20 nov. 2012

[Poékogikwot] Images de l'identité


"Identity is gradual, cumulative; because there is no need for it to manifest itself, it shows itself intermittently, the way a star hints at the pulse of its being by means of its flickering light. But at what moment in this oscillation is our true self manifested? In the darkness or the twinkle?"
Sergio Chejfec, The Planets (2012)

Deux tendances contraires animent les images de l'identité. Pour la première, je suis semblable à un atome, une étoile radieuse ou une planète ronde (même un trou noir, plus ambigu, moins "Lumières" et Individu), une pierre précieuse et un vaisseau en voyage, une tour, une flèche, une bogue... C'est l'accent de l'individuel, de la distance séparant les noyaux, des sujets et consciences privés, de l'essence volontaire du sujet-propriétaire...

Là, je suis ici, tu apparais lentement
Symboles : X, ʘ
Style : singulier, métaphores, comparaisons...


Pour l'autre, nous sommes les mailles d'un filet, une collection à peine particulière d'instants ou de couleurs, les liens eux-mêmes autour d'interstices creux, un reflet de reflets, tissé de saisons extérieures, les moments d'un fleuve, les voix d'une harmonie universelle ou un chemin du Labyrinthe, une œuvre ou un cadeau à d'autres... Je n'est que l'autre, un pli du drap de la vie, l'immédiate expressivité, l'éducation et la culture reçues, les actes et les histoires tissées...

Ici, tu es là, je disparais rapidement
Symboles : ##, Ϩ 
Style : pluriel, symétries, hypallages...
 
"We are the time. We are the famous
metaphor from Heraclitus the Obscure.

We are the water, not the hard diamond,
the one that is lost, not the one that stands still.

We are the river and we are that greek
that looks himself into the river. His reflection
changes into the waters of the changing mirror,
into the crystal that changes like the fire.

We are the vain predetermined river,
in his travel to his sea.

The shadows have surrounded him.
Everything said goodbye to us, everything goes away.

Memory does not stamp his own coin.

However, there is something that stays
however, there is something that bemoans"
Jorge Luis Borges, We are the time

Deux tendances contraires animent les métaphores de l'identité, et entre elles, de nombreux échanges, de nombreuses percées, de nombreuses hybridations trouvent leur place.


Nébuleuse du Lagon


La constellation est une tentative du côté de l'atome de rendre le complexe (les astres individuels naissent bien dans des nuages de gaz), tout comme le flocon unique perd bientôt toute valeur atomique s'il est éphémère et se fond dans une pluie commune, le fruit admet l'arbre, devient aliment, se fond en terre - l'atome est aussi onde, il devient étincelle, métamorphose, les îles se connectent sous la mer, le satellite s'écrase sur son astre et l'univers éclaté se retrouve, se parle enfin en toute confiance

Pour l'autre tendance, le solo musical ou l'épée font émerger des caractères uniques du flot réel qui nous tisse, des espaces de jeu personnel se révèlent, appellent à expliquer, ancrer-dérouler, écrire, pallier aux vides, sauver l'en-commun qui se délite ou tombe en ruines, le château de cartes éternel, le souvenir spécial, méditation dans le désert, les destinées se scindent et adressent à Dieu-autre leur cri le plus sain...

"No man is an Island"                               John Donne



Il y a d'autres moyens de distinguer entre les poésies du sujet et de l'identité : vers l'intérieur/vers l'extérieur, temporel ou éternel, essence/condition/situation, transcendantal/personnel, idéel/empirique/matériel, optimiste/pessimiste, force/faiblesse (prédateur/proie)...

Dans tous les cas, le principe d'identité lui-même reste un secret, anti-cerné par la poésie quand la philosophie échoue, car personne encore n'a eu là-dessus le dernier mot : conscience vécue, corps matériel, âme inconnue, voix reconnue, histoire écrite, postérité (lineage or legacy), place sociale, schème linguistique, auto-création, volonté ou voile d'ombre, d'ignorance ?

Non, nous ne sommes pas des atomes, des entités absolument fermées - non, nous sommes ouverts à tous les vents, les regards, et la fermeture de l'ego est mortelle

L'identité est un sauvetage perpétuel, un ensemble de mots et de chocs électriques qui tente de s'organiser, une ancienne confrontation, le récit d'un feu et le feu d'un récit, un réveil percé d'oubli, un sommeil de rêves dans lequel les visages et les mains ont une place particulière


AIMER # EXPLORER # CONNAÎTRE
2012

4 nov. 2012

[Kogi] Petites extinctions


La nuit est mon extinction journalière préférée. La nuit revient chaque jour, ça tombe bien, et je la vis sur son mode à lui, au jour, transfiguré pourtant : le souvenir ensommeillé du rêve. Lights off, imagination débridée, vrais souterrains du réel, vie sous-marine des nerfs et des couches de neurones.

Le sommeil, l'attente, l'oubli, le souvenir, ou l'à-venir imaginé qui ne se réalise jamais... ainsi nos flux de conscience sont traversés de petites morts, tissés de petites disparitions, de petites extinctions – d'attention, de désir, de présence, de compréhensions. L'absence à soi, l'absence des autres, maladives ou stimulantes, me paraissent être des nécessités. Peut-être est-ce possible de faire sans – et peut-être même serait-ce préférable. Ce serait – en tous les cas – bien différent.

La distance comme condition du mouvement, du désir – l'âpreté, condition de sentir – et l'appel, de réponse, tout ça – j'imagine. L'extinction totale est transparente, unie, éthérée. Les petites extinctions quant à elles, moments d'absence et délitement, sont des espaces vitaux.

 2012