29 août 2012

[Jet] Arriver à Édimbourg (2)


Contact avec le sol écossais, premières bouffées d’air – mais ce n'est pas une première encontre. Je ne suis pas venu depuis très longtemps, à peine y ai-je déjà vécu. Édimbourg est encore loin et tout m'agresse de familiarité...

Atmosphère climatique : tiède – atmosphère linguistique : dégagée (légèrement accentuée) – atmosphère globale : contemporaine Je me demande s'il est possible de "reconnaître" ce que l'on n'a jamais vu, pas même en photo ? J'ai l'impression que c'est le cas. Je le sens car je sais ceci : mon père est né non loin, vécu sa première dizaine d'années à quelques dizaines de kilomètres au nord de cet arrêt déserté de l’A79. Lignée imaginaire. Je ne sens rien de plus que ça : "je le sais", et je choisis de m'y accrocher (paradoxal, choisirait-on aussi d'où l'on est venu ?).

Lignée, autoroute. Ouest-côte écossaise bordée de plages à méduses où un petit garçon de 9 ans ramassa une petite poignée de gravillons d’or (préservés depuis lors dans ma chambre à Strasbourg – capsule blanche remplie d’eau salée, ma lignée de pépites) Face aux plages et beyond the Firth of Clyde, les côtes d’Arran et Holy Island – mais dans la nuit, rien de tout cela : seulement les bâtiments inesthétiques de Prestwick Airport (Pure Dead Brilliant! en lettres magenta) et le car démarre enfin. S'enfuir de Ayr, autre lignée, ça trace – affalés seuls sur la longue banquette arrière, il dort et j’imagine les campagnes cabossées hérissées de pins – invisibles dans la nuit – que nous traversons.

Nous n’allons pas vers les fermes sauvages ou les petites villes côtières d’où j’ai peut-être une espèce d’origine paternelle, nous allons plus à l’est : Kilmarnock, Mearns, avenues larges encadrées de tours d'affaires, clubs et éclairs monumentaux de Glasgow jusqu'à Central Station – tout le monde descend. Sauf nous, évidemment. Le temps de convaincre le chauffeur qu’on a effectivement payé pour aller jusqu’à Édimbourg et on repart dead vite sur l’A71 dead vide – 0259 à Waverley, une bruine acérée pour nous accueillir et nous tenir éveillés jusqu’à l’antichambre carrelée du Golden Dragon.

Les nuits courtes sans trouver le sommeil sont les plus longues.


[Jet] Arriver à Édimbourg (1)


Très large étendue de pénombre. Présence quasi-imperceptible d’une Terre habitée, loin en dessous du vaisseau avimorphe. Nocturnautes. Plaques de neige des néons, tatouage minutieux et orange de la ville. De là où nous sommes, la Terre est un étrange reflet du ciel étoilé.

Des routes lumineuses l'immobilisent, la ligotent le temps qu'on la fuie – canaux larges mais hésitants, lacis bizarre entre la guirlande et le câble emmêlé, dans le fouillis de pointillés blancs. À la limite extrême entre ciel et vide paraissent les dessins réellement symboliques de nos mégapoles dans la nuit. Avalons les nuages et l’espace de poussières – black-out –, s’effraie la fine pellicule colonisée à la nuit, à mesure que l'on monte – plane et monte encore. Les seuls feux clignotants – agrippés au bout des ailes tendues à l’extrême sous le poids d’une vitesse, pourtant toutes flageolantes – postillonnent encore à l'envers.

Luminescences tachées qui grésillent sous des tonnes d’air ? Fini. Terminé. Reste, noir sur fond noir, le fuselage qui s’oublie. Hublots de pétrole, j'écris ces mots – ça vibre. À l’intérieur, les demoiselles de l’espace préviennent tout soupçon de soupir et tout soupir d’un soupçon (de lait dans leur thé désaltérant et dégueulasse).

Le bruit lumineux du couloir trace un trait sur ma part de sommeil. De toutes manières, je suis bien trop excité.

 

28 août 2012

[Kogi] Transformations de moi

 .
La pire transformation m'affecte. Je pensais en être débarrassé ; elle est revenue spontanément, au bras de Déception (arrêtant le bras qui frappait mon égo, protégeant mon égo). Je deviens à nouveau (et c'est jouissif, car je ne laisse aucun indice, et méprise la bêtise, abandonne vos lenteurs)... un hérisson supersonique

Cette fuite, fertile en tensions et sursauts imaginaires - familier de la solitude la plus élémentaire, je la rejette pourtant : accepter la déception, c'est la vie et la force, ne pas la laisser dire le dernier mot, même si elle vous colle à la peau. Et je refuse que moi triomphe, refuse la re-fusée d'imaginaire, perfusion hérissée réactive - je force mon retour au dialogue laborieux, reprends forme humaine au lieu d'exiger "Communion ou silence !"

Mais quand même... L'humiliation de l'égo se confondait avec une vraie souffrance morale : ne pas être écouté, épreuve utile nécessaire, ou faut-il panser la plaie ? Se sentir seul, sous-estimé : accueillir ou prendre sur soi ? s'endurcir ou s'apitoyer ? ou refuser, réclamer l'amour, quémander un droit d'unité ?...



Pour les idiots, c'est une question de valeur : ma plaie,
blessure narcissique ou blessure tout court ?

Je préfère parfois me laisser devenir un phénix noir, voix de flammes noires, ailes noires de cygne : parmi les formes ultimes de ma fuite grandiose et belle, parmi les avatars de ce que je sais être, au fond : invincible bâtard anthracite adopté. Vous n'imaginez pas. Sous cette forme je feins de consumer tout pont, toute promesse, et feins de taire des beautés découvertes, vous paraissez tous très stupides et surtout fades - là-bas enfin je m'enfonce dans la perfection


Déception de l'égo, réaction contre autrui - recul violent - réaction combattue, libération inattendue par le haut, c'est étrange : seul et pourtant sans solitude : Toi seul sais m'accompagner comme ça

Engagée la bataille contre soi, boule de fils d'inerties et de résidus d'indépendance ou de recul - engagée la bataille réactionnaire contre un laisser-aller réactif ou self-sentimental.

Grâce ambiguë : parfois elle me libère des autres, de vous, et parfois m'y renvoie - parfois elle me sort du laisser-aller envers soi, et parfois m'y accueille, inversant tout "
je envoie vous brûler ", car Dieu libère au-dessus de moi des espaces d'ambition, de solitude et beauté pure (vous n'y êtes pas !)

Je me rends, et tu me rends victorieux. Et je me rends à Dieu car il ouvre par la force l'espace de ma respiration, enfourne généreusement l'oxygène imaginaire, matière de mon voyage et prend part à avec moi au défilé omnivore, immense, multipôle, de mon intime univers

Le cœur battant, mise hors circuit de l'infraction elle-même, adhésion à soi
Identité à Dieu sans confusion ni perte, où Dieu équivaut à moi sans que je ne sois Dieu et Dieu, ce n'est pas moi


Grâce à Dieu je reviens vite vers vous

Sous une forme ancienne et loyale, je vous écoute
Vous écoute et admet, vous m'élevez, réessaye

 Images : Iregret +
Andreas N. Fischer

2012