26 déc. 2011

[Poé] Kåseberga


Dieu saisit à pleines dents le bateau immortel
Son archange capitaine, son équipage de séraphins
De la nef brisant net l’élan céleste et démentiel

Dieu mord dans son échine qui gémit vaguement
Avec lenteur élève la coque dans le vide apolaire
Au-dessus (au-dessous ?) d’une petite planète bleue

Soudain le phare solaire s’éteint dans une éclipse
À bord la frénésie fait place aux sueurs froides
Le naufrage se prépare, mais ! Aucun marin ne prie

Bien qu’ils croient tous en Dieu – aucun ne prie
Car ils croient ! Ils croient mais ne l’ont pas connu
La coupe est pleine pour les faucons déchus

Sans plus d’espoir, le drakkar  entame son ellipse
Son voyage sans retour – pris au piège d’une mâchoire
Immobile et motrice : Recel de corps de demi-dieux

Un millénaire pour ce verdict gercé de gloire,
Le drap noir se déchire, le mât éclate, le tout s’écrase
Les corps volés se disloquent, le son sur le tympan

Avant de tout lâcher : ça plane quelques instants
Et disparaît sans un bruit, la nef broyée se noie
Dans un squelette en pointillés : Dieu la transvase

Des roches touchées jadis par des marins crétois
Oui sans un bruit se change en stèles, sa silhouette
Et je l’ai vue, telle un récit qui attend d’être lu

Sur les collines de Kåseberga

Décembre 2011
 

Ales Stennar
,
Kåseberga, Sweden
Drakkar standing stones?

 

25 déc. 2011

[Poé] Étoile de David



Roi
Javelot
Troncs, cèdres
L'esquive musicale
Traverse intérieure qui bloquait le passage
Quelqu’un l’a retirée, un jeu d’enfant
Ma poutre torve, familière, adorée
Thésauriser l’amertume, la brûler
Mon œil voit à présent : je suis nu
Le charpentier qui se fit bûcheron
 La revie donnée sans le paquet cadeau
 C’est un coffre secret, un sceau à échelons
 Tout sanglant, parfait
 Le sacrifice
 Chemin
 Roi




 Étoile de David, 2011

6 déc. 2011

[Poé] Les bulles imaginaires


D’autres créatures échoient à leurs bulles imaginaires
Dans le port de Singapour, les faubourgs de Bangkok
Qui gonflent, embrassent les dynasties séculaires
Jusqu’aux nuages violets se colorisent, les sphères
Dans lesquelles gravitent les serviteurs de Marduk

Chacun déphase un corps dont on a peine à croire
Qu’il soit mien – tien – voyage en trirème volant
Et s’arrache au bastion des tourelles des canons
Du gouverneur de la ville où j’appris à faire voile
À manier le gouvernail et à manger des poires

Car même les statues, elles changeront d’époque
Alors la lueur des néons les effleure doucement
Une vapeur qui crépite ici et là, qui fait muter le lierre
Des véhicules blindés se traînent dans les rues du levant
Conscients d’être de sublimes limaces militaires

Nous dirigeons l’empire des toits, certaine sécurité
Sur ces toitures qui flottent sur les crues des rivières
Le glas s’est tu pour dire la mort qui vient, de nos jours
S’annonce la mort sans fracas, dans un flamboiement
Invisible – et le crépitement du compteur Geiger

Je me tourne vers toi et vois que tu trembles fort
Tu souris et tu te frottes les bras pour me faire croire
Que tu trembles de froid – l’intonation de ton sourire
M’inquiète – veux-tu encore mon épaule illusoire ?
Ou ma main qui s’ébroue, n’en peux plus de faiblir ?

Je te la prête, si ce n’est que ça – la souffrance perd
Tout ce que tu saisis à deux mains – et toi de sourire
Toutes les paroles dans des containers, des baignoires
La voix de la peau calypso a éventré la bonbonne d'air
Je te la prête, l'appui d'une bulle à ta douleur pointue

D’autres créatures échoient à leurs bulles et tue tue tue



© Michael J Love

2011

5 déc. 2011

[Poékwot] Car toujours revient la question (Kenneth White)


« Car toujours revient la question
                                        comment
                    dans la mouvance des choses
      choisir les éléments
                     fondamentaux vraiment
           qui feront du confus
                                       un monde qui dure

Et comment ordonner
                               signes et symboles
      pour qu’à tout instant surgissent
                                      des structures nouvelles
               ouvrant
        sur de nouvelles harmonies
                            et garder ainsi la vie
                                                                    vivante
                             complexe
         et complice de ce qui est –
                                                seulement :
la poésie » 
 


Kenneth White
 in le Grand Rivage, Le nouveau commerce, 1980

1 déc. 2011

[Poé] Losanges


Un contentieux cyclique me force à faire escale ici
Gradins d’amphi ou travées aux arcades et vitraux
Musées de bois sur les plans inclinés de l’espace boréal

Stations de ski à l'abandon – sapins noirs et pistes sales
Dômes touffus comme le temps et remplis d’arbrisseaux

Congères d'asphalte au grand ciel ou marées de mélasse
Caves inondées d’eau et d'animalcules où rien ne passe

Depuis des millénaires – que l’œil qui ne dort pas

Les forces de l'usure sont discrètes et sauvages elles
Ne sont rien que le monde entier livré à lui-même, elles

Manient les frictions, les seuils thermiques, les vents acides
Les rayons rose et orange – doux et violents – à la perfection

Les barres immenses ont l’esprit imbibé de matière
Tout polyèdre en est absent : contingence des losanges

[Les formes élémentaires se dissipent où manque le sceau
Du regard anthropique apposé au réel inhumain, abyssal – ndlr]

Du regard entropique opposé à l’humain irréel, fumerolle

Spatioports éclairés de bougies qui enfument les vaisseaux
Territoires galactiques isolés en tempête, herbes folles

Tour massive toute sertie dans le sol de la nuit sidérale
Noires pistes à décollage, terrains de Golf ou de chasse

Tout bombardés de Soleils rétractiles – leur sel multicolore
Qui éclaire l'entre-vie des vestiges, des ports à la dérive

Pluies d'étoiles aux couleurs sans nom – émues, naïves

Ni réel dégradé en souvenir – ni réel tombé dans l'oubli
On ne peut plus détruire ce qui est tombé ailleurs sans cri

En deçà de tout site même si proche, potentiel, si parent
Du mouvement de la mue – de la forme de l'atoll – une

Caldeira toute en stèles sous l'ellipse marine, un courant
De statues – chrysalide colossale d'on ne sait quoi

Une cité vierge hors de toute exploration, corail vide


Plasticine pyramide, érodée comme un tableau sans titre
Babylone sans auteur, sable et glace, bunker blanc, UR-usine

Une porte – ici – ne peut subsister, un parvis ne mène plus
A l'intérieur – survivons-nous ? – survolons tout au plus

Un cliché colonial comme souvenir au futur antérieur
Effondré sur lui-même, reflet du corps qui délite la vie

Et non l’inverse – nos corps encore vivants qui rappellent

L'éternité fragile et factice des dix mille immortels
De l'empereur des Mèdes et des Perses




Losanges

inspiré des Analogies Géographiques
de Cyprien Gaillard

♪ ♫ Rhinestone Eyes





 


台灣新北市三芝區的飛碟屋

 
Sanjhih, Taiwan
Habitations abandonnées devant la mer