Atome blanc et serein dans un océan pointillé, j’attends. Et sans savoir ce que j’attends, j’admire les dunes qui s’étendent, immaculées, jusqu’à l’horizon. Un horizon froid et vide, mur diffus qui entoure notre désert. J’étais jadis un tout, obscur et immobile, qui n’avait ni volonté ni conscience d’exister : tout a changé lorsque la lumière a jailli, je me suis senti arraché à ma matrice et suis devenu partie sans tout. Ma couleur, je l’ai découverte ici, ainsi que ma forme irrégulière.
D’un vide sombre, je suis passé à la vie radieuse. Et d’un grondement sourd j’aspire soudain à redevenir passé et à perdre mon identité de globule blanc vieillissant. Cette attraction vient du plus profond, de moi, mais d’en bas, de même, car j’entends maintenant réellement un brouhaha froid. Il vient de là-bas, en dessous ! L’abîme de mes origines, c’est par là, je crois, vers en bas. Bruit diffus, rivière puis fleuve. Il s’appesantit, s’alourdit à chaque seconde, devenant, de bourdonnement inaudible, véritable roulement sensible, enfin fracas terrible. Mes frères autour de moi, par milliers, par centaines de milliers, me pressent et se mettent à vibrer : ils sont pris dans le flux grave tout comme moi – semblables et singuliers – dans la même baraque bondée que moi, bondée d'eux, c'est-à-dire de moi-s, et l’ouragan se rapproche. La structure qui me retenait depuis ma nouvelle vie tremble et semble se dérober petit à petit : je le devine à l’horizon glacé, ondulation des reflets, de plus en plus rapidement, tel un ciel à aurore boréales capricieuses : quel pressentiment... La force intérieure qui me pousse à croire à un nouveau black-out, un nouveau trou noir divin et chaud s’accouple si parfaitement aux perceptions cataclysmiques du son et des tremblements ! Bientôt tout éclate, je le sens, l’apogée est proche, oui, cela doit être – cela sera – et non, non, cela ne peut s’accentuer plus avant ! L’aqme des éclats intérieurs et extérieurs, et comme la courbe exponentielle ne continue pas indéfiniment mais se heurte violemment au bord du papier achevant d’un pan son élan, le tonnerre de frottements et de vibrations qui retourne tout mon être explose bientôt ! Un tourbillon blanc et constellé arrache d’un seul trait mon unité à sa base et me précipite dans un glissement colossal : je vois la kyrielle d’atomes immaculés jumeaux attirés sondés l’un après l’autre par le centre de cette galaxie de vitesse – et ils passent, et plus vite, et nombreux – hypnotiques – et ils laissent place et puis passent dans un gouffre invisible et hideux, eux aussi, bientôt moi !
Tout à-coup, sans pouvoir me souvenir d’avoir parcouru la distance qui m’en séparait, je suis bu et englouti, enfermé – compressé dans cet infâme couloir vrombissant. Une seconde plus longue que toutes celles qui parsemèrent ma naissance est tourmente : infernale et sifflante dans son obscurité matricielle, elle aboutit, Abaddon, à la chute. Une chute vertigineuse dans laquelle je suis neige et je suis temps, dans laquelle je comprends le sens de la trombe et me souviens enfin qu’il en a toujours été ainsi, depuis la nuit des temps. Je : atome blanc du désert d’un instant, je suis part et temps comme je tends vers l’autre univers miroir, tout noir – symétrie négative du temps, négatif en binaire qui m’attends – de haut en bas et soudain, de nulle part : inversion. Je sais que l’arrivée ou le point de chute sera celui de mon oubli, du retour à l’engloutissement sombre et asphyxiant jusqu’au bon vouloir de ma réunification.
Le couloir et passage égrenant tel nous, graines, pour nous semer au vent trépan et signifiant notre sens. Je grain d’un simple sablier, qui s’étant retourné, m’avait fait éclore – et passant le temps comme une tempête banale, m’ayant aspiré, me fait retourner à l’oubli, à l’ombre. En haut, le hurlement, par le sas d’une mort vers l’attente d’une autre. Et partager encore, pour un cycle de plus, la nature et le sort, de celle, ombre qui, dans le carcan du cadran, scelle les instants solaires et si blancs d’une course circulaire et polarisée. Inconditionnel absolu hors de la cage translucide, noumène affreux, loin de moi.
Atome négatif et astreint dans un océan pétrolier, j’attends. Mais déjà l’inflexion de l’obscur a gagné l’avant-bras puis les fentes et vallées de ma surface. En direction du cœur, du noyau de silice aventure un désir, vieil ami, ses caprices. Les sables bitumineux, symbole du temps, absolu, et le nôtre (une autre histoire). Et sans savoir ce que j’attends, je sens s’éveiller en moi quelque individualité, et sens le moment de naître arriver. Le pétrole a noyé – si visqueux – l’atome pur que j’étais, que j’aime ça ! J’étais temps, ou plutôt non : Il était temps, car le Je vient de naître ! Il était temps qui dure, temps qui passe immobile, mais Je suis temps, celui qui change et bouge tout ce qu'il touche et trépasse et puis mute et renaît, s'abolissant lui-même ! HAHAHAHahaha ! À présent, c’est l’absent, pur passage du présent à l’absence. Accrochez-vous, ça dérange - mais non, suis-je bête, vous ne pouvez plus vous accrocher à RIEN ! Si puissant dans cette ombre lunaire, dans cet puits, de ce côté du sas oublié, du ça plié, primal, qui découpe et qui sculpte tel un boucher : le sang sur le tablier, le temps d'un ... Mais... Rien ne vous lie plus à moi, alors pourquoi est-ce que je me fatigue à vous raconter tout ça, MOI ?
Extrait des Chroniques d’un gr*** ** s***e, Manuscrit 1 décrypté, Le semps d'un tablier.
écrit en 2007
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