9 nov. 2024

[Poé] Bloombound


Tonight we ride the dark sea mares
Sail on the blazing manes of stars
For there is no one axis or kernel
No one single virtuous realm
Only the Myriad only the Million
The witching Ur pandemonium
Æden and Vorágine Zion and Carcosa
Rainbow fields of blasphemous light
Neverending vibrant meiosis of spirit
Tonight we diffract the ego cage
Sail on the blazing manes of stars
For the garden is we and infinite
Free of guards and full of rage [...]

Bloombound, Lamia Radiata, 1891

 





21 févr. 2024

[Kogikwot] It’s 10pm. Do you know where your data is?

 

[ENG]

< Repeatedly copied errors predate LLM’s, obviously, but I would hardly expect garbage-in garbage-out machines to improve things. [...]

"I've seen attack ships on" ¹ people lose access to online accounts and tons of irrecoverable data because they only realised their phone was everything 30 seconds after losing it. It’s 10pm. Do you know where your data is? [...]

I can see the appeal in a flawless pair of machine eyes, a brain augmentation to store data and so on. I would not do this because I know how long an SSD lasts and how much companies care about human beings. ² [...]

Shorn of its orientalism and tech fetish, Cyberpunk is a "vibe": I don’t mean its setting, which is generally a world choking on pollution (like Blade Runner), or incredible wealth disparity and the laws not applying to the rich (like the world beyond your screen).

I mean the sensorial feel — alienation and atomisation, individuals feeling powerless in the face of corporate behemoths and unable to form connection (ever been banned from Twitter for telling a nazi to fuck off or lost access to an email address? Good luck finding a human being to fix that).

That dissociative feeling knowing how bad everything is but having to put on a smile to work 8+ hours doing something you do not care about, trying not to notice the watchful eye of [...]

Soon, Netflix will not need to ask if you are still watching. >

— Molly Noise, (Cyber)Punk is dead [extracts, slightly reformatted], Blood Knife, 2023

[¹ Editor's note: reference to the famous speech of Roy the Replicant (Rutger Hauer) in Blade Runner (1982), "like tears in the rain", where "attack ships on the shoulder of Orion" denotes a horrible yet fantastical memory that will become "lost to time" once Roy kills himself and all rogue / free Replicants are exterminated. Here, Noise may be conflating the future-lost memories of Roy with the harrowing experience of losing scores of personal data and attached subjective memories, and the burning warships with the panic attack that follows the experience or the paranoia that precedes.

² Editor's note: cue de facto mandatory biotech analogous to compulsory smartphones from 2015 on, cue no more software updates for restorative bionics, subpremium tiers for neural implants saturated with ads, budget cuts & memory corruption, ideological tracking, etc.]
 

[FRE]

« La retranscription d'informations fausses est évidemment plus ancienne que les programmes de génération de langage du big data (LLMs), mais je ne m'attends pas à ce que des machines qui remâchent des idioties améliorent la situation. [...]

"J'ai vu des vaisseaux de guerre en feu" ¹ sur des personnes venant de perdre l'accès à des comptes privés et des quantités incalculables de données irrécupérables, parce qu'elles ont seulement réalisé que leur téléphone contenait leur vie entière 30 secondes après l'avoir perdu. Il est 22 heures. Est-ce que vous savez où se trouvent vos données ? [...]

Je peux comprendre l'attrait d'une paire d'yeux bioniques ultimes, d'une augmentation cérébrale pour stocker mes données, etc. Mais je ne le ferai jamais, parce que je sais combien de temps le hardware d'un disque dur reste opérationnel avant de se corrompre, et que je sais comment les méga-corporations traitent les êtres humains ². [...]

Dépouillé de son orientalisme et de son fétichisme technologique, le cyberpunk ressemble à une vibe, une atmosphère affective : et par là je ne veux pas parler de ses imaginaires et univers fictifs, qui sont pourtant ceux d'un monde étouffant dans la pollution (comme dans Blade Runner), et d'inégalités économiques extrêmes où les riches font la loi et n'y sont pas soumis (comme dans le monde qui d'étend au-delà de votre écran).

Avec ce terme, je veux parler d'un vécu sensible : l'aliénation et l'atomisation, des individus qui se sentent fondamentalement impuissants face aux léviathans comme les multinationales, incapables de formes des liens et de se connecter autrement (est-ce que vous avez déjà été dégagé-e de Twitter ou d'un autre réseau social pour avoir insulté un nazi ? Bon courage pour mettre la main sur une personne humaine qui soit capable de régler le problème).

Ce sentiment de dissociation quand on sait à quel point tout va mal, mais que l'on doit afficher un sourire en allant travailler pendant plus de 8 heures dans une activité qui n'a aucun sens, en essayant de ne pas remarquer ni attirer l'œil vigilant de la [...]

Bientôt, Netflix n'aura plus besoin de vous demander si vous êtes toujours en train de regarder. »

— Molly Noise, (Cyber)Punk is dead [extraits, traduit, légèrement remis en page], sur Blood Knife, 2023

[¹ Ndt : ici, l'autrice fait référence au discours bien connu de Roy le Réplicant (Rutger Hauer) à la fin de Blade Runner (1982), "comme des larmes dans la pluie", dans lequel Roy évoque "des vaisseaux de guerre en feu sur l'épaule d'Orion" parmi les souvenirs terribles et fantastiques qui le hantent. Les souvenirs bien réels de l'androïde fugitif seront perdus à tout jamais une fois que celui-ci se sera donné la mort, et que les autres Réplicants libres et rebelles auront été exterminé-e-s. Ici, l'autrice compare l'explosion des vaisseaux de guerre à la crise de panique, paranoïde ou traumatique, lorsque l'on réalise que nos souvenirs intimes sont condamnés à l'oubli par la perte de données ou d'archives personnelles.

² Ndt : il serait possible d'ajouter ici de nombreux exemples sous-entendus par les références de Molly Noise dans tout l'article, comme le fait que certaines biotechnologies ou modifications deviendraient de facto obligatoires pour posséder un emploi ou utiliser les services publics, comme avec les téléphones portables connectés après 2015, les discontinuités de service et de mises à jour pour des implants vitaux ou restaurateurs, des versions non-premium de la perception saturées de publicités, le traçage et le flicage d'opinions politiques, etc.]

30 janv. 2024

[Poé] Lamia déchire

 

< Lamia déchire — mon visage en quatre, déchire jusqu'à l'artère, l'hippocampe, jusqu'à la matière grise et à l'arrière, dedans, au fond, autour, alors, pendant et à travers ces choses-moment, visage en lanières de crâne, en faux-aléa, Lamia tu couds à coups de serres douloureusement,

dans le

Million, million là où la nasse à la naissance de mes pensées ne cesse de s'épouser, palpant l'anxieux et l'enviure, de reconduire les hypostases et désirs révolutionnaires, de transmission autotrophe en apoptose génétique, neurocidaire — Lamia, Lamia déchire, puise et révèle : et cætera. >


5 oct. 2023

[Kogi] Morsures par procuration


< Parmi les critères mineurs de la modernité, on compte l'extension révélative des phénomènes inédits et des entités invisibles, qui se mettent à incarner le principe de réalité de manière plus assertive et mortelle que les phénomènes séculaires et les entités proches ; ce qui n'empêche en rien le travail permanent des force de l'habituation et de l'amnésie, ni ne remet en cause les nombreux paradoxes et perversités du décentrement (imposé, survenu, érotisé, opérationnalisé, tordu, perdu, délaissé ou intégré...). >
— Wendy Thorzein, L'Empire, la superposition & l'exuvie : Essai sur la dernière modernité, 1999 (inédit)

 

 

20 sept. 2023

[Kogi] Drunken prompt idea for future music & music video generative AI


Partagé avec Vos ami(e)s

First prompt idea for future music and music video generation AI:

< Dua Lipa 2019:2023 groove x Charli XCX 2018:2022 dance bop rhythm and bpm x shemusic melodies and breakbeat bridges /or Reznor and Atticus Ross themes, Grimes 2016 x Poppy 2021 post cyberpunk devilish aggression girl vibe, two Azealia Banks rap verses extreme bpm, for video nastified Polyphia 2020 video general aesthetic, heavily mutated anthromorph 2020 era Instagram posthumanist sexy fictional band actively anime-arena fighting the fears of the West and the Middle and Far East in the fused visual styles of Arcane x Patlabor/Madox/GitS1 x Interstella5555 >
or just, you know,
< Björk x Monaé, kether emanations, surprising pop beat >


19 sept. 2023

[Kogi] Impérialisme passéiste : la version moins débile


Impérialisme passéiste et ultra-conservateur, la version "cool" : sortez vos résultats génétiques sur 12 000 ans, diagonalisez vos quotients de transmission culturelle multilatérale, factorisez les dérives, migrations, métissages et glaciations, et calculez vos taux d'appartenance stochastiques jusqu'au Paléolithique.

Les résultats sont moralement contraignants, la loyauté tribale quotidienne doit leur être strictement proportionnelle (jusque dans les catégories méta-éthiques et les modes de détermination réflexive — i.e. "penser Hittite à hauteur de 0.4777 points"), et doit pouvoir s'accommoder de toute révision scientifique et culturelle ultérieure. Toute autre méthode est illégitime et provoque l'ire des ± neuf-cent divinités impliquées, parèdres et cognats et théodescendantes inclues, hiérarchisée de manière contradictoire (très logiquement).

Tout échec de référence impose le mépris : vous n'êtes pas une vraie "vraie", votre identité mythique est factuellement débile, ni convaincante, ni même créative, et votre supériorité arbitraire est absurde (non, ce n'est pas pareil). 

Comme toujours, pas de polydoxie sans chimérisation, pas de chimères abominables sans hypérodoxie.


 
Figure : (visée illustrative, simplifié), détail populations indo-européennes et voisinage circa -4k/-1,5k antes hodiē.

Voir aussi : "L'Ève mitochondriale", Greg Egan (nouvelle), in 'Radieux' (recueil), le Bélial', 2007, p. 47‑80.

 

21 avr. 2023

[Kogi] Pensées Discordiennes #2

 

< Au vu de la mésentente théologique ambiante, il nous paraît hautement rationnel de conclure que la déesse du chaos et de la dissension est la seule véritable, et qu'elle ne demande pas l'adoration — ou plutôt, que tout être qui participe à la cacophonie loue Éris. Bien entendu, rien de tout cela n'importe : le préjugé pro-Éris est aussi faux que l'autre, et inversement. >

— Diane Errata

 

16 avr. 2023

[Poé] Semi-sacred


Of the cosmic and the weird
Semi-sacred geometries
The dream that lives and grows
We need more than deconstruct
For we need new geometries
New rules for new organs


24 mars 2023

[Kogi] Χάρυϐδις / Πρωτεύς / Yδρα


Par Charybde, j'entends le décentrement ultime et vertigineux. Par Hydre, j'entends l'intensité déchirante de chaque complexe de valeur vécue.

Et par Protée, j'entends l'enfant des contraintes plastiques qui raisonne et joue entre les deux.


Χάρυϐδις / Πρωτεύς / Yδρα

 

[Kogi] Méta-perspectives : une poignée de


J'avais la tête qui tournait à force d'alterner si violemment et si vite entre des perspectives ontographiques si différentes... Il y avait...

Moi et nous et le reste : quelque chose de commun et quelque chose de variable, du ressemblant, du divergent, superposés, en parallèle, entre ces squelettes et le mien, ces chimies et la mienne, etc. (Astronomie comparative)

Moi et l'ombre du reste : ma spécificité située bloque toute extrapolation, et la mémoire elle-même n'intègre aucune altérité, rien ne peut me sortir du "moi-même" présent (Soleil aveuglé)

Le Tout est Moi est Tout : rien ne transcende le Tout, que je vise en tant que tel ou que Je suis, que j'épuise ou dont je participe, et les différences se dissipent à travers cette visée abstraite (Sol Invictus sive Natura)

De l'autre en-deçà et après moi : quelque chose échappe radicalement à cette ratio, qui peut modifier les structures et conditions du vécu mais non éviter ses ruptures (Éclipse Phase, Alchimie astrale)

Envoyé depuis mon Iphone.

 

7 mars 2023

[Kogi] Du luxe d'être centriste aux conditions de subsistance


Partagé avec Vos amis

< Il y avait une époque où j'avais le luxe de me revendiquer "social-démocrate" par esprit de contradiction, par honnêteté de classe, pour explorer chaque mauvaise manière d'être centriste, m'assurer qu'elle est bien pire que la précédente.

Maintenant il me faut de l'énergie pour ne pas saper mes moyens de subsistance en parlant d'action directe et de perversité théorique dans la mauvaise réunion... >
 

Val, en plein épisode de perversité théorique, hier soir, Webex by Cisco, 2023

 

4 mars 2023

[Kogi] Comment être sûr-e que "Hegel a raison" sans l'avoir lu (!?)


Partagé avec Vos amis 

< Une intersection (ou une phase) de mon cerveau est totalement convaincue que Hegel a raison sur la bonne manière (antiphilosophique) de saisir l'agencement évolutif du réel, du monde et des coordonnées transcendantales, tandis qu'une autre "me" rappelle (au séphirah "moi" périphérique) que "on l'a pas lu" [...] >

Val H., Webex by Cisco, hier soir, 2023

  

24 févr. 2023

[Poé] À monde perdu : mal du désir


 {Murmuré en français avec accent anglais, style pub de parfum :}
 
M Y R I A D I C

U N D E S I R E


 {Lu sur un ton familier, sérieux, ni grave ni affecté, sans lenteur :}

« Dallée de métaux rouge pâle et luisante comme du métal terni, désir bleu pâle dans l'œil luisant comme du métal terni, déserte et quasiment rose l'allée de sable devant elle s'y avance, telle une coulée de métal terni, tiède et luisante (etc.). [...]

Dans la foulée du sable tiède Chloé se sentait toute partielle, profondément vaguelette, comme vaguement dépressive dans les embruns opale tièdes et tout le tintouin. "Allez ma belle." se dit-on, coulante et ternie, écrasée quasi-suante face à son désir-myriade : "C'est bien, c'est que dalle mais c'est bien." se dit-on à sable rose, à déter, à métaux verts, à monde perdu. »

— V. W., Extrait de L'autre mal dont Chloé fut atteinte (2004, Cassiopeia, à ne jamais paraître).

 

 
Images : Min Yum ; LANDSAT.

21 oct. 2022

[Kogi] < A desire to live in this world [...], as generously as possible... >


< Do not deprive yourself of this yearning, if you can: a desire to live in this world, the world that constitutes us, the world we — partially – make up, to participate as long as possible, as generously as possible, as curiously as possible, to explore some part of the MYRIADIC HYDRA,
to translate, to share and be shared; one anomaly among millions, equally unequal, colourful mindlacking drones, chordate or not, cabled or not, carbon-based or beyond [...].

This most alchemical desire towards the tangled and the labyrinthine – barring agony, suffering or despair... and also barring itself, for it is corrosive & antithetic – do not deprive yourself of the quotidian search for more. >

— Winnie Bull-Smithson, No Rebirth: Letters, Collected Writings, 1983



[Kogi] Pensées Discordiennes #1


< La croyance selon laquelle l'ordre habituel est le seul possible, le seul vrai, liée à la croyance que l'ordre est bon et le désordre mauvais : voici le premier aveuglement. Nous l'appelons illusion anéristique – le préjugé anti-Éris. La croyance selon laquelle l'ordre est nécessairement mauvais ou oppressif, liée à la croyance qu'il serait mieux ou même possible de se débarrasser des structures, des notions d'ordre et de désordre : voici le deuxième aveuglement. Nous l'appelons illusion éristique – le préjugé pro-Éris.

Confondre tel ordre avec le Réel, confondre tel désordre avec le Chaos, revient en réalité au même : le désordre est l'envers d'un ordre, un résidu et un corrélat, une variante dérangeante du résidu de tout ordre. Chaque ordre est un découpage, un ensemble de filtres et de traductions qui laisse nécessairement de côté certains aspects du Réel, qui creuse des points aveugles. Chaque ordre exprime le dynamisme inépuisable du "Chao" originel, sans pouvoir le circonscrire ou l'épuiser. Il n'y a pas de symétrie entre l'ordre et le désordre, mais c'est en quelque sorte l'ordre qui donne son "informité" au désordre.

En vérité je vous le dis, l'ordre comme le désordre dépendent de la grille et de la forme de "vie", et nous ne pouvons pas faire sans grille, pour la bonne et simple raison que "nous" appartient à la plus banale des grilles. Et selon les structures, voici un ordre et un désordre, et selon d'autres xtructures, voici un ardre et un désardre, et ᠪᠤᠰᠤᠳ ᠪᠦᠲᠦᠴᠡ ᠲᠡᠢ ᠬᠠᠷᠢᠴᠠᠭᠤᠯᠬᠤ ᠳᠤ ᠥᠭᠡᠷ᠎ᠡ ᠨᠢᠭᠡ ᠳᠢᠭ ᠵᠢᠷᠤᠮ ᠪᠠᠶᠢᠳᠠᠭ...

Et nous n'avons ni une vision claire de l'espace de phases des structures, ni celui des critères, analogies et traductions. Pour le moment, nous pouvons simplement éviter les formes les plus basses de l'illusion anéristique (premier aveuglement), les formes les plus basses de l'illusion éristique (deuxième aveuglement), pour mieux respecter Éris, la folie et l'impureté de son culte.

Nous avons tout au plus une dialectique sans direction, sans principe, sans kénose ni hénosis, une mystique du monde, un mouvement immanent, analogue au mouvement quasi-aléatoire des molécules, à travers la multitude kaléidoscopique des corps et des psychismes, des voiles qui sont aussi des voilures, etc.

Et sans obligation, bien sûr : cette logique du paradoxe est une structure parmi d'autres, aux côtés de mille dogmes & des mille trajectoires. De même la dissolution de l'égo, à laquelle l'Érisianisme ne prête aucune force normative particulière, aux côtés de l'identification affective. Tout au plus peut-on dire que l'Érisianisme prône que ces structures ne reviennent pas au même, et que "jusqu'ici, une logique a l'air de subsister".

L'indifférence d'Éris au regard de ses adeptes, qu'elles soient maîtresses Zen ou non, qu'elles soient des Mames ou qu'elles s'ignorent, n'est rien d'autre que le mystère du nouménal (Réel, Chao), en tant que concept vide. Le chaos pur n'est pas un désordre, ni un concept dénotatif, mais une simple opération de négation grammaticale. En échouant à désigner ce qu'il vise, ce concept ressemble aux machines mystiques traditionnelles. Mais ce moteur (engine) fonctionne pour rire, et préfère la légèreté : "Éris" peut nous faire rire, et d'Éris "nous" pouvons rire. La forme du kōan est bien pratique, avec le tétralemme, la traversée des noms, et autres ritualisations d'origine védiques, bouddhiques, soufies, ou autre. Rien de moins Érisien que d'idolâtrer Wilson, Crowley ou Goldman, les préjugés ou la forme de leurs pratiques.

L'Érisianisme ne prend pas trop au sérieux ses propres instructions ni commandements parce qu'il les prend très au sérieux. Cette ironie n'est pas une logique supérieure, mais une attitude libératrice et une pratique, en vue d'une maîtrise agnostique et performatrice des ordres. Dans sa forme spirituelle et son contexte d'inception, la blague sied mieux à la quête et la formulation des "méta-vérités" que la version (méta-)rationaliste.

Nous arrivons à la fin de ce deuxième chapitre. Bien entendu, à mesure que je l'ai formulé, j'ai douté de manière systématique de chacun des points qui le constitue, et renié 44% de ce que j'avais déposé sur le papier. Je suis, après tout, unx Xaxe discordiennx relativement orthodoxe, ou au moins encore pour un temps. La Déesse prévaut. All Hail Eris. Fnord. Peace oût, see you on the next one. >

— Diane Errata, Discordian Thoughts, tr. personnelle, 20??



1 oct. 2022

[Kogikwot] Chère Hana / Il me semble parfois que l'avenir...

 
< [Chère Hana],

Il me semble parfois que l'avenir de nos réussites collectives transporte un message plus dur encore à supporter que le futur de nos échecs : nous nous battons pour être l'ancêtre inepte de la fable, tout au mieux, l'ancêtre de quelque chose d'autre qui n'aura pas le même regard, ni la même peau. [...] [Et pourtant] je mènerai ce combat, car tout n'est pas "bonnet blanc et blanc bonnet" *. La puissance de la vie en moi souhaite ardemment rendre la maison plus {étrange} **. [...]

Prompt rétablissement,

Ton Eugénie.
>

— Evženie Navrátilová, La loi des autres : Correspondances 1887-1915, tr. fr. 2007 ; * en français dans le texte, ** peu lisible, peut-être {zvláštní}.



 

30 août 2022

[PWR] < On peut bien noter trois genres de conflit idéologique... >


< Bien sûr, in abstracto, on peut noter trois genres de conflit idéologique
: 

Certaines idéologies sont en compétition mortelle entre elles parce qu'elles se réfèrent à des tribus, des groupes ou des classes spécifiques, et sont portées l'une contre l'autre par l'élan ou les circonstances, alors même qu'elles seraient entièrement similaires quant à leurs contenus, leurs valeurs ou leurs traditions ;

D'autres sont en compétition mortelle précisément parce qu'elles ont des visées universelles, mais qu'elles divergent de manière fondamentale dans leurs contenus, leurs principes ou leurs idéaux, ou encore, sur leur diagnostic du réel et leurs priorités ;

Enfin, toute idéologie sera le théâtre de compétitions mortelles concernant ses propres frontières, les développements logiques et les réformes de ses modèles, ses moyens valables et stratégies efficaces, ses priorisations idéales et conditionnelles, ses choix d'alliance ou ses voix légitimes.

Enfin, le fait que tout conflit idéologique concret ne peut être qu'une combinaison particulière de ces trois genres, sur des instances toujours-déjà décalées ou mensongères de leur allégeance déclarée, avec les paradoxes apparents qui s'ensuivent.

Mais de manière évidente, cette tripartition n'a aucune importance ni aucune portée pratique pour moi
c'est par les rapprochements, les alliances et les négociations vivantes et impropres qu'il faut commencer l'observation des cas, l'apprentissage, la vectorisation des trajectoires et leur intelligence.

C'est dans le jeu des identifications affectives, des croisements d'intérêt, des retournements, des conséquences historiques véritablement illogiques – compréhensibles et rationalisables, mais non dictées par la cohérence, et c'est sur elles qu'il faudra se baser jusque dans l'action... >

—Wendy Thorzein, conversation privée (mise en page), 2012


   


31 mai 2022

[Apz] Lost futures / Les portes closes



< The gates have closed: we won't get back the forbidden futures; but not because they're forbidden... >
 
« Pour nous, la porte des futurs pervertis se ferme pour de bon ; mais ça n'est pas la faute à la moralité ! »

——
Eirin-Tórild Wassem, 1997
 


16 mai 2022

[Kogi] Langue de base, arsenal courant, différents genres de différence


< La différence entre différents genres de différence n'est pas le fort de notre langue. Nous n'avons même pas de terme pour parler de ce qui est discret sous un aspect et continu sous un autre, ou inversement. Pour rappeler le simple fait que la dissemblance et la ressemblance peuvent s'enchâsser, se rejouer, dévier ou s'invertir dès que l'on change un tout petit peu de niveau, de grain, d'échelle, de contexte comparatif et/ou d'intention, il faut pondre un paragraphe entier, paraître "philosophique" et marcher sur des œufs.
[...]

Attribuer un signe propre à une réalité revient à la reconnaître ; en l'absence de nom, nous doutons de la chose. Le fait d'avoir un seul signe pour parler de réalités multiples les écrase et les confond. Qui de nous oserait encore dire qu'il s'agit de "bêtes effets psychologiques" ? Qui prétendra leur échapper ? Nous devons réapprendre les contraintes de la production conceptuelle, une production vraiment néologique, réinventer ses outils, ses chances et ses dangers [...]

"Poreux" : oui, mais quelle porosité ? Les notions de force, de vitesse de variation, de seuils de rupture, de progression non-linéaire, de pourcentage de dis/similitude, de moment, d'attracteur, d'espace de phases, d'influence réciproque ou de boucle de rétroaction sont encore réservées à des spécialistes cloisonné·e·x dans leurs champs. [...] Si nous commencions à user de ces notions au quotidien, il deviendrait de plus+ en plus+ facile d'en identifier les formes dans les perceptions et les flux de la vie. Des enfants se révéleraient "soudain" capables de les maîtriser. [...]

Que se passerait-il si nous pouvions simplement intégrer des échantillons, des intensités et des gradients au vocabulaire conceptuel de base ? Si des formes d'appartenance plus subtiles que l'inclusion et l'exclusion logiques formaient la base de la grammaire basique apprise dès l'enfance ? >

— Wendy Thorzein, "Whereto simplexity?", intervention fictive @ 'Tools of Posthuman Rhetorics Symposium (Fourth)', 2020, tr. pers.


Photography: 'Sporal', Mimosa Echard (thumb.)

 



30 avr. 2022

[Kogijet] Le rêve éveillé (variation)


« Lorsque vous rencontrez votre double en rêve et qu'ellil n'est pas surprise, lorsque vous saisissez que ce n'est pas ellui qui endosse votre peau mais bien vous qui aviez — depuis longtemps — usurpé la sienne, la terreur et le soulagement deviennent indissociables, comme la honte et la fierté d'être ce qui vous dissout : cet égo acceptant sa propre mort — la plus commune de toutes, celle du changement intime, des mythes comme le souvenir, la survie ou l'intérêt d'autrui, et qui accepte aussi les inerties les plus violentes, lorsque l'identité aura été ce qui enferme —, affect indescriptible d'être à la fois cellui qui naît et disparaît, de cette survie qui n'en est pas une, de cette mort qui échoue à s'identifier à la suite, mais embrassant sa fin reçoit tout de même un fragment du rayon de ce qui continue sans soi, tout ça est super, mais lorsque vous rencontrez votre double en rêve et qu'il s'agit de votre corps, de votre corps inconscient et qui pourtant vous parle et qui fait sens, comme une zombie, alors là c'est moins facile à sublimer : les vers, les asticots, les vers c'est chaud. »
— Val, réécriture ou plagiat du « Rêve éveillé », in À cette époque je ne voyais plus mon psy, inédit, 2022


[Kogijet] Le rêve éveillé (résumé)


«
Il serait sans doute possible de décortiquer la situation d'énonciation du rêve éveillé de GS de la façon suivante :

<
"J'ai fait un rêve dans lequel un double de moi-même s'adressait à moi avec humour, violence et provocation, et c'était terrifiant"

pose la question de savoir ce que ça peut bien faire de recevoir un message sensé 'de la part de' la part du soi censée être insensée ? >

est un rêve éveillé, totalement narcissique, rêvé par le rêve éveillé du corps dont "je" est la partie très partiellement sensée [...] »

W. I., Encore que l'on parle dans son sommeil..., commentaire du « Rêve éveillé », 2021 (inédit)

29 avr. 2022

[Kogijet] Le rêve éveillé


< À ce moment du rêve, tétanisé par le fait de me trouver face à une autre version de moi-même, je "me" vois porter la main au ventre, et je sens cette main dans mon propre ventre pendant qu'il farfouille dans le sien, pour en sortir une poignée de vermisseaux blancs qui brillent, qui s'agitent et sentent la colère.

Je sens la main sortir de mon abdomen, mais c'est l'autre qui me l'impose, et avec une ironie certaine, je m'entends alors dire – me dire – avec "ma" voix intime, non distordue, exhibant les vermisseaux : « Et voici la fiction à laquelle je crois, moi... en quoi est-elle moins belle que la tienne ? » – je me réveille avec une émotion violente, terreur et fierté mêlées.

Terrifié par le fait que "lui", ce "Gérald" dont je sentais chacun des actes en miroir dans "mon" corps dédoublé, n'avait pas du tout l'air étonné par notre rencontre, par la distance, avant de me promettre la mort, la mort du soi et de ses illusions, comme si ce n'était pas lui qui portait ma peau incognito, mais bien moi qui n'aie jamais compris que je vis sous la sienne depuis toujours – qu'il ne vit pas en moi, mais que je vis en ça, qu'"il" représente même ce qui vit en moi, autour du moi et "sous" le moi vécu et au travers de lui, et qu'"il" a forcément le même visage et la même voix, puisque c'est son corps, et qu'il est le même corps – ce qui dans ce corps aveuglément connaît, ce qui connaît, sous une autre forme de savoir que celle qu'il revêtit dans ce rêve fabuleux... encore que l'on parle parfois dans son sommeil, et que l'on dise des choses.

Il est mon corps tout autant, il est mon corps, ou peut-être son reste entier à l'exclusion des structures et processus neurochimiques actifs qui font le moi "lucide" – encore que ces phases que l'on appelle un peu vite "conscience" ou "volonté" soient elles aussi feuilletées, qu'on puisse les prendre sous plusieurs angles. Dans le rêve, je me heurte à cela : les phases du "moi" "habitent" ou "possèdent", au figuré, et toujours temporairement.

Qu'est-on censé·e faire, lorsque la statue du Commandeur délivre une vérité vénéneuse, sans qu'aucun miracle ne soit requis ? Lorsque le costume de Casimir, creux et accroché au mur, sans personne dedans – surtout ni esprit ni fantôme – se lève et vous fait face, et qu'il semble sourire ? Qu'est-ce que ça peut bien signifier de recevoir un message sensé de la part de la part censée être insensée ?

Encore que l'on parle parfois dans son sommeil... Et voilà qu'une autre partie de moi parle pendant mon sommeil : un rêve quoi – oui mais saturé de sens. L'apparence d'un autre moi légèrement ironique, pour me parler de son rêve éveillé endormi (moi) et me donner des vers (mon destin). Ce n'est pas "mon" inconscient : c'est "moi" qui suis son conscient. Comment interpréter que cette chose fasse de l'humour ? Qu'elle me présente une fable dense, un miroir hautement complexe, une question incisive à laquelle je ne me souviens ni avoir pensé, ni avoir formulée pendant l'activité de veille.

Contrairement à ce que suggérais mon éducation (ou encore, dans une idéation plus narcissique : "contrairement à beaucoup encore"), je conçois désormais cette possibilité : cette autre part n'est pas dénuée d'intelligence, de logique et de raisons. Il ne s'agissait donc pas d'un accident, d'une illusion, d'une apparence de raison – du "singe" millénaire "sur la machine à écrire". Les premiers (?) degrés de la signification ne nécessitent pas le vécu conscient, et encore moins l'éveil. Ce n'était pas une imposture, ce n'était pas un imposteur – d'ailleurs, de nous deux je serais plutôt le sien.

L'intelligence sans qualia, le "dieu aveugle" a parlé, et je ne sais pas si je peux dire "de manière automatique" – puisque les paroles conscientes ne sont pas plus gratuites, moins réglées, plus volontaires ou rationnelles que celles qui émanent d'autres fonctions du stuff. "Il" ne sait pas ce qu'il dit (ou "elle", l'autre partie), mais c'est ton dieu (ta déesse), car tu n'es rien que la fenêtre de son temple et son esprit, c'est-à-dire le bruit qu'illel et ellil fait pendant le jour, aux moments de certains sacrifices. Tu es (je ne suis que) le moment performatif d'un office de sa prêtresse, et un office parmi d'autres.

Je suis Gérald, le rêve éveillé : la partie idéale d'une partie du corps spécialisée dans l'image de soi, la mémoire, la perception et un peu de calcul – le résidu de ces activités, cousues aux rêves non-éveillés par les tissus les moins solides de la mémoire (tout dépend à quel moment du sommeil ça se réveille, entre autres !). Et dans un de ceux-ci, dans un de ces derniers, je viens de voir formulée devant moi l'énigme de ma propre non-identité. J'ai été le théâtre endormi et rêvant et conscient, la pièce et le public d'une partie de corps qui me traverse et rejoue nouvellement – réinterprète – ce que la partie consciente a cru comprendre un jour réflexivement. Je savais que l'identité ne me sauverait pas ; ce dont je suis l'ombre me rappelle que la compréhension ne me sauvera pas non plus.

Pour une part, les emprunts au comportement éveillé – bien qu'ils soient relatifs, comme l'indique le somnambulisme – ne firent qu'augmenter le malaise. Quant à la fierté mêlée, c'est l'autre part de cette même réaction, la part narcissique que je me reconnais : "évidemment, ton inconscient n'est pas comme les autres – il s'adresse directement à toi dans ton sommeil si ça lui chante". La fierté, la honte, la peur, le soulagement d'être une phase de ce corps surpuissant et terrifiant – le rêve émergeant de certaines activités de tel corps – et de le vivre en rêve.

Je ne me suis pas senti comme un Seigneur qui ne règne sur rien mais servirait, sans trop savoir pourquoi ni comment, une sorte de dieu incertain qui en saurait bien plus que moi sans se rendre compte de rien – un maître éclaté, stable, puissant et influençable, faillible et parfois efficace, qui peut, et qui ne cesse de faire.

Je ne me suis pas senti comme une excroissance, greffée sur une chose plus grande et capable de cohérence bien qu'elle soit sans conscience, ni d'elle-même, ni de moi – comme si les phases temporaires du sentiment d'identité n'étaient que des fonctions parasites, peu importantes et dégoûtantes.

Ni humiliation ni dépendance, mais un genre de rencontre intime et de reconnaissance unique, inégale : une prise de contact pour laquelle nous n'avons pas encore de mots dédiés, de catégories assez fines, ou de fonctions référentielles assez subtiles.

Bien sûr, s'jl avait tiré de mes entrailles des vers poétiques capables de m'immortaliser, symboles personnels de l'illusion ridicule et de l'impuissance, j'aurais eu honte de moi – comme ces jours de relecture ou de miasmes mentaux. S'jl en a tiré des vers vivants – pas même des "solitaires", typiquement parasitiques et segmentés, mais bien des nématodes, ces vers lisses et luisants, détritivores, que l'on retrouve partout, symboles universels de fertilité inhumaine, d'aveugle fission cellulaire et vitale... c'était à me faire jouir.

Et c'est pourtant la terreur qui a primé : « Et voici la fiction à laquelle je crois, moi... en quoi est-elle moins belle que la tienne ? ». > 


— « Le rêve éveillé », inspiré de faits réels (si peu) oniriques, 2018

15 avr. 2022

[Poé] Avec des gants


Je ne connais pas ta vie, hein, mais prends-la avec les doigts, de manière générale. Tout est bizarre, tout est oublieux, et tout finit par fondre. J'oscille entre la demi-vie et le franchement comateux. Je nage dans l'amnésie et je baigne dans l'inquiétude.

Et encore, j'ai de la chance : tout est stable alentours, rien n'a jamais été aussi stable pour moi. L'obsession narcissique ne m'empêche pas d'être impressionné par les autres, et même assez souvent.

J'ai toujours l'ambition de tout comprendre, mais la motivation tiédit à mesure que la douleur augmente. La passion s'anesthésie elle-même en me traversant. Ou bien c'est juste le prix des regrets, la haine de moi refoulée, mal transmutée en élan, combustion incomplète. Rictus d'acceptation et arbalète à Ritaline.

Oui, l'identité est un leurre : désir ductile de la solidité. Avec les doigts, ça n'empêche pas de mettre des gants, si j'en ai l'énergie, et même si je doute de moi. Le gant de la mort, le gant de la famille, le gant de la relation idéale, le gant de la relation la plus forte et de la chose la plus réelle, qui ne dure pas toujours.

Retourner le gant, le gant en plastique dans l'océan, le plastique biodégradable, l'eau de vaisselle qui entre dans le gant, la transpiration acide, les colorants dans la sève de l'hévéa, et surtout, l'incertitude corrosive, tout le temps et partout.

L'amnésie écologique. L'esthétique de l'hybride. Lichénification. Les doigts palmés, les maths "définitivement" non homogènes, l'asymétrie chirale et cosmique, et cætera. Qui sait ce que peut une boue ? Je ne connais pas ta vie, hein. Je ne le prétends pas.


 

23 mars 2022

[Apz] Two fictitious quotes about being part of the World


< Remember the world, with its two halves: Sleeping and Half-asleep. Not a sphere but a splatter, without center. Remember the world? > 
 
— Wotan the Enlightened, somewhere (presumably), now
 
 
< Nous nous étions trompé·e·x : dans « la conquête de l'Univers », ce n'est pas le cerveau qui conquiert le reste des trucs, c'est l'invasion perpétuelle des cerveaux par le reste des trucs – à savoir, pour une part, les trucs qui ont fait du cerveau le truc qu'il est, et pour une autre, les réactions des parties du cerveau sur les autres, et sur le reste – avec les conséquences que l'on sait. >
 
— Machine Belltower, Le miroir à double-tranchant [The Two-edged Mirror], "Être un canevas" (p. 133), Plonck Press, 2022, trad. inédite

 

7 févr. 2022

[Kogi] Who needs imagination? (remake texte de 2011)


De nos jours, le réel croule sous l'incroyable. Richesse de Wikipedia, pauvreté des fictions, décentrement post-exotique in situ. Être étonné·e·x·s : réapprenons lentement.


Qui a encore besoin d'imaginer pour fournir ses imaginaires ?
Qui a encore besoin de l'imaginaire pour réenchanter la vie, l'univers, ou le quotidien ? Évidemment, c'est une question fausse et une provocation – une manière d'interroger "notre" condition mentale, affective et politique.
Précisons : qui a (encore) besoin de l'imagination "créative" et "enchantée" pour fuir, se divertir, ou se dépayser ? Et qui a (encore) besoin / le temps / le loisir de faire tout ça ?

Les fictions narratives et les univers imaginaires ont l'air de traîner derrière le présent et de s'en nourrir à perte, plutôt que de l'informer, l'épuiser ou le rendre banal. Après la fin de la science prophétisée par le positivisme et après l'ère de l'ennui, il devient clair que nous faisons à nouveau face à une vague de dépassement immanent – l'inconnu à portée de la main, "au plus proche de soi", sans même parler de ce qui est vraiment lointain, à peine frôlé. Ce n'est pas totalement vrai, mais vous voyez l'idée :
  • Anonymous et Camp X-ray, Xe Services et Stuxnet. La commission trilatérale et les entrepreneurs transhumanistes.
  • Les trous ou dolines sous-marines qui se forment dans le plancher sous-marin de l'Arctique, de la taille de quartiers entiers, suite au réchauffement.
  • Les xénogreffes, les xénobots, les chimères transpécielles, et les techniques de modification génétique après CRISPR/Cas-9. 
  • La zone de Pripyat, devenue symbole de miracle écologique après avoir été symbole de catastrophe, puis destination touristique, soudain assiégée par les russes. 
  • Les fossiles de familles humaines éteintes, et les techniques de reconstitution des traits d'animaux singuliers. 
  • L'étude des mythes et des premières migrations humaines, la cartographie exhaustive des hypothèses théologiques, le néo-paganisme et les "autres" covens. 
  • Les études générationnelles sur la morale et la consommation de l'information, la formation des croyances assistée et les taux de conversion. 
  • L'architecture brutaliste en ruines répandue à la face du monde et les peintures faciales anti-surveillance. 
  • L'urbex immersive et acrobatique ou via drone et casque de VR, les écosystèmes en mouvement, les formes du vivant hybrides et mutantes, les milieux techniques et les formes de vie nature-culturelles.
  • Les câbles sous-marins et la politique des réseaux, la logique modale et le web sémantique, les apps de géolocalisation et l'open-source. 
  • Les programmes spatiaux, les programmes nucléaires, les programmes de rééducation, les programmes informatiques procéduraux semi-autonomes. 
  • Les tentatives de refaunation et de réensauvagement, les modèles et pilotages écologiques de régions entières sur des siècles.
  • Les théories du multivers ou des supercordes, les cosmologies spéculatives, et BPM 37093, ex-naine blanche du Centaure et diamant cosmique aussi appelé Lucy.

Et cætera. Et bien sûr, j'ai déjà triché face à la question : ici, les fictions sont elles-mêmes prises comme des faits réels, des objets de curiosité. Et l'imagination, comme faculté de composition, de recomposition et d'extrapolation – minime ou sauvage – intervient encore (et plus que jamais ?) dans la formation et le fonctionnement de toutes ces réalités. Notre présent lui-même est tourné dans toutes les directions, éclaté tous azimuts.

Ce que la question suggère, ce n'est pas que l'imagination serait pour nous privée d'importance ou de puissance, bien au contraire : ce que la question suggère, c'est la richesse délirante du "présent contemporain" pour l'imaginaire.
La plupart des fictions sont recyclées, timides, dénuées d'ambitions, réactionnaires, ou minuscules. Nous n'avons pas gratté la surface des métaphores possibles ou des fictions étranges : nous ignorons la plupart des ressources que nous avons sous la main.

Les fables et les croyances folkloriques n'étaient pas étranges, exotiques et profondes : elles étaient familières, anthropomorphes et rassurantes, elles cadraient, aplanissaient et aplatissaient le réel.
Les sciences et les technologies n'ont pas encadré ou simplifié le monde sans contrepartie. Elles n'ont pas arraché le voile de "l'enchantement" et de la magie pour le remplacer par des lois et de la maîtrise : pour chaque modèle et chaque victoire technoscientifique, elles révélaient des abysses d'ignorance et des légions de bizarrerie.

Les sciences et les techniques ont arraché le voile de la simplicité, de l'évidence et de la familiarité, pour les remplacer par un réel omnivore, descriptible au travers d'une foire d'hypothèses et de modèles alternatifs. On ne peut plus imaginer hors des croisements incessants entre fiction et du réel : l'imaginaire, le possible et l'actuel sont pour nous des textiles continus – comme ce questionnaire d'entrée pour devenir sujet de test chez Aperture Science qui traîne sur la toile, entre deux documentaires sur le conspirationnisme et trois nouvelles interprétations de la physique quantique.

Le réel tire alors le "quotidien" de sa misère, au prix d'une injection douloureuse et salutaire. Partout à portée de regard et de jambes et de bras, pour se hisser au-dessous du "normal" : nos campus universitaires et nos musées la nuit, les baies et les écorces psychotropes, les portes de service dérobées, virtuelles ou tangibles, et tout, bientôt, se télécharge et s'imprime en 3D – Stradivarius, Boeing, bras, arme automatique, concubin. Cavernes au trésor du hacking et des réseaux alternatifs, des secrets bien gardés aux trajets quotidiens inconnus, gestes étranges, la méthode de Heimlich, la stèle runique Lund 1 (DR314), le Nahuatl bien vivant, le Doomsday Vault qui prend l'eau avec la fonte du permafrost, les cultes du cargo, ou encore du côté des idées folles et pourtant effectives, strange loops de Hofstadter, fractales de Hansmeyer, arcologies en autonomie énergétique, ou le message d’Arecibo, toujours sans réponse.

L'incompréhensible se charge du corps du réel, expose la vieille peau de la réalité aux éléments, et sont d'un coup lâchés un essaim de réalités et d'ambiances qui ont peu en commun, ou dont l'en-commun se dérobe. Chacun change ses critères du normal sur les Internets, étend les anciens seuils où s'arrêtaient l'explication satisfaisante, étire et change la vieille armature des langues – c'est-à-dire la forme du monde et sa taille : dans cette nouvelle condition, chacun se taille comme on taille la pierre, ou se refuse à le faire. L'impossible lui-même est envisageable sous certaines conditions, comme dans les gravures d'Escher, les tropes de la bombe logique et de la moralité orange et bleue, ou Les démons de Gödel.

La fantasy fonctionne le plus souvent comme une fable légère, une déviation imaginaire minime, une fiction cosmétique : oreilles pointues et peaux vertes, déités anthropomorphes, bâtons lance-flammes, et surtout, énergie magique soi-disant "mystérieuse" qui se révèle tout à fait banale, physiquement ultra-simpliste... Les miracles de l'alchimie et de la mana ridiculisés par le tableau périodique, les supraconducteurs, la théorie des champs, les neurones et hormones, les nanomachines ou les états exotiques de la matière. Elle transcende parfois cela, comme quête de l'enfance absolue, symbole d'éternité, ou comme voyage dans les subtilités affectives de l'héroïsme et du merveilleux.

Du côté spéculatif, elle reste bien en-deçà de ses propres possibilités, et semble mûre pour dériver vers une exploration plus radicale des lois de la nature alternatives, des cosmologies, cosmogonies, théogonies, spiritualités, et organisations socio-politiques pré-industrielles possibles. Elle rejoint alors entièrement
la science-fiction spéculative, qui fait par ailleurs son grand retour, et réussit même à survivre à sa propre caricature, sa propre version cosmétique (aliens anthropomorphes, robots rigolos, romances de l'espace, épées laser, etc.). À côté de ces deux super-genres de l'imagination, la cli-fi et la biologie spéculative restent des genre de spécialistes (2011, 2022) malgré plusieurs incursions récentes avec de hauts niveaux de production (comme Alien Worlds ou Life Beyond I-III), pleinement capables de débloquer des perspectives, des mondes et des devenirs inespérés.

Nous aiguisons notre "normal", nous étirons nos cosmologies, nos multiplions les tableaux intérieurs et les bestiaires projectifs, quitte à tordre les textes et cracher sur toute cohérence, jusqu'à ce qu'il soit l'heure d'aller manger. C'est peut-être la fonction des rêves d'opérer les sutures ou la synthèse, de manière inconsciente et stochastique – il revient peut-être aux routines, aux écailles sur les yeux, à l'ignorance, à l'amnésie de nous sauver face aux exigences inhumaines et impossibles de la cohérence. Pour un temps et dans une petite part, notre irrationalité nous sert aussi.

L'imagination individuelle est dépassée, les données cruciales paraissent à la fois plus accessibles et moins identifiables, et nous ressentons le manque d'intégration, les limites brutales de notre capacité de synthèse face à l'information disponible et produite. Les bases d'un réenchantement qui ne soit ni une distraction, ni une fuite – ou un combat spiritualiste contre "la" science – sont déjà posées. Nous savons comment ressusciter le sentiment du sublime au cœur de la complexité du présent. Nous savons comment stimuler la curiosité intellectuelle, et l'armer de tactiques, de théories, de tropes, de rituels qui opèrent le décentrement en direction du réel – même débordant, éclaté, hyper-saturateur. Nous n'avons pas encore de théorie globale des conditions incarnées, de leurs modifications, et de la fiction totale. Mais revenons à nos moutons : le problème bien plus humble et limité des "imaginaires" dépassés par la complexité d'un présent bêtement immédiat.

Qu'est-ce qui constitue notre vision du monde ? Le mythe de la "créativité" est-il surévalué, ou simplement décédé ? Qu'est-ce qui entre dans notre banalité, et sommes-nous vraiment tous-tes sur la même longueur d'onde ? Quels rôles est-ce que l'on prête à nos fictions ? Faut-il viser une nouvelle systématique – qui nous serve de modèle et de typologie pour s'orienter entre les niveaux, les registres, les genres, les hypothèses ou les modes fictionnels – ou faut-il s'abandonner à la confusion ?

L'analyse du contemporain commence tout juste à s'atteler à l'imaginaire de manière précise et synthétique, mais nous sommes encore loin de percevoir avec clarté les liens forts entre l'anticipation, la prospective, les fictions, la grammaire de la modalité, les projections, les uchronies, les univers parallèles, les fictions, la spéculation sauvage, les sentiments esthétiques, le désir d'étrangeté, la valeur de nouveauté, l'exotisme et la curiosité – en bref, l'imaginaire dans toutes ses dimensions, facultés, processus, productions, pouvoirs et finalités.


Le réel sera décrit, non comme totalité finie, mais comme extension des possibles – dont les possibles-humains-parmi-le-reste, et ceux-là parmi les autres possibles, sans humains, avant, après ou à-côté.
Le réel à coup de réalités suturées entre elles, si folles et si uniques : arriverait-on à en faire un ensemble aussi cohérent que chacune des parties, comme dans une chaîne de montage de bombardiers furtifs ?

Who needs imagination? The
curious, the distressed and the bold. But no more "magic", no more timid or repetitive worldmaking. Fictions and theories that aren't frightened by the present, its brutal millions, its complex view of the past, its divergence and becoming.




Who needs imagination?

2011
(original et base du texte)
2022 (version présente retravaillée)

img : chaîne de montage SR-71 (1965)