28 sept. 2011

[Poé] Les aigles


Car voici les grands volcans souterrains
Avec leurs voies de lave et de boue
Avec leurs idées bien en place et
Leurs cœurs à genoux

Les sapins s’interrogent au bord des lacs
Tout picorés par les abeilles et tout blancs
Tout rabougris – sens-les qui transpirent
La sympathie

Voici les masses de terre que tu écrases
Difficilement sol roux fixé – durci – quand
– Plié(e) encore de rire à l’intérieur –
Tu peins ici

Ces tableaux s’ouvrent sur l’outre-terre
La silhouette et la voix – des couteaux à
L’envers – des aperçus de l’intérieur
Sur l’entre-misère – la vie tout court

Potron-minet ou la revue des troupes
Les chouettes hulottes n’en ont que faire
Encore enfouies dans leurs plumes
La bonne cachette

Et par le milieu d’elles bat le tambour
Pourtant mystère – tout aplati – sous l’œil
– la loupe – l’œil dans la énième dimension
Celui des aigles !
  
2011
Imposant, Jérémie Poux ©



[Poé] Résurrection


Effondrée cathédrale de mes petits espoirs
Je suis couvert de cendres

Vivant de jeux et de rimes
Jusqu’au jour où les idées s’entretuent

Bardé de liens – les yeux bandés
Caressant de vieux rêves de jeunesse

Fasciné par l’orgueil victorieux
Quand je croyais l’avoir vaincu

Le vrai visage se profile – insoutenu
L’insupportée véritable vérité

Oh je n’ai pas perdu la vie je crois
Je me souviens encore de l’étroit chemin

Mes ruines sont neuves – mais
Quelque chose dans l’air a tressailli

L’invisible filin et sûr et méconnu
Telle une singularité mathématique

Vide et las et serein – je me remémore
Et me soudain souviens :

Je suis déjà ressuscité !


2011

[Apz] Première salve

  

Première salve d'Aphorizmes, des phrases polysémiques, stupides, qui sonnent, qui claquent ou qui roxxent comme il en vient des tonnes par jour aux esprits fertiles et vaniteux. Pour s'aérer, pour donner à broyer, donner envie d'en trouver ou de couper son ordinateur



* * *

L'innocence n'a pas même de cadavre

* * *

Le Bhoutan est un arc qui soutient la cathédrâle Himalaya, car c'est l'arc

* * *

- Non, je sais pas où il est... Il traînait sur ton bureau la dernière fois que je l'ai vu ... Euh nan attends, en fait, la dernière fois, il traînait sur Facebook

- Oups... Ah, je crois que je l'ai trouvé...

- Oh non ! Regarde un peu où tu mets tes pieds, il est tout cradé maintenant !... Pfff ... En plus c'est un bon pote quoi

* * *


S’arracher les cheveux pour exprimer sa colère, c’est fort. Les laisser pousser pour exprimer sa patience, c’est supérieur

* * *

Oui, d'accord, c'est esthétique, mais ses courbes à elle relèvent de la rhéologie

* * *


Ah oui, au fait : dire du mal c'est aussi tuer

* * *

Actualité contemporaine : l'Euphrate est asséché (vous pouvez vérifier) mais Babylone n'a pas soif

* * *

L'autre soir, dans une discussion sur les réactions émotionnelles : Souvent, quand mon ego a pris un coup, je souhaite me détruire pour faire du mal à ceux que j'aime - mais bientôt ma mégalomanie m'en empêche

* * *
Lorsque Dieu parle dans le vent, j’entends des voix

* * *
La nuit, c'est quand on est dans l'ombre du soleil, nan ?
Nope ! C'est quand on a besoin d'miroir Lunaire pour marcher droit

* * *

Lentement mais sûrement, ce siècle approche de l'âge bête - en espérant que rassasié de bêtise, il n'ait pas l'idée de goûter à la bestialité

* * *

Le triomphe d’un croyant, c’est d’avoir été vaincu par Xst et la défaite d’un athée est c’est de croire avoir vaincu le croyant

* * *

Les imbéciles ont horreur du vide, ils préfèrent dire du rien à ne rien dire - jugez-en par ce blog inutile

 

[Poé] L'amour chromé


La feuille sombre dans le val
Tréfonds trempe le lierre
Qui sont les prières médiévales
Parant la terre d'un capuchon ?

Ça – je ne sais pas, sûr de

La joue que rouille la passion
Lovée dans un moulin qui bouge
Attends le baiser le suçon
Ferme la gueule des fleurs d'hier

Que j’apprenne – tandis que

L’azur éteint projette un songe
Grondant l’écho d’être frileux
Dans l'éponge l’eau prisonnière
Appelle mon œil au vide

14 sept. 2011

[Lovée] Comme une panthère


Portrait suivant un fantasme

Elle n’a pas de prénom, seulement un hymne qu’elle chantonne parfois le soir, quand tout est calme et qu’elle a oublié que vous êtes là, à l’orée d’une forêt en feu (
pourquoi pas)

Elle est un monde à elle seule, paumée dans l'univers – sans que les liens soient clairs, elle vit à l’intérieur d’un ensemble qui ne la regarde pas, comme le Red Hook d'avant dans New York, comme les rêves dans nos sommeils sans mémoire

Elle trace, elle court, elle bouge sans jamais voyager, sans visiter ni s'enfuir, sans retenir, elle trace juste

Elle s'habille avec des bouts d'anorak ou de bâche, des filins tendus, des toisons, des parkas légères et compactées – canon : une espèce de tenue serrée qu'elle a tissé soi-même avec une aiguille en arête de silure. J'ai aperçu l'aiguille un jour d'orage

Elle court, elle blast

Elle garde un petit pot de maquillage plein de poussière rouge – vous savez, celle qu'on trouve à la surface de Mars. Elle en applique autour de ses yeux – ah oui, ça me revient : elle a récupéré ça dans un laboratoire d'analyses de la NASA

Elle n'a pas la chienne de vie – elle a ses trajets rituels, de villes, de campagnes et de steppes, mais elle ne vit pas de contrats et de projets. Elle s'éclipse dans les plages seules, les étangs et les dunes, dans les landes et les parkings, elle mange des trucs qu'elle pioche dans les meilleurs restos ou qu'elle pêche au harpon. Parfois, dans le lagon derrière chez moi

Elle me sème et je mets des années, ou des dizaines d'années, avant de la retrouver

Quand je la croise enfin, je me bats pour ne pas lui adresser la parole, pour ne pas mettre fin au délire érotique. Je crois qu'elle joue le jeu, mais honnêtement ce n'est pas sûr. Évidemment (pour suivre le schéma), je me suis déjà battu avec elle. Elle a un vieux six-coups et son regard, moi j'ai l'envie de ne pas lui déplaire

Elle se battra comme un félin de taille moyenne et féroce, comme une panthère. Ses baisers laissent des ecchymoses, ses caresses des brûlures

Un jour, je l'oublierai




[Poé] Golem

Ta taille est indécise face au cours du temps
Monte et descend dans les dunes bleu pâle
S’enfonce dans le sable froid – sa persona
Péniblement – entre les pins
Salés
A force de boire l’eau de la mer

Trapue – gronde qui masse – ta silhouette
Tu obéis aux lois de la glaise
Les signaux timorés ou l’aura de ton instinct hybride
Aux lois du grès non taillé
Sur un quadrillage dont la dimension m’est égale
Ta peau cartographie – usée mappemonde

Tes longs bras tendus tout à travers l’amour
Quand nous n’osons plus même soupirer après lui
Tes longs bras tendus et ramifiés au bout
Ils éprouvent les étendues que le regard a parcourues
En éclaireur

Ce soleil d’onyx me rappelle des souvenirs et des moments
A vivre encore
La seule mémoire des chiroglyphes
Et le voyage dont des passages entiers vont aux étoiles
A chaque fois qu’une de ses plaies guérit

Bracelet tressé avec le fil de la pensée
La vie lacée des joies s’effrite
Les arceaux perdus dans ta coiffure sont faits d’un métal dont aucune mine jamais n’a trouvé le filon
Les pans de ton vêtement d’un tissu des mites
Inconnu
L’argile est douce et tache comme la tendresse
Ton corps porte ses marques légères

Le cœur du problème – il bat la mesure sous quelques tonnes de poussière
Dans une cage de lianes et de liserons
C’est une pelote – une illusion – un sac et un tas
Il n’a aucun contour – aucun contenu – c’est un trou
Un vieux vide qui rajeunit
Une brèche bardée d’argent dont l’atome est une usine
Et dont l’usure est un royaume

S’engouffrant corps et âme dans la grêle de feu
Horizontale
Au cœur de la tourmente
Tes yeux sont comme deux lampes de poche
Deux lampes – deux torches – à l’huile
De roche
Qui projettent des symboles

Tisse et suture dans le noir
Fanal pâlot – montagne de verre
Fleur – casque et momie de mon histoire
Indestructible






2011

4 sept. 2011

[Thé] Thésis

Thésis

Tragédie absentéiste en un acte et une seule scène

THESIS                                 Princesse qui parle au vent et au fait de voir
ERYPHON                            Personnage absent qui s'observe et s'inquiète de ne rien voir
LES OISEAUX                     Comme le chœur : personne ne les écoute
PAKSEKATAROS              Pascal l’introduit dans son traité, amoureux vain, vaniteux

La scène se passe sur la terrasse du palais royal de Myrthe. Thésis, à qui la Pythie a révélé son destin de se transformer en statue et de tuer un prince, arpente le marbre en attendant son héros libérateur, Paksékataros, qui est aussi son amant. Ils sont frères et sœurs, mais ne le savent pas, et Paksékataros ne sait pas qu’il est de lignée royale. Eryphon, usurpateur minable et meurtrier du père de Thésis, brûlant pour Thésis, entre comme un courant d'air.

Acte I Scène 1

ERYPHON, sans que Thésis ne l'entende – Ma captive, ma prison ? Tu es là ?

THESIS, se parlant à elle-même – Les navires passent sur l'horizon, ils sont au nombre de trois. La morsure du froid les rend presque invisibles. C'est l'air qui se densifie, il ne laisse plus passer la lumière. Vous, petits êtres lumineux, dessinez-moi le vaisseau de l'amant ! Soyez phalange, contre-attaquez, venez à moi avec votre or précieux, que je voie toujours ces hippocampes ! Les trirèmes s'estompent. Venez à mon secours petits fées blonds, afin que mon attente n'aille pas se noyer ou dans le ciel ou dans la mer, avant de mourir dignement de l'arrivée de mon promis !

ERYPHON – Thésis, me voilà. Tu m'appelais tantôt, pour me dire ta haine et tes remords ?

THESIS – Oh ! Un revenant. Encore plus lâche que vos soldats, vous n'apparaissez que lorsque je disparais.

ERYPHON – J'ai réfléchi, il vaut mieux que vous mouriez. Cela ne vous coûte pas beaucoup, et c'est beaucoup pour moi. Pense aux autres, Thésis, prends ces pillules. Avale la vie. Guéris ta langue de sa vindicte, sois délivrée de ton génie. Ne pense plus au reste, du reste il ne reviendra plus. Lui, surtout, ne viendra plus. J'ai fait disposer des gardes invisibles tout autour de l'île ; ils brillent d'un vide si parfait qu'Ulysse lui-même s'en irait, voyant bien qu'il n'y a rien à voir ici. Il n'y a personne sur cette île, c'est ce que penseront ces matelots. Il n'y a que les petits pas des petits rien, personne, jamais, enfin tu m'as compris.

THESIS – Les navires ont disparu, les derniers survivants d'or le disent à mes yeux. Ils sont comme ces mensonges d'étoiles qui assurent que l'étoile est ici ou qu’elle est là, mais la réalité, c’est que son trou dans la voûte céleste est déjà rebouché : noir, plein comme jamais. L’âme s'est perdue en la masure du temps, l'azur est amer, mais pas assez pour faire fondre l'essaim des écrivains de rien. Coléoptères graisseux, et la mer est usure pour mes yeux fatigués. Je me fatigue, c’est souvent ... Ah, pourquoi ai-je dûe être enlevée par un vieil insulaire ? Le continent n’a-t-il pas assez de satyres ?

ERYPHON – Cesse, Thésis ! C’est assez de sottises, enfin ... Ce n’est tout de même pas compliqué ... Sois gentille à la fin, soyez un peu tragique ! Vous manquez de sérieux, vous déprimez tous nos textes. Je ne vous demande qu’une petite victoire, ce petit don de soi, pour mon petit ensemble. Que mon histoire se tienne. Allons … Un roi, même un faux roi, ne supplie pas. Ne m'obligez pas à montrer que je ne suis pas même une contrefaçon.

THESIS – Quelle vie voudrais-tu que j'avale, ô carton tyrannique ? Cette vie qui s’est déjà perdue entre l'éther et la mer ? Une ligne fade qui se tâche de transparence. La ligne roule des gros yeux, confondue à la houle, elle pleure à gros bouillons, sans aucune tenue. Les berges de l’Élysée sont recouvertes de peaux sales ou de crânes. Les bergers du ciel sont muets. Les héros de l’antan se sont noyés, mais le dernier résiste, il boit la tasse, ressurgit, échoue au bon rivage, porté par un tiède courant, un dieu, comme d’habitude, en mal d’incarnation sordide. Ils ont toujours du mal avec les odeurs ... Je ris parce qu’il m’est arrivé de croiser Apollon déguisé en rosier. Il puait. La sueur. La sueur de dieu c’est quelque chose, vous savez Eryphon ? Mais lui, lui... Il ne sent pas la sueur : sur son torse bronzé, des égratignures brûlantes, causées par les serres d'une sirène et le feu de l'eau de mer. Des cicatrices ... Il s’approche, je les lèche ... Soudain il me saisit la main, et ils s’en voguent au loin ... Il n’y a qu’un seul homme qui emmène ma vie au loin ... (un temps) ... Tu vois ? Je peux la jouer tragique, mais je suis presque noyée dans le kitsch ... (un temps) ... La soupe du monde. Le petit cœur de la princesse qui fait des bulles. Je barbote dans le bain avec un séraphin et un scribeux.

ERYPHON – Si tu consens à mourir, j'ordonne à mes gardes de laisser ton amant passer, et tu auras ta petite scène d'agonie, de passion : ce sera grand et chaud, humide. On tirera même le rideau. Autrement, ton amant devra se défendre, et je te préviens ! La lutte sera féroce ! Réfléchis bien, je te laisse les pilules ici. Juste là, sur la table basse qui est sur la terrasse, qui est sur l'île de Myrthe qui est en bas de la mer centrale … Au cas où tu pensais revenir de tes songes éveillés : ton corps s’y trouve aussi ...

THESIS – Ha. Ha. Tu n'es pas drôle. Je ne te donnerai pas cette défaite – elle est digne d'un traître : le traître peut bien se vanter de mettre en péril le principe du héros, mais toi tu outrepasses les règles du mauvais. Je n’aime pas le mot médiocrité, si banal, si bourgeois (les bourgeois seuls s'en servent pour cracher sur le bourgeois) – bourg, Boers, voilà des mots laids. Ils veulent dire : c’est mauvais, c’est pauvre – c’est l’orgueil pataud et hargneux, un peu lâche. Eryphon, allons ... Ce que tu es n’est pas mal, et encore moins le Mal : seulement mauvais. Alors que les traîtres, eux, sont acteurs ; et puis sans traîtres il faudrait aller bien plus loin. Bien trop loin.

ERYPHON – Oui. C’est une banalité. Le traître permet au juste de l'être. La ligne torve d'une vie infidèle est faite d'une longueur plus grande, à longueur de temps égale. Lorsqu'on déroule un traître il se révèle très long, très compliqué. L'homme juste, le bon roi, lui, n'est que la droite du point de sa vie au point de sa mort. Il a fait le chemin le plus court. Mais il y a pire : le saint. Lui, il prend un raccourci, il trouve le moyen d’évoluer sur une orbe. Il tord l’espace-temps autour de lui pour que sa droite soit plus courte encore que celle du bon. Le traître craint, il regarde la vérité en face et décide contre elle, comme un tyran fou explore, expérimente, for the sake of free will, et il se perd toujours : c'est ce qu'il veut. Il se croit double et tente même de doubler les dieux, se doubler soi et son destion, il est plus insensé qu'un lâche, mais moins sot et plus vrai. A moins qu'il n'ait pris une porte dérobée. A moins qu'il n'y ait des traîtres faits de lâcheté : des traîtres incomplets, des traîtres nés de la peur ...? C'est une idée de personnage. Plus tard. Pour mon rôle, il faut que la révélation soit celle-ci : partir en retard, traînasser, errer, ouvrir un cagibi par hasard et trouver là le but, ouvert, devant soi, par un bug de la matrice...

THESIS – Qu'est-ce que tu racontes ? N'esquive pas le sujet avec des mots qui ne veulent rien dire. Oh, et puis je me fatigue pour rien... Je dois être en forme pour mon sauveur... Laisse-moi.

ERYPHON – Alors c'est ainsi ? Je trahirai où nous sommes avec un petit cri d'étourneau (le tien !), il l'entendra et il viendra, et son sauvetage sera plombé, trahi : j'aurai moi-même signé mon échec ! Un coup porté sur toi et il aura été, malgré lui, mon dernier mot d'auteur !

THESIS – Oh, une fois pour toutes ! Ne te prends pas pour un damné : je signifiais que tu n'en es pas un. Pas même un traître à condamner. Eryphon... Je ne t'en veux pas. Je ne t'en veux pas, mais tu aimerais tellement ... Pas même l'acteur de ton échec... Ni méchant, ni chef... Tu as mon amour le plus tiède.

ERYPHON – L'amour le plus tiède. La pitié. Tu me rends fou. Faut-il que je te vole ce cri, d'un coup ? Que j'aille plus loin encore ? Que j'insère mon i grec entre l'o et le v ?
THESIS – Tu vas trop loin. Garde-toi d'essayer. Tu n'y arriverais pas.

ERYPHON s'empare de la main de Thésis – Donne moi ta main.

THESIS – Ah ! Non !

ERYPHON – Tu ne feras que ce que je t'ordonne, ton nom sera connu pour celui d'une reine, d'une statue, d'une colonne fière.

THESIS comprenant – Oh. Ah.Je ne peux pas résister.

ERYPHON – Quelle docilité, Thésis, tu m’enchaînes, je ne peux pas. Tu m'empêches vraiment d'être ignoble, tu me coinces et jusqu'au bout, tu me prives de la fin. Je n'ai pas même réussi à faire un nœud à ce cheveu. J'ai conscience que ton texte est mauvais Thésis, mais ne peux-tu pas y mettre un peu du tien ? Cette partie-là, en bleu, sort du schéma : tu dois y passer en silence, dessous, de sorte qu'on ne t'y remarque pas. Le silence étincelle, son métal te cachera.

THESIS – Reste dans l'ombre, Thésis … On te verra mieux. Ton texte est amusant, mais j’en suis sortie il y a des millénaires, et par décret divin.

ERYPHON – C'est cela.

LES OISEAUX – Eryphon et Thésis, jouant le jeu du tout et du rien, de « ce-qui-a-de-l’importance-n’en-a-pas »,  n’ont pas remarqué que dans la rade les vaisseaux sont arrimés, que les ancres râclent le fond des criques, et que de nombreux milliers d'hommes débarquent, du soleil plein les yeux, le sel de leur sueur et de la mer mariés sur leurs torses. Ils arrivent de toute la Grèce, la ruse d’Eryphon a échoué, l’hoplite consulta la sirène. L’invisibilité n’a pas déjoué le flair de la prêtresse ailée. L’hoplite a payé la sirène, il a payé de sa personne - et si nous n’étions pas de simples oiseaux dépourvus de tout sens moral, nous dirions qu’il y a là quelque chose de pas très catholique. L’hoplite a débarqué, il tue un garde en n'y pensant pas, en jette un autre dans un trou qui se referme aussitôt. Il arrive pour Eryphon, il arrive pour Thésis.

ERYPHON – Crois-moi, la chasse a assez duré. Je te promets les robes, les civils enflammés, les ivresses, le parfum, des places et des jardins. Sois là, sois juste là, debout sur ce point qui ne prend pas de place, toute là, contre moi. Que je ne meure pas en martyr.

THESIS – Car tu n'en es pas un ?

ERYPHON – Ne te moque pas.

THESIS – Je vais te dire ce qu’il en est, je refuse de choisir entre les pillules ou le roi, c’est trop nul, c’est si peu moi, c’est si peu toi. Tu me crois capable de t'attaquer, de te résister et de croire, tu me crois semblable à toutes ces héroïnes qui font éclater leurs révoltes niaises quand l'ennemi donne le choix. Mais je sais que tu n'en es pas un, tu n'es pas un ennemi. Tu es beau, et bon, Eryphon. Un moment, tes textes m’ont séduit, ils sont si maladroits. Seulement Thésis n'est pas pour toi, ni la potiche ni némésis. Ni ton amie. Elle est un regard tendu entre Myrthe et l'horizon. Une corde tressée par un dieu patient et futile. Thésis n'est pas une âme, Thésis est une vague, cette forme mouvante et sûre, aussi insaisissable que pudique, aussi morte que vivante, l’onde bénigne. Thésis ne se défendra pas et tu ne peux pas non plus la toucher ! Une poussière qui s'est posée dans ton bel œil, Eryphon, c'est Thésis, c'est que tu te blesserais toi-même en l'approchant. Tes gros doigts bienveillants et inconscients ne sont qu’un contre-temps. Ne pas se révolter, c’est la marque des dieux, se révolter, c’est la marque de l’orgueil – agis avec intelligence, dans le calme et tu sauras quel beau destin tu as devant – coupe les amarres – alors jamais je ne serai là, plus jamais Eryphon. Tu seras libre, par pitié : ne précipite rien dans la bêtise des enfants gâtés, des esclaves arrogants ou des démons gâteux. De ceux qui se renfrognent ou se referment, l’huître n’est pas une belle métaphore, je t’en conjure, ne t’obstine pas – et ne crois pas non plus que ton aveu soit un exploit. Nous sommes des parallèles. Nous ne perçons jamais la coque l'un de l'autre. Je te parle pour jouer, mais tu auras oublié si tôt tout cela, le meurtre de Papa, ton ambition naïve, ton envie d'être vu, remarqué, accepté, aimé, tout ça - Oh ! Que c'est banal. Et en plus, tu me laisses tout expliquer, à moi, la fille ? Être une femme et expliquer le besoin émotionnel, c'est si peu antique, si post-moderne, si minable, si ... Mais ne le prends pas mal ... Au fond tu ne mérites aucun mal - j'espère que certains prieront pour toi, qu'ils t'aideront - tu grandiras. Mais Papa mort, nous pourrions bien aller à notre perte plus vite que prévu. Eryphon, qu’as-tu courbé l’espace dans un sursaut inconscient pour que je te rencontre ... Ton entreprise est une erreur, non pas une méprise, non pas un quiproquo, non pas une intrigue ni même une aventure. C’est un rien désagréable qui fait tout pour être quelquechose. Ton regard est enfermé dans l'ombre, dans la pupille, tandis qu'au-delà c'est l'océan, et qu'ensuite encore c'est la virginité. Je suis au-delà de l’océan,  et quand la vie sera revenue, ton œil sera un : ténèbres. Et la mer, qui vient à nous en ce moment, et ma pureté, qui bientôt va s'en aller ... Ils ne te laisseront qu’un regard noir. Un trou béant. Beau, profond, va, et cherche-toi une couleur et une pureté à posséder, qu'elle te possède avec ses deux bras noisette et blanc, sinon tu n'auras plus rien lorsque je serai partie pour avoir des enfants. Tombe amoureux d'une de tes servantes, je ne sais pas moi, vous savez si bien provoquer cela, vous les cristaux virils. C'est triste un regard qui a perdu sa couleur et sa blancheur, c'est un œil qui ne voit plus que l'ombre, c’est la paupière fatiguée qui succombe à l’azur, qui retourne à sa grotte et à ses rumeurs car elle n’a pas accepté d’être contrariée la veille au soir – une fleur qui ne s'ouvre même plus au soleil. Ton malheur a été de me voir : j'ai été dans ton œil, et entre toi en moi a surgi un tiers absent, pour que le plein et le vide ne se connaissent pas, ce tiers absent est ce bleu-là, qui disparaît avec moi. Je le contiens, ne l'oublie pas, tandis que toi, tu n'es qu'absence. Je suis plus que le chrome, je suis toute la couleur, tu es moins que le chrome : les couleurs en sont les reflets.

ERYPHON – J'entends des bruits de combat.

THESIS – Enfin la vague va se fermer, une boucle. Suis-je belle, Eryphon ?

ERYPHON – Que n'ai-je fait pour mériter cela ? Quelle verrue, quel jeu ou quelle vibration me sépara des grands héros ? Quelle insulte mon corps a-t-il fait au monde pour que j'en sois reclu ? Par quel extraordinaire défaut mon anonyme existence a-t-elle irrité le ciel ?

THESIS – La blancheur de la vague éclate toujours dans le fracas, la guerre approche, j'en suis le lys.

ERYPHON – Tais-toi, Thésis.

THESIS, cri strident – Paksékataros, à moi !

ERYPHON – Quelle vaste blague, la vie ... Ton discours Thésis, ne crois pas que tu t’en tireras ainsi – parce que j’ai vu le courant dévier, les mots devenir aigus – ne crois pas que tu es si innocente – même si tu as compris si bien qui je ne suis pas. Par Chiron, une attaque – si c’est Ganymède qui a trahi mon lieu secret, il le paiera – Phaéton, guide mon bras !

THESIS et ERYPHON – Phénix !

Les soldats de Paksékataros entrent et tuent les gardes du palais. Eryphon se jette sur eux mais s’empale sur la lance de Paksékataros.

ERYPHON, agonisant – Je serai Shakespeare ou rrrrr ... (Il expire sans pouvoir finir sa phrase)

Thésis se transforme alors en statue titanesque de marbre blanc, qui s'écroule sur Paksékataros qui s'écrie :

PAKSEKATAROS – Enfin recouvre-moi, le héros du presque qui tua rien, lance levée, fait donc advenir ça, toi monochrome, moulage parfait, de ce qui manquait à ma linéarité, la ligne n'est sauvée que par le plein écran blanc, écrin ! MATHÉMATISE-MOI MON AMOUR !

Epilogue

Tous renaissent et vivent heureux dans la palingénésie. Scène de banquet (avec le père des deux jeunes, son meurtrier, les oiseaux, Pascal et Socrate qui discutent allongés). Ils peuvent aussi se transformer en polyèdres de polystyrène géants.

Pendant que les acteurs saluent, Eryphon peut garder sa lance plantée dans son ventre, et gêner les autres acteurs en faisant demi-tour. Donner l’impression qu’il est détesté jusque dans la troupe.
Des complices dans la salle peuvent le huer lors des salutations individuelles.