30 mai 2013

[Kogi] Causes sans raison / Causes without reason


FR


Tragédie du sens : nous pourrions avoir toutes les causes sous les yeux, elles ne nous satisferaient pas, car elles ne donnent pas une raison, et encore moins une intention. Comme nous croyons à l'intention subjective et à sa supériorité, que nous cherchons partout à y voir notre image, nous secouons les causes qui n'ont plus rien à dire : "POURQUOI ? POURQUOI ?" et finissons par entendre des voix.

EN

Tragedy of meaning: even if we can see the whole chain of causes arrayed in front of us, their display never would never account for a
reason, let alone for an intention... But we're convinced that something is lacking with causes, something like us, a decision, a will, so we sway facts, shake them up, screaming 'WHY? WHY?', yet facts have nothing else to say... Then, we start hearing voices.

 

27 mai 2013

[Poékogi] Corps d'étoiles, spectres réels


J'aime l'idée qu'une étoile morte continue littéralement à rayonner dans l'espace pendant des milliers d'années terrestres : son spectre lumineux survit pour visiter les mondes qui ne l'ont pas connue.

L'image du corps de l'astre en décomposition devient le corps astral qui nous visite après des millénaires. Sa signature thermique lui sert d'épitaphe, comme quelqu'un qui enverrait une carte postale faire trois fois le tour du monde pour annoncer sa mort en personne à ses arrière-petits-enfants ! Ou mieux : quelqu'un qui leur enverrait un film de sa vie, par un système de traitement extrêmement long, à visionner une seule fois, en continu.

Hier sur les routes maritimes et demain sur les trajectoires gravitationnelles, les navigatrices "lisent" le ciel comme une carte réelle, hier en deux dimensions et aujourd'hui en quatre, sans haut ni bas, saupoudrée de noms et de repères informatisés. Et cette carte, il faut le dire, est quite literally un cimetière à la dérive.

L'étoile du berger ne pourrait pas nous guider si elle ne revêtait pas l'habit du Soleil, tout comme l'étoile des mages, que l'on dessine en forme de croix, ne devient exceptionnelle que si elle apparaît soudainement et finit par mourir. Pour nous non plus, les astres n'existent pas sans interaction, sans cycles et sans évènements : sur la Terre comme dans les cieux, dans le Soleil comme sous la Lune, sans isolement, sans "lieux" ni barrières, les puissances évoluent et le chaos s'active.

La culture chrétienne prétend avoir pensé tous les liens entre la mort, la lumière, l'archive matérielle, la mémoire, l'étoile, la révélation, le temps, l'histoire, la direction d'une vie, la perte de repères, mais elle s'est surtout contentée de superviser l'accumulation des symboles au service d'un certain récit moral.

Il reste en réalité des millions de pensées nouvelles à imaginer et de symboles inédits à forger. Les "cris" en rayonnements qui se distendent et se déchirent, l'histoire semi-lisible du fonds diffus cosmologique, l'effondrement gravitationnel des galaxies et l'éloignement accéléré des amas, l'absence de haut et de bas... J'imagine 9 nouvelles "religions" rationnelles, avec leurs symboles équilibrés, leurs lois solides ou fluctuantes, leurs vertiges mystiques, leurs hypothèses cosmogoniques et leurs espoirs eschatologiques, leurs bestiaires fantastiques, hybrides, semi-cycliques :
? S u p e r n o v a ? †



J'aime les astrophysiciennes et les astrophysiciens, qui excavent les rayonnements fossiles, traduisent la langue inhumaine des étoiles en équations lumineuses, et composent la cosmographie vertigineuse que l'on connaît. Il s'agit autant d'explorer l'espace que d'explorer le temps, selon ses vagues inégales et ses résidus lumineux.

Il existe de véritables courants astraux, et de véritables influences astrales, différées dans le temps, composites, mystérieuses et impures. Elles dépassent en puissance et en complexité tout ce que les astrologues bricolent. Ces courants ne viennent pas seulement de toutes les directions à la fois : ils constituent une toile de référentiels temporels, de vitesses et de changements.

J'aime aussi l'approche poétique, bien sûr – lorsqu'elle n'a pas la phobie des sciences et des chiffres, et qu'elle prend au sérieux l'originalité vertigineuse des théories et des modèles. Comme je l'ai déjà dit, leurs cieux ressemblent à un "océan" fractal plutôt qu'à une "toile" ou une "mer" bidimensionnelle, à un "film" en train de se dérouler plutôt qu'à une simple "tapisserie" statique, à un "bestiaire" virtuel plutôt qu'un "état de choses" évident ou certain. Ses mots, ses concepts et ses chiffres sont neufs et singuliers : ils ne possèdent pas d'équivalent antique.

Au lieu d'une poésie qui masque la description scientifique des phénomènes sous un tissu de métaphores simplistes, ou qui se contente d'ignorer les sciences : une poésie qui comprenne la situation, qui saisisse son potentiel poétique, et relève le défi de la recréation de nos expériences esthétiques. Difficile de maîtriser les deux à la fois, mais possible. Il serait terrible de ne pas essayer de les unir – desséchant de séparer.

Tout ça est bien connu – l'idéal de la poésie romantique n'était pas autre chose · mais est-ce que cela nous intéresse vraiment encore ?
corps d'étoiles, spectres réels
img eve online


mai 2013 (révisé mars 2022)



25 mai 2013

[Kwot] We adore chaos (M. C. Escher)


"We adore chaos because we love to produce order"

- M. C. Escher

17 mai 2013

[Poé] Dans des piscines d'encre


À l'envers des grandes bibliothèques l'architecture inverse
Des bâtiments publics aux archives se trouve une fête
Aux herses de l'écriture le feu se paye en pages / en heures
Tout comme le mot "bibliothèques" joue les videurs

À l'entrée du poème

Ici s'ouvrent des ères dont les princes et les reines
Livrent les gemmes à qui les avalera ‡ diadèmes usés
Couronnes suraiguës insignes sans pareil du règne
De la forge et la forge du signe talismans qui déteignent

Sur les champs de papier

Après la cérémonie des honneurs vient l'assoiffé sourire
Tout denté de dragon ‡ l'écarlate main balayant les idoles
Dague omnivore dont le manche m'est donné à gravir
Et sa lame donnée à jouir ‡ toute violente, folle et

Indifférente à la jeunesse


Dorénavant ‡ je fais partie de la coterie des receleurs d'idée
Ceux qui pêchent les glyphes à la ligne ‡ gavant de mémoire
Les signes du futur dans la fureur des jours sans gloire
Partie de chasse pour ceux qui savent que le secret

N'a pas la forme imaginée

N'a pas de fond, peut-être ‡ l'envers des grandes biblio'
Dont les reines et les princes m'offrent la clef mon sacre !
Et tous leurs coffres vides leurs têtes sur des plateaux
Leurs corps saturés de lettres ‡ visions qui flottent

Exsangues

Dans des piscines d'encre






mai 2013
du bonheur d'être poète



20 avr. 2013

[Kogi] Ce qui est oublié existe-t-il ?


J'aimerais pouvoir dire : "Ce qui est oublié n'existe pas"

Mais si je dois - en toute conscience - dire que "Cela n'existe plus", alors le "plus" indique un plus+ relativement au "pas"

Il y a donc un reste, une trace, un quelque chose (mais pas une chose pleine ni même partielle), un presque-rien évasif (mais non quelconque, non pas n'importe quoi, car ça m'importe !), une trace de chose : laquelle ? un arrière-goût : lequel ?

"Ce qui est oublié n'existe plus", je ne sais plus ce que c'est, je ne sais pas, mais pourtant... AH, c'était là pourtant, 'ce' était là, et ce était... quoi ? c'était quoi donc ? Comment puis-je donc savoir que "c'était" là si je ne sais plus du tout "quoi" ?

Je suis la piste, la trace... parfois je me souviens quel genre de quoi, quel type de quoi (un nom ? un titre ? un rêve, son contenu ? une mélodie ? un souvenir qui ne revient plus à l'écran ?) - ou alors, c'est qu'il reste un reste affectif, l'émotion d'une perte

La trace de l'oublié, la place vide, par sa forme et son manque - par son empreinte et son silence - indique presque un contour, parce que le vide ce n'est pas rien - encore moins lorsqu'il y a des points autour pour le trianguler, des vieux chemins d'accès

J'aimerais penser que je suis au contrôle, que "je saisis", je possède, je connais ce qui me compose. La vérité, c'est que je suis tissé d'absence, dans le sommeil et le réveil, dans la dérive des sons et dans les mots qui zappent : dans ma propre mémoire je dois apprendre à m'orienter, et comme elle change toujours, me réorienter, encore et toujours me réorienter, voilà tout

L'oubli est donc au temps vécu ce que la perte est à l'espace sillonné. Ce qui est oublié est comme perdu ou recouvert d'un voile. Ce qui est oublié se cache : parfois l'absence est flagrante, parfois c'est un oubli caméléon qui se cache et se fond dans d'autres formes, parfois c'est l'oubli d'évidence : ce qui est partout, tout visible, qui se dérobe au rai du moi, trop absorbé, inattentif ou émoussé pour garder l'oubli de sombrer dans un oubli plus profond encore, voire sa disparition radicale

Ce qui est oublié se cache, et appelle donc à être recouvré, re-découvert. Un jour qui n'existe plus appelle un jour qui n'existe pas encore. Entre-deux, le présent, c'est la présence de l'absent, dans les quêtes énergiques du désir, des biographies, des histoires, des trajets ou des clés (où les ai-je oubliées ? qui suis-je ? viendra-t-elle ? etc.)

Mais alors... ce qui est complètement oublié - ce dont je ne me souviendrais concrètement jamais (par paresse, par manque de transmission, ou même par maladie), cela existe-t-il ? Les disparus, tout oubliés, existent-ils, ou plus, ou pas ?

Hors de toute archive, hors de la mémoire actuelle ou même hors de la mémoire possible, au-delà du champ d'action d'aucune conscience, quel espoir de re-découvrir ? Quel espoir d'existence ?

Aucun, ces oubliés-finis n'existent pas, et ils ne peuvent pas exister, pas plus que le souvenir de quelque chose qu'on n'aurait pas vécu ! Pire encore qu'une perte absolument irréversible, les "secrets" jamais partagés, emportés dans la tombe

Non, positivement, je l'affirme : ils n'existent pas, bien que tout ce qui me vienne porte leur marque d'inconnu, et que tout ce que j'oublie soit leur chance

A moins que l'on espère en l'archive absolue - mémoire divine ou universelle - qui devrait retenir tout les faits, garder toute particule, et même revivre tout instant, toute durée, toute peur, tout frémissement, selon tous les points de vue possibles ! Vertige

Et c'est pourquoi en m'attaquant à l'oubli radical, au crime parfait d'une défection sans aucune empreinte, sans aucun vide, un abandon au-delà de tout résidu, l'anonymat ultime, cet oublié de tous les hommes, oublié même de Dieu (!), je ne sais (pas même) plus de quoi je parle : je ne sais pas de quoi je parle, j'ai au-delà-d'oublié

A tel point que
finalement, je ne questionnais rien...

pas même "rien"

avril 2013



[Kwot] "Jabberwocky", Through the Looking-Glass (2) (Lewis Carroll)


There was a book lying near Alice on the table, and while she sat watching the White King (for she was a little anxious about him and had the ink all ready to throw over him, in case he fainted again), she turned over the leaves, to find some part that she could read, "for it's all in some language I don't know", she said to herself.

It was like this.
 

YKƆOWЯ∃ᗺᗺAJ

ƨɘvot yhtilƨ ɘht bna ,gillird ƨawT` 
;ɘbaw ɘht ni ɘlbmig dna ɘryg biⱭ
,ƨɘvogorod ɘht ɘrɘw yƨmim llA  
.ɘdargtuo shtar ɘmom ɘht dnA


She puzzled about this for some time, but at last,
a bright thought struck her. "Why, it's a Looking-Glass book of course! And if I hold it up to a glass, the words will all go the right way again."
This was the poem that Alice read.
JABBERWOCKY

 `Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe:
  All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.

  "Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
  Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch!"

  He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he sought --
  So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.

  And, as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
  Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!

  One, two! One, two! And through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
  He left it dead, and with its head
He went galumphing back.

  "And, hast thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
  O frabjous day! Callooh! Callay!"
He chortled in his joy.

  `Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
  All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
 


Lewis Carroll, "Jabberwocky"
Original illustration by John Tenniel
Through the Looking-Glass and What Alice Found There, 1872

18 avr. 2013

[Kwot] Through the Looking-Glass (1) (Lewis Carroll)


  First, there's the room you can see through the glass - that's just the same as our drawing-room, only things go the other way. I can see all of it when I get upon a chair - all but the bit just behind the fireplace. Oh! I do wish I could see that bit! I want so much to know whether they've a fire in the winter: you never can tell, you know, unless our fire smokes, and then smoke comes up in that room too - but that may be only pretence, just to make it look as if they had a fire.

Well then, the books are something like our books, only the words go the wrong way; I know that, because I've held up one of our books to the glass, and then they hold up one in the other room [...]

You can just see a little peep of the passage in Looking-Glass House if you leave the door of our drawing-room wide open: and it's very like our passage as far as you can see, only you know it may be quite different on beyond [...]

In another moment Alice was through the glass, and had jumped lightly down into the Looking-Glass room...



From Lewis Carroll, Through the Looking-Glass
and What Alice Found There
, 1872

Original illustration by John Tenniel

12 avr. 2013

[Poékogi] Composé de passé


Parfois, j'aimerais pouvoir dire des choses comme ça

Je me sens composé de tissus, de cellules, d'animaux, d'amis et de parents - de fluides et de textiles, de style et de textes, lus, relus, via l'héritage des vies qui me donnent vie : un au-delà concret, rugueux, lisse ou brûlant

Si je me sens absolument composé par mon passé, ce n'est pas comme une somme d'expériences individuelles - ce n'est pas comme une réserve d'émotions privées, ni comme une chambre d'enfant au verrou subjectif

Si je correspond exactement à mon passé (que mon avenir, donc, ne peut aller qu'en des chemins que mon passé traçait depuis 'toujours'), c'est comme une série d'arbres et de fruits qui mûrissent, saisons après saisons, se composent de lumière et de terre pour tomber, naître encore et se nourrir du sol, de l'humus, d'eau calcaire, d'autres passés en décomposition, ou encore : je n'est qu'une éponge

Né des fruits d'une culture qui me précède, j'assimile pour exister. Cette culture pleut des générations, coule sur mon corps et l'imbibe, coule dans mes veines, et je commence, bien avant d'y penser, par le simple fait d'être, à montrer aux enfants légèrement singuliers, comment boire, où boire : une culture réelle se transmet, ou meurt (il n'y a pas de livres s'il n'y a pas de lecteurs - les pierres parleront si vous ne parlez pas, mais elles parleront comme des pierres !)... Raising children is all we have

Si je me sens éternel, c'est moins sous la forme d'une âme individuelle que comme l'embranchement d'une lignée, du moment que je comprends : fait des brins d'autres lignées, de l'extérieur, jardin ouvert aux herbes folles, à la tempête, au ratage, embranchement interminable, inachevable, résilient et pourtant "mortel" (un jour je changerai au-delà de toute reconnaissance : ma mémoire, c'est-à-dire mon identité subjective et intersubjective, ne sera plus)

Concrètement, c'est comprendre que toute identité a un début et une fin hors de soi, hors de l'idée qu'un dieu ou Dieu se fait de soi. Au lieu de croire que tout découle de moi, que tout commence avec mes droits, mon avis ou mes choix : se sentir né de flots (écume III), non d'une idée, se sentir composé de courants, absolument, se sentir confluence, toute entière, tout entier confluence

Contre le "je" du passé-composé qui dit "j'ai" avant tous les verbes qu'il conjugue, je m'avoue composé de passé. En arrêtant "j'ai fait", "j'ai dit", ou "j'avais déjà", voilà qu'on palpe du rayon, des courants, des pollen. Je suis alors un composé du passé, une liasse, un faisceau ou une gerbe cueillie trop tôt, trop tard, ou pas du tout - et je ne suis ni la fin ni l'origine de ce qui me lie ensemble - ce qui lie me ensemble !

Est-ce là un basculement vers l'auxiliaire être, le verbe d'état, la voix passive pour une voie de passivité ? Est-ce me déposséder de toute initiative, nier que je dirige mon devenir ?

Oui, en un sens, carrément. Je ne suis pas l'alpha ni l'oméga : plein d'autres choses me forment avant que je réponde un mot ; avant de posséder quoi que ce soit, je reçois tout. C'est humiliant pour toi et moi, pour tout égo sur-gonflé : le verbe "humilier" vient du latin 'humus-ligare', littéralement "lié à la terre", lié au compost feuillu, ce symbole de la soupe fertile du monde. Nés de poussière... et quelle poussière

Pourtant, se savoir composé d'ailleurs, c'est prendre au sérieux la mémoire, la prendre à bras le corps, c'est-à-dire sans passivité : l'action ne disparaît donc pas. Si le passé me compose pleinement, il compose en trop-plein, en surabondance, donnant lieu à des configurations uniques, de l'imaginaire, un potentiel nouveau. Maîtriser mon passif, l'embrasser, c'est grandir, et grandir en pouvoir. Au contraire, l'illusion d'une liberté immédiate - auto-créatrice - obscurcit le rôle de la mémoire et du passé, et obscurcit donc les sources du possible. Libre en tant que composé, ou sur-dé-composé, dans l'occasion unique (kairos) - non pas libre dans le vide car le vide asphyxie.

Même lorsque l'égo présent se penche sur son passé et l'organise, plein d'oubli et de désagrément, il compose des histoires, composées d'autres histoires, les arrangements rétroactifs de l'idéal, les retouches affectives du temps perdu, l'enfance unique mais pleine de monde (pleine à craquer du monde qui me surdétermine !). Toute histoire particulière puise ailleurs et compose, recompose, plante, arrose, mais ne crée ni les graines, ni les fleurs, ne commande pas au vent ni aux saisons. Drogués aux envies égoïstes, aux rêves d'autonomie, on oublie vite l'importance des forces élémentaires, la teneur composite de toute identité, la matière fragmentée du récit, du souvenir, l'énergie propulsive, l'inertie de l'enfance

Car "je" n'existe pas hors des collages, des histoires après-coup, de continuités relatives, et si j'ai cru à "mes rêves", c'était un sédatif dont l'excès empoisonne : je croyais tailler mon œuvre, c'est elle qui me taillait ! Et me taillait au nom de l'Univers

Je suis une somme poétique, à la limite, une singularité dont le miracle tient à la totalité de l'être, pas à l'individu - non pas un miracle du "comment moi-ici-maintenant", non pas le mystère technique d'un tissage individuel, mais la beauté de ce tissage, le mystère "qu'il soit", ce tissage, et qu'il ne soit pas muet

qu'il continue au-delà de lui-même

fragile

infini ?

Ça me traverse un instant, et puis je me dis que l'image est trop floue, trop kitsch et qu'elle n'avance à rien. Elle est même un peu risquée pour un chrétien (évince l'âme éternelle, rend l'Esprit invisible, des accents spinozistes ?)... Et puis l'heure est au glitch, au hasard, si l'on tient vraiment au végétal c'est dans la mutation qu'il faut donner, mais pas dans la culture - alors je cache vite tout ça quelque part sur Internet

avril 2013    
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24 mars 2013

[Lovée] Un tout petit vortex


Je me réveille avec un câble autour des reins, des plis de couette sur le thorax et avant-bras... Un drôle d'éther m'imbibe le crâne, un résidu de rêve jaloux

A la limite, prenant ma douche, me dis-je, en regardant le petit tourbillon avaler l'eau - la mousse épaisse - trouver de qui je tiens ce rêve, de quelle boîte noire ? Suis sur le point de me rappeler... de la rappeler

Je m'efforce de revoir son visage pour l'identifier, mais ses traits se dérobent, comme il arrive parfois au souvenir d'un être aimé : il s'échappe, le visage, se distend, c'est à peine avouable

Une seule issue, les réseaux clandestins, illégaux raccourcis pour pêcher le souvenir : sauvegardes et photos, particules de parfum emprisonnées dans un tissu... Chaque parfum agit comme un shoot pur de substance-mémoire, un portail de souvenir sans parvis, sous-marin. Bingo, j'te tiens : vapeur d'alcool de blé, labdanum, tabac profond, précis... J'ai sa taille, c'est ça, cheveux bruns, yeux gris, ses mains, tâches de rousseur furtives, mine rusée, fringues usées... J'ai tous ces éléments dans l'effet white-spirit qu'ils me font encore, in-tact - ses mains ! mais de qui ? - j'ai l'effet, les données, mais pas tout, manque la vie, le mouvement, je n'ai rien : il manque elle, son expression singulière, le charme de sa présence, l'énergie de sa voix

Mon rayon de mémoire a beau fixer l'image, elle se barre dans le flou, l'essentiel se dissout ; ses cheveux ultra-courts, violents, arrachent mon regard à la quête du sien, ça n'aide pas

Tu es celle qui habite la surface de mes rêves - concentre-toi, retrouve-la, où ? quand ? Rappelle, exhume, déballe, Rome-Termini, sortant du train ? Ou Flughafen Berlin-Tegel mille ans plus tard ?... Buenos Aires 2015 ? Dans son studio, danses et danses, aquarium crade et poisson-chat, je vois du matos d'impression, des matelas renversés

Mais ton visage rayonne d'absence - cette fille, ses voies d'éclair, ses rayons vrais, mon multiplicateur d'écriture - tes petites tornades - ses potes, rarement, pacte à deux immédiat... donc faux - je revis ton corps de rire, dans notre ville (où ??) ! - et l'amitié lisible à tous, dans toute la rue... France ?...

Un tout petit vortex me fond tes traits, un tout petit vortex se fout de moi, à moins que toi, toi, tes rayons d'ombre m'éblouissent la mémoire ?
Qui es-tu ?? Qui es-tu, **tain QUI. ES. TU.

A ces mots une voix d'outre-monde me perçai le tympan : "Toi ici ?! Que me veux-tu ...?"

quoi ?

"Tu es venu ici pour m'insulter ?
Pour saler ma misère de ton pardon ?..."


je me retourne

"Tu oses en rire au-delà d'une vie entière, et de la tienne aussi ?! Tu ramènerais jusqu'ici tes sales désirs - soit
l'ennui à nouveau croise les barres de ton lit ?!"

choqué, je ne peux rien articuler

"Tu ne dis rien... mon amour ? Peut-être est-ce encore pire que prévu, peut-être
Qu'un oubli tranquille couvre vraiment la carcasse de mon être... et mon nom ? Mon pauvre, décide-toi une fois pour toutes."


sans que je sache comment, pourquoi, mon cœur se tord sous les coups d'une vérité insupportable

je me sens vieille éponge sale ou tacticien stérile... j'élabore vite fait : "D'accord, tu te souviens... Moi pas. Tu m'es encore supérieure, c'est-à-dire vulnérable... en bien"

"Non. Tais-toi, s'il te plaît."

Un tout petit vortex te protégeait de moi




Un tout petit vortex   2013      

[Poékogi] Is quite exceptional


That I fear those I don’t understand is a general rule of caution
– good for those who wish to conquer the world


That I fear you much more, now that I get what you say, what you are, and who you could become
is quite exceptional

No open threat, no danger, no anger on your part
– just raw power, easy, generous, shaking the board on which I play


Tearing up the very fabric of my pride

 


 

.

28 févr. 2013

[Jet] Retour aux sources (1)


Et le prophète, haut, debout, prit la parole en ces termes :

« Que ma langue me soit étrangère ! Elle retourne au désert, où sont enterrés les trésors. Que ma langue me soit étrangère ! Les dunes séculaires sont fertiles, et entre elles, une forêt de phrases doit pousser

Parle mais tais-toi, tais-toi, et parle d'ailleurs : alors ils retiendront sans détenir, ils raviveront au lieu de s'endormir. Alors ils comprendront que l'on reçoit sa Langue comme on reçoit sa mort : à la naissance, d'ailleurs »


En entendant ces mots
je n'en revenais pas je pensai : « Voici donc l’avant-dernière étape de la traversée !... L’étrange printemps – la fonte des roches, la surprise des flocons ! »



Soudain, de la foule silencieuse, quelqu’un hurla : « Qu’est-ce que cela signifie ?! Nous sommes fatigués des images ! »

Je me levai et l’insolent eut sa réponse : « Désormais, le prophète ne s’exprimera plus qu’en récitant les paroles d’autres prophètes ! Lisez à nouveau ce que vous avez déjà reçu, relisez avec intelligence et foi ! » – mais déjà, une rumeur d’orage s’élevait du sol, et il n’y avait aucun nuage – et aucun vent ne soufflait. Toujours debout, le prophète se rassit. Je crus l’entendre soupirer, très faiblement.

Puis il se tut, donnant tous les signes de celui qui a dit ce qu'il avait à dire.

Mais la foule s’agitait de plus en plus, et la sueur de mon front dût changer de goût. Soudain, le grondement se tût et il y eut un silence aveuglant. On n’entendait que cette femme allaiter son enfant. Un garçon me fixait bêtement. Puis, voyant qu’il n’y aurait rien de plus concret pour aujourd’hui, on commença à se disperser dans le fond, penser à rentrer chez soi.





Alors lentement, très lentement, sans élever la voix, le prophète récita ce vers : « Nun weiß ich, wenn der letzte Morgen seyn wird – wenn das Licht nicht mehr die Nacht und die Liebe scheucht » – tandis que moi, son disciple et son scribe, je rédigeai la citation…

et dans ma vanité, je le confesse, je ne pus m’empêcher d’en murmurer la signature « Novalis »

Disciple du Silence, de la Parole et du Chant.

7e Anti-Parabole, Livre 3.



Post-Scriptum ~ Un seul bouquin pâle suffirait à remplir l'éternité de nos retours aux sources... Dire que les Anciens déposèrent des livres dans les livres, et des recueils de fête et de deuil, de folie et de recueillement, déluge de citations, notre peau craquelée devrait se ramollir, pourquoi ? Lire autour, avant. L’ossature musicale, du silence ? L’écouter 
  
Addendum ~ J'ai lu et relu. Je ne comprenais pas, car après la sécheresse, la pluie produit l'inondation. Manger des racines. Peupler. Réfléchir. Les pousses rares se multiplient. Au livre absolument plein, le retour n’est pas vain ou stérile, mais bloqué.

Seul un livre plein serait absolument silencieux, ou plutôt : muet

Retour aux sources (1), février 2013


Premier extrait d'un recueil en préparation, Les scènes mysthiques. D'autres suivront. Ce recueil de fragments fictifs explore comment réagit le récit quand on le mêle aux chants (ou cris) de la mystique. La poésie, bien sûr, n'est rien d'autre que cette expérience (...ou du moins le temps de cette expérience).


26 févr. 2013

[Kwot] "The Time is out of Joint" (Shakespeare)


"The time is out of joint: O cursed spite
That ever I was born, to set it right!"

    Hamlet, Acte 1, scène 5

« Notre époque est détraquée. Maudite fatalité !
Que je sois jamais né pour la remettre en ordre ! »

    traduction F.-V. Hugo

« Le temps est hors de ses gonds » ...

    traduction Y. Bonnefoy

 

24 févr. 2013

[Kogi] Tourism / Road trip / Immersion


After many conversations with people who move, who leave and come back - after my own journeys and readings, I feel like it is possible to specify different types of trips or journeys. According to my character, my experience and this season of my youth, I think I isolated my ideal type of trip.

To present it more vividly, I put it in comparison with two other ways to conceive and live a trip - two "classics": 'tourism' and 'road trip'. Even if the third one, 'Immersion', is the more intense for me (I have only experienced it fully a few times), the first two have their own charms and focuses.

Of course, these types are not realities, only tools to share different ways to experience otherness, or "ailleurs-ness". In reality, they are combined together and with thousands of other ways to travel


Tourism
* * * MANY TRIPS, MANY LOCATIONS
PROTECTED TRIP, then STOP, then TRIP, then STOP

TICK THE BOXES (in the Guide)
LOOK, LOOK, only LOOK
FIND WHAT YOU INTENDED (or complain for payback)

CONSUME, READY-MADE PRODUCTS
"FILL YOUR TANK WITH IMAGES", TAKE PICTURES, SHARE THEM

FOLLOW THE GROUP - ENJOY COMFORT - REST

Bonus: ACTUAL FUN

> ESCAPE WORK FATIGUE, ROUTINE or BOREDOM
< COME BACK THE SAME, HAPPIER, with PHOTOS

Road adventure
// ONE LONG ROAD, the LIGN of your LIFE
NO PREPARATION!

PUSH the LIMITS, FURTHER, FURTHER
FEEL THE EFFORT, HEAT and COLD, MUSIC

THE ROAD IS THE DESTINATION
MAKE THE EXPLOIT!
if possible, RECORD THE RECORD

FLASH ENCOUNTERS and SELF-UNDERSTANDING

Bonus: LOVE STORY (or LIVE MUSIC)

> ESCAPE YOURSELF, TOXIC VALUES or FRUSTRATION
< COME BACK CHANGED, feels HOME like never before

Immersive Journey
  ҈     UNCHARTED, LABYRINTH of the WORLD
FEW LOCATIONS, but REPEATED

EXPLORE, with good/basic PREPARATION
READ and WRITE ABOUT
DISCOVER SECRETS (and keep them)

DIVE DEEP in CITIES and PENETRATE THE LANDSCAPES
IMMERSE with FIVE SENSES
TALK WITH LOCALS, LEARN THEIR TONGUE
HEAR THEIR STORIES, then share YOURS

ENTER A WORLD, LIVED HISTORY/GEOGRAPHY
FACE COMPLEXITY, READ AGAIN, MEET AGAIN

Bonus: LOST and FOUND (urban jungle, mountain path, woods...)

> ESCAPE TEMPORALITIES and IGNORANCE
~ GET HOME-feeling THERE (a place to come back to), NEVER REALLY LEAVE

23 févr. 2013

[Poékwot] The Lodger (Fiona Sampson)



You could figure it as a trapdoor,
blur of hinge and
                                 down
into the unconscious of this stranger
moving around your garden like a trap—
making all the greens unstable
as the warble of nausea come bang up to greet you.

[...]

Meanwhile, the unaccustomed heat.
Meanwhile, a sky tunnelling upward—
sense of proportion—golden section
of elder hedge; then the disgraceful paddock gone wild.


The Lodger, Fiona Sampson
in Poetry (Poetry Foundation, December 2007)

17 févr. 2013

[Priée] Supplications


"Qui es-tu... Qui es-tu ? Je t'en supplie. Qui es-tu, toi qui est ?"

Aucune réponse. Je n'entends rien. Je ne sais pas où écouter, comment le reconnaître — ou la reconnaître, ou les reconnaîte — depuis qu'il m'est apparu qu'aucun critère ne peut épingler "une" Voix sans nulle autre pareille

Je fatigue de ne pas savoir pour sûr, car le savoir n'est pas optionnel, et la certitude est un pain nécessaire, quoiqu'en disent les penseurs de l'après-modernité, quoiqu'en disent les drogués de la foi qui ne voient pas qu'ils ont tout appris par cœur, bien avant que le cœur n'y soit

Une fois pour toutes — peut-être pas, que sais-je de la limite ? du point de rupture ? — je repose la question, je la murmure dans un boucan d'adoration

"Qui es-tu ?... Si tu es, tu m'entends... Alors qui es-tu?"


Toujours pas de réponse. Les canaux littéraires, les témoignages, les signes, tout cela m'ennuie : je souhaite seulement le reconnaître. Le fait du monde me touche, c'est vrai. Soudain, je sens, près de cette-pensée-là, quelque chose qui se meut.

Je ressens quelque chose d'étrange — près de l'attente — comme la perspective d'une réponse, l'ombre d'une réponse attendue et possible, lentement, ça frétille et c'est drôlement intimidant

Je n'ai pas peur d'une réponse, mais je ne m'attendais pas à ce que la peur soit une réponse. Comme l'ombre inattendue d'une réponse attendue, qui ne viendra pas, car l'ombre dit ou semble dire : "L'ombre suffit... Mon Ombre te suffit"

L'ombre est son propre signe en moi, un alliage de frayeur et de joie, l'émotion à la croisée unique du bonheur et de l'à-genoux-ment : tout courbé, tout courbé, je souris, je me tais, je commence à "saisir", quelle folie

Intimidé devant rien de démontrable ni rien d'indémontrable, crainte étrange toute intime et jouissive, folle absence de maîtrise, mais pas de confiance... Rien d'invasif, rien de saillant, un regard amusé qui me laisse tout muet et riant

Est-ce le sien ? Est-ce possible ? Où en suis-je : les autres prient, certains chantent, la guitare continue à courir, des langues faiblement se délient, faiblement. Dieu m'intimide et Dieu, c'est bon — c'est douloureux. C'est donc ça, ce que d'autres ont appelé la nuit noire de l'esprit ?

Je répète en riant "Who are you, Lord?... Who?" en comprenant que ma question est sa réponse. Oh mon... Je suis distrait par une lave de paix qui cimente les failles, je la sens qui ravive et colmate et c'est bon

Après-coup, j'aimerais exprimer, retenir, savoir, j'écris mais la réponse n'était pas sûre, pas claire, pas tant que ça, la soif existe encore mais elle a changé de ton

Je ne te comprends plus mais tu réponds toujours aussi bien, j'apprendrai aussi ce silence. Tu deviens inconnu mais tu retiens le fil. Mes genoux me font vraiment mal mais c'est presque agréable

Ok, back in the room. Bonne soirée de louange, merci. Je le raconte à Tim.
Faudra remettre ça

début février 2013
img Paul Delaroche

27 janv. 2013

[Poékwot] Les Cinq Sens (Alfred Jarry)



I

Le Tact
Roulé dans une serviette comme dans un petit linceul la momie d’un singe, je l’emporte a travers l’ombre visqueuse dont mon passage écarte les rideaux mous. Et les muscles doivent se faire plus forts pour marcher dans cette obscurité, qui repousse les corps comme l’eau le liège. Mes pieds reçoivent des dalles un frôlement douloureux, et la lime du granit vient mordre les semelles. J’étends les bras pour écarter l’ombre jusqu’aux murs de la salle, et mes doigts se heurtent à de longs cylindres irréguliers. À droite et à gauche il faut ranger les os branchus, et parfois la main s’effraie au contact flasque de poitrines desséchées : l’écorce des momies tombe, par plaques, comme d’un platane ; et peut-être vont s’attacher à moi, émergées de ces arbres brunis, les dryades squelettes...

Mais leurs paumes griffues m’épargnent. Il est toujours là, le Fœtus qu’on m’a chargé de porter en place honorable parmi ses pareils ; et son corps, naguère de nèfle ridée, à mes mains qui viennent de palper des os donne l’impression douce de l’émail. Et, fendant l’ombre de l’épaule ainsi que d’une proue, je l’emporte respectueux, accroupi dans mes mains jointes, comme un Bouddha de porcelaine.


II

L’ Odorat
Je l’emporte à travers le tremblement sans forme et sans couleur de la poussière morte. L’air se hante d’esprits invisibles mais non immatériels : une poudre ténue monte des os en effluves et me précède comme la lumineuse colonne mystique. Les plis de la serviette où je l’emporte battent l’air de leur simoun ; et les trombes de sable irritées se retournent et m’étouffent. Les pas rythmés sur les escaliers sans fin rythment la danse des sables ; et les atomes incubes viennent tambouriner mes narines à intervalles réguliers, comme le flux d’une mer, et les corrodent de l’âcre brûlure de l’ammoniaque. C’est l’accompagnement sourd d’une marche indienne ; et ballotté au bout de mes bras inconscients, le Fœtus accroupi se tapit et s’endort, bercé par la houle des dromadaires.

La sèche poussière tarit la gorge ; j’ai dû boire il y a longtemps, bien longtemps, boire à longs traits une outre pleine. Car je la tiens encore cette outre fripée, affaissée et racornie dans mes mains ; et des relents de choses desséchées en montent. Au moins de l’air, de l’air humide que me cache le ciel lourd de ces voûtes impénétrables ! Et la fenêtre tourne son gouvernail dans la mer d’huile noire. Tout est noir, les astres sont irréparablement fuis du ciel, et le noir est absolu partout, sans nul clapotement glauque.

III

L’ Ouïe
Par la fenêtre ouverte le vent joyeux se précipite, et passe sur l’ombre avec un frottement grave, comme sur une corde de contrebasse. Il gémit en traversant les fourrés et les taillis d’os que je devine à leur cliquetis d’anche ; et la nuit enfermée dans les cages à perroquets des côtes barytone, comme l’air dans les tonneaux cerclés ou les cercueils qu’on cloue. Il agite doucement les andouillers feuillus d’un cerf gigantesque, et les frondaisons palpitent comme des ailes de tête de mort. Et les longues flûtes éoliennes des cétacés, séries de vertèbres rabouties par des viroles de cuivre, attendent qui joue. Des araignées qui délogent écorchent le sol de leurs petites griffes ; et de tous ces bruits la perception est si nette, qu’on distingue encore parmi se tourner dans les orbites les yeux de néant des squelettes.

Dans la clef du bocal ouvert, le vent souffle oblique ; c’est le son pur et liquide de l’alcool avec ses petites vagues. Et comme il m’est interdit d’allumer une flamme, je vais remplir ma mission dans l’ombre, avec un remords recel, comme qui va jeter de la berge aux profonds remous le pante qui passe.

Tels les otaries qui plongent, et à chaque plongeon poussent un hoquet rauque, bouteilles noires qui s’emplissent, il tombe en l’humide prison de verre. Et après un choc sur le plat tremplin de la surface, il descend doucement, doucement, comme un ballon qui atterrit. Il me semble que je l’ai jeté dans un puits, et que par lâcheté je suis fier d’avoir la main assez forte pour fermer un puits d’un couvercle cacheté à la cire.

IV

La Vue
Le falot bâille et souffle la lueur, et apparaissent les hauts plafonds et les murs nus ; et les marches des escaliers et leurs ombres se détachent alternatives, blanches et noires comme un clavier. Et au détour du chemin circulaire se représente ce grand cerf où j’avais entendu souffler les vents. Derrière, à perte de vue trotte lourdement une meute de molosses squelettes, à qui instinctivement je livre passage. Béhémoths aux tètes bestiales, aux défenses en nombre divers, pressent leur troupeau ; mais l’on n’entend point cliqueter sur les dalles leurs sabots fendus, car des piqueurs invisibles les tiennent rivés au mur par des laisses et des carcans de cuivre. Des ceps de cuivre paralysent tous leurs membres et des liens de cuivre encore arrêtent sur ses jarrets éperdus le grand cerf qui détale devant eux, le grand cerf aux Bois extravagants.

Leurs orbites vides nous suivent comme le regard circulaire d’un portrait trop photographique ; le Léviathan décharné, « carcasse » de Raphaël, se retournerait pour nous mordre ; mais cinq mains de bronze jaillies de terre comme des piliers de cathédrale maintiennent rigide sa longue échine de vaisseau qu’on construit. Les êtres sabbatiques sont figés dans leurs convulsions : mais l’homme a désespéré de clore jamais l’abîme espion de leurs paupières. Et sur les murs très clairs, derrière les minceurs des os, se figent aussi les ombres, comme des découpures collées de papier noir...

Vraiment, s’il me semblait commettre un crime, c’était bien à tort. Il s’est épanoui dans son vase comme un bouquet qu’on arrose. Et des bulles d’air, irritées et irisées, sous la clarté crue de la lampe, restent accrochées aux plis non encore défaits de sa face. Ses paupières s’écartent, ses lèvres s’ouvrent en un vague sourire. II a emporté de l’air aux oreilles comme un insecte d’eau qui plonge. Ses yeux et sa bouche me regardent de ce regard mystique dont vous inquiète tel masque en pâte de verre. Mais mes doigts maladroits agitent le vase, les bulles s’envolent, et je reste béant devant la figure bête de poupard de caoutchouc qui s’étale.


V

Le Goût
Ma lampe a piqué de points clairs les dents des monstres les plus proches. Les effraies empaillées, sous leur masque de velours blanc percé d’yeux en étui de peigne, ouvrent leur bec de ciseaux. L’infini troupeau des quadrupèdes décharnés se couche comme un chien qui quête un os, et l’immense meute attend la curée. Les squelettes pendus par le crâne, immuablement droits et corrects, ouvrent sans bruit leurs lèvres jaunes en des sourires de gourmets, et les momies rapprochent leurs cagneuses rotules de casse-noisettes bruns. Je ne suis que le maître d’hôtel qui leur apporte inconscient un hors-d’œuvre pour leur prochain sabbat — car, en le cristal du bocal, sur la tablette de l’armoire vitrée, déjà ballonné d’alcool clair, s’épanouit le Fœtus comme un gros fruit des Îles.


Alfred Jarry, Les Cinq Sens
in
Les Minutes de Sable : Mémorial

Poésie / Gallimard
exemplaire numérique
, BNF

17 janv. 2013

[Poé] Je raffine la haine


Et je raffine ma haine sur le tamis d'une amitié
Du minerai de la colère je tire des pépites d'énergie

Sur le fuseau des poésies je file mon amertume
J'en tresse une corde à linge, y tends des visions délavées

Au retour des chemins : beaucoup meurent, d’autres s’allument
Dans un silence, j’étouffe la promesse des images

Toutes les secondes jumelles que bat mon cœur lourd
Je nourrirai les pages avides et dompterai la rage

Nourrirai de vos voix, rires, bras – cette rage d’amour

Joa Poudrière (c)

Je raffine la haine
 jan 2013

15 janv. 2013

[Kogikwot] Screaming tumult of things (Ben Woodard)


La philosophie traite de ce que l'homme comprend, et donc aussi de ce qui le dépasse. Même lorsque le penseur prétend délimiter le savoir - entre sciences naturelles et spéculation (Kant), ou entre sens et non-sens grammatical (Wittgenstein), par exemple - il détermine et joue aussi de ce qui reste au-delà des limites qu'il construit ou désigne. Définir une limite, c'est aussi désigner un envers paradoxal, un négatif du système : le négatif comme ce qui nous dépasse et délimite ce que nous sommes, comme cet impossible à penser qui pourrait pourtant "être".

Contre l'apophatisme d'une part (qui consiste à nier la validité de nos catégories pour parler de l'au-delà, par définition) et l'anthropocentrisme d'autre part (qui est optimiste quant aux catégories ontologiques et à la pensée, mais peut-être trop, en réduisant tout "l'extérieur" à du familier), cherchons ce qui pourrait être sans pourtant être déjà - ou du moins, sans être "déjà... pour nous". Avec Woodard, quelques brèves réflexions sur les liens possibles entre ce négatif de la rationalité humaine : un négatif moins centré sur la folie et ses distorsions que sur le possible, l'immonde et l'horrible.

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Le possible requiert l'expérimentation, dont on ne connaît jamais a priori les formes ni les règles d'actualisation. Son anormalité phénoménale doit être explorée à défaut d'être cartographiée, où la suspension du "réel" équivaut bien à une plongée dans le réel : théorie folle mais mathématisée, observation incohérente, objets sans noms, innommés, ou noms vides lancés pour éclairer l'obscur, furie hypersensible ou fièvres de l'imaginaire. La spéculation n'est pas une pensée folle : seulement une logique débridée, qui emprunte à l'imagination, à d'autres langues, poétiques ou grammaires pour dépasser son propre répertoire ontologique ou logique.

Woodard cite Quentin Meillassoux - dont j'ai pu suivre les cours excellents sur le scepticisme à l'ENS en 2011/2 - avec une remarque portant initialement sur le temps chez Deleuze, si je comprends bien. Son idée frappe juste entre deux textes personnels (non publiés, ni sur ce blog ni ailleurs), le Fracas Monstre et le Dérivage de la Reine : le premier coagule et sur-sature la page par le rajout constant de nouveaux verbes et d'images (c'est donc une performance textuelle), le second est une description en règle de l'affect d'é-limination - le devenir-ligne comme un devenir-néant.

J'interprète ainsi la thèse de Woodard : l'horreur est précipitation (dans le sens objectif de la précipitation chimique, presque, objective - bien en-deçà du jugement hâtif de Descartes ou de l'enthousiasme spéculatif, la 'Schwärmerei' kantienne), entre la sur-saturation et l'anéantissement, ou l'unité des deux  :
"Without the sobriety of the principle of sufficient reason (following Meillassoux) we have a world of neon madness: “we would have to conceive what our life would be if all the movements of the earth, all the noises of the earth, all the smells, the tastes, all the light – of the earth and elsewhere, came to us in a moment, in an instant – like an atrocious screaming tumult of things” (Quentin Meillassoux, “Subtraction and Contraction: Deleuze, Immanence, and Matter and Memory.” Collapse Vol. 3).

Speculative thought may be participatory in the screaming tumult of the world or, worse yet, may produce its spectral double. Against theology or reason or simply commonsense, the speculative becomes heretical. Speculation, as the cognitive extension of the horrorific sublime should be met with melancholic detachment.
Whereas Kant's theoretical invention, or productivity of thought, is self-sabotaging, since the advent of the critical project is a productivity of thought which then delimits the engine of thought at large either in dogmatic gestures or non-systematizable empirical wondrousness. The former is celebrated by the fiction of Thomas Ligotti whereas the latter is espoused by the tales of H.P. Lovecraft."
Citations immanquables à la suite, Bataille, Lovecraft, Ligotti (dont une de Lovecraft que j'avais retenue, lorsque je lisais ses lettres sur l'invention de faux documents anciens et l'usage de vocables maléfiques sumériens - me souvenant au passage d'une émission sur le Nécronomicon entendue sur France Culture il y a dix ans ou plus, perdu dans les Vosges en voiture).

Il s'agit donc, dans la suite de la démonstration, d'évoquer comment les grandeurs immondes de Lovecraft, d'une part, et les contagions dénaturantes de Ligotti d'autre part, animent d'autres spéculations - peut-être en vue de nouvelles avancées métaphysiques. 
 
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Si le texte de Woodard ne développe pas ces pistes métaphysiques, il est pourtant clair qu'il dirige sa lecture des deux auteurs dans une direction précise : celle du réalisme spéculatif (speculative realism) : "Clearly, the weird fiction of Lovecraft and Ligotti amount to a anti-anthrocentric onslaught against the ramparts of correlationist continental philosophy". Ce n'est pas une récupération des auteurs, car le réalisme spéculatif est tout sauf un courant homogène : plutôt une vectorisation de l'horreur et de l'hyper-chaos, vers le possible de la matière. Cette vectorisation se veut non-deleuzienne : l'est-elle vraiment ? La question est ouverte.

Selon l'hypothèse de Woodard, Kant réagit face aux visions de Swedenborg. Pour retenir le basculement de l'imaginaire dans la métaphysique, il isole les deux sur le mode stratégique du transcendantal (limites et conditions du savoir) - sans pouvoir annuler l'enthousiasme, l'illusion, les dérives de l'imagination ou le sublime et son revers : l'angoisse. Mais la spéculation ne s'oppose pas toujours aussi strictement à l'expérimentation scientifique que dans le schème kantien, et l'imagination n'est pas seulement le site où s'uniraient les sensations rangées et les concepts purs.

Pour nuancer l'article, disons que la philosophie critique de Kant n'est pas le sabordage de la pensée par elle-même (formulation simpliste ou idéologique). Kant était attentif aux penseurs Français, et il est possible qu'il ait lu Le rêve de d'Alembert (1769) - pourquoi ne pas le supposer ? - avant de finir la Critique de la Raison Pure (en plus des textes tardifs de Swedenborg). Si Kant a pu identifier ou pressentir la proximité de l'immonde, l'imminence d'une déchirure entre matière sauvage, mutante, imprévisible, et intelligibilité, son projet garde-fou ne cherche peut-être qu'à mettre la pensée en bride, la maîtriser, canaliser sa force - et non la neutraliser ou la pousser au suicide : l'interdit n'est pas de spéculer, mais de confondre spéculation et sciences naturelles. La délimitation interne de la pensée donne le pouvoir aux sciences empiriques et n'interdit pas tout élan vers l'au-delà : seule une saisie démonstrative est interdite (ce qui est encore trop pour les nouveaux métaphysiciens, dont les partisans d'un réalisme spéculatif).

La conscience universalisée reste relative à un au-delà d'elle-même :  Kant ne pousse pas la pensée au suicide mais la limite peut-être pour prévenir son suicide - le risque de s'abîmer dans une métaphysique du possible. Ce faisant, la conscience donne lieu à un monde commun, un monde humain par la corrélation faible entre nos expériences et nos concepts, possibilité de l'éducation et du politique.

De plus, il n'est pas certain que la conscience transcendantale soit strictement anthropique : elle semble ouverte à d'autres créatures, non-humaines, qui partageraient nos formes et concepts généraux. Des formes de conscience plus complexes que la nôtre embrasseraient les catégories transcendantales et sont pensables - mais non connaissables par expérience (ni observées, ni intégrables en vue subjective ; voir Nagel sur les points de vue). Pour aller plus loin, il faudrait faire la critique de la démonstration kantienne, voyant le lien exact qui existe entre la non-contradiction et les antinomies (voir peut-être Après la Finitude, Meillassoux, Seuil, 2006).

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En tous les cas, lisons Woodard : c'est toujours ça de (com)pris pour la littérature. L'horreur que la Raison kantienne tentait peut-être de circonscrire hors d'un cercle de lumière, cette horreur nous vient par plusieurs couloirs ou différents touchers, d'un côté de la raison comme de l'autre : par l'inconcevable (angoisse paralysante) ou l'artifice pur (étirement des possibles). Ces deux chemins de l'immonde proviennent de la raison, qui, informée d'imaginaire, s'effondre sur elle-même en précipitant la chute du "normal" : chez Ligotti, c'est la déréalisation du quotidien, le fait que l'horreur était toujours sous nos yeux, cachée sous le fin voile de l'habitude ; chez Lovecraft, c'est l'extension insoutenable du réel, sa peau de nuit étirée jusqu'à ce qu'elle se troue, découvrant les eaux hideuses d'un lac abyssal. Il y a un effet d'eau stagnante chez les deux auteurs, quand le réel se réveille et se révèle tel qu'il est : la raison se dissout plus qu'elle n'agonise. Chez Lovecraft, c'est à ses confins, et chez Ligotti au coin d'une rue, sous la coquille du bavardage conceptuel illuminé.

Ce qui m'intéresse et que je note, c'est l'idée que l'au-delà provoque l'horreur sous une forme hybride. Ce qui est hybride, comme les monstres, provoque l'horreur plus il est proche de nous : la subversion de la "réalité" est pire que l'impossible pur. Il ne s'agit pas seulement de l'effet 'uncanny valley', mais de la bande impossible et pourtant bien réelle des monstres humains, que classe la tératologie (des embryons-choses tout étirés aux mutants de Pripyat, en passant par les bébés doubles, triples, ni séparés ni unis, ni tout à fait un ni tout à fait deux, plus ou moins 'chose', dans un hybride qui dépasse notre grammaire la plus basique, nos couples élémentaires : humain / non-humain, vie / matière inerte).

Apprivoiser ou s'habituer à l'immonde et au glauque - les structurer à leur tour, en faire des êtres ou des modes propres - voilà ce que la science elle-même exige de nous ces derniers-temps : bestiaires d'obscurités ou de singularités en astrophysique, bestiaires de particules hybrides et indéterminées en physique subatomique. Les monstres aux confins de la Terre, et dans la structure même de notre corps. Le fantastique n'est plus l'alternative entre l'option "réaliste" (naturelle, causale et rationnelle) et l'option surnaturelle (ou mystérieuse, selon l'économie contradictoire du miracle) : le réel est devenu insensé, tandis que l'insensé devient réel. 

Ce qui est impossible à raisonner n'est pas un impossible absolu, bien au contraire : il serait rationnel de croire que c'est possible ! Ce possible non systématisé, non dit, c'est l'horreur, que la littérature peut explorer dans la mesure où la spéculation imaginaire se double d'invention linguistique. C'est une nécessité : si l'indicible est finalement objet possible, alors les possibles du langage lui-même doivent être étirés, ne serait-ce que pour décrire ou provoquer l'affect qui accompagne cet au-delà immanent : l'horreur.

Cela explique à mon sens pourquoi Lovecraft tente de puiser chez les antiques magies de Sumer, invente des mots, noms-verbes des Anciens, et trouve dans le superlatif, appliqué au tangible, à la matière, un instrument linguistique de nausée. Dans une citation, Ligotti avoue viser "l'exact inverse de Lovecraft", en ce qu'il insémine le germe de l'horreur dans le regard lui-même au lieu de décrire des objets horribles. Au lieu de déplacer le spectateur aux confins étirés du réel, comme Lovecraft, Ligotti lui révèle l'horreur des choses qu'il croyait connaître, une fois tombé le voile du langage familier ou de l'usage quotidien. Tous deux inventent les moyens de produire et décrire l'affect, tout en spéculant sur ces objets abjects et inhumains : dans cette optique, leur production littéraire (mythologies et narrations) est aussi nécessairement linguistique et philosophique.

Je retiens autre chose : l'hybride se présente lui-même sous forme hybride. Ainsi, l'horreur nous tombe dessus ('collapse') comme affect de saturation et de vide : pour l'humain que je suis, l'informe est à la fois incompressible et annulant. La mythologie la plus fouillée fait alors place à la mythologie la plus grouillante... Aux atmosphères de Poe ou de Jarry succèdent les bestiaires des méta-barons ou des mondes oubliés (ah, la cosmologie métaphysique spéculative in Planescape Torment !). La fertilité surabondante des galaxies, des races, des guerres, des greffes et des fusions fait place aux dimensions du chaos, de l'aliénation ou de l'élémental, où l'on se perd définitivement. De la profusion hyper-naturelle, on passe au contre-nature, plongeoir vers le "          ".

L'indigestion imaginaire cause le vertige de la raison : tandis que l'une se gorge, l'autre régurgite - l'une entrevoit et crie, l'autre ne peut plus se regarder dans la glace. La raison ne peut plus se réfléchir sans "voir" le Horla... c'est-à-dire l'invisible, son propre néant relatif. Le hors-là n'a plus qu'à creuser (vacuité ressentie, affective, plus que métaphysique), évider la raison jusqu'à n'en laisser qu'une pelure.

Hors d'une corrélation entre l'humain et le monde, elle-même fondée sur la séparation de l'expérience et de la chose en soi, repose un champ continu de possibles et d'affections. Ce champ semble bordé par un vacarme qui est succion - par un cri et un frémissement : leur union dans le crissement. L'hyper-monde saturé,"like an atrocious screaming tumult of things", a l'effet dissolvant du hurlement de la Banshee. Cette lecture immanente, matérielle, se distingue d'une angoisse de l'être comme on la trouve chez Heidegger : point de cadre existential ou d'authentique pour l'apprivoiser.

Le déluge immonde des "choses" "du dehors" se mêle instantanément à notre organisme et le défait : c'est le viral, le cancéreux, le tourteau dans les bronches, la méduse du cerveau, les trilobites dans la moelle épinière (pour reprendre des images poétiques personnelles), signes annonciateurs d'un anéantissement bien plus horrible qu'une mort individuelle (qu'elle soit absence prolongée ou disparition) : la fin de tout point de vue humain, le monde sans nous. Sous le cosmos bien ordonné stridule un nu-ni-vers de greffes, d'horreurs et de fiction.

Je finis donc cette proposition de lecture par le titre d'une nouvelle de Borges (en Anglais dans le texte original de L'Aleph). Murmure prophétique ou délire inoffensif ? Quoi qu'il en soit,

"There are other things".