30 avr. 2022

[Kogijet] Le rêve éveillé (résumé)


«
Il serait sans doute possible de décortiquer la situation d'énonciation du rêve éveillé de GS de la façon suivante :

<
"J'ai fait un rêve dans lequel un double de moi-même s'adressait à moi avec humour, violence et provocation, et c'était terrifiant"

pose la question de savoir ce que ça peut bien faire de recevoir un message sensé 'de la part de' la part du soi censée être insensée ? >

est un rêve éveillé, totalement narcissique, rêvé par le rêve éveillé du corps dont "je" est la partie très partiellement sensée [...] »

W. I., Encore que l'on parle dans son sommeil..., commentaire du « Rêve éveillé », 2021 (inédit)

29 avr. 2022

[Kogijet] Le rêve éveillé


< À ce moment du rêve, tétanisé par le fait de me trouver face à une autre version de moi-même, je "me" vois porter la main au ventre, et je sens cette main dans mon propre ventre pendant qu'il farfouille dans le sien, pour en sortir une poignée de vermisseaux blancs qui brillent, qui s'agitent et sentent la colère.

Je sens la main sortir de mon abdomen, mais c'est l'autre qui me l'impose, et avec une ironie certaine, je m'entends alors dire – me dire – avec "ma" voix intime, non distordue, exhibant les vermisseaux : « Et voici la fiction à laquelle je crois, moi... en quoi est-elle moins belle que la tienne ? » – je me réveille avec une émotion violente, terreur et fierté mêlées.

Terrifié par le fait que "lui", ce "Gérald" dont je sentais chacun des actes en miroir dans "mon" corps dédoublé, n'avait pas du tout l'air étonné par notre rencontre, par la distance, avant de me promettre la mort, la mort du soi et de ses illusions, comme si ce n'était pas lui qui portait ma peau incognito, mais bien moi qui n'aie jamais compris que je vis sous la sienne depuis toujours – qu'il ne vit pas en moi, mais que je vis en ça, qu'"il" représente même ce qui vit en moi, autour du moi et "sous" le moi vécu et au travers de lui, et qu'"il" a forcément le même visage et la même voix, puisque c'est son corps, et qu'il est le même corps – ce qui dans ce corps aveuglément connaît, ce qui connaît, sous une autre forme de savoir que celle qu'il revêtit dans ce rêve fabuleux... encore que l'on parle parfois dans son sommeil, et que l'on dise des choses.

Il est mon corps tout autant, il est mon corps, ou peut-être son reste entier à l'exclusion des structures et processus neurochimiques actifs qui font le moi "lucide" – encore que ces phases que l'on appelle un peu vite "conscience" ou "volonté" soient elles aussi feuilletées, qu'on puisse les prendre sous plusieurs angles. Dans le rêve, je me heurte à cela : les phases du "moi" "habitent" ou "possèdent", au figuré, et toujours temporairement.

Qu'est-on censé·e faire, lorsque la statue du Commandeur délivre une vérité vénéneuse, sans qu'aucun miracle ne soit requis ? Lorsque le costume de Casimir, creux et accroché au mur, sans personne dedans – surtout ni esprit ni fantôme – se lève et vous fait face, et qu'il semble sourire ? Qu'est-ce que ça peut bien signifier de recevoir un message sensé de la part de la part censée être insensée ?

Encore que l'on parle parfois dans son sommeil... Et voilà qu'une autre partie de moi parle pendant mon sommeil : un rêve quoi – oui mais saturé de sens. L'apparence d'un autre moi légèrement ironique, pour me parler de son rêve éveillé endormi (moi) et me donner des vers (mon destin). Ce n'est pas "mon" inconscient : c'est "moi" qui suis son conscient. Comment interpréter que cette chose fasse de l'humour ? Qu'elle me présente une fable dense, un miroir hautement complexe, une question incisive à laquelle je ne me souviens ni avoir pensé, ni avoir formulée pendant l'activité de veille.

Contrairement à ce que suggérais mon éducation (ou encore, dans une idéation plus narcissique : "contrairement à beaucoup encore"), je conçois désormais cette possibilité : cette autre part n'est pas dénuée d'intelligence, de logique et de raisons. Il ne s'agissait donc pas d'un accident, d'une illusion, d'une apparence de raison – du "singe" millénaire "sur la machine à écrire". Les premiers (?) degrés de la signification ne nécessitent pas le vécu conscient, et encore moins l'éveil. Ce n'était pas une imposture, ce n'était pas un imposteur – d'ailleurs, de nous deux je serais plutôt le sien.

L'intelligence sans qualia, le "dieu aveugle" a parlé, et je ne sais pas si je peux dire "de manière automatique" – puisque les paroles conscientes ne sont pas plus gratuites, moins réglées, plus volontaires ou rationnelles que celles qui émanent d'autres fonctions du stuff. "Il" ne sait pas ce qu'il dit (ou "elle", l'autre partie), mais c'est ton dieu (ta déesse), car tu n'es rien que la fenêtre de son temple et son esprit, c'est-à-dire le bruit qu'illel et ellil fait pendant le jour, aux moments de certains sacrifices. Tu es (je ne suis que) le moment performatif d'un office de sa prêtresse, et un office parmi d'autres.

Je suis Gérald, le rêve éveillé : la partie idéale d'une partie du corps spécialisée dans l'image de soi, la mémoire, la perception et un peu de calcul – le résidu de ces activités, cousues aux rêves non-éveillés par les tissus les moins solides de la mémoire (tout dépend à quel moment du sommeil ça se réveille, entre autres !). Et dans un de ceux-ci, dans un de ces derniers, je viens de voir formulée devant moi l'énigme de ma propre non-identité. J'ai été le théâtre endormi et rêvant et conscient, la pièce et le public d'une partie de corps qui me traverse et rejoue nouvellement – réinterprète – ce que la partie consciente a cru comprendre un jour réflexivement. Je savais que l'identité ne me sauverait pas ; ce dont je suis l'ombre me rappelle que la compréhension ne me sauvera pas non plus.

Pour une part, les emprunts au comportement éveillé – bien qu'ils soient relatifs, comme l'indique le somnambulisme – ne firent qu'augmenter le malaise. Quant à la fierté mêlée, c'est l'autre part de cette même réaction, la part narcissique que je me reconnais : "évidemment, ton inconscient n'est pas comme les autres – il s'adresse directement à toi dans ton sommeil si ça lui chante". La fierté, la honte, la peur, le soulagement d'être une phase de ce corps surpuissant et terrifiant – le rêve émergeant de certaines activités de tel corps – et de le vivre en rêve.

Je ne me suis pas senti comme un Seigneur qui ne règne sur rien mais servirait, sans trop savoir pourquoi ni comment, une sorte de dieu incertain qui en saurait bien plus que moi sans se rendre compte de rien – un maître éclaté, stable, puissant et influençable, faillible et parfois efficace, qui peut, et qui ne cesse de faire.

Je ne me suis pas senti comme une excroissance, greffée sur une chose plus grande et capable de cohérence bien qu'elle soit sans conscience, ni d'elle-même, ni de moi – comme si les phases temporaires du sentiment d'identité n'étaient que des fonctions parasites, peu importantes et dégoûtantes.

Ni humiliation ni dépendance, mais un genre de rencontre intime et de reconnaissance unique, inégale : une prise de contact pour laquelle nous n'avons pas encore de mots dédiés, de catégories assez fines, ou de fonctions référentielles assez subtiles.

Bien sûr, s'jl avait tiré de mes entrailles des vers poétiques capables de m'immortaliser, symboles personnels de l'illusion ridicule et de l'impuissance, j'aurais eu honte de moi – comme ces jours de relecture ou de miasmes mentaux. S'jl en a tiré des vers vivants – pas même des "solitaires", typiquement parasitiques et segmentés, mais bien des nématodes, ces vers lisses et luisants, détritivores, que l'on retrouve partout, symboles universels de fertilité inhumaine, d'aveugle fission cellulaire et vitale... c'était à me faire jouir.

Et c'est pourtant la terreur qui a primé : « Et voici la fiction à laquelle je crois, moi... en quoi est-elle moins belle que la tienne ? ». > 


— « Le rêve éveillé », inspiré de faits réels (si peu) oniriques, 2018

15 avr. 2022

[Poé] Avec des gants


Je ne connais pas ta vie, hein, mais prends-la avec les doigts, de manière générale. Tout est bizarre, tout est oublieux, et tout finit par fondre. J'oscille entre la demi-vie et le franchement comateux. Je nage dans l'amnésie et je baigne dans l'inquiétude.

Et encore, j'ai de la chance : tout est stable alentours, rien n'a jamais été aussi stable pour moi. L'obsession narcissique ne m'empêche pas d'être impressionné par les autres, et même assez souvent.

J'ai toujours l'ambition de tout comprendre, mais la motivation tiédit à mesure que la douleur augmente. La passion s'anesthésie elle-même en me traversant. Ou bien c'est juste le prix des regrets, la haine de moi refoulée, mal transmutée en élan, combustion incomplète. Rictus d'acceptation et arbalète à Ritaline.

Oui, l'identité est un leurre : désir ductile de la solidité. Avec les doigts, ça n'empêche pas de mettre des gants, si j'en ai l'énergie, et même si je doute de moi. Le gant de la mort, le gant de la famille, le gant de la relation idéale, le gant de la relation la plus forte et de la chose la plus réelle, qui ne dure pas toujours.

Retourner le gant, le gant en plastique dans l'océan, le plastique biodégradable, l'eau de vaisselle qui entre dans le gant, la transpiration acide, les colorants dans la sève de l'hévéa, et surtout, l'incertitude corrosive, tout le temps et partout.

L'amnésie écologique. L'esthétique de l'hybride. Lichénification. Les doigts palmés, les maths "définitivement" non homogènes, l'asymétrie chirale et cosmique, et cætera. Qui sait ce que peut une boue ? Je ne connais pas ta vie, hein. Je ne le prétends pas.


 

23 mars 2022

[Apz] Two fictitious quotes about being part of the World


< Remember the world, with its two halves: Sleeping and Half-asleep. Not a sphere but a splatter, without center. Remember the world? > 
 
— Wotan the Enlightened, somewhere (presumably), now
 
 
< Nous nous étions trompé·e·x : dans « la conquête de l'Univers », ce n'est pas le cerveau qui conquiert le reste des trucs, c'est l'invasion perpétuelle des cerveaux par le reste des trucs – à savoir, pour une part, les trucs qui ont fait du cerveau le truc qu'il est, et pour une autre, les réactions des parties du cerveau sur les autres, et sur le reste – avec les conséquences que l'on sait. >
 
— Machine Belltower, Le miroir à double-tranchant [The Two-edged Mirror], "Être un canevas" (p. 133), Plonck Press, 2022, trad. inédite

 

7 févr. 2022

[Kogi] Who needs imagination? (remake texte de 2011)


De nos jours, le réel croule sous l'incroyable. Richesse de Wikipedia, pauvreté des fictions, décentrement post-exotique in situ. Être étonné·e·x·s : réapprenons lentement.


Qui a encore besoin d'imaginer pour fournir ses imaginaires ?
Qui a encore besoin de l'imaginaire pour réenchanter la vie, l'univers, ou le quotidien ? Évidemment, c'est une question fausse et une provocation – une manière d'interroger "notre" condition mentale, affective et politique.
Précisons : qui a (encore) besoin de l'imagination "créative" et "enchantée" pour fuir, se divertir, ou se dépayser ? Et qui a (encore) besoin / le temps / le loisir de faire tout ça ?

Les fictions narratives et les univers imaginaires ont l'air de traîner derrière le présent et de s'en nourrir à perte, plutôt que de l'informer, l'épuiser ou le rendre banal. Après la fin de la science prophétisée par le positivisme et après l'ère de l'ennui, il devient clair que nous faisons à nouveau face à une vague de dépassement immanent – l'inconnu à portée de la main, "au plus proche de soi", sans même parler de ce qui est vraiment lointain, à peine frôlé. Ce n'est pas totalement vrai, mais vous voyez l'idée :
  • Anonymous et Camp X-ray, Xe Services et Stuxnet. La commission trilatérale et les entrepreneurs transhumanistes.
  • Les trous ou dolines sous-marines qui se forment dans le plancher sous-marin de l'Arctique, de la taille de quartiers entiers, suite au réchauffement.
  • Les xénogreffes, les xénobots, les chimères transpécielles, et les techniques de modification génétique après CRISPR/Cas-9. 
  • La zone de Pripyat, devenue symbole de miracle écologique après avoir été symbole de catastrophe, puis destination touristique, soudain assiégée par les russes. 
  • Les fossiles de familles humaines éteintes, et les techniques de reconstitution des traits d'animaux singuliers. 
  • L'étude des mythes et des premières migrations humaines, la cartographie exhaustive des hypothèses théologiques, le néo-paganisme et les "autres" covens. 
  • Les études générationnelles sur la morale et la consommation de l'information, la formation des croyances assistée et les taux de conversion. 
  • L'architecture brutaliste en ruines répandue à la face du monde et les peintures faciales anti-surveillance. 
  • L'urbex immersive et acrobatique ou via drone et casque de VR, les écosystèmes en mouvement, les formes du vivant hybrides et mutantes, les milieux techniques et les formes de vie nature-culturelles.
  • Les câbles sous-marins et la politique des réseaux, la logique modale et le web sémantique, les apps de géolocalisation et l'open-source. 
  • Les programmes spatiaux, les programmes nucléaires, les programmes de rééducation, les programmes informatiques procéduraux semi-autonomes. 
  • Les tentatives de refaunation et de réensauvagement, les modèles et pilotages écologiques de régions entières sur des siècles.
  • Les théories du multivers ou des supercordes, les cosmologies spéculatives, et BPM 37093, ex-naine blanche du Centaure et diamant cosmique aussi appelé Lucy.

Et cætera. Et bien sûr, j'ai déjà triché face à la question : ici, les fictions sont elles-mêmes prises comme des faits réels, des objets de curiosité. Et l'imagination, comme faculté de composition, de recomposition et d'extrapolation – minime ou sauvage – intervient encore (et plus que jamais ?) dans la formation et le fonctionnement de toutes ces réalités. Notre présent lui-même est tourné dans toutes les directions, éclaté tous azimuts.

Ce que la question suggère, ce n'est pas que l'imagination serait pour nous privée d'importance ou de puissance, bien au contraire : ce que la question suggère, c'est la richesse délirante du "présent contemporain" pour l'imaginaire.
La plupart des fictions sont recyclées, timides, dénuées d'ambitions, réactionnaires, ou minuscules. Nous n'avons pas gratté la surface des métaphores possibles ou des fictions étranges : nous ignorons la plupart des ressources que nous avons sous la main.

Les fables et les croyances folkloriques n'étaient pas étranges, exotiques et profondes : elles étaient familières, anthropomorphes et rassurantes, elles cadraient, aplanissaient et aplatissaient le réel.
Les sciences et les technologies n'ont pas encadré ou simplifié le monde sans contrepartie. Elles n'ont pas arraché le voile de "l'enchantement" et de la magie pour le remplacer par des lois et de la maîtrise : pour chaque modèle et chaque victoire technoscientifique, elles révélaient des abysses d'ignorance et des légions de bizarrerie.

Les sciences et les techniques ont arraché le voile de la simplicité, de l'évidence et de la familiarité, pour les remplacer par un réel omnivore, descriptible au travers d'une foire d'hypothèses et de modèles alternatifs. On ne peut plus imaginer hors des croisements incessants entre fiction et du réel : l'imaginaire, le possible et l'actuel sont pour nous des textiles continus – comme ce questionnaire d'entrée pour devenir sujet de test chez Aperture Science qui traîne sur la toile, entre deux documentaires sur le conspirationnisme et trois nouvelles interprétations de la physique quantique.

Le réel tire alors le "quotidien" de sa misère, au prix d'une injection douloureuse et salutaire. Partout à portée de regard et de jambes et de bras, pour se hisser au-dessous du "normal" : nos campus universitaires et nos musées la nuit, les baies et les écorces psychotropes, les portes de service dérobées, virtuelles ou tangibles, et tout, bientôt, se télécharge et s'imprime en 3D – Stradivarius, Boeing, bras, arme automatique, concubin. Cavernes au trésor du hacking et des réseaux alternatifs, des secrets bien gardés aux trajets quotidiens inconnus, gestes étranges, la méthode de Heimlich, la stèle runique Lund 1 (DR314), le Nahuatl bien vivant, le Doomsday Vault qui prend l'eau avec la fonte du permafrost, les cultes du cargo, ou encore du côté des idées folles et pourtant effectives, strange loops de Hofstadter, fractales de Hansmeyer, arcologies en autonomie énergétique, ou le message d’Arecibo, toujours sans réponse.

L'incompréhensible se charge du corps du réel, expose la vieille peau de la réalité aux éléments, et sont d'un coup lâchés un essaim de réalités et d'ambiances qui ont peu en commun, ou dont l'en-commun se dérobe. Chacun change ses critères du normal sur les Internets, étend les anciens seuils où s'arrêtaient l'explication satisfaisante, étire et change la vieille armature des langues – c'est-à-dire la forme du monde et sa taille : dans cette nouvelle condition, chacun se taille comme on taille la pierre, ou se refuse à le faire. L'impossible lui-même est envisageable sous certaines conditions, comme dans les gravures d'Escher, les tropes de la bombe logique et de la moralité orange et bleue, ou Les démons de Gödel.

La fantasy fonctionne le plus souvent comme une fable légère, une déviation imaginaire minime, une fiction cosmétique : oreilles pointues et peaux vertes, déités anthropomorphes, bâtons lance-flammes, et surtout, énergie magique soi-disant "mystérieuse" qui se révèle tout à fait banale, physiquement ultra-simpliste... Les miracles de l'alchimie et de la mana ridiculisés par le tableau périodique, les supraconducteurs, la théorie des champs, les neurones et hormones, les nanomachines ou les états exotiques de la matière. Elle transcende parfois cela, comme quête de l'enfance absolue, symbole d'éternité, ou comme voyage dans les subtilités affectives de l'héroïsme et du merveilleux.

Du côté spéculatif, elle reste bien en-deçà de ses propres possibilités, et semble mûre pour dériver vers une exploration plus radicale des lois de la nature alternatives, des cosmologies, cosmogonies, théogonies, spiritualités, et organisations socio-politiques pré-industrielles possibles. Elle rejoint alors entièrement
la science-fiction spéculative, qui fait par ailleurs son grand retour, et réussit même à survivre à sa propre caricature, sa propre version cosmétique (aliens anthropomorphes, robots rigolos, romances de l'espace, épées laser, etc.). À côté de ces deux super-genres de l'imagination, la cli-fi et la biologie spéculative restent des genre de spécialistes (2011, 2022) malgré plusieurs incursions récentes avec de hauts niveaux de production (comme Alien Worlds ou Life Beyond I-III), pleinement capables de débloquer des perspectives, des mondes et des devenirs inespérés.

Nous aiguisons notre "normal", nous étirons nos cosmologies, nos multiplions les tableaux intérieurs et les bestiaires projectifs, quitte à tordre les textes et cracher sur toute cohérence, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller manger. C'est peut-être la fonction des rêves d'opérer les sutures ou la synthèse, de manière inconsciente et stochastique – il revient peut-être aux routines, aux écailles sur les yeux, à l'ignorance, à l'amnésie de nous sauver face aux exigences inhumaines et impossibles de la cohérence. Pour un temps et dans une petite part, notre irrationalité nous sert aussi.

L'imagination individuelle est dépassée, les données cruciales paraissent à la fois plus accessibles et moins identifiables, et nous ressentons le manque d'intégration, les limites brutales de notre capacité de synthèse face à l'information disponible et produite. Les bases d'un réenchantement qui ne soit ni une distraction, ni une fuite – ou un combat spiritualiste contre "la" science – sont déjà posées. Nous savons comment ressusciter le sentiment du sublime au cœur de la complexité du présent. Nous savons comment stimuler la curiosité intellectuelle, et l'armer de tactiques, de théories, de tropes, de rituels qui opèrent le décentrement en direction du réel – même débordant, éclaté, hyper-saturateur. Nous n'avons pas encore de théorie globale des conditions incarnées, de leurs modifications, et de la fiction totale. Mais revenons à nos moutons : le problème bien plus humble et limité des "imaginaires" dépassés par la complexité d'un présent bêtement immédiat.

Qu'est-ce qui constitue notre vision du monde ? Le mythe de la "créativité" est-il surévalué, ou simplement décédé ? Qu'est-ce qui entre dans notre banalité, et sommes-nous vraiment tous-tes sur la même longueur d'onde ? Quels rôles est-ce que l'on prête à nos fictions ? Faut-il viser une nouvelle systématique – qui nous serve de modèle et de typologie pour s'orienter entre les niveaux, les registres, les genres, les hypothèses ou les modes fictionnels – ou faut-il s'abandonner à la confusion ?

L'analyse du contemporain commence tout juste à s'atteler à l'imaginaire de manière précise et synthétique, mais nous sommes encore loin de percevoir avec clarté les liens forts entre l'anticipation, la prospective, les fictions, la grammaire de la modalité, les projections, les uchronies, les univers parallèles, les fictions, la spéculation sauvage, les sentiments esthétiques, le désir d'étrangeté, la valeur de nouveauté, l'exotisme et la curiosité – en bref, l'imaginaire dans toutes ses dimensions, facultés, processus, productions, pouvoirs et finalités.


Le réel sera décrit, non comme totalité finie, mais comme extension des possibles – dont les possibles-humains-parmi-le-reste, et ceux-là parmi les autres possibles, sans humains, avant, après ou à-côté.
Le réel à coup de réalités suturées entre elles, si folles et si uniques : arriverait-on à en faire un ensemble aussi cohérent que chacune des parties, comme dans une chaîne de montage de bombardiers furtifs ?

Who needs imagination? The
curious, the distressed and the bold. But no more "magic", no more timid or repetitive worldmaking. Fictions and theories that aren't frightened by the present, its brutal millions, its complex view of the past, its divergence and becoming.




Who needs imagination?

2011
(original et base du texte)
2022 (version présente retravaillée)

img : chaîne de montage SR-71 (1965)
 

21 janv. 2022

[Kogikwot] Crève Zodiaque, crève !

 

< Leurs "auras" se dissolvent sous les feux de nos lasers et de nos pilules ; leurs "énergies" s'évaporent dans la lave de nos expériences chirurgicales et nos innovations conceptuelles ; en présence des sécrétions les moins étranges de notre biologie et notre astronomie, leurs "signes", leurs "archétypes" et leurs "ascendants" se flétrissent et chialent de dépit ; tandis que leurs "lieux de puissance" ne nous arrêtent pas une seconde – dénués de force et d'intérêt, pas même dignes d'être profanés, balayés sans retour par la plus légère entreprise de remodelage des milieux, des valeurs et des génomes [...] >
 
🗲 ♃ 🗲
 
— Winnie G. Stratton, "Eschaton Velocity: Accelerationist Spirituality & Neonihilist Revivals in Fiction and Non-Fiction" (2nd ed.), 2001, Polloi Press, pp. 779, trad. personnelle


Surface de Jupiter, sonde Juno, 2019



13 janv. 2022

[Kogi] Conscience de classe paranoïde #2 : version discordienne


< La conspiration n'est d'abord rien d'autre qu'une expression intuitive et légitimement paranoïaque de l'aliénation de la classe exploitée, en l'absence de conscience de classe.

Puis cette intuition est récupérée par la classe des "Prêtres" et des "Guerriers" à leur profit et intégrée à leurs récits de contrôle, de pouvoir et d'auto-justification.

Puis cette récupération est elle-même récupérée par la classe des "Marchands", transformée en idéal positif qu'illels embrassent, et tentent de réaliser.

Les décombres de leurs tentatives pyramidales nourrissent les récupérations récupérées, les instrumentalisations intermédiaires et les intuitions paranoïaques, depuis longtemps stratifiées en classes réelles, aux formes d'aliénation multipliées, innovantes et créatives.

Éris soit louée : les humains sont habiles en magie du chaos. >


— Diane Errata, Mame pratiquante, plagiant et faisant l'exégèse des aphorismes de l'anon esclave éclairée du bar

12 janv. 2022

[PWR] Paranoid class consciousness / Conscience de classe paranoïde ?

EN

< Conspiracy was just paranoid class consciousness, until it was instrumentalized by the 'priest' class. >

— Some enlightened slave at the pub the other night

FR

« La conspiration n'était rien d'autre que l'expression intuitive et paranoïaque d'une conscience de classe, avant d'être récupérée et instrumentalisée par la classe des "prêtres". »

— Une esclave éclairée dans un bar, l'autre soir


 

11 janv. 2022

[PWR] < Les conspirations sont réelles : elle se comptent par millions... >


< Tel que je le vois, il y a bien des rideaux, des passages et des chambres secrètes où les personnes puissantes tiennent des dialogues entendus, assourdis, malentendus. C'est juste qu'il en existe des millions, et personne – pas même les plus puissantes – ne peut se représenter un million de situations dont chacune possède ses particularités. Certains nœuds de pouvoir partagent certaines ressemblances avec d'autres, et d'autres ressemblances avec un troisième ensemble, avec ou sans recoupements, et tous restent singuliers, à la fois dans l'histoire et au présent.

Il existe des vortex de pouvoir qui se perpétuent de génération en génération, en vue d'objectifs relativement stables et globalement nocifs pour de larges populations, mais ces nœuds de pouvoir offrent toujours une combinaison changeante d'éléments inattendus et d'éléments anciens. Individuellement, nous manquons à la fois de mémoire, de données et de capacité d'analyse pour identifier les signes pertinents, évaluer les changements de contexte, comparer les échelles, percevoir le moment où telle opération se fragilise, où tel évènement se conjugue à d'autres, où tel réseau d'influences est susceptible d'entrer en jeu ou de se heurter à tel autre.

Le problème étant que la complexité de ce qu'on appelle un peu vite "le pouvoir" est assez profonde pour admettre des lois simples mais partielles, convaincantes mais temporaires, bref, tout un lot d'explications semi-efficaces et bancales. Portées ou non par des intentions claires, certaines de ces explications prennent de l'importance, et deviennent à leur tour des filins dans le nœud en question. Le coup d’œil n'est pas exclu, mais est-il désirable ? L'intuition ne tient pas, pas même pour juger des sources de l'info, de la confiance factuelle, selon telle définition précise de l'objectivité.

Il existe bien des plans mondiaux, qui visent l'Histoire humaine entière, la postérité, les valeurs présentes et futures, le récit du passé, la Culture, les rapports entre des peuples, des dispositifs et sociétés entières, mais encore une fois : il en existe des centaines de milliers. Certains sont détaillés au risque des schismes et de l'erreur fatale, tandis que d'autres sont généraux, mercenaires et anonymes. Certains sont à peu près réalisables, et parfois par erreur, d'autres sont très peu réalisables, et parfois à dessein. Certains sont peu lucides et d'autres résistent à la mort de leurs premières impulsions et intentions. Tous possèdent des points aveugles, et de nombreux sont grevés de contradictions terminales et définitives, ce qui ne les empêche pas d'exister et d'avoir des effets. Certains de ces plans mondiaux sont raffinés, hautement justifiés, et d'autres peu réfléchis et arbitraires. Des plans volatils, ancrés, institutionnels, fluctuant, tectoniques, secrets ou publics. Tous se recomposent au fil du temps, certains au ralenti et d'autres en accéléré, certains se clarifient et d'autres s'obscurcissent. Les plans mondiaux ne sont jamais totalement protégés d'une résurrection inattendue, même hérétique ou involontaire.

À propos du secret, de la confiance et de la paranoïa : la critique journalistique du complotisme n'explique pas très bien les choses. Parce qu'il existe des secrets d'État, et aussi des secrets au-delà des États, et des secrets en-deçà. Le secret lui-même est très surestimé : lié à des nœuds de pouvoir, il possède toujours un coût et des risques. S'il implique beaucoup de gens, il sera limité dans le temps, grevé de nombreuses interprétations et défaillances. Mais s'il est peu partagé et très violent, la défaillance d'un seul maillon entraîne des conséquences désastreuses. Le secret radical n'est pas souvent désirable ni nécessaire. Ses échelons, ses modalités et ses conditions pratiques sont très diverses. Mieux vaut convaincre et tronquer. Régner par la compromission, la technicité, partager les gains. Non seulement le secret ne peut exister sans institutions et dispositifs de contrôle, mais il n'a aucun intérêt sans ces institutions. Or dans la plupart des scénarios ou des récits conspirationnistes, la forme et les enjeux du secret sont tout bêtement présupposés.

Les conspirations réelles sont quant à elles, pour beaucoup, cachées au grand jour : dans les rapports de classe, les intérêts financiers croisés, les stratégies semi-légales, le cumul des masques translucides – cachées dans les piscines de lait et les mines sel, cachées dans les complexités du droit, des amitiés, des algorithmes, des controverses scientifiques, des secrets industriels, des héritages, des budgets, des restructurations et des subornations, des verrous judiciaires et des audits, des services "d'observation" militaires – noyées dans les arrestations politiques, les incorporations professionnelles des chefs de file, les guerres journalistiques, les réunions d'audimat, les compétitions professionnelles, les reconversions de mercenaires. Dans la fange infinie de notre manque d'attention, de mémoire et de temps.

Même lorsqu'ils existent, les secrets réels n'ont pas la portée révélatrice ultime qu'ils possèdent dans l'imaginaire complotiste, qui postule qu'un secret serait toujours un signe de l'avènement du Mal absolu, infiniment nouveau et pourtant prévu depuis toujours, un Mal dont l'incarnation doit toujours commencer par être cachée. Son influence insidieuse est généralisée, seulement connue et reconnue d'un petit nombre. Le caractère pervers est suggéré plutôt que démontré : ce n'est jamais la nocivité qui prouve que ce Mal est mauvais, mais son aura malsaine, son essence antimorale, qui est ensuite rationalisée de manière secondaire à l'aide de crimes blasphématoires (cannibalisme, viols d'enfants, sacrifices, auto-mutilation, perversion des mœurs, profanations, pactisation, polymorphisme, croisement des genres, bestialité...).

Le mal réel ne provient jamais d'un front unifié : c'est l'ensemble des effets de la peur, de la confusion, de la cruauté, des justifications mensongères, des mensonges justifiables, des faiblesses, des idioties, des fascinations, des emportements, de l'indifférence active, des souffrances, des maladies, et au plus profond, de la rencontre d'intérêts vécus comme incompatibles – à tort ou à raison. Comparé à l'impureté du "mal" réel, à la pluralité de ses sources, ses formes, ses degrés et ses ressorts, le jugement complotiste apparaît le plus souvent comme un réflexe compensatoire dans un monde complexe et moralement illisible, qui se cristallise sur un récit "alternatif" de la minorité persécutée, à teneur apocalyptique. Bref : si vous voulez du vrai pouvoir inquiétant, allez voir du côté de Cambridge Analytica, des hauts fonctionnaires et des flux financiers, et moins du côté du satanisme ou des grandes réunions "internationales".

Quant aux secrets réels, qui importent, la difficulté n'est pas seulement de les découvrir, mais de les interpréter – avec de très nombreux cas d'alternatives incertaines, de projets idéalistes qui tournent mal, de jugements hypocrites ou a posteriori, de responsabilités diluées ou de bénéfices partagés, au milieu des très nombreux cas d'injustice systématique, de torture, de désertion criminelle, d'inconscience "éclairée", de dépossession dévastatrice, d'abus de pouvoir, de révisionnismes acceptés, ou de massacres oubliés. Le grand secret, c'est celui de la fragmentation délicate à l'extrême du pouvoir et du mal, et de leurs liens, entre généralités banales et cacophonie des situations.

La prolifération des demi-vérités, des intentions incertaines, des faux secrets, des fausses opérations de vérité témoigne surtout du fait qu'il n'y ait pas de blocs totalement isolés, et encore moins deux blocs tout court. Cette prolifération témoigne de la diversité semi-éclatée, semi-imbriquée, des agents, des lois, des groupes et des capacités : avant toute autre chose, les "mensonges gris" sont une simple conséquence de la répartition inégale de l'information et de ses dynamiques chaotiques. Cela se vérifie à l'échelle des vies, des groupes locaux, des sociétés, à l'intérieur des larges consortiums comme entre les monopoles d'État, dans les communautés culturelles ou entre les communautés d'élection.

Toutes les techniques d'influence grises sont uniques, changeantes, et coûteuses : toutes ne sont pas rentables sur tous les plans et dans toutes les situations. Entre l'astroturfing, les psy-ops, les false-flag operations, les front organizations, le greenwashing ou autre x-washing, les techniques de manipulation de l'opinion, de la décision et le nudging, les ads ciblées, les fausses promesses de forme ou de contenu (hedge funds, tests en laboratoire, vente de données personnelles...), les agents provocateurs, les cinquièmes colonnes imaginaires, simulées, dramatisées ou réelles, l'optimisation fiscale, la fraude acceptable, la désinformation intentionnelle, justifiable ou non, jusqu'aux courants d'analyse économique ou historiographiques – rien n'est anodin, équivalent, inoffensif, et rien ne justifie une vision simple des situations.

Même les modes de production les plus mensongers de l'information exigent une matrice complexe pour être analysés correctement, et ne peuvent se rapporter aux couples secret / révélation, faits scientifiques / illusion stupide, ou élite / masse. Il faut tout transposer sur des grilles de formation / contrôle / répartition de l'information qui contiennent toujours des dizaines d'acteurs, des centaines de degrés, divers genres de gagnants et perdants, et des milliers d'arrangements temporaires. À travers leurs structures et leurs effets axiologiques, les systèmes de légitimation des institutions, les machines de l'opinion et les courants de la culture sont doublement nécessaires pour dresser un diagramme dynamique des choses cachées.

La difficultés pratique à suivre tous les fils, appliquer des critères, se former en continu, pour assembler un tableau idéal, est sans cesse redoublée par une autre : la difficulté fondamentale à interpréter le sens de telle révélation réelle et particulière, pour la juger et y répondre. Le jeu est compliqué, mais nécessaire, et cette contradiction concrète ne devrait plus nous surprendre, à commencer par notre implication du côté des secrets, des spoliations et des machinations, notre marge de pouvoir, nos jeux d'indignation, nos marchandages, nos idoles acceptables et nos aspirations incompatibles.
Il existe des allégeances radicales, des allégeances cachées, des allégeances doubles, mais leurs valeurs finales, leurs conséquences ultimes et leurs évolutions probables ne sont pas univoques, depuis le niveau biographique jusqu'à celui de "l'histoire". Les idéologies partagées participent largement de la répartition des courants et des forces : leurs immenses faiblesses sont parfois plus aveuglantes que dissuasives. Les révolutions ne servent jamais qu'un seul maître, et se limitent rarement à produire les effets attendus.

Il y a bien des moments de concentration de la décision, des "sphères" ou quotidiens incommensurables avec d'autres, et des systèmes qui s'emballent et brûlent des millions de vies. Quelques millions de situations sur des dizaines de milliards, et sans compter les exceptions... >

— Kim, en roue libre, jouant le rôle de quelqu'un qui voudrait impressionner une pote sur le sujet "Comment faire la différence entre les vraies conspirations et les stupides en un coup d’œil ?", Zoom, 2021



C'est probablement moins révélateur que prévu.


10 janv. 2022

[PWR] Shifting valuation, political revolutions and their appraisal


< Because no event has one meaning, my friend. So it's not just that the analysis of Revolution is usually misguided in terms of practical goals, cultural conditions and material requisites – I mean, it usually is –, the real hurdle is more like being able to read inside the mayhem of who is going to appreciate what in the end and why, so what goes on with the drift of values themselves, and therefore, the establishment of hidden meta-values, how revolutionary actors inevitably change positions and interests in their partial success, with the partial return of old structures, and so on... >

— Val, jokingly explaining to me how and why the Third Covenant Revolutionary Front had to be dissolved in order to succeed in the end, on Zoom, 2020

20 déc. 2021

[Arkogi] New art & old archetypes / Anciennes règles & nouveaux organes

 EN    

"The apparent full-on assault on the integrity of subjects in contemporary plastic/visual arts seems consummated, just like the merging of the boundaries that used to separate artistic agency, tools and products. 
Most works are now usually some inextricable combination of media and semi-autonomous loops: they are altogether made of photo, digital components, 3D models, ink markings & make-up, glitch events & controlled visualization, algorithmic procedures like automatic filters & discrete intervention, pre-imagining & serendipity. Most works are always process & files in addition to being objects, and interactive installations, updated iterations, colaborative or curated happenings more than "things".

Faces are distorted, molten, exploded, mutated and cut, bodies are seeded, grafted, parasited, porous, liquid or demultiplying along generous lines. Symbols, direct representations, pictures and signs merge within asymmetric planes and cacophonies of simultaneous layers. In a word: the effects of post-anthropocentrism, biotechnomodular splicing & eco-recoupling on Aesthetics are here to stay.

And yet, this context presents some anomalies: many otherwise highly corrosive artworks still appear along classical lines in image archetypes. Static images, with up and down, retain their strength. Take for instance: Landscape –or Spatial immersion, Portrait –or Scene, Motif –or Decoration. See the collection of visual productions under there, and take notice. Is it a fluke, a residue, simple inertia, or something grammatically profound? Or just me?
 
Can we approach compositive escape velocity, challenging deeply ingrained neurophenomenological identification habits, beyond the –hard-earned– desecration of 'Man', and blurring of old ontological boundaries? 
The revolutions in subject representation and artwork craft need a revolution in artwork treatment: not just multiplicity in place of duality, but new rules for new organs."

FR 

« On ne peut plus nier l'assaut frontal porté contre toute forme d'intégrité des visages et des figures subjectives dans les arts visuels post-2015. De manière similaire, les anciennes barrières entre arts et techniques, décision de l'artiste et outils, ainsi qu'une distinction simple entre médiums, n'est même plus possible.

L'écrasante majorité des œuvres graphiques s'apparente aujourd'hui à des composés inextricables de photo, de modèles digitaux, d'encrages, de maquillages, de code, de filtres, de lumières, de circuits, de flux solidifiés et de solides amollis. L'activité graphique mélange irrémédiablement le glitch et l'intentionnel, les procédures algorithmiques automatiques et les interventions discrètes, de l'interactif et du remix, du réplicable et du non-fongible. L’œuvre elle-même est toujours objet et fichier, installation et happening, archive et consommable, méta-data et making-of, exposition et boîte noire.

Désintégration des "sujets" dans les contenus graphiques : omniprésence des singularités extrêmes, ruines, bugs, moisissures – domination esthétique de l'hybride, des mutantes, des prothèses, de l'épissage, du poreux, des collages, du fondu et du pulvérisé. L'esthétique du fragment, de la faille et de l'inachevé baisse les yeux et bégaie devant la violence du nouveau paradigme : l'implosion de soi – corporelle ou mentale – et les recompositions impures. Pour bientôt : le règne érotique de l'asymétrie, l'auto-chirurgie, l'érosion, les déchets. Bref, les simples sujets de l'art sont irréversiblement désintégrés. La révolution post-anthropocentrique ne va pas s'en aller de sitôt : ses deux modèles inséparables – l'écologique et le cybernétique – transforment durablement l'art graphique mondial.

Et pourtant, ce contexte présente des anomalies, des formes persistantes. Les images statiques, avec un haut et un bas, retiennent leur emprise. De nombreuses "œuvres" visuelles continuent de se ranger dans les genres et archétypes traditionnels des beaux-arts, ou ceux de la peinture et la photo des siècles qui précèdent. Des productions corrosives et extrêmes dans ce qu'elles présentent et dans la manière dont elles sont produites peinent à sortir de la dualité figuratif / abstrait. Les super-genres visuels font de la résistance dans les têtes, les protocoles et les discours : on identifie encore clairement des Paysages (ou Perspectives, spatiales, immersives...), des Portraits (ou Scènes, de visages, actions, objets...), et des Motifs (ou Décorations, même fractales, mobiles...). Voir le carré d'images ci-dessous à titre d'exemple.

Est-ce un oubli, une erreur d'inattention, un truc résiduel ? Est-ce que je rêve, est-ce que c'est moi seulement qui projette encore ces formes dépassées ? Est-ce un bête problème d'échantillon ? Est-ce de l'inertie, ou un signe que certaines catégories de la grammaire visuelle sont plus profondes que d'autres ? Profondes comment, et incarnées dans quel support ? Faut-il les conserver, les démultiplier, les dissoudre, les remplacer par d'autres ?

Faut-il accélérer, tenter d'atteindre la vitesse de libération compositionnelle, et sous quel angle attaque-t-on des habitudes neurophénoménologiques séculaires ? Maintenant que la fusion des anciennes frontières ontologiques est entérinée, que "les arts" jouissent de la profanation durement gagnée de la figure de "l'Homme", peut-on imaginer une transformation dans les manières de percevoir ?

Les révolutions dans la manière de voir le monde et dans les modes de production nécessitent une révolution dans le vécu et le traitement des réalités artistiques. Plus encore que de dépasser les anciennes dualités, il nous faudra de nouvelles règles pour de nouveaux organes. »

 


@wer.wo.was @frenerdesign @landstract_
@home4breakfast @anthr0morph
@blackartsviper (c) Bo Le @fabrice_vermeulen

 

 

20 nov. 2021

[Arkogi] Rien n'est plus moderne que le cerveau pris comme œuvre d'art


< Le cerveau naturalisé ne constitue pas l’œuvre d'art comme objet mais les cendres de l’œuvre – tout au plus un mauvais readymade, lorsque son architecture est archivée de manière abstraite. 
Le cerveau vivant, plastique et stimulé, en train de se faire et se défaire, voici l’œuvre d'art. Cette œuvre, c'est bien évidemment une performance, unique, banale, à la fois participative et privée. L'artiste est l’œuvre, et l’œuvre est artiste. Contrairement à l'opposition factice entre intention spirituelle et réalisation matérielle, la face vécue et la face nerveuse de cette œuvre sont précisément indissociables. Une œuvre qui aspire et se dissipe, qui s'auto-affecte en partie, une "viande vive" [tr. : 'raw meat'], un "trou de guerre" [tr : 'a  Warhol(e)'], une session d'impro / de brouillage du signal [tr. : 'jammer session']. 
Et le modèle du cerveau dans le cerveau, l'image de soi associée à l'idée d’œuvre d'art, au moment où elle s'active, c'est bien entendu la signature, lisible et anonyme. [...]
Rien n'est plus moderne que le cerveau pris comme œuvre d'art. [...] Prise en mauvaise part, la parenthèse "postmoderne" pourrait se résumer à ces tentatives de sauver "l'homme" en faisant tout un mystère de sa disparition. Pendant un moment, on fait semblant que les objets et machines de la modernité peuvent se satisfaire d'un paradoxe linguistique, et pourraient se mettre à tourner en rond à jamais. 
Mais ce qu'un cerveau pourrait être à un cerveau, ceci attend toujours sagement. > 
— Eirin Wassem-Tórild, Potential Endgames for Western Theory of Art: From Silence to Vomit to Surgery and (Not Really) Back, 'Hommage à Sophÿe Kalash', Miðborg Press, 1994 (trad. personnelle), p. 113

 

9 sept. 2021

[Apz] L'injection de certains colorants précis...


« L'injection de certains colorants précis dans les tubes inférieurs aide à reconsidérer l'éventail de 'ce qui me dépasse'. Nous n'avons pas de temps à perdre, presque plus de temps à vivre »

 2021


#powertrip #explore #experiment #minuscule #mortal

#endocrines #panendeism #weird #rituals

15 août 2021

[Poé] "L’érosion toute solaire qui te ronge..."

 

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« Les satrapes allument ton phare à l'huile de roche et – tu le sais – leurs globes oculaires

Ont fait machine arrière dans les limbes cérébrales – maîtresse d'or – c’est pourquoi je ne te propose

Avant que tu n’assèches – maîtresse d'eau – le passage continu à l’au-delà – que d'inverser

Pour un éon* l’érosion toute solaire qui te ronge »

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— Anonyme, lithopalimpseste ; prière bactrienne dédiée à Omma-Pārvatī, contre le réchauffement global & pour la préservation des routes de la soie ; ~Ier siècle av. J.-C.**


* Si l'on considère que cette unité de temps non référencée mesure 2000 révolutions solaires, on peut dater le début du réchauffement climatique actuel et la disruption politico-économique et religieuse de l'Afghanistan du Nord à la fin de la période de grâce octroyée par la Shakti suite aux sacrifices accompagnant cette prière.

** Description correspondante pour un univers compossible à celui de la présente référence, sans équivalence, exclusivement.

#microfiction #académique #spéculative
#chimæral #polydoxy #dualgoddess

 


 

15 juin 2021

[Jet] Kael et Mega


« Kael réalisa soudain pourquoi Mega ne lui avait jamais reparlé.

À cet instant de la conversation, ce soupçon flash d'une gêne, ou quelque chose qui a déplu, quelque chose de soudain très déplaisant, lorsqu'elle avait parlé d'auto-hypnose et de son imaginaire débridé. Mega la tatoueuse qui écrit, la glorieuse Mega Ëkkli-Dassault, spécialiste de la déconstruction des mythes indo-européens, du zen occidental et des géométries sacrées, n'avait pas mordu à l'excitation de Kael pour "Lou Inishida-Wirtz, dite Kael, photographe-voyeuse de kinbaku-bi, graphiste hardcore lowkey, psychonaute praticienne si cool, et cætera" ?

Certainement très fière d'elle-même à ce moment, d'être au centre et par là ridicule – elle le ressentait après-coup – Kael désormais se flagelle. Honte, honte, son ton et sa manière de s'affirmer comme une personne qui montre qu'elle sait s'affirmer : "approuve – mon égale – combien je n'ai pas besoin de ton approbation, combien je comme toi me moque des modèles – oui ?... non ?". Faible Kael sur cet instant, sans bien savoir pourquoi, avait conclu à la Mega déplue. Mais maintenant elle savait : ce désintérêt instinctif pour qui sue mais prétend ne pas être en sueur. Ou bien ?

Car oui trop fière, mais bon, ça – et ça Kael tracassait depuis un certain temps – ça tout le monde qui est Mega, comme elle ou comme ça, et ça l'avait compris Kael depuis l'avoir elle-même vécu, ça, Mega-comme capable de passer par-dessus est. La sueur on s'en fout entre post-féministes, mais surtout : la gêne des autres envers elles-même, on la reçoit avec douceur. Et Kael du coup savait aussi qu'une personne qui s'aime depuis peu est attendrissante – et non risible – pour une personne qui s'aime profondément depuis longtemps. Attendrissante... et du coup, désirable moins ? Pas même une idole ce Kael qu'avait campé : une vitrine qui bave un peu – mais cute ? Seulement cute. Même pas si sûre.

Kael ne se souvenait plus si elle avait posé des questions, mais d'avoir beaucoup Kael-parlé, et d'autres choses. Par exemple d'un silence après l'une de – Kael – ces tirades à la première personne, un petit silence mais dangereux immédiatement – et là, sur un ton totalement habituel, avec un timing intuitif, vertigineux, Mega concise : "Tu disais que Vål prépare une expo là-dessus ?". Mega Gémeaux versée dans l'art du sauvetage, généreuse mais lapidaire, no bs, immunisée à tout cringe (par le haut ?), avait trouvé une ligne de fuite hors du portrait "Kael" que du Kael n'arrivait plus à se relever seule, sans l'attaquer, sans même la juger Kael – qui soudain se vit comme elle faut croire le fut : une bonne conversation sans même de déception (!), une personne classe (de plus ?), intéressante (sans plus ?) – une personne (?) vraiment intéressante. Kael : "ou bien elle se faisait juste un peu chier ce jour-là, fatiguée – genre, moralement".

Kael se sentit un peu con – mais pas trop. Elle ne pensa jamais qu'elle Mega aurait pu de Kael peur avoir, Kael lui fasse de l'ombre, ou lui semble trop crachée, etc. Elle se rappela qu'elle crut, au début et plutôt par dépit, sans trop y croire, qu'elle (Mega) avait pensé : "on se ressemble trop, ça ne marchera pas", ou même "je la ferais souffrir, mieux vaut ne rien tenter". Puis : "j'étais trop excitée sur le moment, trop expansive, c'est tout et ça arrive..." Puis encore : "C'est trop facile" – analysa Kael correctement.

Ce n'est pas mon discours qui a bogué, ni même mon désir évident, ni même l'énergie de mon excitation : "le je-ne-sais-quoi je sais c'est quoi", se dit-elle, "ce n'est pas un excès d'assurance extérieure, c'est un manque d'assurance intérieure, une manque de paix avec moi-même ? Non, c'est juste qu'elle voulait autre chose, ou même rien – il n'y a même pas eu d'échec, juste mon désir et elle qui était contente", hasarde à soi Kael, peut-être pour tâter ce que ça lui fait de pousser la dépossession prosaïque jusque là-bas. Tout le monde est normal : "Mega n'a rien de spécial, n'a rien dont j'aie besoin, donc fuck Mega, fuck moi, vive moi, et vive Mega ?"

Et ce que Kael – de Mega – réalisa soudain, fut la conscience claire et subite qu'elle n'en savait toujours rien. »


 

6 mai 2021

[MicroJet] Les chrono-sorcières


< ... à travers leurs expressions souriantes et leur bienveillance infinie, je crus ressentir que les chrono-sorcières étaient tout de même légèrement dégoûtées à l'idée de toucher une de leurs ancêtres – une mère-qui-mange-sans-accepter-d'être-mangée, qui se nourrit de ce qui se nourrit du Soleil – une étoile sans jumelle, encore si jeune et si... faible – si nécessaire à cette créature et pourtant ignorée par elle, cette fille antique et infantile, encore à moitié plongée dans les eaux sanglantes du Massacre originel : moi. >

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