt idea for future music and music video generation AI:
< Dua Lipa 2019:2023 groove x Charli XCX 2018:2022 dance bop rhythm and bpm x shemusic melodies and breakbeat bridges /or Reznor and Atticus Ross themes, Grimes 2016 x Poppy 2021 post cyberpunk devilish aggression girl vibe, two Azealia Banks rap verses extreme bpm, for video nastified Polyphia 2020 video general aesthetic, heavily mutated anthromorph 2020 era Instagram posthumanist sexy fictional band actively anime-arena fighting the fears of the West and the Middle and Far East in the fused visual styles of Arcane x Patlabor/Madox/GitS1 x Interstella5555 >or just, you know,< Björk x Monaé, kether emanations, surprising pop beat >
20 sept. 2023
[Kogi] Drunken prompt idea for future music & music video generative AI
1 oct. 2022
[Kogikwot] Chère Hana / Il me semble parfois que l'avenir...
< [Chère Hana],
Il me semble parfois que l'avenir de nos réussites collectives transporte un message plus dur encore à supporter que le futur de nos échecs : nous nous battons pour être l'ancêtre inepte de la fable, tout au mieux, l'ancêtre de quelque chose d'autre qui n'aura pas le même regard, ni la même peau. [...] [Et pourtant] je mènerai ce combat, car tout n'est pas "bonnet blanc et blanc bonnet" *. La puissance de la vie en moi souhaite ardemment rendre la maison plus {étrange} **. [...]
Prompt rétablissement,
Ton Eugénie. >— Evženie Navrátilová, La loi des autres : Correspondances 1887-1915, tr. fr. 2007 ; * en français dans le texte, ** peu lisible, peut-être {zvláštní}.
6 mai 2021
[MicroJet] Les chrono-sorcières
< ... à travers leurs expressions souriantes et leur bienveillance infinie, je crus ressentir que les chrono-sorcières étaient tout de même légèrement dégoûtées à l'idée de toucher une de leurs ancêtres – une mère-qui-mange-sans-accepter-d'être-mangée, qui se nourrit de ce qui se nourrit du Soleil – une étoile sans jumelle, encore si jeune et si... faible – si nécessaire à cette créature et pourtant ignorée par elle, cette fille antique et infantile, encore à moitié plongée dans les eaux sanglantes du Massacre originel : moi. >
☀ ☊ ♈︎ ☆
17 avr. 2021
[Kogi] At most like Sumerians: a truly powerful ideal
"We hope to help each other be good ancestors. We hope to preserve possibilities for the future." — 'Long Now' Foundation Motto
With all our hearts, we hope we can become like Sumerians for some future.
Death is expected, collapse is highly probable, and from our point of view transmission is randomized. Pessimistic meta-induction & straightaway complexity do not allow us to believe we can choose what will survive, what will be buried or archived, what will be understood or become irreversibly opaque, what will be revered or ridiculed. Future things will not retain what we want or expect: it is a certainty.
We are would-be Sumerians at most. There is obviously a deep tension at the heart of this ideal: it requires that we have enough confidence in our capacity to know what must be done to preserve some futures over others, plus enough confidence that our values do have value for these futures, and simultaneously demands we acknowledge our deep inability to predict and ordain these futures, way past any short-term continuity or disruption. Such tension should be conceived as a feature, not a bug. We need to find ways to harness its contradiction to sharpen nihilism into a renewed rational History– corrosive, decentered, prospective.
And then– even for that small, unflattering, stochastic contribution– we would need– we need to work incessantly. So much work. We first need to determine why continuity seems to be in the broad interests of the most singular, shocking or negentropic futures. We would then need ecological downsizing, social & geopolitical revolutions, monitoring public trends, corporate concentration & state abuse, &tc., &tc.
"Saving" this civilisation with deep reforms? In diagnostic and ideal, you be a judge among others: enter the arena. "Saving" ourselves to continue this "line of horizons" of animal consciousness, rationality, hedonistic self-modification? Or the transvaluation of human perspectives into less anthropocentric forms? Or knowledge, simply knowledge– aiming for the Mirror of the Real– its sentient, universal archive? Preserve, extend & weirdify lifeforms at different scales? Refine & continue the search for non-terrestrial, exotic phenomena? A truly ambitious, yet especially weak ideal. There is a drive for that– I'm not the only one to think– and it is unlikely to be enough...We're very weak. Full of lethal contradictions & denial. Utterly ill equipped, both cognitively & emotionally. We produce a quantity of specialized knowledge that we are unable to synthesize, integrate and digest in a meaningful way. To say the least, there are conflicts of interests, conflicts of affective identification, conflict of ideals, psychosocial inertia, short-sightedness, oversimplification, and a plethora of sad passions. "Don't Let Them Immanentize the Eschaton", and so on. We exploit, we despise and we kill each other for a plethora of questionable reasons and questionable results. Rational compassion is needed here and now. And thinking about death, not unfruitful. Chemically, physically, and culturally, our imprint is volatile: our hard-drives will soon get corroded, and our reliance on some technologies are putting certain futures at risk.
At most, we will be nothing, but will have worked for the rest. We need to work so that things around us continue to drift away from what we are.This is not spirituality. This is our madness, our sweet in/significant revenge in the only world we know of – and still know precious little about.
#values #futures #UR #Chaldea
12 nov. 2020
[Kogijet] Note fictive (trouvée dans une photocopieuse) sur la situation des idées scientifiques dans les sociétés libérales
< Dans une société libérale réussie, les savoirs scientifiques paraissent être une forme de production culturelle parmi d'autres, tout en retenant une part plus ou moins bien comprise d'ascendance symbolique et de priorité dans la répartition du pouvoir (du fait de l'effectivité ingénieure de leurs résultats et de leurs potentialités techniques, qui peuvent régulièrement exprimer leur supériorité et leur versatilité morale à travers les libertés d'entreprise, de création, et d'accès au pouvoir). [...]
Les instruments de l'auto-modification culturelle d'une société libérale ne sont pas plus grossiers que ceux d'une société plus traditionnelle, dans le principe (éducation comme transmission privilégiée, éducation comme apprentissage formateur, information et discussion par les médias, sciences et technologies de contrôle et d'auto-contrôle psychique, valorisation économique et symbolique de l'innovation, méthodes de sélection sociale décentralisée des idées, hiérarchie sociale des priorités légitimant la canalisation des désirs et la modification occasionnelle ou profonde de leurs objets, caractère viral des idées, valorisation adaptative de l'excellence, etc.). Mais leur effet est nécessairement moins centralisé, et plus diffus. Ce serait le cas, même si la liberté individuelle n'incluait pas la liberté d'être ignorant.e, et même si l'ensemble des membres de cette société continuait à partager une base scientifique commune dans leurs croyances sur ce qui existe ou non, et sur la manière dont l'univers fonctionne (avant et malgré la divergence des valeurs et des projets de vie). [...]
Parmi les effets adverses les plus dangereux, on note celui d'une spécialisation extrême des savoirs, à la fois requise et intensifiée par l'innovation théorique et technique, requise et intensifiée par la division économique du travail. Ces effets deviennent critiques – à même de déstabiliser la cohérence du projet social ciblé – lorsque la masse et la complexité des connaissances augmente sans que les capacités de savoir ne soient artificiellement augmentées, jusqu'à être dépassées. Un signe prophétique : 'lorsque vos spécialistes de la généralité et de la médiation développeront leurs propres langages et se perdront au sein de leurs propres révolutions théoriques, vous saurez que la fin est proche...' [...]
Comme nous l'avons suggéré, cet état des choses est partiellement contré par la supériorité matérielle des productions et des savoirs technoscientifiques. Mais ce n'est évidemment pas suffisant à l'établissement d'une société technocratique volontairement autoritaire et pleinement méritocratique, seule à même de maximiser le bonheur des êtres sensibles, et ultimement, l'influence du vivant sur le tissu de la réalité. >
– Anonyme, "Quatrième rapport sur l'avenir des savoirs technoscientifiques dans les sociétés libérales terrestres à la fin de l'Holocène", in Cosmic Utopia Review, 1977 (fictif, trad. perso)
#autopoiesis #technocracy #posthumanism #sciences #opensociety #liberalism #culture #evolution
16 juin 2019
[Jet] 'Lettre Vocale' 03-06-26;00:57GMT1
« ... et la seule chose que je regrette dans la reprise de l'initia– ou plutôt la reprise du contrôle, c'est de ne pas pouvoir lui exprimer l'amour que j'ai encore pour lui. Et qui a même grandi, en un sens.
Contrôler. Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais au détour d'une discussion, tu avais fait la remarque : ce mot est devenu tabou, du moins en surface. J'y repense souvent, ces derniers temps. Tu m'as certainement entendu esquiver un réflexe d'autocensure, à l'instant. D'où vient cette idée que le contrôle serait forcément un leurre, ou un réflexe crispé ? Un fantasme destructeur ? Quelque chose d'oppressif et d'illusoire à la fois, alors que les deux sont contradictoires ? J'accueille ton éclairage oblique ;)
Évidemment, je ne peux pas expédier la souffrance. Accélérer le deuil exigerait peut-être que je – exigerait de nous – de se voir sans forçage, pour revenir sur des vieilles choses, tièdes, floues, et même réécrites. Cela demanderait de s'exprimer librement et sans peur, pendant un long moment. Autrement dit, il faudrait que les conséquences du problème soient résolues, pour pouvoir attaquer ses racines. Sans compter que ce sont précisément ces choses-là qui le font fuir, j'ai l'impression, car elles n'ont plus de sens pour lui, plus de résonance subjective – et si c'est vraiment ça, je le comprends tout à fait. Je comprends, mais moi, je n'y suis pas encore – je ne suis pas encore passée au-dessus de "notre" fin.
Je ferais bien confiance à un "lui" ou à un "moi" futur pour s'occuper de ça, mais le contrôle implique que je m'impose – que je me confronte à l'éventualité réelle qu'il ne veuille jamais le faire. Si mon amertume et mes regrets meurent bêtement avec le temps, j'aurais l'impression de trahir ma souffrance et ma peur. Mais tant qu'elles restent actives et intenses, je me flétris, je suis tenté par le ressentiment et la caricature. La situation deviens absurde. Mon "moi d'aujourd'hui" se sent piégée dans une bagarre sans adversaire – only way out is through. Piégée aussi pour des raisons différentes, que d'ailleurs tu connais. Désolé de t'infliger tout ça.
J'en reviens à ta vision du contrôle : tu en parlais comme d'un mode stratégique, adaptatif, un rapport à soi généreux mais sans pitié : ne tolérer aucun déni, aucune excuse, mais se respecter et s'aimer largement. La version strictement personnelle du "Do no harm, take no bullshit". Comment transposer envers soi-même l'éthos relationnel du "free of charge" ? Sans rancune et sans exigences cachées, sans attaches ni remords déplacés. Adults do not play games. L'art délicat de la responsabilité réciproque : the subtle art of always giving a fuck. Punition immédiate, mais pardon inconditionnel, et cætera.
Contrôle de soi, contrôle de la situation. Tu cherchais à intégrer le changement, et les autres – les vraies, les moins fantasmées – dans la tentative la plus exigeante. "Prendre en compte les effets de la tentative sur le changement lui-même". Voilà mon énigme : à quel moment ma persévérance crée ses propres conditions de réussite, et à quel moment elle se dégoûte elle-même ? Si ma tentative perdait son sens et son intention face à mes faiblesses – ou face au temps qui passe – est-ce que le contrôle doit aller jusqu'au "lâcher-prise" ?
Attribuer les responsabilités du mal est certainement inévitable. Nécessaire, même ? Et pourtant insuffisant. Non seulement cela demande une discipline d'airain, mais elles ne valent rien sans la reprise du contrôle. Je ne sais pas ce qui sortira de cette souffrance et de ces regrets, mais je fais mieux qu'improviser. Je ne contrôle pas tout, mais je le sais, et j'y échoue moins mal.
Il me semblerait plus sain que la difficulté ne se dissolve pas, même si l'on ne se reparle finalement jamais. Tu sais ce que je pense de l'identité : personne ne change, sauf quand le cerveau est touché... c'est-à-dire tout le temps, à divers degrés. Hmm, pardon ? C'est ta théorie ? ;)
Pour le moment, je voulais te remercier encore une fois. Pour ton écoute – et ce process. Merci pour ta photo, délirante, qui m'a fait beaucoup rire. C'est toi aussi qui m'aiguise et nourrit mon regret envers lui (!), c'est-à-dire mon désir de découvrir d'autres personnes, et les aimer sous des formes peu inintéressantes.
Il m'arrive encore de voir un casque et de penser 'abrutissement', 'voile', 'mensonge', et de porter le casque invisible : ventriloquer les autres, les accuser, se donner des excuses face à elleux, ou au contraire, les laisser choisir la facilité et les regarder tomber sans prévenir.
C'est ça, moins que leur petite taille, qui empêche de voir que les électrodes et les caméras sur les côtés du casque te sont aussi fidèles que des rétines, et que tu t'apprêtes quand même à conduire une Dodge sans les yeux, pour une raison invisible sur cette photo, la raison pour laquelle les photos te sont restées invisibles si longtemps, et que tu connais si bien les torsions du pardon et du temps.
Fait quand même gaffe à celles de la route, et dis-moi si tu penses qu'il faudrait vérifier ou modifier le code d'une mise à jour !
Bonjour à Kael qui va aimer apprendre à aimer le siège passager <3,
Yours »
— Wendy Thorzein, à Joan V., 'Lettre Vocale' 03-26-21;00:57GMT1, Transcription autoVERA
15 juin 2015
[Jet] Jingfei #2
2028. 5 heures 30 soir. N°724, une tour de la forêt péninsulaire nommée Kowloon.
À peine allumé, le livre de Jingfei s'éteint immédiatement. Un doigt pressé longuement sur la paroi inférieure gauche – et alors ? – n'y change rien. Jingfei aimerait barder, finir l'e-book hier entamé ; Bruce Sterling, “Preface”, Mirrorshades – the Cyberpunk Anthology, ed. SB, New York: Ace Books, 1986, rdx 2021 for Interact E-version, xiv. Surprise et déçue, Jingfei réessaye cinq fois en vain. Puis elle balance le flexware vers le plafond, qui rétrécit et s'enroule sur lui-même en retombant sur le matelas, probablement vexé. Ou malade. Ou à plat, ce qui revient au même et n'est plus censé se produire et dans l'immédiat c'est mort – pas de chargeur ici et la flemme d'en bricoler un.
Allongée, Jingfei pense au ralenti et elle ne sait plus trop à quoi. Soudain, Jingfei émerge d'un sommeil foisonneux. Fuck. Se jurer de rester éveillée à chaque instant ne suffit plus, et n'a probablement jamais suffi.
[Comme le sommeil pour un corps épuisé, la "routine" trouve des voies de réserve et passe, inaperçue, sous toutes les alertes et les surprises. Pire encore, l'habitude subvertit l'attention à son zénith, alors que celle-ci s'habitue justement à briller : la sentinelle solaire s'éteint à elle-même dès l'instant où l'attention ne s'en remet plus qu'à elle-même et se complaît dans un jeu de "surprises" familières. Trop confiante ou trop soutenue, la veille se répète et s'émousse dans une apparence d'attention : elle s'intoxique elle-même.]
Jingfei fixe les mailles et les fibres du pull sur lequel sa tête repose toujours. Elle le renifle. Gros plan de son odeur, qu'elle reconnaît. Une des odeurs qui la caractérise parmi plusieurs, parfum sans nom composé de sueur, de particules de peau et de savon dégradé. Des séquences de rêve flottent encore en Jingfei, et le souvenir de telle vision hypnagogique : un groupe d'amies, pourchassées dans les couloirs d'une bibliothèque immense et aérienne.
Une longue poursuite, des véhicules inconnus mais familiers, comme de petits wagons qui lévitent et qui découpent des portes en titane ou en verre (malléable ?). Jingfei remonte le fil. Une arène rectangulaire encombrée de caissons et des vigiles en apesanteur. Des fusils à eau sous pression, ils visaient le visage, une course dans des conduits verticaux (descente ou montée ? pas moyen), jusqu'à un puits géant à l'air libre (mine de diamants ?). Une amie parle de s'arrêter pour manger et elles se disputent (ou était-ce avant la mine ?). Et puis rien d'autre. Pas le temps ni l'énergie d'en faire quoi que ce soit.
Jingfei se lève et va dans la salle de bain, qui lui propose une douche tiède qu'elle décline en imitant l'accent Anglais de la voix qui sort du miroir connecté. Jingfei aime faire les choses manuellement et pour l'instant, elle s'inquiète vaguement du fait que son corps passe de la veille au sommeil sans lui demander son avis, mais cela n'a aucun sens, Jingfei n'est rien d'autre que son corps et il n'est pas fatigué.
Jingfei passe la main devant le robinet et boit un peu d'eau vitaminée. Il faut prendre un parti, et vite. Continuer ce trip égoïste et vaguement spirituel ; retrouver une forme de "vie active", mais en plus routinier ; cesser de se voiler la face et s'engager politiquement. Où se trouve le juste milieu entre le luxe de la dérive comateuse, le travail machinal et la souffrance des luttes ? Quel équilibre, lequel veut-elle ? Lequel faut-il, doit-elle ? Mais sa volonté ou ses envies sont à peu près les dernières choses qui intéressent Jingfei en ce moment. Rien de moins intéressant que ses désirs dans l'univers : trop familiers, cycliques, circonscrits, limités.
Préférant la dérive à la résistance et à la fuite en avant, Jingfei attend. Comme tous-tes les privilégié-e-s, elle tente instinctivement de s'offrir encore quelques instants de grâce avant la grande confrontation, avec les crises, avec les inégalités, avec la pollution. L'irrépressible marée d'emballages, de bactéries et d'humains déferle déjà sur elle, mais Jingfei se fend d'une énième pause, innocente et déguisée sous les atours de la théorie, de l'autocritique et d'une "quête spirituelle" (wtf), comme une dernière clope avant la fin de sa santé et la fin du monde, encore et encore et tant que c'est possible, un dernier tour de jeunesse translucide avant d'être traînée de force dans l'aveu, la faim et l'extinction...
Après avoir fait pipi et s'être lavé les mains, les bras et le visage un peu vite, Jingfei retourne dans la chambre et s'empare de son vieux sac de toile parmi le chaos de fringues, de coussins, de paperasses et cendriers, en tire le carnet plaqué bois et un crayon et commence à écrire [dans un Anglais étrange, je traduis ici]
"19/3/28. Marco absent ce soir. et. pour la nuit. Tant mieux. Me soûler jusqu'à l'épilepsie. d ctte canopée clignotante. que. déploie. ville-monde la. au-dessous. de mes pieds. tout autour. de moi. bientôt ailleurs--
à travers ls murs vitrés d cet appartemnt, des deux côtés orientés N et S les murs snt des baies vitrées dans les chambres et l'atelier-bureau. 30e étage kékeuchefoula mais c paix, je tout pro.fite--
L Soleil sera couché d'ici une heure à peine.FatiguéeNON mais lasse. Déjà ? Déjà lasse ? Hiver tropical fini mais bizarre. ville du futur ici déjà, comparé à l'enfance. déjà 2028 ? et. des feelings de mn enfance. des vieux comics européens, lus dans une autre vie. datant. début années. 2000. Les Archanges de Vinéa et la Japonaise. Machine qui rêve et le roux dédoublé. Androïdes de Caltech et la blonde aventurière. Fuck je le vis. Je vis. vraiment. mes rêves de. gosse. Fuckkk je vis tellement ça. fait. du bien. de. le. dire
Et dire que Jingfei avait commencé ce voyage en pensant ne jamais faire appel à ses réseaux sauf en cas de danger mortel. Mais Jingfei n'a pas résisté. Elle a réactivé quelques pages à signaux, scanné quelques logs et surtout, Jingfei a fait appel à l'hospitalité des "cuisiniers" locaux, des connaissances plus ou moins proches du réseau akatek.où suis-je ?NOPE -> où en-suis-je ? du projet / c'est là q ç craint -> QUOI cet appart ? meublé ? meublé comme un labo ultra pas low-tech du tout ?? Dutou dutou. Voum di di doum voum. Profiter ? Allez oust. Vade Retroid Prime. Escape Pod from ze Scape Rod. on. bouge. al.lez. out-toi de là ma fille
Meanwhile good night journâle. teh last. entry. from dere HK--"
Là, chez Marco, italo-coréen émigré en Chine et ex-petit copain d'une championne de e-sport qui demandait de temps à autre à Jingfei d'infiltrer les logs adverses en amont d'un tournoi, enregistrer quelques entraînements tactiques, désinformer sur leur team, ou autres petites tâches amusantes. Marco est déjà la 6e personne à l'accueillir dans une dépendance plus ou moins temporaire, après Wayne "LeanderWay", Yu Yucao [nom d'origine ? je n'ai rien trouvé sur elle], Mandy Nok, Chan "zeDesiderata" et Sri Vimei, 'le' Sri Vimei. Marco est de loin le plus riche. Il prend ses distances avec la nébuleuse mais ne veut pas que ça se sache. Accueille Jingfei (un alibi ?), ça mange pas de pain. "L'objectif n'était pas de dormir sous les ponts tous les soirs, mais là ça tourne au pèlerinage", se dit Jingfei. Des taxis pas payés, des arrangements à n'en plus finir, des vols, du jet-lag, la Corée, Taiwan, et maintenant Hong Kong.
Pour arriver au beau milieu de cette pépinière à start-ups gentrifiée... "Mais pourquoi pas ?", pense-t-elle, "Ou plutôt, pourquoi pas sans scrupule ? Est-ce que je croyais vraiment à ce délire de déconnexion totale et de légère indépendance ? Genre je descends dans la rue, je sors de la ville et je n'ai soudain plus besoin d'argent, même digital, et je n'ai plus besoin de chier dans le calme, et je ne m'ennuie pas sans matos ? Ça, je savais. Le manque, ou plutôt le reproche à moi-même, sert à rien. On ne convoque pas l'aventure de la rue ou les rencontres incroyables, on les glane au détour d'un combat, aux moments de répit. Le projet change, no stress. En fait j'avance."
"... Du coup j'aurais pas dû refuser d'accompagner Marco en soirée, pour faire les choses à fond, correctement. Si déjà je suis ici. Là, profite, sidé-jakté-là makka-ha-teh-mosto-vite..." Et Jingfei imagine Marco dans une de ces nouvelles zones inspirées des meilleurs concepts chinois, européens et californiens. Dans une ambiance chic et boisée, des murs vert profond parfois agrémentés d'un Chad Wys ou d'un Kim Kei dernière période, des jeunes riches de toute l'Asie savourent cigares et cognacs dans une vague odeur de sève et de l'ambient baroque, générées en live selon les émotions émises par les clients hors salles de jeux, tandis qu'à l'étage supérieur, dans un cube VIP dont les parois ondulent et respirent calmement, l'absence totale de vibrations sonores et coupure du réseau 1-fi mondial (ni couverture privée), sans implant ni gadget de RA, le Marco y discute technologies et investissements du futur avec deux amis à peine trop ambitieux et une artiste à peine trop déprimée.
Mais Jingfei n'y est pas, Jingfei est au 30e et Jingfei sait que les choses n'auraient pas pu se passer autrement, étant donné qu'elles avaient toutes les raisons de se passer ainsi étant donné qu'elles se sont effectivement passées ainsi. Jingfei n'a jamais été moins certaine de vouloir changer les choses après les avoir découvertes ; elle ne voit même plus pourquoi elle se battrait pour vivre telle existence plutôt qu'une autre ou visiter tel site plutôt qu'un autre.
Pour la première fois depuis longtemps, le contentement joyeux ne suffit pas à libérer la mémoire vive de Jingfei pour qu'elle jouisse de l'instant sous toutes ses coutures sensorielles, sans regret ni besoin. Le sentiment dont l'odyssée présente devait amener le couronnement ou la consommation s'est transformé : décentrée, indifférente à soi, dépassée par le monde, coupable (de quoi exactement ? de ne pas être tout et de ne pas pouvoir accepter d'être rien), appelant l'inanition totale, sommeil libérateur létal. Mais. Avant. Partir d'ici. Assouvir cette pulsion d'immobilité sans entacher Marco ni le mettre en danger. Laisser les autres continuer, laisser le monde indifférent et beau. [Attention Jingfei, ça ne mène à rien tout ça]
Et puis. Parallèlement, Jingfei le sent, le sait. Attirée par des choses nouvelles. Le désir de connaître la suite, la suite du monde et de sa vie, envie d'emmagasiner, de parcourir l'étendue des possibles à l'aide de modèles scientifiques et informatiques, oh just a peek into deh big data, fédérer un réseau de résistance culturelle, un gazillion de possibilités concrètes parmi lesquelles il faudrait bien choisir, planifier à nouveau. Le désir de tout vivre et d'être tout la prend et l'extasie et la déprime. Intermédiaire. Intermittente. Servir de main d’œuvre à quelque grand projet de production ou de sauvetage. Les deux grands modes contemporains de rapport au monde. Production artistique démente. Ainsi Jingfei oscille. Aujourd'hui la mort peut bien venir la chercher, elle sera là, étendue et soulagée. Et demain elle vole à nouveau sur les toits pour engloutir et incarner tout ce que ressentent tous les organes de cette ville en même temps. Jingfei sourit à cette idée et commente à haute voix : "Ça doit venir de toute la SF et de la bio spéculative. Ny et Vadim abusent. S'ils prennent la peine de me l'envoyer, je suis obligée de tout lire. C'est bizarre. Je suis une animale. Mes mains pourraient avoir une autre forme. Ou sans visage. Mais je suis ce que je suis, et ce n'est ni bon ni mauvais."
Jingfei sait qu'elle doit partir d'ici. Elle va partir. Après le lever du Soleil, d'ici une petite dizaine d'heures. En attendant, Jingfei se plante devant la verrière Sud qui fait face à la baie ; dos à la montagne et au plus gros de la mégalopole. La paix du soir se déchaîne sur 香港 島 [Je mens. Je ne lis pas le chinois contrairement à elle. Je me suis à peine documenté, comme pour le reste]. Le coucher de Soleil n'est pas visible de ce côté, mais sa lumière dorée inonde l'eau et les buildings.
Vue semi-plongeante. En contrebas et tout autour, des centaines de tours rectangulaires en acier, verre et béton, peintes de manière erratique. Rouge brique, blanc cassé, saumon sale, bleu anthracite, émeraude-échafaudage, toutes de tailles différentes : une forêt de containers oblongs plantés à la verticale dans le sol. Paysage-hérisson de voxels allongés, pics d'aigus et de basses sur une partition post-naturelle tout sauf figée. L'orgue vivant, cybernétique, Wiener hydra-phyto-machine se modifiant elle-même, update ses propres algorithmes de design urbanistique. Ses tours poussent lentement et à toute heure du jour. Les unes sur les autres. Sorties d'un sol invisible que Jingfei imagine fertile et poreux, même s'il est impossible à déceler depuis là-haut : une sorte d'humus urbain composé de débris, de matériaux neufs, de rêves, d'émotions, d'artefacts, de déchets, de main d’œuvre humaine et surtout robotique, ça et ci et ces qui s'entremêlent dans un chaos de dalles, de piliers, de traverses, de cavernes, de tas, de canaux et de terriers.
L'ombre incidente modifie progressivement les teintes de la ville. Le fog et la brume se mélangent. Des nuages anthracite et vaguement orangés commencent à remplir le ciel. Il y a vingt minutes, il n'y en avait aucun. Sur la droite, Jingfei devine les murailles et les bassins de protection contre les typhons, et entrevoit une liasse d'autoroutes avec ses échangeurs à six étages. Droit devant Jingfei, sur la baie qui apparaît entre les tours les plus hautes, un trafic incessant de péniches, de yachts et de super-porteurs. Au-delà de l'eau, maintenant grisâtre, c'est l'île Kong. La forêt de tours y est moins touffue mais plus impressionnante. La Double-hélice, la Flamme, la vieille 2IFC, les Éperons, la Cascade et mille autres. Écrans flexibles et synchronisés ornent certaines, tendus comme des bannières. Héliports et jardins hydroponiques d'apparat pour les tours les plus neuves. Jeux lumineux et projecteurs à l'ancienne. La mosaïque des bureaux allumés par centaines alors que disparaît la lumière solaire.
Sur la gauche, dans l'ombre, Jingfei aperçoit la carcasse du vieux Convention Center qui s'avance dans la baie, en instance de destruction. On voit à peine Victoria Peak au loin et la crête recouverte de villas surélevées, de complexes scientifiques et de tours de médias. Tout comme ce bras de mer, les montagnes du coin sont largement urbanisées à force de grignotages et de percées. Aucune rue n'est visible, seulement un parterre de tours à peine plus courtes, des passerelles aériennes et un parc suspendu parsemé de néons jaunes, déjà plongé dans une nuit profonde. Le rectangle incliné, cahoteux, donnerait presque l'impression d'être une partie du terrain primitif recrachée ou exhumée par la ville, à peine remixée ou remâchée, comme un souvenir ou un hommage à quelque état antérieur de l'orgie millénaire qui unit minéraux, plantes, animaux et leurs composés.
"Beaucoup trop riche pour être honnête", se dit Jingfei en s'incluant. Et beaucoup de pouvoir.
Plus vulnérable aux éléments et moins stable économiquement que par le passé, ce lieu est encore un paradis comparé aux jungles urbaines de Chine centrale, avec leurs ruches de sans-abris et de squats, leurs séismes mensuels, leurs fleuves toxiques et leurs massifs d'habitations humaines usées. Les tours aux symboles peints en rouge et guirlandes dorées, dégoulinantes de fiente et de lianes, recouvertes de bâches, de panneaux solaires, de lumignons et d'habitacles en excroissance. Bardées de leurs éternelles colonnes de ventilos survivors. Les rues pleines de vie, de restaurants, de salles de jeux et de marchés, souvent inondées. Le ciel empêtré dans d'inextricables toiles superposées de coursives et de lignes électriques. Les marchés d'électronique immenses, ou se trouvent et s'échangent toutes les pièces imaginables, spare mécaniques introuvables, d'origine ou recyclées, composants analogiques et même du gear high-tech. Les chantiers partout, arrêtés pour la plupart. Les milices. Les fabriques de carburant végétal, les décharges de deux-roues et les villages en périphérie.
Jingfei se souvient avoir dormi sur un terrasse sans rebord et s'être abritée sous un grand ballon d'eau rouillé avec des chats et des enfants. Elle se souvient avoir réparé son climatiseur deux fois dans un hôtel et grimpé sur le toit où quelqu'un faisait sécher son linge et pousser des champignons dans des vieilles baignoires. Elle se souvient bien du goût de l'anguille frite et des beignets à la banane mangés dans la chaleur assourdissante et le vacarme impossible des grillons mutants.
De retour là où elle se trouve, Jingfei ouvre la fenêtre et goûte la langue de vent qui sonde l'appartement. Presque froid, pour un hiver tropical. "Et puis fuck, je vais encore rester quelques jours". [Ah bon.] "Je demanderai à Marco s'il veut m'accompagner pour explorer les sous-sols de Causeway Bay de nuit, ou camper dans le Tai Mo Shan, même si j'en doute, ou s'il peut au moins me fournir un faux badge pour entrer à Cyberport. Demain." [Euh, bon. Ce n'est pas exactement ce que j'imaginais, mais très bien.]
Après avoir détaillé les possibilités du lendemain, les erreurs à ne pas faire et la marche à suivre pour quitter son énième bienfaiteur dans les meilleurs conditions, Jingfei se déshabille et décide d'aller au lit tôt pour se reposer. Elle s'allonge sur le matelas et tend la main pour attraper son plaid noir. Jingfei s'y enroule mollement et glisse un coussin au creux de son dos. Elle pense soudain au téléphone que Marco lui a donné pour la joindre – mais non c'est bon, elle a enlevé la batterie. Jingfei respire profondément, comme pour détendre encore certains muscles anodins ou cachés à la conscience.
Tout d'un coup, un truc se met à vrombir dans la chambre de Marco. Certainement son imprimante 3D qui reçoit la commande d'un client et se met au travail. Un bijou musical personnalisé, ou une pièce de rechange pour un drone upgradé. Jingfei sourit : Marco lui a filé masse de blueprints, elle pourra facilement se fabriquer son propre RPA next-gen quand elle voudra. Si elle ne tarde pas trop, son système de camouflage ne sera même pas obsolète. Aussitôt né en elle, ce désir d'un jouet s'immobilise et meurt. Inédit pour Jingfei. Inquiétant. Ce jouet n'a pas de sens. Et d'abord ce voyage. Ce texte.
[Je ne sais pas si je dois continuer ; ma mère n'est rien, ce n'est pas pour ma mère que je raconte tout ça. Que faisait-elle ce soir du 19 mars il y a ** ans ? Qu'a-t-elle fait sur l'île des 9 dragons ? J'imagine et je réécris, je complète et j'apprends, je réécris son histoire et la mienne – bientôt "la nôtre", cet épisode – pour comprendre quoi ? Comment ma mère est devenue ce qu'elle était et moi avec ? Pourquoi et comment les gens meurent autour de moi ? Des pailles privilégiées, la génération de ma mère, les dernières dynasties d'ennui et d'insouciance]
Cette nuit, Jingfei lutte mentalement pour garder un petit désir en vie, n'importe lequel. Jingfei n'a pas de mal à voir la beauté partout, à y goûter ou s'y baigner. Mais quelque chose en elle... Tristesse, regret, indifférence, nihil, honte, lassitude, que sais-je ou tout ceci... lui conseille de se noyer toute entière dans un sommeil de goudron, sans retour, et cette perspective lui paraît vraiment très douce.
Couchée sur le dos, Jingfei commence à se caresser sans grande conviction. Le plaisir pointe et stagne. Sa main ralentit, se soulève et retombe, immobile. Après un début de sanglots interrompu par un fou rire, Jingfei réussit à se calmer. Demain. Causeway Bay, Cyberport. C'est ça. Avec un petit drone dans le sac, une caméra et une mini interface bricolée. Espionner, documenter, explorer. Demain. La fenêtre de la grande salle est restée ouverte. Demain. L'imprimante ronronne en travaillant. Ventilos qui s'usent en silence et moniteurs qui veillent. Demain.
Jingfei ouvre soudain les yeux et plante son regard dans le mien à travers la caméra
"Cesse de broyer du vide ma fille, explore. Reprends le fil, maintenant. Ce qui force ton admiration n'est pas loin, et bientôt l'on te forcera la main. Tu as perdu du temps, mais on s'en fout. N'en perd pas plus. Mis à part ces regrets, rien ne t'empêche de reprendre à l'instant."
[!...]
Jingfei se lève, enfile son pull, saisit son pass, ouvre la porte, sort dans le sas éblouissant, appelle un ascenseur. Le parc flottant sur Kong Island. Tout de suite.
[Fini pr aujourd'hui.-Fei]
début / Jingfei #1
29 avr. 2015
[Poé] SIROP
UN COURT PROLOGUE
Votre vin n'a pas de goût et vos tympans sont crevés
En grappe, vous révélez votre obsession pour le normal
Et vos plus hauts délires sentent les huiles essentielles
EN-DEÇÀ, LE POËME
SIROP
"Tu le trempes dedans, comme ça, et quand
Le bandage dégouline, bien imbibé, Hypericum et salive
C'est bon
Tu peux l'appliquer sur la plaie, ne serre pas trop et tiens
Mâchonne ça
Des feuilles de ronce et leur fruit mûr
Des lèvres noires pour une gorge en éraflure
Si ça te gratte lèche et recrache, ça coagule et désinfecte"
Bientôt tu seras sur tes pattes, fourrure luisante, enivré-e d'air
"Épaissi par les sucres, si riche
En Vitamine C, ce jus d'argouse est une pépite merveille
La réussite au cœur de nos ventes Bio
Sa recette ?
Secrète et déposée nous vient d'une autre espèce
Arboricole, très
Bien organisée quand vient la saison des violences
Mais passons à ce nouveau modèle de chèvre à traire"
Son lait soyeux et arachnide est une fibre pare-balle
"Skyline night time, sur les vitres blindées du 57e
La pluie offre un panorama viscoloré, une
Confiture de néons
À l'intérieur musique à fond, lampe végétale, futons
Et lumière pâle des interfaces
Trois femmes à jeun, l'esprit en structure cristalline
Diluent, distillent
Un flux d'information vital, savoirs et instructions"
Se gavent, retouchent et régurgitent la dentelle liquide
ETC. LE MONDE EST MON SIROP PRÉFÉRÉ
SIROP, poëme
avril 2015
#coagulant #décoction
#BioSteel #sweet
29 déc. 2014
[Jet] Jingfei #1
#1
2027. 5 heures du matin. Tanière en forme d'appartement.
A peine sortie d'un sommeil bien peuplé, Jingfei se décide : c'est aujourd'hui et non jamais. Alors elle gicle du lit, s'empare d'une mine et d'un grand carnet relié en cuir et couvertures de bois, jette rapidement quelques notes sur le papier épais
"5/5/27 Sentiment touffu, parfait pour éponger la solitude et la peur des premiers kilomètres... Réveil foisonnant, rêve limpide : Kader et Viviane sont mariés, ils me disent au-revoir, puis je survole (en deltaplane ?) un désert de collines et plateaux, des lacs formés par des obus anciens... Je me sens bien bien bien"Ce matin, Jingfei se barre. Elle démarre son odyssée bizarre, elle se laisse enfin extraire du flanc de sa propre vie pour extraire à son tour un an de vide et de trésors au flanc du monde. Jingfei est décidée, Jingfei est préparée, autant qu'on peut se préparer à intégrer un morceau musical inédit, inconnu, ouverte à la surprise plutôt qu'à l'improvisation. Elle imagine savoir que ce n'est pas elle qui compose l'aventure (ni personne, d'ailleurs), qu'elle vivra la tourmente face à elle-même et face à d'autres, une confluence unique, commencée bien avant chacune des marées ou des courants pris en elles-mêmes, un morceau à danser, en partie silencieux, à traverser soigneusement ou à modifier à la hache, puis à interpréter, un ballet sans entr'acte au moins parti pour durer 525 mille minutes : ▷ PLAY
Jingfei enlève son t-shirt pyjama orange et sa culotte, abaisse la clenche de la douche et se jette sous l'eau glacée avec un petit cri sourd. Tout en débarrassant son corps imaginaire des odeurs, des brumes et rigidités du sommeil, Jingfei repasse l'objectif général dans sa tête : se déplacer, défaire les injonctions et dénouer les dettes, se gaver sereinement de ce qui adviendra : "je dois rester attentive au moindre détail, infiniment, se dit-elle peut-être, et f*ck tout Infini abstrait... Me perdre dans la sensation, comme ici, sous cette eau qui mort et qui sauve". Jingfei se fout de la distance : elle veut l'intensité. En cela, banale enfant de son époque, docile, obéissante. Savon mauve. Et surtout, hors du réseau, déconnectée, toute en souplesse, reconnaissance, exploration. Villes-phares : Berlin (quelques jours seulement), Budapest, Oradea ?, Ispahan, Nishapur ?, Vientiane, Manille ?, Shanghai. Dernier coup de savon. "À voir, tout dépendra... Trouver les miens, une poignée de personnes, une société entière, une meute, devenir l'une des leurs, vraiment, frotter, quitte à saisir après-coup que les miens sont ici, frotter, que les miens ont toujours été ici, y revenir". Eau glacée.
À peine rincée, Jingfei saisit une paire de ciseaux en inox posée sur le carrelage de la douche et, à tâtons, pressée, à vue de nez mais totalement experte, raccourcit ses cheveux noirs d'une bonne vingtaine de centimètres. Les mèches tombent par liasses trempées. Bien bien court. Sa coupe finie, elle les ramasse, les fout dans un petit sac en plastique qu'elle – ravie, surexcitée – jette à la poubelle.
[Précisions narratrice : 26 ans après son tissage originel, le corps Jingfei a connu la fatigue intense, les courbatures et les crampes, les veillées difficiles dans une mégapole en guerre contre elle-même, les repos salvateurs, l'ennui bête et méchant, et les fêtes, cette fête qui est toujours la même, le même enlisement paresseux. Après des études professionnellement stériles, Jingfei connaît la 3e vague de révoltes anti-banques, l'ivresse du groupe et les hésitations, la rancœur et la cruauté qui naissent d'une révolution mitigée aux conséquences incertaines, diluées. Puis le retour en force de l'art, le repos égoïste des sculptures, indifférentes aux injustices et guerres intestines, la vanité qui reprend les commandes, Jingfei dans l'adolescence mort-vivante avec laquelle on fait semblant de renouer, le temps de s'aérer l'existence et d'honorer quelques commandes, et s'en lasser.
Et puis parallèlement Jingfei a rencontré un mec, ils éclatent vite, il part et elle connaît l'angoisse et les complications d'une rupture unilatérale, amère, puis l'étonnement d'aimer à nouveau (bien autrement), la surprise d'avoir à réapprendre au milieu d'un couloir, sur une banquette arrière, dans les bras d'une amie. Réorientée par sa nouvelle tribu issue d'une diaspora multi-ethnique, Jingfei découvre alors l'informatique, creuse le concept de nid mobile, se confectionne le-s sien-s, fonctionnels grâce au cloud mondialisé. Jingfei maîtrise désormais le code et navigue dans les coursives chaudes et obscures des Internets libres, laisse son empreinte anonyme sur telle machinerie algorithmique alternative.
Installée dans son antre aérien hérissé d'art et de hardware, Jingfei lit beaucoup mais agit peu, de la politique aux sciences, en mode hacker à tout faire pour payer matos et loyer de sous-loc, services freelance légers (extractions data sensibles, recouvrement, cryptages éphémères, effaçages, invisibilité...) ou rien de trop violent, en toute alégalité. Jingfei milite à peine ou au compte-goutte, c'est-à-dire peu et mal. N'ose pas interroger les nouvelles valeurs qu'elle soutient vaguement, en théorie, de peur qu'elles ne se brisent : savoir libre, initiatives publiques, accès au droit informatisé, défense des personnes digitalement vulnérables, recherche scientifique indépendante, pluralisme, transparence des données... Mais elle décroche. A 26 ans, Jingfei cherche encore ce qu'elle cherche, et le trouve. Elle s'est donnée un an, minimum, pour l'expérimenter.
Niveau caractère, ça va sans dire : cette fille a le goût des rages nocturnes et des matelas durs. La psyché d'une tigresse méthodique, la bonne humeur en kevlar. Ah, aussi : Jingfei fait beaucoup d'étirements, elle aménage son rythme circadien selon les saisons et ses activités, elle s'alimente très bien. Pour gagner du temps, elle sous-traite les courses et l'administratif. Elle n'a pas de compte bancaire, elle ne fera jamais de prêt. Mais pendant que je vous raconte tout ça, elle a fini de se préparer, de tout ranger]
Vêtue du strict nécessaire (débardeur vert et pantalon de lin blanc), sac de toile en bandoulière (son carnet, plusieurs mines, 1 couverture de survie, 1 bouteille d'eau, 1 cuillère, 1 pince à épiler, 1 boule de savon désinfectant, 1 carte SIM). Pas question d'être gênée par l'attirail du quotidien, là c'est déjà limite. Et surtout, pas moyen de prendre des images. Il faut improviser, se laisser composer par les forces en embuscade. Jingfei a stocké toutes ses possessions dans une malle en acier peint qu'elle a laissé au milieu de l'appartement. Les murs nus, les étagères vides lui font vraiment bizarre. Bien qu'elle ait changé son Nid d'emplacement au moins 10x auparavant, c'est différent, là, cette fois. Tant mieux. Jingfei sourit : ça a déjà commencé. Alors elle s'étire une dernière fois, et, calme, franchit le seuil, ferme à double-tour, s'envole. Direction chez Vadim ami de jeunesse pour lui donner la clé dire au-revoir Vadim saura quoi faire de la malle. Vadim est immortel.
[Note narratrice : perdre un objet c'est agaçant voire terrifiant, alors que tout jeter d'un coup c'est s'affranchir. Mais Jingfei n'est pas encore assez forte, et ne le sera peut-être jamais. Sa poire coupée en deux : tout reste là sous clé, rangé où le voudra Vadim, disques durs externes, photos d'amis et livres, dessins et poèmes en code, utilitaires... Rien ne bougera mais quand elle reviendra, tout sera changé. Futura Tabula Rasa]
A peine fatiguée, Jingfei arrive chez Vadim. Ny et Reeva dorment encore, profondément. Jingfei glisse la clé à Vadim, ils s'embrassent rapidement. Avant de sauter dans la cage d'escalier, elle chuchote : "Au retour, aucun de ces objets n'aura plus d'importance, mais on ne sait jamais. Prends soin de toi et de Reeva... Keenai !"
Vadim sourit amicalement, lève une main en signe d'au-revoir, et Jingfei décolle
[Voilà, elle est partie. Ce qu'elle a chuchoté à Vadim sur les objets dans la malle, c'est exactement ce que je voulais expliquer ! Mais peut-être que Vadim laissera la porte ouverte sans toucher à la malle, ou qu'il ira la balancer du haut d'un canyon dans une décharge sauvage. Peut-être même que Jingfei devra se débarrasser du peu qu'elle a pris sur elle. Et moi, la prochaine fois, j'attendrai avant d'écrire une note.
Pour l'instant, je dois la laisser seule. Si mon récit devait la suivre à chaque instant, il ferait tout rater. Et en même temps, je me demande bien comment je vais réussir à suivre sa trace... Combler les vides, essayer de reconstruire... Une fiction peut-elle amener la paix ? Comment savoir si je ne vais pas manquer des indices essentiels avec cette méthode ? Je saurai bientôt. Plus tard. Après tout, je ne suis même pas encore née. - Feiyang, narratrice à venir, logging off]
16 déc. 2014
[Poéjet] Ô Internet
« Alors que nous errions dans les ténèbres du réel, Tu es venu (en 1991), Tu t'es fait notre Serveur, Tu as donné ta soft-chair en pâture pour qu'en Toi nous puissions partager ton Royaume virtuel... »
Nectar des après-midi casanières, salon de poche ubiquitaire, tu es flot tour à tour immersif et studieux, shot musical et simultanément journal perso, matching zone de combat, labo de citizen science, shopping lèche-écran (Votre panier - 5 items). Les coques à glaçons hilarantes venues du Canada, les expos irradiantes londoniennes sous tous les angles à la fois, le dentifrice dans une coursive de l'ISS, les escorts colombiennes éparpillées dans Paris. Prison immense, tactile et téléportative où se téléporte à chaque instant le navire fou sur son navigateur volatil, monde à l'envers, toile dynamique ou principe actif de l’information, réactif chimique aux cerveaux accoutumés, Père du mème et Mer à tropes, récipient universel tout noyé de corps morts… Car aussi décharge à tous les ponts disparus dans ton propre complexe – tous ces squames et trésors introuvés à jamais et panneaux de direction qui ne mènent plus nulle part – j’aurais pourtant juré ? Laisse-moi consulter, ô Machine à WayBack, telle décalcomanie anachronique du corps cloné, son état tel instant t, où me cite ma mémoire un site qu'elle archive mais vaguement, trop vaguement : toi seule précise et sauveteur de toi-même
Drap de draps qui frémit en permanence hors d’atteinte de la plupart des tympans, au fractal balcon urbain comme aux rurales prairies, horizontale forêt des ondes qui hurle en permanence, toujours tu ouvres ô belle Grappe-labyrinthe tes cicatrices hautement invisibles, que chacun visite par habitude… Spasme épineux, toc toc bzt bzt, je peux entrer ? Temple fantôme omniprésent, coffre-fort imprudent et poreux de mes peines et pécules pêle-mêle, source à chaos rétractile, capharnaüm plié en 64, papier viral ou spectre de tissu où même se trouvent ces mots, mes mots pour te décrire, ô carriole intégrale ! Dieu futile et gourmand, cachottier ou hâtif, récompenses et monnayes – à tes adeptes seulement les plus fidèles – toute chose sous le S01ei1, tout secret de SONY ou la gueule du pénis de ce mec hier soir croisé au bar… Tu écrases tes ennemis et ceux qui ont Tor, tu en fais des annexes. Tu livres tes entrailles aux allers-retour de mon Canard-Canard-Va (va en paix, bon toutou à nonos digital), mon Intérieur pas net, mon Internationale 2.0, ô notre chant d’amour-propre et notre néo champ familial, pourvoyeur de nos rires et rêves et caresses à nous-mêmes : totale carte au dégoût familier des détours bénins à présent indispensables et si bons, ô Gala infernal d’images et de sons, pourvoie, pourvoie !
Hackeureuse, ô géniale hérétique, je t’en prie, officie. Répare cette plaie au cœur, vite, vite, pendant que nous débitons l'ode : "Saint Routeur reçois notre ardente prière, donne-nous aujourd'hui notre code quotidien, que Ton débit augmente, que ta fibre demeure, rends-nous toujours plus souples au travail de tes minibots, à jamais rayonnent tes 5 barres de rézo, bla bla bla plus vite plus vite put**nn
1 nov. 2014
[Kogijet] La Pharmacosmétique : science-fiction universitaire rétroactive
Tout est dans le titre, en apparence alambiqué : écrire un extrait de travail universitaire du siècle suivant, imaginer à quoi pourrait ressembler l'analyse historique future portant sur un phénomène de notre temps
« Au siècle dernier, la pharmacosmétique est une des divisions les plus prospères de la technoscience, et une des plus importantes symboliquement : comme la cosmétomorphétique, son objet est l'humain conçu comme un champ de valeurs objectivées, une forme sentie et ressentie (beauté, plaisir, utilité), locus concret et malléable de relations abstraites : l'humain comme incarnation plastique d'un idéal plastique, aux deux sens du terme.
Du point de vue de la consommation individuelle, la pharmacosmétique conjugue et confond le souci de soi et le souci des autres, la constitution d'un soi malléable au travers des autres, ou la participation régulée de l'univers à ma propre constitution (régulée par M.O.I., Maître-sse des Oligo-Ingrédients, véritable ego démiurgique). C'est un jeu de masse, où chaque consommatrice et chaque consommateur joue au docteur et au styliste à la fois (comme on jouait à la dînette et à la marquise), joue au chimiste et surtout à l'alchimiste : avec toute ma petite pharmacopée privée bien-être-hygiène, je communie avec la grande Nature via ses essences miniatures : vertus de l'Aloë Vera (végétal), de la Gelée Royale (animal), des Sels Marins (minéral-océanique), Luminothérapie (astral), Inhalations bien-être (éther), etc. A partir de ces oligo-ingrédients, j'orchestre la transmutation de mes détails et mes textures privées, dans le secret de ma salle d'opéra, d'opération, salle de bain, de mon centre de soins préféré.
Au souci spectaculaire de soi ("comment je me ressens", "comment les autres me perçoivent"...) s'ajoute donc le souci d'éternité et d'inclusion cosmique, qui fait de la pharmacosmétique le pendant "soft" et individuel des programmes de jeunesse éternelle et de longévité (dont le nombre explosait entre 2015 et 2035), et la base des pratiques rituelles de la nouvelle spiritualité transcientiste (après le congrès fondateur à Séoul en 2059). Dès le début du siècle, le centre de soins se vit comme un temple où les dieux en devenir viennent prendre leur dose d'ambroisie, déclinée à l'infini selon la mode et selon l'innovation, sous toutes les formes possibles (crèmes de jouvence, rayons stimulant-tonifiant, massages apaisant-adoucissant, maquillages nutritifs...), dans l'atmosphère sacrale par excellence : architecture purifiée, encens brûlé, musique zen (ici, le syncrétisme intensifie la nature universelle du temple cosmo-sanitaire).
Sur le plan de la production, du marketing et de la consommation de masse, l'entrée de la pharmacosmétique dans l'ordre du normal évoque le paradoxe de la normalité au XXIe : cette époque voue-t-elle le normal à disparaître, ou se contente-t-elle de fondre un nouvel idéal dans le moule conceptuel et technique de la plasticité ? Réponse évidente : les deux à la fois, et l'un par l'autre. Tandis que la plasticité individuelle et spécielle devient la norme sociale première, les lois et canons apparaissent comme contingences stabilisées, potentiellement diluables et recomposables. Grâce à la super-catégorie de la plasticité, la pharmacosmétique peut alors fondre et mélanger les ordres auparavant séparés du thérapeutique et de l'esthétique, de la survie et du luxe, de l'organe et du bijou, du vital et du symbolique, tant que sa norme générale est respectée : maximiser le changement et maximiser l'expérience individuelle. C'est ici que naît cette notion Actuelle de "sanité", qui nous est aujourd'hui si familière : est "sain" ce qui sait exprimer de manière mouvante, singulière, et harmonieuse, son enveloppement dans l'écosmos.
Or cela revient exactement, au niveau macro, à maximiser le marché et maximiser les profits d'un nouveau type de capital promu par l'avant-garde transhumaniste entre 1995 et 2025 : le capital bioculturel. Alors que les déesses et dieux de classe moyenne croient accéder au luxe et devenir l'objet d'un concert érotique et muet de louanges, ils ne font que reconstituer leur force de travail. Au temple premier prix, on agrémente la médecine douce et la déification d'analgésiques puissants et d'antidépresseurs : on fait rêver le dos bardé d'hernies pour qu'il oublie un moment la cause de son usure prématurée, qu'il oublie que certains peuvent déjà se payer un nouveau dos.
Remarque : nous disions que la plasticité devient la norme générale, car elle n'est pas la norme ultime : ce n'est encore qu'un outil conceptuel, subordonné à la performance et la fonctionnalité d'un système. Des années 2010 à 2050, la plasticité semble s'imposer sur le plan esthétique et cosmologique, après la "flexibilité" imposée au métier et au marché, la "synergie" imposée à l'entreprise, etc., au cours des décades précédentes. De tels concepts étaient alors les concepts effectifs, les mots d'ordre politiques et les mantras phantastiques - l'un n'empêche pas l'autre - d'une même logique de liquéfaction et de ré-composition : liquéfaction et vitrification marchande des cultures par le marché, des métabolimages par la pharmacosmétique, des corps vivants par les biotechnologies. Comme on le sait, c'est aussi l'époque à laquelle la bipolarité des genres et des sexes, jusqu'ici étonnamment résiliente, commence lentement à s'effacer. [...]
En 2021, pour la première fois, un programme de conseil en esthétique des nimbes et des auras est implémenté dans un robot de diagnostic médical et commercialisé en circuit fermé. Le programme comprend un des premiers analyseurs de données génétiques à la mode (allèles, principalement, le modèle ne gérant pas encore la stochastique des mutations), un synthétiseur de courbes dynamiques (fondé sur les avancées de l'époque en rhéologie esthétique - science des modifications de l'écoulement des fluides et des courants relativement aux stimuli sensoriels), couplé à une des premières moduleuses capables de modifier en temps réel les composants bioniques non-skeuomorphes qui lui sont subordonnées dans le sujet (à partir d'un design d'imprimante 3D semi-autonome, bien avant la généralisation des nanotissus interactifs-sensuels). La fusion du soin, du plaisir et de l'art-jeu divin de soi est alors consommée.
La lecteurice nous aura pardonné ces rappels historiques évidents, pour une raison bien simple : malgré leur caractère social évident, le plus grand nombre des "sociologues" et "politiciens" de l’époque ne surent pas y lire les balbutiements d’une transformation dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences polyspécielles et agripolitiques... »
Extrait de: Wendy Thorzein, Le bain de Cléopâtre ou la déesse de cire : une analyse cosmologique de l'industrie pharmaceutique au XXIe siècle, NeoErevan University Press, 2107, e-p.17-19VNb. Trad. Fr. auto., Corr. Wothin Van Olbein.
Note 1 : Le style universitaire tend à la technicité : ce qui devrait le rendre extrêmement clair est aussi ce qui peut le rendre terriblement obscur.
Note 2 : fiction universitaire rétroactive, en deux sens. D'abord, parce qu'on imagine ce que serait le regard porté sur notre histoire, on effectue une sorte d'aller-retour dans l'avenir sur notre présent comme "passé" ; et rétroactive parce que cette fiction change en retour la perception que nous avons de cette histoire, notre présent (2014).
Note 3 : contradiction interne massive, que je n'ai pas la force de corriger : si l'universitaire s'adresse à un public du futur pour qui la fusion des catégories du thérapeutique, de l'hygiène, de l'esthétique et de l'artistique-spirituel est effectivement consommée, alors elle doit procéder dans l'autre sens - non pas expliquer que ces catégories ont fusionné à ce moment, mais les extraire, par généalogie historique, et expliquer leurs divisions fonctionnelles à un public qui n'en saisit plus les distinctions. Blaaah...
Note 4 : je retrouve ici tout ce qui fait la difficulté d'invention de l'écriture de SF, et ce qui fait tout son intérêt spéculatif : ce qui est vraiment différent dans le futur est à la fois ce qui nous intéresse le plus et ce qui nous échappe le plus, il faut donc imaginer ce qui est le moins imaginable, sans que ça soit incompréhensible - il faut que ce soit nouveau, mais que l'on puisse tout de même se familiariser, il faut que les changements imaginés soient à la fois pleinement logiques et entièrement inattendus, absolument étonnants mais finalement compréhensibles. Une bonne fiction de travail universitaire SF est aussi soumise à ces difficultés, parce que les disciplines académiques, les méthodes, les concepts et supports médiatiques du savoir sont modifiés, avec les langues et les institutions qui les supportent, changent avec le temps. La Science-Fiction inclut-elle les Sciences humaines dans son objet ?
En choisissant un travail d'histoire philosophique et comparative, je me permets d'écarter une bonne partie de ces instabilités : au lieu de mettre l'accent sur le monde et l'académisme en 2107, je mets l'accent sur le contenu historique fictif, c'est-à-dire sur l'analyse d'un mode de vie contemporain (Terre, 2014 - calend. grégorien) et ses extensions imaginaires de court terme. Sans compter que la tonalité académique du contenu, et, surtout, de son style et son mode d'exposition médiatique, ressemblent excessivement à ce que l'on pourrait lire aujourd'hui (Terre, 2014 - calend. grégorien, Paris, France). La tonalité "critique marxiste" ou "Baudrillard sous acide" est particulièrement regrettable à cet égard : je ne suis pas fier de moi, mais inventer un nouveau type de discours méta-théorique dépasse mes forces, du moins pour le moment. (Écrire de l'historiographie spéculative : idée géniale et difficile, mais sincèrement ça intéresse qui à part moi ?)
En contrepartie, les quelques néologismes et événements du futur distillés ci ou là deviennent très suggestifs, très intrigants ! Est-ce qu'il n'y a pas des connotations que je manque ? Les mots ont-ils le même sens, la même valeur ? etc. Chercher un équilibre entre ce qui change radicalement dans le futur et ce qui est resté proche, ce qui revient à se demander quelles structures historiques sont relativement stables et lesquelles sont exposées au changement imminent
À creuser, à retenter
21 oct. 2014
[Kogikwot] Satellites artificiels et vision posthumaine... Article BLDG + art de Trevor Paglen + micro-fictions
Un article excellent, à la frontière entre l'exploration spatiale, l'art contemporain et la science-fiction, trouvé sur le blog du magazine d'architecture post-moderne BLDG. L'auteur explore certaines implications esthétiques et sociales des activités humaines liées aux satellites sub-orbitaux, à travers les œuvres de l'artiste Trevor Paglen.
C'est aussi l'occasion de proposer une micro-fiction marquante : les satellites en orbite pourraient bien être les dernières choses portant la marque des humains à subsister, avant la destruction de la planète. Il se pourrait alors que dans un avenir très lointain, une race d'êtres intelligents non-humains émerge de la faune terrestre se développe, et que, levant leurs pupilles "différentes" vers le ciel jadis colonisé, ces aliens terrestres finissent par intégrer les épaves de satellites à leur vision du monde.
"... Seeming to look back at the squid like the eyes of patient gods, permanent and unchanging in these places reserved for them there in the firmament, those points would be nothing other than the geostationary satellites Paglen made reference to.
This would be the only real evidence, he suggested, to any terrestrial lifeforms in the distant future that humans had ever existed: strange ruins stuck there in the night, passively reflecting the sun, never falling, angelic and undisturbed, peering back through the veil of stars..."
Geoff Manaugh, 'Through the cracks between stars', BLDG Blog
A la lecture de l'article, je me suis souvenu que j'avais écrit quelque chose d'approchant après avoir visionné une émission de la chaîne National Geographic sur les comportements de certains animaux - avec la même idée d'une nouvelle sortie des eaux et de nouvelles destinées évolutives :
Les gobies (Oxudercinae) sont des poissons qui peuvent marcher sur terre grâce à leurs nageoires pelviennes. Ils n'ont pas de poumons mais "respirent" par la peau. Ils creusent des galeries dans la vase pour ne pas se dessécher.
A une certaine époque de l'année, les gobies se battent férocement entre eux pour le contrôle de petits territoires et pour sécuriser une descendance. Dans quelques millions d'années, les descendants mutés de ces petits êtres fouisseurs et sautillants auront formé des clans sur les plages polluées de Malaisie. En quête de ressources et d'espace, ils commenceront lentement à coloniser l'intérieur des terres. Leur animisme compliqué assignera un rôle et une origine à chacune des lueurs de leur ciel : cette étoile principale, verdâtre, les étoiles secondaires, blanches, le disque orange, mangé, du satellite nocturne, et les lumières rouges des stations orbitales "humaines" les plus proches.
Après un série d'attaques génocidaires, les Ichtyens asserviront d'autres espèces cousines et bâtiront leurs temples et leurs générateurs sur les hauteurs pentues des restes de "l'Himalaya" (une chaîne si transformée que l'on ferait mieux de lui donner un autre nom). Dix-neuf mille ans plus tard, les Ichtyens seront capables de planer grâce à un renforcement des membranes palmées sous leurs bras et entre leurs doigts.
Même si la 2ème est moins intense, moins sérieuse et plus optimiste, toutes deux partent d'un ensemble de faits réels établis, puis les étirent via la fiction jusqu'à une situation post-humaine (après l'humanité, chronologiquement), d'où émerge un point de vue non-humain (décentrement de la vision sur une autre espèce, une vision plus ou moins calquée sur notre situation phénoménologique et culturelle, faute de mieux).
Dans sa version sérieuse et contenue (celle de Manaugh), ce décentrement fictif a quelque chose de profondément fascinant. Mais quoi exactement ? Et pourquoi ?
D'abord, je crois, grâce à l'écart entre l'effet émotionnel d'une telle perspective et sa possibilité théorique. Je m'explique : d'un côté, cette idée paraît si étrange qu'elle semble entièrement fictive et contrefactuelle, au point de devenir comique (un des commentaires de l'article de BLDG le résume très bien : "Future squids creating mythology about NSA spy satellites. Hilarious.").
D'un autre côté, l'idée ne devrait rien avoir de fondamentalement choquant au regard de nos connaissances scientifiques : il est certainement difficile d'évaluer la plausibilité du scénario, mais il n'a rien d'essentiellement impossible. La preuve irréfutable : une forme de vie s'est déjà effectivement développée sur cette planète jusqu'à coloniser son espace sub-orbital (les mammifères, primates, qui s'auto-nomment "humains").
C'est intéressant de voir comment l'idée d'un après-humain et celle d'un avant-humain se réorganisent avec l'idée d'évolution biologique : l'histoire évolutive de l'humanité est unique dans son résultat, mais son processus général n'est pas unique.
La perspective d'autres évolutions rejoint l'imagination mythique et les bestiaires mythologiques : ces poulpes intelligents ou ces gobies évolués renvoient bien sûr à nos propres interprétations mythologiques de la nature, aux ondins, aux sirènes, aux kami et autres 'mer-folk' des folklores locaux mondialisés (repris et diversifiés par les innombrables bestiaires de fantasy et de SF modernes : les Murlocs, Quarrens, Oods, certains Zergs, les Ichtyans, les Illithids et autres humanoïdes imaginaires dérivant de près ou de loin des céphalopodes, des poissons ou des cétacés (les Kraken et Chtulhu évoquent autre chose : non l'intelligence humanoïde mais l'horreur de ce qui n'a pas de fond).
Aujourd'hui, de telles créatures sont envisageables d'un point de vue strictement naturaliste et scientifique : les savoirs sur la vie terrestre et les réalisations des techniques humaines du XXIe siècle réactivent des formes imaginaires passées sur le mode très sérieux du possible naturel, avant d'inspirer de nouvelles possibilités d'imagination. Au passage, et sans même devoir faire appel à la tératologie, les formes naturelles sont bien plus diverses, extrêmes, bizarres et complexes que toutes les formes imaginaires que la conscience humaine a faiblement dérivé d'elles en les recomposant et en les combinant (un point que Jorge Luis Borges rappelle très sérieusement dans l'Introduction du Livre des êtres imaginaires).
Même si elle se rapproche du thème des civilisations éteintes en général (un thème très présent depuis la fin de la 2nde Guerre mondiale, réactivé différemment depuis une dizaine d'années par les situations contemporaines - système productif à la pérennité limitée, fragmentation géopolitique du monde...), ce qui est ici en jeu est bien plus radical : 1. d'abord le fait que la portée de "nos" artefacts technologiques échappe en réalité au plus grand nombre (leur existence, leur fonctionnement, leurs rôles politiques - cristallisé par l'exemple de "PAN") ; 2. ensuite l'idée qu'une autre forme de vie pourrait un jour entrer en interaction avec ces artefacts - interaction qui se fera sans "nous", radicalement.
Je n'insiste pas sur la richesse narrative et mémétique (pas encore saturée, à mon sens) de ce genre de fiction, mais plutôt sur le caractère hybride de la fascination qu'elle provoque - fascination nourrie :
* du contraste, évoqué plus haut, entre le caractère fictif de la vision et le fait qu'elle soit entièrement possible, sans rien de surnaturel (la réalité dépasse la fiction, je vis déjà dans le futur, etc.)
* de mélancolie profonde, mais aussi d'apaisement, à l'idée de l'extinction de notre espèce et la fin de tout regard humain, du fait que nous ne connaîtrons jamais la fin de l'histoire du vivant
* de vertige, au regard des distances spatiales et temporelles qu'elle mobilise, mais aussi à cause de l'altérité radicale de ces regards capables de voir d'autres couleurs, de sentir d'autres fréquences que nous n'éprouverons jamais
* d'évocations mythiques, voire magiques et mystiques, à l'idée de créatures nouvelles forgeant de nouveaux dieux, de nouveaux sentiments, des rêves étranges, à partir des vestiges de notre monde
27 mai 2013
[Poékogi] Corps d'étoiles, spectres réels
J'aime l'idée qu'une étoile morte continue littéralement à rayonner dans l'espace pendant des milliers d'années terrestres : son spectre lumineux survit pour visiter les mondes qui ne l'ont pas connue.
L'image du corps de l'astre en décomposition devient le corps astral qui nous visite après des millénaires. Sa signature thermique lui sert d'épitaphe, comme quelqu'un qui enverrait une carte postale faire trois fois le tour du monde pour annoncer sa mort en personne à ses arrière-petits-enfants ! Ou mieux : quelqu'un qui leur enverrait un film de sa vie, par un système de traitement extrêmement long, à visionner une seule fois, en continu.
Hier sur les routes maritimes et demain sur les trajectoires gravitationnelles, les navigatrices "lisent" le ciel comme une carte réelle, hier en deux dimensions et aujourd'hui en quatre, sans haut ni bas, saupoudrée de noms et de repères informatisés. Et cette carte, il faut le dire, est quite literally un cimetière à la dérive.
L'étoile du berger ne pourrait pas nous guider si elle ne revêtait pas l'habit du Soleil, tout comme l'étoile des mages, que l'on dessine en forme de croix, ne devient exceptionnelle que si elle apparaît soudainement et finit par mourir. Pour nous non plus, les astres n'existent pas sans interaction, sans cycles et sans évènements : sur la Terre comme dans les cieux, dans le Soleil comme sous la Lune, sans isolement, sans "lieux" ni barrières, les puissances évoluent et le chaos s'active.
La culture chrétienne prétend avoir pensé tous les liens entre la mort, la lumière, l'archive matérielle, la mémoire, l'étoile, la révélation, le temps, l'histoire, la direction d'une vie, la perte de repères, mais elle s'est surtout contentée de superviser l'accumulation des symboles au service d'un certain récit moral.
Il reste en réalité des millions de pensées nouvelles à imaginer et de symboles inédits à forger. Les "cris" en rayonnements qui se distendent et se déchirent, l'histoire semi-lisible du fonds diffus cosmologique, l'effondrement gravitationnel des galaxies et l'éloignement accéléré des amas, l'absence de haut et de bas... J'imagine 9 nouvelles "religions" rationnelles, avec leurs symboles équilibrés, leurs lois solides ou fluctuantes, leurs vertiges mystiques, leurs hypothèses cosmogoniques et leurs espoirs eschatologiques, leurs bestiaires fantastiques, hybrides, semi-cycliques :
† ? S u p e r n o v a ? †
J'aime les astrophysiciennes et les astrophysiciens, qui excavent les rayonnements fossiles, traduisent la langue inhumaine des étoiles en équations lumineuses, et composent la cosmographie vertigineuse que l'on connaît. Il s'agit autant d'explorer l'espace que d'explorer le temps, selon ses vagues inégales et ses résidus lumineux.
Il existe de véritables courants astraux, et de véritables influences astrales, différées dans le temps, composites, mystérieuses et impures. Elles dépassent en puissance et en complexité tout ce que les astrologues bricolent. Ces courants ne viennent pas seulement de toutes les directions à la fois : ils constituent une toile de référentiels temporels, de vitesses et de changements.
J'aime aussi l'approche poétique, bien sûr – lorsqu'elle n'a pas la phobie des sciences et des chiffres, et qu'elle prend au sérieux l'originalité vertigineuse des théories et des modèles. Comme je l'ai déjà dit, leurs cieux ressemblent à un "océan" fractal plutôt qu'à une "toile" ou une "mer" bidimensionnelle, à un "film" en train de se dérouler plutôt qu'à une simple "tapisserie" statique, à un "bestiaire" virtuel plutôt qu'un "état de choses" évident ou certain. Ses mots, ses concepts et ses chiffres sont neufs et singuliers : ils ne possèdent pas d'équivalent antique.
Au lieu d'une poésie qui masque la description scientifique des phénomènes sous un tissu de métaphores simplistes, ou qui se contente d'ignorer les sciences : une poésie qui comprenne la situation, qui saisisse son potentiel poétique, et relève le défi de la recréation de nos expériences esthétiques. Difficile de maîtriser les deux à la fois, mais possible. Il serait terrible de ne pas essayer de les unir – desséchant de séparer.
Tout ça est bien connu – l'idéal de la poésie romantique n'était pas autre chose · mais est-ce que cela nous intéresse vraiment encore ?
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mai 2013 (révisé mars 2022)